Guerres & Histoires

« METTRE UNE PIQUE EN FLANDRES »

Le 29 octobre 1566, en son Conseil, Philippe II, roi d’Espagne, de Naples et de Sicile, archiduc d’Autriche, duc de Milan, prince souverain des Pays-Bas et maître d’un immense empire américain et asiatique, prend une décision fatidique, sans en avoir le moins du monde conscience. Le mois précédent, il a appris qu’une énorme émeute calviniste dans les Dix-Sept Provinces a causé la mort de dizaines de prêtres, détruit ou dévasté églises et cloîtres, et même la cathédrale d’Anvers. Avant de réagir en « Roi défenseur de la vraie foi », Philippe aurait dû se remémorer les hésitations de son père, l’empereur Charles Quint : trop éloignés, indéfendables, les Pays-Bas ne devaient-ils pas être abandonnés par l’Espagne ? Mais Philippe, poussé par un parti de faucons, auquel appartient le duc d’Albe, choisit le maintien à Amsterdam et Anvers, la répression des iconoclastes et l’extirpation de l’hérésie protestante.

Il a un argument de poids : les tercios, cette infanterie reconnue alors par l’Europe comme la maîtresse des champs de bataille. Le roi ordonne donc au duc d’Albe de prendre la tête d’une « armée des Flandres » et de marcher au nord. Il s’ensuivra une « guerre de Quatre-Vingts ans » (voir encadré p. 78), dont l’Espagne sortira vaincue et ruinée.

La mer, un très grand péril

Faire marcher une armée vers le nord, soit, mais par où ? La mer offre la voie la plus courte. Mais le roi de France Henri_II, ennemi des Habsbourg d’Espagne, a repris Calais en 1558. Par ailleurs, Philippe n’a pas confiance dans la reine Élisabeth d’Angleterre (et il a raison : elle lui déclarera la guerre en 1568). Ses navires ne pourront donc relâcher nulle part : ils devront, fatigués par le long voyage, s’engager dans les funestes bancs de Flandres où les attendent les « gueux de mer ». Et, à partir de 1568, lorsque les protestants français de La Rochelle armeront 70 navires corsaires, tout bâtiment espagnol croisant dans le golfe de Gascogne se, explique François Pernot, professeur d’histoire moderne à CY Cergy Paris Université, ». Les chemins muletiers par où piétinaient quelques dizaines de marchands laisseraient-ils passer une armée de 10 000 hommes sur le pied de guerre ? Le duc d’Albe y croit. Sitôt prise la décision d’écraser la révolte calviniste, il envoie d’ailleurs un détachement de 300 sapeurs accompagnés d’un ingénieur et de dessinateurs. Ce groupe d’éclaireurs a pour mission de repérer et sécuriser un itinéraire de plus de 1 000 km entre la Lombardie et Namur. Jamais encore on n’avait eu en Europe idée d’établir un corridor militaire de cette dimension. Dès sa première utilisation, il prendra le nom de , couloir militaire, puis, plus tard, de ou Chemin espagnol. Tandis que les sapeurs élargissent les sentiers, enjambent les marais par des chemins de fascines, repèrent les gués et réparent les ponts, les dessinateurs dressent des cartes détaillées, gardées secrètes.

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