Souvenirs Militaires d’un Officier Du Premier Empire (1792 – 1832)
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Colonel Jean-Nicolas-Auguste Noël
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Avis sur Souvenirs Militaires d’un Officier Du Premier Empire (1792 – 1832)
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Souvenirs Militaires d’un Officier Du Premier Empire (1792 – 1832) - Colonel Jean-Nicolas-Auguste Noël
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J. N. A. NOEL
CHEVALIER DE L’EMPIRE, COLONEL D’ARTILLERIE
SOUVENIRS MILITAIRES D’UN OFFICIER DU PREMIER EMPIRE (1795-1832)
TABLE DES MATIÈRES
Contents
TABLE DES MATIÈRES 5
AVIS AU LECTEUR 6
CHAPITRE Ier. — L’ENTRÉE DANS LA VIE MILITAIRE. LES PREMIERES ANNÉES DE SERVICE (1795-1799). 7
CHAPITRE II — DIX ANNÉES EN FRANCE ET EN ITALIE (1799-1809). 22
CHAPITRE III — CAMPAGNES D’ITALIE ET D’ALLEMAGNE (1809). 39
CHAPITRE IV — MA PREMIÈRE CAMPAGNE D’ESPAGNE (1809-1810) 58
CHAPITRE V — CAMPAGNE DE PORTUGAL (1810-1811). 71
CHAPITRE VI — MA DEUXIÈME CAMPAGNE D’ESPAGNE (1811). 94
CHAPITRE VII — CAMPAGNE DE RUSSIE (1812). 102
CHAPITRE VIII — CAMPAGNE D’ALLEMAGNE (JANVIER-AOUT 1813). 115
CHAPITRE IX — CAMPAGNE D’ALLEMAGNE [SUITE] (AOUT-OCTOBRE 1813). 126
CHAPITRE X — FIN DE LA CAMPAGNE D’ALLEMAGNE (OCTOBRE-NOVEMBRE 1813) 139
CHAPITRE XI — CAMPAGNE DE FRANCE (1814). 150
CHAPITRE XII — LA PREMIERE RESTAURATION.—LES CENT-JOURS (1814-1815) 160
ÉPILOGUE — LES ANNÉES DE PAIX. FIN D’UNE CARRIÈRE (1815-1832) 174
ÉTAT DES SERVICES DU COLONEL NOËL (JEAN-NICOLAS-AUGUSTE) 177
DÉCORATIONS 177
REQUEST FROM THE PUBLISHER 178
AVIS AU LECTEUR
Ce n’est pas du tout une préface que je prétends mettre à ce volume, mais simplement un avis que je crois devoir donner au lecteur.
A sa sortie du service militaire, le colonel Noël, mon aïeul, était venu se fixer à Nancy. La confiance de ses concitoyens ne tarda pas à le faire entrer dans le conseil municipal ; bientôt après il fut adjoint, puis maire, fonctions qu’il n’avait pas désirées, mais qui lui furent en quelque sorte imposées par l’estime publique, et qu’il ne quitta qu’à la révolution de février 1848.
De bonne heure il avait pris l’habitude de consigner sur un carnet les diverses circonstances de sa vie. Dans ses dernières années, retiré tout à fait des affaires, l’idée lui vint de reprendre toutes ces notes, écrites au jour le jour, et de les réunir. Il en fit ainsi un journal, destiné uniquement à son fils et à ses petits-enfants : il était si éloigné de croire qu’il pût jamais avoir d’autres lecteurs, qu’il y avait même consigné ces événements intimes dont on ne s’entretient qu’avec sa famille.
Mon père, M. Auguste Noël, conseiller à la cour d’appel de Nancy, avait recueilli ce journal comme un précieux héritage. Frappé, avec beaucoup d’ho- pour mettre au net mon journal, et, en repassant ma vie, j’y ajoute quelques souvenirs et quelques observations suggérées par les événements. Si j’y exprime parfois certaines opinions sur les hommes et les choses, ce sont surtout celles des milieux dans lesquels j’ai vécu, civils et militaires ; et je ne le fais que pour rectifier les assertions de certains historiens, plus soucieux de satisfaire leurs préventions ou leurs passions que la vérité.
Nancy, 1850-1852.
SOUVENIRS MILITAIRES D’UN OFFICIER DU PREMIER EMPIRE (1795-1832)
CHAPITRE Ier. — L’ENTRÉE DANS LA VIE MILITAIRE. LES PREMIERES ANNÉES DE SERVICE (1795-1799).
La Terreur à Saint-Dié. — Né à Saint-Dié, le 3 février 1778, je commençais à peine mes études de latin chez un régent à Baccarat, lorsque éclata notre grande révolution de 1789.
De cette époque je ne puis rien dire, si ce n’est que dans ma famille et autour de moi je vis à la joie et à l’enthousiasme succéder l’anxiété et la terreur, augmentées encore par la crainte de l’invasion.
De la Terreur, deux faits sont restés gravés dans ma mémoire, et m’ont inspiré l’horreur des violences populaires et des persécutions, d’où qu’elles viennent. Il y eu a eu sous presque tous les régimes. Les égorgeurs de septembre 1792 ne sont-ils pas les descendants des massacreurs de la Saint-Barthélemi ; et les atrocités commises en 1815, dans le midi, par les bandes de Trestaillon n’ont-elles pas égalé les excès des Marseillais et des révolutionnaires ?
Une nuit, un oncle, beau-frère de ma mère, homme tout à fait inoffensif, vint, pour fuir les dénonciations, chercher asile chez mes parents. On le conduisit dans un jardin que nous avions hors de la ville, ou l’installa dans une logette, et la nuit, nous lui portions ce dont il avait besoin.
Au mois de septembre 1793, j’étais en vacances à Saint-Dié, lorsque fut égorgé dans les rues de la ville l’ancien seigneur de Spitzemberg, château féodal des environs, dont on voit encore les restes. Insulté, poursuivi à coups de pierres, il fut renversé, foulé aux pieds, couvert de boue, d’immondices, de sang ; on le traîna dans les ruisseaux jusqu’à ce qu’il ne fut plus qu’un cadavre. Et cela se passait sous les yeux des autorités, impuissantes alors à réprimer de pareils excès. Les descendants de certains des auteurs de ce lâche assassinat seraient peu flattés qu’on divulguât leurs noms ; et ce ne furent pas, en 1815, sous la cocarde blanche, les moins exaltés contre ceux qui avaient servi leur pays sous le drapeau tricolore. Combien devais-je en voir de ces palinodies à la suite de nos révolutions !
Mes études. — En 1793, lors de la levée en masse, je terminais tant bien que mal mes études de latin dans un pensionnat de Nancy, tenu par M. Michel, grand-père du notaire actuel. Mandé à la municipalité, on voulait m’enrôler. Je n’avais que quinze ans et demi, et l’âge requis était seize ans. Pensant qu’il me faudrait bientôt partir comme soldat, je quittai le latin et me mis aux mathématiques que je travaillai avec goût et ardeur.
Plusieurs jeunes gens de la ville se trouvaient dans la même situation que moi. Nous avions pour professeur M. Spitz, qui devint plus tard inspecteur d’académie, et qui avait précédemment donné des leçons au général Drouot.
Admission à l’école d’artillerie de Châlons. — Au mois de février 1795, un concours étant ouvert à Châlons pour l’admission à l’école d’artillerie, deux de mes camarades, Jacques, Bureau, et moi nous nous rendîmes avec notre professeur, en poste, dans cette ville, pour prendre part à ce concours. Les recommandations et les prétentions de M. Spitz n’eurent d’autre résultat que de nous faire poser par l’examinateur, M. Labbé ; des questions plus difficiles. Jeune encore, il avait la prétention de se faire admettre à l’école sur la simple exhibition de ses élèves. Il ne voulait pas se soumettre à un examen public auquel il avait précédemment échoué, sans doute à cause d’une timidité naturelle, car il était instruit. Il s’était présenté à un concours en même temps que son élève, celui qui fut le général Drouot. Celui-ci avait été admis le premier, et son professeur avait échoué.
Le 5 mars 1795, nous fûmes admis tous les trois à l’école d’artillerie, Jacques, Bureau et moi.
Cette fois, ce ne fut plus en poste que nous nous rendîmes à Châlons, mais à pied et le sac sur le dos.
Le voyage n’en fut pas moins gai. Nous avions tous les trois bon pied et bon œil, un peu d’argent dans nos poches, et devant nous un avenir qui illusionnait nos dix-sept ans.
Nous ne fûmes pourtant pas fâchés, après Bar-le-Duc, et au moment d’entrer dans cette interminable plaine, de
Champagne, de rencontrer un voiturier qui s’en retournait à vide à Châlons. Il nous prit sur sa voiture et nous fit suivre une ancienne voie romaine au nord de la route nationale, sans passer par Saint-Dizier ni Vitry.
L’école d’artillerie occupait les bâtiments de l’ancien séminaire, où est installée aujourd’hui l’école des arts et métiers.
A l’école nous touchions une solde payée en assignats, si dépréciés qu’elle ne nous servait qu’à faire de rares bons dîners, pour nous remettre du régime de l’école qui laissait beaucoup à désirer. Le pain qu’on nous distribuait était souvent si peu cuit, sans doute pour qu’il fût plus lourd, qu’en le lançant avec force contre les murs il y restait collé.
Entrée au régiment. — Le 17 juillet 1796, après quatorze mois de séjour à l’école ; je suis nommé second 2e lieutenant à la 5e compagnie du 8e régiment d’artillerie à cheval, alors en Allemagne.
Trois autres élèves sont attachés au même régiment : Martin, tué à Wagram ; Monnot, mort à l’asile d’aliénés de Maréville, où il fut enfermé après avoir eu le malheur de tuer son père dans un accès de folie furieuse, et Clément, qui devint mon ami, mort à Limoges, en 1815, au moment du licenciement de l’armée de la Loire, lieutenant-colonel du 4e d’artillerie à cheval, que je commandais.
Mes camarades, Jacques et Bureau, sortirent en même temps de l’école.
Jacques n’eut pas de chance. A la première affaire à laquelle il assista, il eut la jambe emportée par un boulet. On avait besoin d’hommes à cette époque, et il fit son chemin dans les directions et au ministère de la guerre. La dernière fois que je le vis, il occupait une douce sinécure à l’Hôtel des Invalides.
Bureau fut envoyé dans une manufacture d’armes. Il fit sa spécialité de ce service et s’y fit remarquer. Garçon plein d’esprit et d’entrain, il était très lettré, et plus tard, en retraite tous deux, dans nos réunions, il se plaisait encore à nous déclamer des vers de Virgile et des odes d’Horace.
Armée du Rhin. — L’armée du Rhin étant en Allemagne et les communications étant interrompues, nous nous rendîmes au dépôt du régiment, à Schlestadt.
On travaillait peu au dépôt. Les officiers de la garnison se réunissaient à la brasserie. J’étais le plus jeune, et à ce titre chargé de remplir des chopes. Ce n’était pas une sinécure. Cette vie m’allait peu.
La France était alors en guerre avec l’Autriche, le Piémont, quelques petits princes d’Italie, tous subventionnés par l’Angleterre.
Elle avait sur pied trois armées ; de Sambre-et-Moselle, général Jourdan ; de Rhin-et-Moselle, général Moreau ; d’Italie, général Bonaparte, dont on commençait à parler.
Ce fut l’armée d’Italie, la plus faible, la plus mal équipée, la moins disciplinée, qui, la première, entra en campagne. Dès les premiers jours d’avril, sans attendre la fonte des neiges, le général Bonaparte franchit les Apennins, soumit en quinze jours le Piémont, battit les Autrichiens, entra, le 15 mai, en triomphe à Milan, et repoussa l’ennemi au delà de l’Adige.
Les armées du Rhin ne furent pas si heureuses. Elles n’avaient franchi le fleuve qu’au mois de juin et s’étaient avancées en Allemagne. Les Autrichiens qui leur étaient opposés avaient pour généralissime l’archiduc Charles.
L’armée du Rhin avait déjà gagné le haut Danube, quand l’archiduc Charles, laissant devant elle un corps de troupes, se déroba, et par une marche habile tomba sur le général Jourdan, le battit à Wurtzbourg, le força à repasser le Rhin, et remonta la rive droite de ce fleuve pour prendre à revers le général Moreau. Celui-ci prévoyant ce mouvement, se retira sur la Forêt-Noire, et avant de s’y engager se retourna, battit à Biberach les Autrichiens qui le poussaient trop vivement, et opéra, par les gorges du Val d’Enfer, une retraite restée célèbre. Il déboucha dans la vallée du Rhin à Fribourg-en-Brisgau, et repassa heureusement le fleuve à Brisach et à Huningue, sans que son armée fût ni entamée ni découragée.
Lorsque l’armée se rapprocha du Rhin, nous partîmes, Clément, Martin, Monnot et moi, pour Huningue où nous arrivâmes le jour même, 24 octobre, où nos compagnies repassaient sur la rive gauche.
Nous campons à Neudorff près du Rhin. Nos pièces sont en batterie sur la digue, défendant les approches de la gauche de la tête de pont.
La 5e compagnie dont je suis le second lieutenant, a pour capitaine M. Bourguin, homme distingué, mais grièvement blessé à Biberach ; il y est resté prisonnier. Il fut plus tard tué dans les Calabres.
En son absence, la compagnie est commandée par le 1er lieutenant Herbulot ; le 2e lieutenant est un sieur Rousset, ignorant et suffisant. L’un est un ivrogne, l’autre un joueur. Tombé à dix-huit ans en pareille compagnie, je n’ai été sauvé du mauvais exemple que par le dégoût que m’inspire l’un et le mépris que j’ai pour l’autre.
Huningue. — Huningue était commandé par le général Abbatucci. Il y fut tué à l’âge de vingt-neuf ans.
J’eus l’occasion de rencontrer à Huningue et d’y faire la connaissance du général Foy, alors chef d’escadron. Il y commandait encore la compagnie avec laquelle il était entré en campagne. Sa compagnie est en batterie à la tête de pont.
Étant allé un jour en curieux aux avant-postes, je vois rapporter, couché sur des fusils, un pauvre fantassin qui a la jambe brisée. Cette jambe pendante, le sang qui en coule, la pâleur et les plaintes de ce blessé, me causent une vive émotion, que je dissipe en avalant, à une cantine, un verre d’eau-de-vie. Depuis, je n’ai plus rien ressenti de pareil ; fort heureusement, car je devais en voir bien d’autres.
Lorsque nous n’étions pas de service, nous nous rendions à Bâle, où nous étions sûrs de toujours trouver bonne table à l’hôtel des Trois-Rois ou à celui de la Cigogne. Nous rencontrions dans cette ville des émigrés, avec lesquels nous étions en fort bonne intelligence ; pauvres hères heureux d’accepter les invitations à dîner des officiers républicains. Ils n’avaient pas alors la morgue que nous leur avons vue en 1814 et 1815.
Les Autrichiens se bornent à attaquer les têtes de pont de Kehl et d’Huningue. Ils ne tentent pas de passer le Rhin. L’archiduc Charles porte surtout ses efforts sur Kehl, dont il a fini par s’emparer le 9 janvier 1797. Il eut mieux fait de moins s’y obstiner, car c’était un maigre résultat, et d’aller plutôt en Italie.
Nous restons à Neudorff jusqu’au mois de novembre. Nous quittons alors cette position pour aller tenir garnison à Besançon, où nous nous réunissons aux 3e et 6e compagnies de notre régiment, le 8e d’artillerie à cheval.
Armée d’Italie. — Au mois de février 1797, les 3e, 5e et 6e compagnies reçoivent l’ordre de partir pour l’Italie. Nous accueillons cette nouvelle avec joie. Nous ne faisons rien à l’armée du Rhin, et l’Italie nous attire. Les exploits de nos camarades dans ce pays nous font envie.
L’admirable campagne d’Italie de 1796 est terminée. Tout n’est pourtant pas fini.
Le général Bonaparte et son armée de 32,000 hommes ont fait merveille. En quelques mois ils ont soumis le Piémont, mis en déroute trois armées autrichiennes, chacune de beaucoup supérieure en nombre. Marchant la nuit, se battant le jour, ils ont défait leurs ennemis dans douze batailles et dans plus de cinquante combats ; lui ont pris, tué ou blessé plus de cent mille soldats. Leur victoire de Rivoli (14 janvier), celle de la Favorite, deux jours après, et la capitulation de Mantoue ont débarrassé l’Italie des Autrichiens.
Mais la paix n’est pas faite. L’Autriche, toujours soute-due par l’Angleterre, et grâce aux succès de l’archiduc Charles en Allemagne, n’en est pas encore réduite à demander la paix.
L’archiduc Charles a fini par s’emparer aussi de la tête de pont d’Huningue. Il a laissé en observation sur le Rhin une partie de son armée, et avec ses meilleures troupes il s’est rendu en Tyrol pour réorganiser et commander la quatrième armée que l’Autriche veut opposer à Bonaparte.
Le Directoire, de son côté, se décide enfin à envoyer des renforts en Italie pour réparer les pertes. Ces renforts sont composés de deux divisions tirées des deux armées du Rhin. Elles franchissent le mont Cenis par une furieuse tempête de neige, au mois de janvier.
Les trois compagnies du 8e d’artillerie font partie de ces renforts, mais nous ne quittons Besançon que le 23 février. Nous passons par Bourg, Chambéry ; nous franchissons le mont Cenis également en plein hiver. Il est entièrement couvert de glace et de neige.
Campagne d’Italie (1797). — Nous descendons en Italie. En passant à Turin un dimanche, à la messe, à la chapelle du château, je vois les comtesses de Provence et d’Artois, belles-sœurs du malheureux Louis XVI. Elles ne sont pas belles.
Nous traversons Milan le 24 mars, et nous allons prendre nos cantonnements à Monza, jolie petite ville avec un très beau château à l’archiduc.
Le général Bonaparte est déjà en campagne. Dès le 10 mars, il a mis son armée en mouvement ; il s’est trouvé pour la première fois en présence de l’archiduc Charles sur le Tagliamento, et l’a battu. Il le poursuit en ce moment dans les Alpes Juliennes, après lui avoir brillamment enlevé tous les passages qu’il tentait de défendre. Les Français viennent de s’emparer du col de Tarwis, et descendent dans les États héréditaires de la Maison d’Autriche. Ils sont à Léoben, à 25 lieues de Vienne, où leur général discute les bases d’une paix définitive.
Dans cette marche hardie à travers les Alpes, avec une armée peu nombreuse, le général Bonaparte a pour objectif Vienne. Il compte pour son succès sur une diversion opérée sur le Danube par les armées du Rhin, commandées, l’une toujours par Moreau, l’autre par Hoche.
Il a laissé en Italie, pour assurer ses derrières et contenir la sourde hostilité de la république vénitienne, un corps d’armée d’environ dix mille hommes, sous les ordres du général Kilmaine. Nos compagnies font partie de ce corps.
Nous sommes fort bien accueillis par les Lombards, que nous avons délivrés des Autrichiens, et qui font cause commune avec nous ; aussi par les habitants de la république cispadane, que vient de constituer Bonaparte avec les duchés de Modène, la Romagne et deux légations. Mais, au delà du Mincio, dans les États de terre ferme de la République de Venise, les populations nous sont hostiles. Les habitants des villes les plus rapprochées de la Lombardie, nobles, bourgeois et peuple, supportent impatiemment le joug de l’aristocratie exclusive du Livre d’Or, et sont très bien disposés pour les Français. Plusieurs de ces villes, Bergame, Brescia entre autres, profitant de notre présence, ont même chassé leurs podestats vénitiens et ont proclamé leur indépendance. Les campagnes qui entourent ces villes sont dévouées au contraire à l’aristocratie vénitienne.
Bien que Venise soit neutre, nous occupons les forts de Bergame, de Brescia, de Vérone, qui appartiennent à cette république, par la raison que le Sénat de Venise ayant laisse les Autrichiens s’y établir, nous les en avons chassés et avons pris leur place.
Au delà de l’Adige, à Vérone surtout, citadins et campagnards sont contre nous.
Pâques véronaises. — Le Sénat de Venise, fidèle à sa politique astucieuse, tout en protestant de sa neutralité, n’a pas cessé ses armements, ses levées d’Esclavons, sous le prétexte de défendre sa neutralité, en réalité contre nous dès que l’occasion lui paraîtra favorable pour se joindre à nos ennemis. Il arme les paysans, et ses agents parcourent les campagnes pour les exciter contre nous. Nos partisans sont menacés, nos soldats isolés sont massacrés.
L’exaltation est telle contre nous dans cette partie de l’Italie, que, sans attendre l’occasion désirée par le Sénat de Venise, et croyant notre armée compromise dans le Tyrol, des masses de campagnards se portent sur Vérone. On est sur ses gardes, mais on n’est pas en guerre, et les portes de la ville sont ouvertes.
Le 15 avril, deuxième dimanche de Pâques, les campagnards, profitant de la fête, entrent en foule dans la ville, et mêlés à la populace et aux soldats esclavons qui y tiennent encore garnison, ils encombrent les rues et les places.
Vers midi, tout à coup, à un signal donné par des coups de sifflet, cette foule se rue sur les Français, attaque les petits postes isolés, ceux qui gardent les postes et les massacre. Nos blessés et nos malades sont égorgés à coups de poignard dans les hôpitaux qu’ils encombrent. Les corps des Français assassinés sont jetés dans l’Adige. Les assassins n’épargnent ni les femmes ni les enfants. Quelques Français ont pu gagner les forts que nous occupons. D’autres se sont réfugiés dans le palais du podestat vénitien qui leur donne asile, sans doute pour se donner, en cas d’insuccès, les apparences de la neutralité, car il n’a rien fait pour arrêter ni calmer les insurgés.
Maîtres de la ville, les insurgés se portent contre les forts qu’ils attaquent avec des canons, ce qui prouve bien que les soldats vénitiens sont avec eux. Ils s’emparent d’un de nos forts et en massacrent la garnison. Les autres les repoussent en les criblant de mitraille ; ils tirent également sur la ville. Le général qui commande à Vérone peut encore, bien qu’entouré, prévenir le général Kilmaine et lui demander du secours.
Nous partons pour Vérone avec la légion lombarde. Après un combat en avant de la ville avec les paysans et les Esclavons, on les disperse, on les poursuit et on les sabre sans pitié. On cerne la ville. Cette populace véronaise est aussi lâche que féroce. On pénètre facilement dans la place.
Nos soldats sont furieux. Ils tuent tout ce qui tente de résister. Ils veulent mettre la ville à sac. C’est à grand’peine qu’on empêche le pillage, sans pouvoir sauver le mont-de-piété.
Le podestat et les autorités vénitiennes ont disparu.
Les chefs saisis sont fusillés, et Vérone est frappée d’une contribution. Un mois de solde pour les troupes, plus un cheval pour les officiers montés. Je reçois mon cheval, je n’ai jamais touché ma solde. Elle n’a sans doute pas été perdue pour tout le monde.
On a donné à cette insurrection et à ces massacres le nom de Pâques véronaises.
Nous restons à Vérone jusqu’au 8 mai, et nous en partons pour Mantoue, d’où, après quelques jours, nous revenons à Milan (4 juin).
Les Pâques véronaises et quelques autres perfidies vénitiennes furent les causes de la chute définitive de cette vieille république aristocratique de Venise, autrefois si riche et si puissante.
Le général Bonaparte traitait alors à Léoben avec les Autrichiens des conditions de la paix. N’ayant plus de ménagements à garder vis-à-vis du Sénat de Venise, il leur abandonna cette république en compensation de la Lombardie qu’il leur enlevait. Et les Vénitiens devinrent ainsi, à leur grand désespoir, les sujets de l’Autriche pour laquelle ils s’étaient compromis. Des Français ils portèrent leur haine sur les Autrichiens.
Rivalités entre les soldats de l’armée du Rhin et de l’armée d’Italie. — Les soldats venus des armées du Rhin contrastaient avec ceux de l’armée d’Italie. Ceux-ci malgré leurs fatigues étaient en bon état, vivant dans l’abondance. Ils avaient, pour la plupart, des montres et la bourse assez bien garnie. Fiers, à juste titre, de leurs exploits et de leurs richesses, ils se raillaient un peu trop de la simplicité et de la pauvreté de ceux du Rhin, dont la tenue correcte et la discipline ne laissaient rien à désirer. Ceux-ci n’étaient pas d’humeur à supporter les railleries. Aussi dans les premiers moments de notre arrivée en Italie, il y eut souvent des querelles qui dégénéraient en duels regrettables, surtout en face d’ennemis qui vous offrent chaque jour l’occasion de montrer votre bravoure.
Des dangers communs, bravés avec une égale intrépidité, finirent par mettre fin à cet antagonisme. Longtemps pourtant il y eut une grande rivalité entre l’armée d’Italie et celles restées sur les bords du Rhin, rivalité que beaucoup de nos généraux partageaient.
L’école de cavalerie à Versailles. — Le 27 juin, je reçois l’ordre de me rendre à l’école d’instruction de cavalerie que l’on vient de créer à Versailles. Les préliminaires de la paix avec l’Autriche avaient été signés à Léoben le 18 avril, et la campagne était terminée.
J’ai su depuis qu’à peine en route j’avais été désigné pour faire partie de l’artillerie à cheval, organisée en Italie pour l’expédition d’Égypte. Cette expédition ne fut décidée que plus tard ; mais on n’ignorait pas en Italie, après la signature des préliminaires de paix à Léoben, que le général Bonaparte songeait déjà à une expédition dans la Méditerranée, car nous étions toujours en guerre avec l’Angleterre.
Étant à l’école de Versailles, je fus remplacé par le lieutenant Sautereau, de la même promotion, mais sorti après moi de l’école de Châlons.
Avant de quitter Milan, je l’y rencontrai qui venait d’arriver à l’armée. Un soir que nous avions dîné ensemble, nous surprîmes dans une rue détournée trois ou quatre mauvais drôles qui dévalisaient un vieillard. Par un mouvement instantané nous mîmes tous deux le sabre à la main et courûmes sus à ces bandits. Ils se sauvèrent, nous les poursuivîmes ; et ils allaient nous échapper, lorsqu’un coup de sabre appliqué par moi sur la tête de l’un d’eux nous en rendit maîtres. Nous le ramenâmes à l’endroit où nous avions laissé le vieillard ; il avait disparu. Nous conduisîmes alors notre prisonnier au poste de la garde nationale milanaise, au palais. Au lieu de nous remercier, les Italiens, ajoutant foi aux déclarations de cet homme prétendant que nous l’avions attaqué, prirent fait et cause pour lui, nous injurièrent et se montant, paraissaient prêts à nous faire un mauvais parti, lorsque, indigné, je le pris à mon tour de haut avec eux et les sommai de nous conduire à