J’ACCUSE… ! Émile Zola
Archétype de l’engagement moral d’un écrivain, « J’Accuse…! » est sans doute l’article le plus célèbre de l’histoire du journalisme. Après les disparitions de Flaubert (1880), d’Hugo (1885) et celle, prématurée, de Maupassant (1893), Zola était sans conteste, au milieu des années 1890, le dernier des monstres sacrés du roman français, en tout cas le plus grand écrivain de langue française vivant. L’auteur des Rougon-Macquart, chronique d’une famille sous le Second Empire dont certains titres comme Germinal ou L’Assommoir ont assis la renommée, était pourtant un homme installé. À 57 ans, ayant achevé sa trilogie des villes – Lourdes, Rome, Paris –, il lorgnait du côté de l’Académie française. Le Quai Conti allait enfin lui ouvrir les portes de l’immortalité. Cependant, cet homme, qui n’aimait guère la foule et le bruit, n’hésita pas à engager sa réputation, son honneur et même à risquer sa vie pour une cause à ses yeux essentielle: celle, indissociable, de la justice et de la vérité.
« Cette abominable affaire Dreyfus »
Si, aujourd’hui, est devenue le modèle de l’erreur judiciaire, elle ne l’était pas à ses débuts. L’armée, pilier d’une République conservatrice, était alors le symbole de l’esprit patriotique d’une nation qui rêve de revanche depuis qu’elle a été amputée de trois départements en Alsace et en Lorraine. Il faut ajouter qu’un antisémitisme parfois violent, sinon rabique, tant à droite qu’à gauche, s’était diffusé dans la société. En témoignent le succès de (1886), le pamphlet d’Édouard Drumont, et de (1892), quotidien que ce dernier fonda pour dénoncerayant trait à la défense nationale, que l’auteur a communiqués aux Allemands. On enquête promptement et, sur la conviction du chef du quatrième bureau, le colonel d’Aboville, on croit pouvoir identifier l’écriture d’un ancien élève de Polytechnique, le capitaine stagiaire Alfred Dreyfus. Le commandant Henry, du SR, est même formel :
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