«La bataille a été longue et dura depuis hier les trois heures après midi jusques aujourd’hui deux heures, sans savoir qui l’avoit perdue ou gagnée, sans cesser de combattre ou de tirer l’artillerie jour et nuit […] Et tout bien débattu depuis deux mille ans en çà, n’a point été vu une si fière, ni si cruelle bataille. » Ainsi François Ier annoncet-il à sa mère Louise de Savoie la victoire qu’il vient de remporter sur les Suisses, au soir du 14 septembre 1515. « Cruelle bataille » en effet: elle a duré deux jours – longueur exceptionnelle – et coûté la vie à 4 000 soldats du roi et 8000 ennemis. Le maréchal Jacques de Trivulce, vieux routier des guerres d’Italie, y voit lui un « combat de géants », sommet d’une longue carrière d’autant plus étonnant qu’il était imprévu: la bataille de Marignan n’aurait pas dû avoir lieu.
Tout commence par des ambitions frustrées. En dépit de toutes ses tentatives (voir p. 17), Louis XII ne parvient toujours pas à mettre la main sur le duché de Milan. Chassé d’Italie en 1512 par la Sainte-Ligue suscitée par le pape Jules II, le roi de France tente de profiter de la mort du pontife le 21 février 1513 pour revenir à la charge – et échouer de nouveau le 6 juin à Novare sur les piques des Suisses. Ces derniers poussent alors leur avantage jusqu’à Dijon et ne regagnent leurs cantons que contre d’énormes promesses financières. Mais Louis ne renonce pas. Le 7 août 1514, il signe la paix avec Henri VIII d’Angleterre et charge Charles de Bourbon, connétable de France, de lever une nouvelle armée. Le roi s’apprête à partir en campagne l’année suivante quand la mort le surprend le 1er janvier 1515, à 52 ans seulement. Mais les intentions françaises ne changent pas: François d’Angoulême, couronné François Ier le 25 du même mois, reprend immédiatement à son compte les prétentions de son défunt cousin, ainsi que son alliance avec Venise.
Les préparatifs de guerre) que Charles de Bourbon a rassemblées depuis Moulins, 8000 Gascons, Basques et Navarrais recrutés par Pedro Navarro, 2 500 pionniers et 23 000 lansquenets des « bandes noires » levés par Charles, le duc de Gueldre, au nord-ouest de l’empire. À ces 45000 à 50000 combattants s’ajoutent les valets, pionniers, conducteurs de charrois, femmes et enfants qui accompagnent alors les troupes. Tout ce beau monde converge sur le Dauphiné en groupes de quelques centaines, aux tenues variées et à l’esprit grégaire. Ils ont ordre de ne pas s’arrêter en dehors des lieux où leur rafraîchissement et leur gîte sont assurés: une marche de six lieues est longue et risque de pousser les hommes à se servir eux-mêmes. Le roi suit: il arrive à Lyon le 12 juillet, à Grenoble le 24.