Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les derniers jours du nazisme et du fascisme: Histoire
Les derniers jours du nazisme et du fascisme: Histoire
Les derniers jours du nazisme et du fascisme: Histoire
Livre électronique368 pages6 heures

Les derniers jours du nazisme et du fascisme: Histoire

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Retour sur une période sombre de l'histoire d'Europe, déchirée par le fascisme et le nazisme.

De la chute de Mussolini à celle de Hitler, voici un ouvrage qui retrace les derniers jours de pouvoir de deux grands tyrans de la Seconde Guerre mondiale ainsi que les différentes étapes qui ont mené leur mouvement à sa perte.
Les derniers jours, les dernières heures dans le bunker de Berlin sont reconstitués grâce aux témoignages recueillis de première main par l’auteur auprès des survivants. La relation qu’en donne Jacques de Launay constitue un document historique et psychologique du plus haut intérêt.
Il se penche également, de la même manière, sur les ultimes instants de pouvoir de Mussolini et sur la façon dont le Duce a peu à peu sombré.

Jacques de Launay restitue les climats politiques dans lesquels étaient plongées l'Allemagne nazie et l'Italie de Mussolini, réunissant les principaux événements qui ont fait sombrer les deux régimes totalitaires... Un ouvrage complet, qui analyse des témoignages de rescapés et de témoins, et qui met en lumière une période encore obscure.

EXTRAIT

La rencontre Hitler-Mussolini, l’avant-dernière, a été une profonde désillusion pour le Führer.
Écoutons Goebbels,
"Le Duce n’a pas tiré de la catastrophe italienne les conclusions attendues du Führer. Il était naturellement enchanté de revoir ce dernier et de pouvoir à nouveau jouir de sa liberté. Le Führer croyait que le premier soin du Duce consisterait à organiser un procès monstre contre ceux qui l’avaient trahi. Il n’en est rien, ce qui montre les vraies limites de son caractère. Le Duce n’est pas un révolutionnaire à la manière du Führer ou de Staline. Il est tellement lié à son italianiste qu’il lui manque les traits de caractère qui font les grands révolutionnaires et les grands entraîneurs d’hommes. En outre, sa fille Edda et, à travers elle, son gendre Ciano exercent une influence néfaste sur lui. Le Führer m’apprend qu’Edda Mussolini n’est pas la fille de Rachele, la femme du Duce, mais une enfant illégitime qu’il a adoptée après s’être marié. Cela explique beaucoup de choses. Je m’étais déjà souvent demandé comment il se faisait qu’Edda eût si peu de ressemblance avec ses frères Vittorio et Bruno. Voilà la solution de l’énigme."

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques de Launay est un auteur d'ouvrages et de films sur l'histoire contemporaine ainsi que sur la Seconde Guerre Mondiale.
Bien que français, il a vécu longtemps en Belgique. Il est l'auteur de près d'une quarantaine d'ouvrages dont plusieurs sont consacrés à la Belgique.
LangueFrançais
ÉditeurJourdan
Date de sortie13 nov. 2019
ISBN9782390093794
Les derniers jours du nazisme et du fascisme: Histoire

Lié à Les derniers jours du nazisme et du fascisme

Livres électroniques liés

Guerres et armée pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les derniers jours du nazisme et du fascisme

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les derniers jours du nazisme et du fascisme - Jacques de Launay

    NAZISME

    Les derniers jours

    du fascisme

    AVERTISSEMENT

    Les derniers jours du Fascisme n’est pas l’histoire de la République sociale italienne ni une biographie partielle de Mussolini. D’autres historiens ont défriché ces terres arides.

    Nous avons cherché à réunir un dossier concernant les principaux événements survenus en Italie du 24 juillet 1943 au 28 avril 1945, du point de vue du mouvement fasciste et de son chef, le Duce.

    Le but de ce travail est de restituer un climat politique qui fut celui de l’Italie officielle pendant ces deux années tragiques. L’histoire de ce que fut la résistance italienne à cette époque n’est pas de notre sujet ; d’autres que nous l’ont écrite, Battaglia, Delzell notamment.

    Sur la base des documents que nous présentons, nos lecteurs pourront procéder à une interprétation fondée de cette période qui, par bien des aspects, reste obscure. Ce travail pourra s’enrichir de nouveaux documents dans les éditions ultérieures. L’auteur remercie ses lecteurs de la collaboration qu’ils lui apporteront dans cette recherche sans fin.

    Jacques de Launay

    LE 24 JUILLET 1943

    Au cours de l’été 1943, les forces de l’Axe reculent sur tous les fronts. La conférence de Peltre qui réunit pour la treizième fois Hitler et Mussolini, le 19 juillet, prépare des lendemains difficiles. Les chefs militaires se font des aveux : Keitel reconnaît devant Ambrosio que l’armée allemande est réduite à la défensive et que l’offensive tentée à l’Est au printemps est bel et bien perdue.

    Pendant la conférence, Mussolini apprend que Rome vient de subir son premier bombardement. On dénombrera 2 000 morts. Allemands et Italiens ne combattent plus qu’en retraite. Le 23 juillet au soir, la Sicile sera pratiquement occupée dans sa totalité. L’Italie s’attend à un débarquement des Alliés sur le territoire métropolitain.

    À près deux décennies de succès presque ininterrompus jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, le fascisme s’effondre en vingt-quatre heures, entre le samedi 24 juillet 1943 à 17 heures et le dimanche 25 juillet 1943 à 18 heures.

    Nous sommes au premier étage du Palais de Venise, siège de la direction du gouvernement, dans le grand salon de conférence. Le grand Conseil fasciste est réuni à la demande de Grandi, Bottai et Federzoni, trois grands dignitaires parmi les 28 hiérarques.

    Le Duce, président, déclare ouverte la séance à 17 heures 15. Sont présents : Mussolini, de Bono, de Vecchi, Scorza, Suardo, Grandi, de Marsico, Acerbo, Biggini, Pareschi, Federzoni, Polverelli, Cianetti, Galbiati, Bastianini, Ciano, Tringali-Casanova, Farinacci, Bottai, Albini, Alfieri, de Stefani, Rossoni, Buffarini-Guidi, Frattari, Marinelli, Gottardi, Barella, Bignardi.

    Tous portent l’uniforme fasciste : chemise noire, saharienne noire, pantalon vert de gris, bottes brillantes. Mussolini est en tenue de commandant général de la milice.

    Le Duce parle le premier, s’aidant de notes qu’il déplace méthodiquement sur la table :

    « La guerre est parvenue à une phase extrêmement critique. L’invasion de notre sol, qui passait aux yeux de tous — même après les premières interventions des États-Unis en Méditerranée — pour une hypothèse absurde est, aujourd’hui, une réalité. Il est même permis d’affirmer que la véritable guerre a commencé pour nous lors de la chute de Pantelleria.

    La guerre que nous avions menée en Afrique du Nord avait en partie pour but d’éloigner ou de rendre impossible l’éventualité de combattre l’ennemi sur notre propre territoire. Dans la situation où nous nous trouvons, tous les courants d’opinion, ouvertement ou secrètement hostiles au régime, font bloc contre nous : ils ont déjà provoqué au sein même du fascisme et plus particulièrement parmi les embourgeoisés une crise de démoralisation.

    » Je suis à l’heure actuelle l’homme d’Italie le plus détesté, le plus haï. De la part des masses ignorantes, durement éprouvées, sinistrées, sous-alimentées, soumises d’une part à l’usure physique et morale des bombardements ennemis, et, d’autre part, aux insinuations de la propagande de Londres, cette haine à mon endroit n’a rien que de parfaitement logique. Les chefs, les responsables directs de la conduite militaire de la guerre, constituent toujours pour la critique la meilleure des cibles. Je tiens à faire savoir une fois pour toutes que je n’ai jamais sollicité le mandat qui m’a été confié par le roi en date du 10 juin 1940, et par lequel j’assume le haut commandement des Forces armées. C’est au maréchal Badoglio que revient l’initiative de cette démarche.

    » En voici la preuve. Je désire vous faire ici lecture d’une lettre que m’a adressée Badoglio en date du 3 mai 1940.

    N° 5 372. Objet : Organisation du commandement suprême.

    Au Duce du Fascisme, chef du Gouvernement.

    « Par lettre n° 5 318, en date du 15 avril dernier, j’ai eu l’honneur d’attirer votre attention sur la nécessité absolue qui se fait jour de procéder à l’organisation du commandement suprême des Forces armées. Au cours de la réunion qui s’est tenue le même jour dans votre bureau, vous m’avez, Duce, fait verbalement savoir que cette importante question allait être résolue dans le plus bref délai. N’ayant reçu, à ce sujet, aucune communication jusqu’à ce jour, je me permets de vous préciser, Duce, mon sentiment en la matière ».

    » C’est Badoglio qui m’a demandé d’assumer le commandement des armées. Badoglio m’exposait alors les raisons qui l’avaient fait pencher pour la solution allemande du problème du commandement, de préférence à la solution française. Lors de la guerre 1914-1918, le Kaiser, en effet, qui portait le titre purement honorifique de chef de l’Armée, cumulait les fonctions de chef de l’état-major général et de généralissime, alors qu’en France, il était procédé à une division des pouvoirs.

    » Après la Première Guerre mondiale, poursuivait Badoglio, l’Italie a, la première, reconnu la nécessité d’un commandement unique des forces armées. Il a donc été procédé à la nomination d’un chef d’état-major général, mais celui-ci n’avait de fonctions bien définies qu’en temps de paix. Il me paraît indispensable de procéder à la réorganisation complète des commandements de l’Armée, et de délimiter sans plus tarder les attributions et les responsabilités de chacun. »

    Badoglio préconisait ainsi la solution « allemande » du problème afin d’obtenir avec sa confirmation dans les fonctions de chef de l’état-major général, une situation « de tout premier plan ».

    « J’estime, concluait la lettre, qu’il était de mon devoir le plus strict de vous faire part, en toute franchise, Duce, de ces considérations. Le sentiment qui m’a poussé n’est certes pas de l’orgueil, mais bien plutôt le juste souci du nom que j’ai, au prix de bien des sacrifices, réussi à illustrer au cours de la Grande Guerre, en Libye et durant la campagne d’Éthiopie. Le seul orgueil que je puisse raisonnablement concevoir est celui d’avoir toujours loyalement servi, avec un indéfectible attachement, notre cause, Duce, et votre personne ».

    En date du 4 juin, c’est-à-dire six jours exactement avant la déclaration de guerre, était diffusée à tous les chefs d’état-major, aux gouvernements des colonies et au ministre des Affaires étrangères, la circulaire n° 5 569. Objet : Constitution et fonctionnement du commandement suprême des Forces armées en cas de guerre. Il me paraît nécessaire ici de fournir quelques précisions en ce qui concerne cette constitution et ce fonctionnement.

    1 ° — Le commandement suprême de toutes les Forces armées est confié au Duce, par mandat de S.M. le Roi.

    2 ° — Le Duce exerce son commandement par le canal du chef de l’état-major général, lequel est placé à la tête d’un état-major général. Les principales fonctions du chef de l’état-major général sont :

    a) Tenir le Duce au courant de la situation militaire des Forces armées et de leurs possibilités d’attaque et de défense, et, en conséquence, de prendre auprès de lui toutes les directives relatives à la conduite des opérations.

    b) Répartir entre les chefs d’état-major des divers corps d’armée toutes directives nécessaires à la conduite, dans le domaine stratégique, desdites opérations.

    c) Suivre le développement des opérations, en intervenant, lorsque la nécessité s’en fait sentir, de manière à assurer la coordination des mouvements des divers corps d’armée.

    Après avoir précisé les attributions des divers chefs d’état-major, la circulaire concluait ainsi :

    L’organisation du commandement suprême des Forces armées italiennes — organisation entièrement originale — est basée sur les principes suivants :

    a) conception militaire italienne et totalitaire du commandement exercé personnellement par le Duce, par mandat du roi ;

    b) conduite stratégique de la guerre et coordination des opérations exercées par ordre du Duce et conformément à ses directives par le chef d’état-major ou par les commandements supérieurs des Forces armées ;

    c) obéissance absolue aux ordres du Duce et collaboration entière de chacun à la tâche commune, selon les grands principes du Fascisme.

    Voici les choses telles qu’elles se sont passées. Je n’ai jamais dirigé, techniquement parlant, les opérations militaires.

    Là n’était pas mon rôle. Je ne me suis substitué qu’une fois — et c’est à cause de l’absence de Cavallero — aux états-majors techniques, à l’occasion de la bataille aéronavale du 15 juin 1942 dans les eaux de Pantelleria. Ce fut une victoire.

    L’amiral Riccardi lui-même, chef de l’état-major de la marine, en témoigne dans un rapport adressé aux officiers de la 7e division navale. Au cours de cette bataille, la Grande-Bretagne sentit pour la première fois dans ses chairs la morsure de la louve de Rome.

    Ma maladie, survenue en octobre 1942, me fit songer à abandonner les rênes du commandement militaire, je ne l’ai point fait parce que j’estimais malséant de quitter le navire en pleine tempête. J’attendais, pour mettre mon projet à exécution, une journée d’accalmie. Elle n’est pas encore venue.

    Je crois maintenant n’avoir rien à ajouter sur la question des commandements.

    •••

    » Il a été porté à ma connaissance que d’aucuns avaient mis en question les appuis de l’Allemagne. Il me faut reconnaître ici, en toute sincérité, la générosité avec laquelle l’Allemagne nous a prêté son aide. J’ai demandé au Ministère compétent — précisément en vue d’en rendre compte au cours de cette séance — un état récapitulatif des fournitures que nous a livrées l’Allemagne en matières premières de 1940 au premier semestre de 1943.

    Le total est imposant. Charbon : 40 millions de tonnes ; buna : 22 000 tonnes ; matériel métallique : 2 500 000 tonnes ; essence pour avions : 220 000 tonnes ; pétrole : 421 000 tonnes. Il me paraît superflu de citer les fournitures de moindre importance destinées à la production de métaux indispensables, tel le nickel. Dès le début de l’offensive aérienne alliée sur Milan, Gênes et Turin, en octobre 1942, l’Italie a demandé au Führer de lui fournir du matériel de défense contre avions. L’Allemagne a satisfait à cette demande.

    D’après le rapport du général Balocco, secrétaire général de la Commission suprême de la Défense, le nombre des bouches à feu livrées par l’Allemagne à l’Italie s’élevait en date du 1er avril 194 3, à plus de 1.500. La thèse des défaitistes — selon laquelle les Allemands ne subviendraient pas aux nécessités de notre armement — est donc insoutenable.

    Un autre argument qu’invoquent volontiers les « capitulards » est que cette guerre n’a pas été librement consentie. Et quelles sont donc les guerres qui ont été librement consenties ? Celles du Risorgimento ? Des documents historiques d’une autorité incontestable sont là pour nous convaincre du contraire. Celle de 1915-1918 ? Le peuple a été entraîné à la guerre par une minorité qui avait réussi à convaincre les trois grandes villes de Milan, de Gênes et de Rome et quelques villes de moindre importance, comme Parme. Le mouvement fut donné par trois hommes : Corridoni, d’Annunzio et moi-même.

    Et, même alors, jamais il n’y eut en Italie cette fameuse « union sacrée » dont on parle tant.

    Notre pays fut divisé en deux camps, celui des interventionnistes et celui des non-interventionnistes. Même après Caporetto, cette division n’a cessé de subsister. La croyez-vous donc « librement consentie », la guerre qui a prouvé l’existence, au sein même du pays, de 535 000 déserteurs ?

    Elle me paraît, pour ma part, infiniment moins « librement consentie » que celle dans laquelle nous sommes actuellement engagés. Nulle guerre d’ailleurs n’est jamais « populaire » auprès de qui l’entreprend : la popularité lui vient avec les succès, l’extrême impopularité avec les revers. Il n’est pas jusqu’à la guerre d’Éthiopie qui ne soit devenue populaire qu’après la victoire de Mai Cou. C’est pourquoi il ne faut pas s’attarder à ces fluctuations psychologiques, pour accentuées qu’elles soient à l’heure actuelle. La masse du peuple est disciplinée, et c’est là l’essentiel.

    Une guerre est toujours l’œuvre d’un parti, du courant d’opinion qui l’a voulue, de l’homme qui l’a déclarée. Si on parle aujourd’hui de la guerre de Mussolini, on pouvait aussi bien parler, en 1859, de la guerre de Cavour.

    L’heure est venue de serrer les rangs et de prendre ses responsabilités. Je n’hésiterai pas, quant à moi, à muter ceux qui doivent être mutés, à user de toute la sévérité nécessaire et à jeter dans la bataille des forces non encore engagées, car le salut de la patrie m’y autorise pleinement. En 1917, l’Italie perdit quelques provinces en Vénétie, mais nul ne parla de « capituler ». On envisagea alors de transférer le gouvernement en Sicile : on le transférera dans la plaine du Pô si la chose est nécessaire aujourd’hui.

    L’ordre du jour Grandi en appelle à la Couronne : non pas tant au gouvernement qu’au roi. Dans l’état actuel des choses, deux hypothèses peuvent être envisagées. Ou le roi me tiendra le discours suivant : « Cher Mussolini, la situation, ces derniers temps, est loin d’être brillante, mais à cette phase particulièrement difficile de la guerre peut succéder une nouvelle phase plus favorable ; vous avez commencé, continuez ».

    Ou bien encore — chose infiniment plus probable —, le roi me dira : « Or, donc, messieurs les Fascistes, maintenant que vous êtes dans le pétrin, vous vous souvenez qu’il y a un statut ; que dans ce statut il y a un article 5 et que, en plus du statut, il y a un roi. Eh bien ! Moi que vous avez accusé d’avoir violé vingt ans durant le statut du Royaume, je consens à apparaître et à répondre à votre appel, mais vous tenant responsables de la situation, je profite de votre motion pour vous liquider purement et simplement.

    Les cercles réactionnaires et antifascistes, ainsi que les partisans des Anglo-Saxons, s’empresseront d’abonder dans ce sens.

    Messieurs, attention ! L’ordre du jour Grandi peut mettre en jeu l’existence même du régime. »

    •••

    Tel est le récit de Mussolini lui-même qui concorde avec celui de Bottai. C’est ce dernier qui nous raconte la suite de la séance.

    Quelques minutes de silence. Puis le général de Bono prend la parole. Il se livre à une défense sentimentale de l’armée et discute les affirmations de Mussolini sur la responsabilité des chefs militaires : « En tout cas, il y a surtout une responsabilité politique. C’est la responsabilité directe dans le choix des chefs militaires ».

    Farinacci déplore l’hostilité et la méfiance que certains milieux officiels manifestent à l’égard des Allemands et conclut par un dithyrambe à la gloire de la puissance allemande.

    De Vecchi répond violemment à Farinacci en l’accusant d’être un embusqué de l’autre guerre et de s’être mutilé lui-même lors de la guerre d’Éthiopie. La discussion s’égare, Bottai se lève à son tour avec le propos, dit-il, de revenir au véritable objet de la réunion.

    Il croit, contrairement à l’opinion de l’état-major, que l’ennemi, après avoir occupé la Sicile, va diriger ses efforts sur une invasion de l’Italie continentale. Le problème qui se pose est par conséquent le suivant : « Est-ce que l’Italie est prête à recevoir le choc ? De là, on peut remonter à l’alternative supérieure : continuer la guerre ou demander la paix ?

    « Toi, — dit-il en s’adressant à Mussolini, qui l’écoute d’un air rêveur — toi, tu nous as donné par ton discours la sensation précise qu’une défense techniquement efficace de la péninsule est pratiquement impossible. Tes arguments portent le dernier coup aux illusions qui pouvaient nous être restées.

    La conclusion directe de tes paroles — ajoute passionnément Bottai — est la suivante : à une incapacité technique reconnue de soutenir le choc ennemi sur la péninsule, nous ajoutons un système de commandement taré. À vous de tirer les conclusions. »

    Dans le silence de l’Assemblée, Grandi se lève gravement : « Je vais répéter pour le grand Conseil ce que j’ai déjà dit au Duce avant-hier et je propose l’ordre du jour suivant. »

    D’une voix claire, il lit le document qui met en accusation le régime fasciste et indique comme unique voie de salut pour le pays le retour au respect des règles constitutionnelles et la restitution au roi des pouvoirs exécutifs « et de la fonction constitutionnelle de déclarer la guerre et de conclure la paix ». La bombe a éclaté. C’est la fin de la dictature voilée par des mots habiles. Demain, aux yeux de tout un peuple, ce sera le signe évident de la fin de la guerre. Le Duce reste impénétrable. Son expression est dure et fermée.

    Grandi défend son ordre du jour avec un élan décisif. Les arguments s’accumulent contre la dictature et sa dégénérescence.

    L’orateur invective, le doigt pointé contre le Duce :

    « Tu as imposé à l’Italie une dictature historiquement immorale. Tu as graduellement, jour par jour, supprimé nos libertés et violé notre droit. Tu as étouffé pendant des années nos individualités sous cette funèbre casaque, dit-il en s’agrippant au revers de sa tunique noire. Ta dictature a voulu cette guerre. Ta dictature l’a perdue.

    Le chef que nous aimions a disparu. À sa place, aujourd’hui, règne le pantin galonné, rêvé par ce fou furieux de Starace. Enlève de ton bonnet cette ridicule double Grecque que tu t’es gauchement donnée. Tâche de redevenir le Mussolini d’autrefois... Mais tu ne le peux pas : il est trop tard. Par ta folie, par notre faiblesse, les destinées d’un grand peuple ont été traitées comme les affaires privées d’un individu.

    Et tes absurdes vantardises sur les responsabilités ! Il ne suffit pas que tu prennes la responsabilité. Nous sommes tous responsables et c’est le pays qui va payer. Et pourtant, tu nous as écartés. Et nous, membres du Grand Conseil, nous sommes devenus des figurants impuissants. Lorsque tu avais à choisir quelqu’un pour une place importante, à dessein tu prenais toujours le plus c... Regarde celui-là : en voilà un exemple.

    Il vient d’ordonner aux journaux de ne jamais parler ni de la guerre de l’indépendance italienne, ni de Vittorio Veneto, ni de la Piave. Pendant les dix-sept ans que tu as gardé les trois ministères militaires, toi, commandant suprême, qu’as-tu fait ? Tu as détruit l’esprit de nos forces armées, tu as étouffé la couronne, tu l’as dépouillée de ses prérogatives. »

    Et après avoir parlé pendant une heure et demie, Grandi conclut : Parmi les quelques phrases de toi, ridicules et vides, que tu as fait écrire sur tous les murs d’Italie, il y en a une que tu as prononcée en 1924 : ‘Périssent toutes les factions, périsse la nôtre aussi, pourvu que la nation puisse survivre’. Aujourd’hui, le moment est venu. La faction doit périr.

    Un silence lugubre suit l’invective de Grandi. On attend la réaction du dictateur, l’irruption des chemises noires appelées par lui pour tirer vengeance du révolté. Rien de tout cela n’arrive. On remarque la pâleur livide de Mussolini qui s’abandonne à son fauteuil de cuir fauve en ouvrant, d’un geste las, son faux col. Bottai note ces quelques mots prononcés tout bas par le dictateur vaincu : Décidément, la chance m’a tourné le dos !

    •••

    Polverelli demande la parole. Dans l’atmosphère de tragédie qu’il ne comprend pas, il parle pour lui seul, tout comme dans un débat normal. Il tâche gauchement de se défendre des accusations de Grandi au sujet des instructions qu’il a récemment données aux directeurs des journaux. Sa puérilité détend pour un moment les esprits. Personne ne l’écoute.

    Ciano, l’ancien ministre des Affaires étrangères, le gendre de Mussolini, affirme que la nécessité de continuer la guerre jusqu’aux dernières possibilités est hors de discussion ; mais puisque le Duce s’est référé à la fidélité aux alliances et à la parole donnée, il croit utile de refaire l’histoire de l’alliance italo-allemande.

    L’Allemagne l’a demandée deux fois. La première fois en 1938 pendant la revue navale de Naples. Alors Mussolini, tâchant de se soustraire à une réponse définitive, a fourni de vagues assurances. À la deuxième tentative, en 1939, Mussolini a accepté dans ‘l’espoir d’arrêter l’Allemagne dans sa course vers la guerre’. Hitler s’engagea à ne pas faire naître de questions qui pourraient provoquer une guerre. Or, à cette époque, l’état-major allemand avait déjà arrêté la date de l’attaque sur la Pologne !

    Ciano continue en rappelant l’entrevue de Salzbourg, où il fut porteur d’une lettre de Mussolini à Hitler, dans laquelle le Duce peignait la situation militaire italienne d’une façon telle qu’il conseillait de renvoyer une ouverture d’hostilités à 1943 au moins. "Vous n’avez jamais rien caché à l’allié, dit Ciano, s’adressant à Mussolini. Mais celui-ci ne vous paya jamais de la même loyauté. Contrairement à toute entente et à tous engagements envers nous, les Allemands ont allumé les poudres avant le moment fixé. Pendant toute la guerre, ils n’ont jamais cessé de nous mettre devant le fait accompli.

    Toutes les attaques postérieures à celle de la Pologne nous furent communiquées alors qu’elles étaient en cours : celle de la Belgique, que l’ambassadeur Mackensen, avec qui j’avais cependant passé la soirée jusqu’à minuit, m’annonça à quatre heures du matin, au moment où les troupes allemandes passaient la frontière ; celle de la Russie, que Bismarck m’annonça de la même façon." Nous ne serons en aucun cas des traîtres à une alliance, mais des trahis », conclut Ciano.

    C’est alors Farinacci qui se lève et prononce une défense démagogique des Allemands ; il exalte leur puissance, leur bonne foi, et présente un ordre du jour qui réaffirme la solidarité avec l’Allemagne nazie, mais admet la restitution, dans cette heure solennelle pour la patrie, des pouvoirs militaires au roi.

    C’est à Mussolini maintenant de se défendre. Sa voix est basse, humble. L’arrogance du dictateur fait place à la soumission de l’accusé. Il se plaint des critiques qu’il considère comme futiles : À quoi bon ces reproches, alors que nous menons la lutte contre la puissance de trois empires ?

    De Marsico appuie l’ordre du jour Grandi en préconisant le retour à l’esprit et non seulement à la lettre de la Constitution, rempart suprême de notre conscience nationale.

    Scorza tente une diversion. L’heure, dit-il, est tardive : on pourrait renvoyer la suite de la discussion à demain.

    Mussolini, qui voit dans l’ajournement une planche de salut, appuie la proposition du secrétaire du parti. Il dit, avec une grimace douloureuse, qu’il est malade et qu’il doit éviter tout surmenage.

    Si, ajoute-t-il, la dernière fois que j’ai été souffrant, mes médecins m’avaient soigné un peu moins bien, ce soir aucun de vous ne serait ici à discuter de choses sans queue ni tête.

    Grandi bondit : "Non, non ! Je m’oppose à tout renvoi !

    Maintes fois dans le passé tu nous as retenus ici jusqu’à l’aube pour discuter de la charte du travail ou d’autres problèmes encore moins urgents. Cette nuit, nous ne sortirons pas avant d’avoir discuté et voté l’ordre du jour. C’est la vie du pays qui est en jeu !"

    Mussolini acquiesce, fatigué et las, d’un geste de la main, et la séance continue.

    Federzoni réfute la thèse de Mussolini que toutes les guerres sont impopulaires. Celle-ci, oui, elle l’est, à cause de cette malheureuse formule de ‘guerre fasciste’ qui a divisé la nation, mais la guerre de Libye et surtout celle de 1915-1918 ne le furent pas.

    Il est minuit douze, et la séance est interrompue pour une brève pause. Mussolini, suivi par Scorza, se retire dans son bureau tandis que les autres membres du Grand Conseil se dispersent en petits groupes qui discutent fiévreusement.

    Grandi profite de la suspension pour recueillir des signatures à son ordre du jour. Des plateaux de citronnades et de sandwiches circulent.

    •••

    Minuit trente-cinq. Mussolini rentre dans la grande salle la séance est reprise. Bastianini, sous-secrétaire aux Affaires étrangères, expose la situation politique italienne. Il affirme que la dépression morale des populations siciliennes a été un des facteurs déterminants de la rapide défaite italienne dans l’île. Mussolini l’interrompt : Le problème sicilien, je l’avais envisagé depuis longtemps. L’année passée, j’avais ordonné au préfet de Catane de mettre sous clef tous ceux qui flânaient sans but dans la ville et de faire fusiller quiconque abandonnerait son poste pendant les bombardements.

    Sans tenir compte de l’interruption, Bastianini continue : Une scission incurable sépare le parti de la nation. La nation est toujours en état de grève blanche, d’obstruction à l’égard du régime. Peut-être est-il déjà trop tard pour entreprendre une révision de principe qui puisse changer l’aspect et l’âme du fascisme. Bastianini parle du projet qu’il avait déjà présenté lors de l’entrevue de Salzbourg. Nous avons eu tort de ne pas améliorer nos contacts avec les nations de l’Europe orientale qui, comme nous-mêmes, tolèrent mal la domination nazie. Peut-être n’est-il pas encore trop tard.

    Tringali-Casanova, Biggini, Galbiati se prononcent contre l’ordre du jour Grandi : Tous les Italiens sont réunis autour du Duce, dit Galbiati en s’adressant à Bottai, Grandi et Bastianini. S’il y a une rupture, elle existe entre vous et le peuple. Qu’importent les déficiences d’armement lorsqu’on a la volonté de se battre !

    Mussolini, qui a retrouvé ses esprits pendant l’intervention de Galbiati, s’adresse tour à tour à ses adversaires : Parmi les accusations que vous faites au régime, vous oubliez celle qui est la plus courante sur les lèvres du peuple ; le fabuleux enrichissement de plusieurs d’entre vous. Le dictateur s’excite, frappe sa serviette d’avocat et, sur un ton de sourde menace, continue : J’ai assez de preuves ici pour vous envoyer tous aux galères. Toi plus que les autres. Avec toi dans la maison, c’est la trahison même qui est entrée.

    Mussolini parle de l’ordre du jour Grandi. Il est nerveux et élève sans cesse la voix : "Cet ordre du jour pose des problèmes très graves de dignité personnelle. Si le roi accepte la restitution des pouvoirs militaires, cela équivaut à me décapiter.

    Assez de mots. Parlons franchement. J’ai soixante ans et je sais ce que signifie une telle démarche dans un tel moment.

    Mais gare à vous si demain le roi me renouvelle la confiance qu’il ne m’a jamais refusée ! Quelle va être votre position à vous, Messieurs, en face du roi, en face du pays, en face du parti et encore plus en face de moi personnellement ?" D’ailleurs, j’ai dans mes mains la clef qui peut résoudre la situation de la guerre, mais ce n’est pas vous qui la connaîtrez. »

    Grandi se lève et s’écrie : « Le Duce fait du chantage. Il nous oblige à choisir entre l’ancienne fidélité à sa personne et notre dévouement à la patrie. Nous ne pouvons hésiter un instant, Messieurs. C’est la patrie qui compte ! »

    La séance a atteint son point le plus aigu. Scorza prend la parole et crie à Mussolini : « Vous n’avez pas su être assez dictateur. Vous avez été l’homme le plus désobéi du siècle » et il exalte longuement le parti et la jeunesse élevée par le parti. Il présente un autre ordre du jour à mi-chemin entre celui de Grandi et celui de Farinacci ; il proclame la résistance à outrance, mais demande des réformes immédiates des organismes constitutionnels et des commandements militaires.

    « C’est en ma qualité de secrétaire du parti que je vous demande de voter mon ordre du jour ! »

    Ici, Bottai note qu’il devient impossible de tenir un compte rendu. Tout le monde parle à la fois. Les insultes se croisent.

    On entend Bastianini crier : « Pourquoi proposes-tu un ordre du jour en ta qualité de secrétaire du parti ? Pour nous déclarer traîtres si nous ne le votons pas ? C’est du chantage. »

    Et Ciano : « C’est toi qui iras à Forte-Boccea. Pas nous. »

    Quand l’ordre est rétabli, de Bono, qui n’a pas participé au vacarme, se lève pour défendre énergiquement l’armée et son état-major : « L’armée, dans le marasme national, est la seule garantie d’une réelle continuité de tradition et de loyauté ».

    De Stefani affirme qu’il faut établir une distinction nette entre régime et patrie : « Seule la patrie doit inspirer les décisions suprêmes. On ne peut gagner une guerre comme celle-ci en mobilisant le parti. Tout le pays supporte un

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1