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Derrière les remparts: D’Alpaïde à Réjane
Derrière les remparts: D’Alpaïde à Réjane
Derrière les remparts: D’Alpaïde à Réjane
Livre électronique429 pages6 heures

Derrière les remparts: D’Alpaïde à Réjane

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À propos de ce livre électronique

Antoine nourrit peu d’illusions sur les autres ou sur lui-même. Il habite et travaille à Paris, une vie bien réglée, plutôt confortable, solitaire, sans passion, une vie contemplative. Il s’acquitte de ses obligations avec indifférence, condamne l’hypocrisie et juge sévèrement les banalités de la vie humaine sans épargner sa compagne, envers laquelle il adopte une attitude méprisante. Il éprouve de la méfiance envers : ses collègues, les médias, les politiques, dénonçant leur hypocrisie.
Il pense avoir échappé à son passé, reléguant ses parents dans l’oubli. La disparition de sa femme va bouleverser ce schéma et ces certitudes. Jusqu’alors casanier, il se met en marche dans les rues de Paris, une errance qui le mènera dans le Nord, puis en Martinique. Ses retrouvailles avec les lieux de l’enfance vont bouleverser sa conscience, transformer son schéma. C’est dans une maison dévastée que son voyage va s’achever, et qu’il va se réconcilier avec lui-même en arrachant les épines et les ronces qui le blessent.
« Derrière les remparts » est un roman sur l’oubli, sur les origines.
LangueFrançais
Date de sortie25 mai 2016
ISBN9782312043951
Derrière les remparts: D’Alpaïde à Réjane

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    Aperçu du livre

    Derrière les remparts - Martine Pellegrina

    cover.jpg

    Derrière les remparts

    Martine Pellegrina

    Derrière les remparts

    D’Alpaïde à Réjane

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-04395-1

    Jusques à quand, Yahvé, appellerai-je au secours

    sans que tu m’écoutes,

    crierai-je vers toi : « À la violence ! »

    sans que tu me délivres ?

    Habaquq, 1-2.

    Chapitre I

    Si la mort n’avait pas chamboulé mon fragile équilibre,

    Si les Bouchinois m’avaient ouï quelque peu,

    Si l’incapacité à me projeter ne m’avait pas ainsi rigidifié,

    Si l’enfermement dans la solitude de soi ne m’avait abusé et enorgueilli,

    Qu’aurait été ma trajectoire ?

    Et… accessoirement, celle de ceux que les vicissitudes ont placée sur ma route,

    … Et qui ont gravité autour de moi ?

    Ni colère ni frustration, dans ce préambule, mais un simple constat : quand ça démarre mal, difficile de redresser la barre. Mais… A-t-on vraiment prise sur les évènements ? Qui peut répondre à une telle question ? Pas moi, assurément ! Je me suis laissé ballotter, une longue errance dans laquelle j’ai été le premier surpris à ressentir parfois puissante, morbide, jouissive délectation.

    Je n’ai jamais aimé mon père, quant à ma mère, la pitié qu’elle m’inspirait a vite tourné en eau de boudin, ce sentiment amoindrissant autant celui qui en fait l’objet que celui qui le manifeste. Nourrie de dépit, la pitié conduit au rejet : une tambouille pleine d’amertume qui reste sur l’estomac en dépit des emplâtres divers et variés tous aussi illusoires. Ses airs de martyre, sa posture servile : cette façon de se couler dans l’espace pour se faire oublier, le fait de plaquer sa main sur la bouche dès qu’on l’apostrophait, sa voix chevrotante qui se brisait dans un sanglot sur un simple froncement de sourcils, tous ces signes et tremblements indiquant la panique avaient provoqué en moi un mépris qui a fini par dévorer toute l’affection dont ma mère pouvait légitimement prétendre. Même son habitude consistant à boire son café dans un verre, en le touillant dans un cliquetis furieux m’énervait au plus haut point. Si bien que je gardais au fond de moi une certaine indulgence à l’égard d’un homme idiot, brutal et violent, en évitant d’éprouver la moindre mansuétude pour une femme dissoute dans une effrayante, une épouvantable, silencieuse et mortelle solitude. Je refusais de considérer ma part de responsabilité dans la rapide mutation qui s’opérait sous nos yeux, ce ravage, expression d’une agonie dont on s’accommodait dans une totale indifférence : sa peau transparente virait au gris, sa poitrine opulente se creusait, ses joues roses se flétrissaient, sa bouche charnue tombait aux commissures, ses belles mains veinées de bleu étaient agitées de vifs tremblements, sa silhouette éperdue, grelottant face aux cendres froides d’un foyer dénué d’amour. Bien entendu, le fait d’avoir ainsi négligé ma pauvre mère en refusant non sans ostentation toute caresse, tout embrassement, la laissant sombrer dans un profond anéantissement, une sécheresse inquiète et nerveuse qui n’a pas été sans conséquence : j’ai considéré la gent féminine comme quantité négligeable pour occulter les yeux bleus délavés de ma mère qui me scrutaient avec une tendresse toute en retenue, pour noyer son visage aux sources de l’oubli, et ainsi enfouir tout regret de n’avoir pu dompter mon indifférence aveugle et m’émouvoir sur le sort d’une mère, de MA mère pendant qu’il était temps. Je m’étais placé sur un roc qui ne laissait pas la moindre émotion s’infiltrer dans l’espoir de défier la peur : subterfuge ô combien illusoire !

    Je suis né à Bouchain, un trou perdu près d’Arras et de Valenciennes.

    Bouchain… Cité qui a connu gloire, richesse et puissance, dans laquelle se sont illustrés des personnages notoires qui ont changé le cours de l’histoire. Quelques vestiges témoignent de cette grandeur passée, des ruines massives sur lesquelles on pose un regard triste : des remparts, des parapets, des contreforts, contrescarpes courtines et fossés ; toutes ces fortifications semblent bien dérisoires, aujourd’hui, autant de rêves de grandeur rongés par la lèpre, broyés par les mâchoires dévoreuses du temps. Mais la pierre murmure, elle s’obstine à narrer l’histoire de Bouchain : un lieu d’où naquit l’illustre dynastie Carolingienne, fermement établie par Pépin de Herstal, une lignée qui marqua les fondements du Royaume de France, jusqu’alors éclaté.

    Immuable, tranquille, coule l’Escaut. La pierre érodée, pâlie par le temps agonise dans le miroir amati des flots. Enfant solitaire, j’ai arpenté les berges de l’Escaut, immuable, changeant ; je pouvais rester tapi au milieu des roseaux, penché sur les eaux sombres dans lesquelles je cherchais en vain mon image, pour n’apercevoir qu’une vague forme tremblotante soudain évacuée par le passage d’un nuage noir ou le faible ondoiement provoqué par le saut d’un poisson argenté, le mouvement fugace d’une grenouille, le plongeon rapide d’un grèbe occupé à pêcher ou encore le ballet désordonné des araignées d’eau grouillant soudainement. À peine entrevu, le cours du fleuve avait brouillé, escamoté mon visage ; j’avais beau chercher, me concentrer à mort, je ne voyais que les algues tordant leurs doigts graciles à fleur d’eau. Les causes de cet anéantissement étaient dérisoires, tout était aléatoire, ce constat effrayant avait profondément marqué mon esprit d’enfant, érigeant une véritable prison dans laquelle je me suis coupé des autres.

    Cet univers secret a marqué mon existence : La végétation foisonnante, la vase aux senteurs lourdes de pourrissement, le glissement lent et régulier des eaux couleur de bronze, le vol lent du héron, l’apparition furtive du martin-pêcheur, l’appel de la foulque, et le bruissement du feuillage… je pouvais reconnaître chaque espèce de végétal à son écoute : le cliquetis du peuplier, le chuchotement du saule, le frémissement de l’aulne, le frôlement des joncs.

    Univers de vie et de mort, dans lequel j’errais, pauvre âme perdue qui s’étiolait dans la quête impossible de soi.

    J’ai tenté de fuir mon cachot pour m’enfermer dans la bouche d’un autre. Faute de mieux, j’ai choisi la dérision comme mode de fonctionnement, manière d’éradiquer la peur, on fait ce qu’on peut avec les moyens du bord, et force m’est de reconnaître que les miens étaient limités. JE SUIS DE PETITE GÉNÉRATION ET MISÉRABLE LIGNÉE : ceci explique cela ? Y’a fort à parier là-dessus !

    Embouchure

    Bouchain

    Bouche

    Bouche vorace, dévastatrice qui enfouit tout dans les eaux noires de l’oubli.

    Bouche aimante, sensuelle, qui a attiré à elle quantité de gens auxquels elle a généreusement dispensé de multiples présents : paysans, bergers, manouvriers, chasseurs, charbonniers, troupe composite de bouseux et de besogneux qui se sont logés, nourris, chauffés, éclairés, soignés, couverts par son haleine lourde de senteurs âcres, riche d’effluves qu’elle laisse échapper dans un élan généreux, une offrande, un désir de partage.

    Bouche ardente, qui se précipite, haletante, pour se confondre dans de violentes, fougueuses embrassades, toujours délicieusement chavirée de sentir sur ses lèvres fraîches l’étrange goût salé des Grandes Eaux.

    Bouche secrète, patiente ; bouche volontaire qui traversait sereinement toutes les vicissitudes : soupirant, l’hiver – dépouillée de ses ornements, en exhalant son haleine blanche qui s’étendait au loin ; pleine de vitalité au printemps, goûtant avec un appétit bruyant le plaisir exubérant de sa jeunesse retrouvée en s’enguirlandant dans une débauche de verts ; douce et soyeuse en été, riante, envahie d’exhalaisons multiples et désordonnées offertes dans un bel élan d’autant plus généreux qu’il était fugace ; parcellée d’un poudroiement d’or, couverte d’une parure couleur de miel, radieuse et frissonnant en secret dès qu’advenait l’automne.

    ***

    Bouchain : un lieu dans lequel je serais resté probablement peinard toute ma vie, lorsqu’un événement vint chambouler la donne : la mort de mes parents, survenue quasi-simultanément. Mon père, grutier, victime de l’effondrement du sol alors qu’il manœuvrait consciencieusement sa bête sur un gros chantier – travaux de réhabilitation de logements miniers –, fut enseveli sous une tonne de gravats avec trois membres de son équipe. Lui qui trônait dans son repaire inexpugnable connut une dégringolade vertigineuse qui le réduisit en bouillie dans la bouillasse, entraînant dans sa chute trois de ses collègues. Épisode relaté en quelques lignes, accessible aux chanceux ou aux besogneux qui en veulent pour leur argent en achetant la Voix du Nord ; le même quotidien annonçant quelques jours plus tard que l’un des ouvriers décédé était un clandestin… et oui, déjà ! Une enquête a été promptement menée pour déterminer les causes de cet effondrement du sol, mais les terrains appartenant à la SOGIPA (société pour l’aménagement des communes minières), géré par le puissant baron local : N. Walinski, les employés chargés de l’investigation ont promptement conclu à l’erreur humaine, moyennant compensation à l’entreprise en bâtiment qui a empoché la somme sans broncher, vu qu’elle était mouillée jusqu’au cou dans un gros traficotage d’appel d’offre, des marchés fort juteux, un jeu de passe-passe effectué entre initiés lors de grandes bouffes organisées par les barons du Nord/Pas-de-Calais, de géniaux et richissimes combinards jamais à court d’idées pour accroître leur pactole.

    Ma mère, dont la vigilance s’était probablement émoussée à la suite de ce drame lui valant une attention malsaine dont elle se serait bien passée, filait à bicyclette par un moyen beau jour de mai, dans une descente, lorsqu’elle entra en collision avec une pétoire surgissant par la droite : engin reconnaissable entre tous, eu égard à son état lamentable, toussant et crachotant, caractéristique valant aussi pour son conducteur, individu notoirement connu pour être aviné au gros rouge : encapsulé, et légèrement pétillant, du canon qui pue et qui tache… la vitesse n’était donc pas en cause dans l’accident… Mais sous le choc, la cycliste dévia de sa trajectoire pour dévaler la pente en zigzagant, et, perdant tout contrôle, elle renversa une clôture, s’emplafonna dans une pauvre carne que son propriétaire, automédon ayant de la bouteille, attelait chaque mercredi pour balader les gamins le long de l’Escaut : Jour où le drame se produisit, puisque l’opération pour ce faire venait fort heureusement de se terminer. La pagaille et les cris hystériques qui s’en suivirent ameutèrent la foule… chacun y allant de sa version et de son commentaire. Le conducteur de la mobylette, complètement ahuri, invoqua la faute à pas d’chance : une côte réputée pour sa traîtrise et pour tout arranger, un engin fou déboulant à toute allure – la bicyclette passablement fatiguée de ma mère, en l’occurrence… L’homme bredouilla son incompréhension quant aux circonstances de l’accident, laissant perplexe la maréchaussée, déjà par nature soupçonneuse et tatillonne ; il eut toutes les peines du monde à convaincre les uniformes qu’il n’était pas plein plus qu’à l’habitude : ce jour-là, pour preuve il y avait un restant de bibine dans la chopine, qu’il sortit de sa besace accrochée à l’épaule, arborant ainsi une preuve irréfutable de sa bonne foi. Argument imparable même s’agissant d’un ivrogne se revendiquant comme tel ! Ainsi les représentants de l’ordre levèrent les bras au ciel pour s’écrier dans un bel ensemble : « Fatalitas ! », conclusion rassurante puisqu’une ébauche de sourire accompagna la formule célèbre – qui nous valut une œuvre mondialement célèbre, soit dit en passant. Même les badauds parurent satisfaits, si bien qu’ils branlèrent du chef en s’encourageant les uns les autres par des regards entendus eu égard à l’affaire d’une affligeante banalité. Personne ne s’en sortit indemne… à commencer par l’attelage…, bousillé… on dut abattre le canasson, resté sur le flanc sous la violence du choc, bouche écumante : un coup de grâce donné par un chasseur prompt à la détente et au cœur sensible dont l’initiative provoqua dans l’assemblée un : « Ouf ! » massif de soulagement. Une guimbarde bringuebalante et grinçante lâchant un pet noirâtre à chaque changement de vitesse conduisit ma mère à la morgue. Quant au vieux charretier, il copina avec le cyclomotoriste fou. Tous deux échouèrent comme des âmes en peine dans l’estaminet le plus proche, où ils ont dû croupir depuis, complètement imbibés de bière et de vinasse, toujours à postillonner les mêmes vieilles rengaines la larme à l’œil pour évoquer le bon temps.

    J’allais alors sur mes quinze ans, et ce coup de pied magistral m’a propulsé, tel un météorite, hors de l’adolescence. Bah ! À vrai dire, sans cet épisode, j’aurais probablement cédé – et ce, ma vie durant –, à la misérable tentation consistant à enjoliver une période sensée être joyeuse et insouciante. Tu parles ! sans vouloir jouer du violon et sombrer dans le misérabilisme, je n’ai guère de souvenirs lumineux à ressasser… le jour honni où l’on enterra ma mère : totalement H.S., lessivé, j’ai déclaré forfait, incapable de participer à toute cette mascarade, ces airs faussement compassés, ces regards acerbes, ces conciliabules inconvenants (remarques se rapportant à la qualité médiocre du cercueil, la nullité du cortège, l’aspect minable des fleurs, et comme si ça ne suffisait pas, l’humidité, qui allait les enchifrener sévère)… Je me suis fait porter pâle ; sans me forcer, d’ailleurs, pour laisser les charognards à leur besogne, et j’ai attendu la fin de l’après-midi avant de mettre le nez dehors. Ma chienne sur les talons, je me suis rendu au cimetière, pour saluer ma pov’ mère à ma façon. La grisaille était toujours au rendez-vous en ce mois de mai qui ne respectait pas ses promesses ; les rues étaient désertes, silencieuses, sauf à hauteur du café, où de joyeux drilles passablement éméchés ripaillaient en poussant la chansonnette – paillarde. À peine avais-je franchi la grille du cimetière, que la chienne me devança. Je vis son ventre flasque ballotter au rythme soutenu de son allure, avant qu’elle ne disparaisse derrière une rangée de stèles. Suivant sa trace, j’aperçus le carré de terre fraîchement remué sur lequel l’animal s’était avachi, l’œil glauque, l’oreille rabattue.

    C’est la fraîcheur de la nuit et la pissette drue, pénétrante qui se mit à tomber qui m’ont rappelé à la réalité. D’une voix mal assurée, tant le silence m’oppressait, grelottant, j’ai appelé la chienne afin que l’on s’en retourne de concert vers nos mornes pénates, en vain. À tâtons, j’ai flatté la bête qui ne daignait toujours pas réagir ; un rien agacé, j’ai piqué dans une gerbe une fleur artificielle pour fouetter l’animal qui continuait à me défier en restant impassible sous les coups. Le dos moulu, les os glacés et les jambes flageolantes, j’ai balancé mon fouet improvisé pour gagner la sortie, abandonnant à fond de train la partie : l’endroit lugubre avec ses senteurs lourdes de terre saturée d’ossements et de fleurs en décomposition, persuadé que la chienne ne tarderait pas à trottiner sur mes talons. Je n’ai pas imaginé un seul instant que je ne la reverrai jamais. Elle s’est laissée mourir, Bêtement ! Cela m’a contrarié, comme si mon chagrin – solitaire mais profond –, était escamoté… par un bâtard quelconque venu d’on ne sait où, un quelconque bestiau pas futé pour deux sous, au poil miteux, crotté, et malodorant, de surcroît… qui me faisait la leçon en matière de sentiment… le summum de l’absurde…

    Cet épisode m’a longtemps turlupiné… J’ai bien tenté de minimiser l’affaire, mais le résultat fut catastrophique : Je n’ai aucun a priori contre le mensonge, souvent utile, voire nécessaire, à condition de l’utiliser à bon escient, parcimonieusement, au risque qu’il ne vous explose à la figure, en causant des dégâts souvent irrémédiables… à l’inverse de la calomnie, turpitude à la hauteur du personnage interlope qui, la bouche torve, éructe ses paroles fielleuses dans le but de semer la querelle pour s’y vautrer, et dont je revendique haut et fort la différence ! Le mensonge, agréé par tout esthète, relève effectivement de l’art, et sans vanité aucune, je puis affirmer, pour ma part, que je le manie avec parcimonie, lucidité, justesse et brio…, sans venin ni malice, rejetant le mensonge inique au profit du mensonge bénéfique, considérant cette faculté à hiérarchiser les niveaux comme un don précieux qui m’a été octroyé ; par conséquent, je me dois de ne point le galvauder… Pour ce faire, je mise sur la prudence, mais prône l’extrême vigilance, différencie mensonge et affabulation, afin de rester maître du mensonge et ne pas laisser le mensonge devenir le maître… Le mensonge est une arme à double tranchant, son usage abusif et inconsidéré risque de détruire son efficacité. Ce qui relève du pur gâchis ! À l’état brut, le mensonge est un magma quelconque inspirant méfiance, répulsion ou effroi chez les gens du commun. Mais au cœur de cette masse informe et molle qui peut vous échapper à tout instant et vous engluer comme une mouche sur un buvard, quiconque ne répugnant pas à l’effort peut inventorier la matière, l’appréhender, la contraindre pour en tirer le meilleur, la substantifique moelle, comme l’a si bien dit un célèbre personnage. Tentative réussie lorsque l’aboutissement de cette harassante traversée, cet univers labyrinthique semé d’embûches et de périls en vient à vous surprendre vous-même. Une joie pure vous anime alors, un sentiment de puissance, la certitude que tel Icare, vous avez touché à l’essence d’un mystère que seuls quelques initiés ne rechignant pas face à l’effort peuvent approcher. Mais reste à garder la bonne distance, afin d’éviter de finir lamentablement, ainsi que le dieu dont il est question. Le mensonge est l’ennemi de la facilité ; il doit être apprécié, mesuré, pesé, savamment distillé, utilisé avec doigté ; l’analyse, l’expérience, la patience sont requises pour pratiquer le mensonge, les écueils sont nombreux, et imprévisibles, donc périlleux.

    Redoutant l’improvisation qui peut anéantir les fruits d’un long apprentissage, comme l’alchimiste : obnubilé tant par le challenge que la perfection, chaque jour je me remets à l’ouvrage laborieusement, sans concession, traquant les incohérences, disséquant mes intentions, précisant les enjeux, mesurant les conséquences… Oh ! je sais bien que mes propos peuvent semer le doute sur un sujet aussi scabreux…, ne pensez pas que je fasse un éloge dithyrambique du mensonge ou que je prétende avoir la capacité de nager en eau trouble sans risquer de m’y perdre ! Toute entreprise délicate nécessite des efforts, l’acceptation d’une rigoureuse discipline, et dans le domaine dont il est question, l’élaboration d’une pratique dénuée de toute haine fondée à partir de la sentence suivante : « Il ne faut point se mentir à soi-même. » Curieux, d’ailleurs, comme les maximes les plus simples sont les plus difficiles à appliquer !

    Fort de ces éclaircissements, mais pressentant de graves et troublantes révélations, j’ai donc, non sans une vague appréhension, passé au laminoir l’affaire du canidé tombé en catalepsie sur une tombe… pour sonder mon cœur… sans concession… Pour mon plus grand tourment… La découverte qui s’est imposée à mon esprit en ébullition a définitivement levé le voile de l’innocence dont je pouvais encore me prévaloir il y a un an ou deux, du moins je le croyais… Ainsi, en dépit des pertes successives qui m’affectaient, j’avais écouté la voix impérieuse qui me conseillait de rassembler mes forces à seule fin de survivre… envers et contre tout… mes pleurs coulaient à flot, charriant leur concert de lamentations égoïstes quant au devenir de mon insignifiante petite personne chancelante… Après m’être trituré la cervelle, advint à ma conscience une évidence épouvantable : les traits de ma mère étaient déjà flous dans les circonvolutions complexes de ma mémoire, l’angoisse du lendemain masquait la peine liée à la perte ; ainsi, l’épouvantable constat de ma solitude anéantissait tout, même le souvenir de mes parents…, que des pleurnicheries…, pire, de la rancœur… une rage de destruction, adressée à la terre entière, mais à commencer par mes vieux – qui me laissaient sur le carreau comme une grosse loche perdue au beau milieu de l’océan rageur –, me submergeaient, annihilant mes pensées ! Ce fut stupéfiant ! Au début, je conçus une grande aversion envers la chienne dont l’amour ne pouvait se satisfaire du manque. Puis, au fil du temps j’ai relativisé les choses… arguant du fait qu’il ne fallait pas trop se monter la tête avec de telles élucubrations à propos d’un bestiau aussi inutile qu’insignifiant… Mais le ver était dans le fruit… lucide, considérant l’amour comme étant aléatoire, j’ai gardé une certaine réticence à gaspiller une énergie précieuse dans de tels errements et à me laisser bercer par des niaiseries débitées sous le coup d’une impulsion quelconque et qui ne vous mèneront nulle part… si ce n’est au désenchantement de l’autre, et de soi, par conséquent, induit de fait par les dégringolades successives auxquelles l’on est inévitablement soumis lorsqu’on se laisse aller dans ce style d’élucubrations, parfois jusqu’à l’anéantissement… J’avais un exemple patent en la matière, suffisamment proche et éclairant !

    Le lendemain j’ai erré comme une âme en peine sur les bords de l’Escaut. Mai avait renoué avec les vieux adages, il était charmant, et son ciel radieux. Le fleuve murmurait : « Je sais où je vais, je sais où je vais… » Ce jour-là, les eaux me semblaient claires, je voyais les nuages translucides filer à la surface dans une joyeuse bousculade. Penché sur l’éclat de l’or vert, le cœur battant, j’ai cherché cette fois encore à capter mon reflet, les circonstances me semblant favorables : les nuées poursuivaient leur procession dans les eaux à peine troublées par un petit vent chargé de jeunes bouffées printanières, mais une fois de plus, bernique ! C’est un animal froissant les roseaux et un léger « Plouf ! » qui me sortit de ma léthargie. L’Escaut avait définitivement gagné la partie, il bisquait, continuant son sempiternel refrain : « Je sais où je vais, je sais où je vais… » Message compris : j’accomplirai mon destin de vagabond, je ferai tant bien que mal avec la peur, n’était-ce pas déjà une délivrance que de l’admettre ? Les mains plaquées sur les oreilles, j’ai détalé à fond de train.

    Pour m’éviter d’échouer en foyer jusqu’à ma majorité, ma grand-mère maternelle, pétrie de la notion de devoir (en tout état de cause, il faut bien convenir que cette tendance propre à la gent fossilisée n’a pas que des inconvénients), m’a pris sous son aile. Quoique sur ce point, j’ai là encore dû réviser ce point de vue, ces illusions ne résistant pas à l’épreuve des faits : RÉPUGNANTS.

    Ni une ni deux, à la stupeur générale, elle s’était installée à Paris, quelques années avant le décès de mes parents, juste après son veuvage – remplacement survenant un peu tôt, aux dires des jaloux : flot nauséeux de frustrés rongés par la bile, toujours occupés à postillonner dans la gamelle du voisin –, après avoir rencontré un type natif de la rue de Clichy, rencontre qui reste toujours un mystère, compte tenu des probabilités qu’une collusion se fît entre deux individus aussi disparates et que rien ne devait rapprocher : ma grand-mère n’ayant jamais quitté son trou, à ma connaissance ! Jamais elle n’a accepté de s’en ouvrir à moi, malgré mon insistance… Coriace l’ancêtre ! J’ai quelques idées là-dessus, mais je préfère passer le sujet… ce serait trop long, et superfétatoire… Toujours est-il que j’ai été parachuté dans un univers totalement nouveau… quoique… les mêmes problèmes m’aient suivi : difficultés à communiquer, solitude et rejet… la routine !… Le changement de lieu n’opère pas comme un coup de baguette magique, loin s’en faut, mais fort heureusement, on finit par s’habituer à tout ! En l’occurrence, la seule différence, c’est que je n’étais plus un spécimen unique. À l’école, quelques parias subissaient le même traitement. Nous nous observions souvent à la dérobée, sans pour autant engager un travail d’approche et encore moins jouer au jeu de la barbichette… bizarre, non ? Probablement étions-nous trop semblables, trop taciturnes, trop liés, pour nous regrouper… autant d’éléments vaguement conscients, mais suffisants à évacuer d’illusoires tentatives et de vaines pleurnicheries… enfin… peu importe ! Élève médiocre, et pas mécontent de l’être – le genre honni du corps professoral, suscitant le même type de plates annotations se répétant au fil des matières et au cours des années de la part des professeurs : style : « Peut mieux faire ?… »– vous reléguant dans la pire catégorie qui soit, celle des imbéciles anonymes –, j’obéissais sagement à MamiPau (Le tout sans « e », Pau pour : Paulette, non pour : Peau de vache), et ne traînais pas après la classe pour filer direct au bercail… d’ailleurs, qu’aurais-je fait à baguenauder de-ci de-là ? Ma vie se déroulait suivant un rituel bien établi. Ainsi, je passais la majeure partie des grandes vacances sur les lieux de mon enfance, chez mon arrière-tante Renée, à qui on refilait le paquet moyennant compensation. L’occasion de souffler, pour MamiPau, selon sa propre expression, tandis que Renée mettait du beurre dans les épinards et que je respirais le bon air, ma nature conciliante s’accommodant fort bien de l’arrangement qui convenait à toutes les parties. La première année suivant mon transfert, j’ai rapidement constaté, à peine débarqué à Bouchain, que les regards portés à mon encontre avaient changé : moins hostiles, toujours un brin méfiants, certes, mais intéressés, néanmoins… voire envieux… pas dupe, j’ai mis cela sur le compte du prestige de la capitale, très prégnant dans nos contrées… J’avais franchi un cap décisif, je me démarquais du lot…, le début de la réussite, en somme… mais j’ai refusé ces ridicules et maladroites avances avec un profond mépris… sans me forcer ! Qu’avais-je à partager avec cette bande de bouseux pitoyables abrutis à la tâche, traînant leurs grolles poussiéreuses en fin de semaine à l’estaminet du coin, seule distraction possible, pour laisser leurs regards torves se perdre dans le miroir constellé de chiures de mouche accroché derrière le bar, et entrechoquer leurs bocks entre deux parties acharnées de baby-foot, et ce, pour tenter d’oublier des lendemains peu prometteurs. Impensable de me commettre avec une telle engeance… C’est dans ce contexte plutôt morose que Marina a tenté sa chance, elle aussi, en passant chaque jour devant la grille aux pointes acérées de la maison, à heure régulière et par tous les temps, en faisant couiner sa bicyclette, tout en fixant sans vergogne les fenêtres de l’étage en allongeant exagérément le cou à la manière d’une poule effarouchée. C’est ma grand-tante qui m’a houspillé, invoquant la constance de la pauvrette, qui effectuait son périple avec un but précis, ô combien méritoire… et non moins flatteuse pour tout individu normalement constitué. Remarque suivie d’un borborygme prolongé appuyé par un regard lourd de sens qui indiquait le camp dans lequel j’étais tout à coup relégué. L’ambiance devint vite insupportable dans les jours qui suivirent : sarcasmes et lourdes allusions allant crescendo. Finalement, n’en pouvant plus de subir mille et une tracasseries m’empoisonnant sérieusement la vie, je me suis résolu à pointer le bout de mon nez, de mauvaise grâce, tout d’abord. Je déteste le style de ma grand-tante – pâle copie de MamiPau – cet interventionnisme excessif, appuyé par des commentaires, œillades et sourires désobligeamment complices… et puis… l’équipage emprunté par la belle me renvoyait à de bien funestes souvenirs, d’où une réticence bien légitime. Mais conscient que de tels scrupules, pour honorables qu’ils fussent, ne changeraient rien au passé, je suis sorti de mon antre bien avant l’heure fatidique, joignant l’utile à l’obligation en massacrant les haies abondamment fleuries de la devanture… en dépit des cloques qui me faisaient souffrir et rendaient mes doigts gourds, la cisaille infernale continuait son œuvre assassine sans faiblir la cadence… Elle l’aura cherché, la grand-tante à vouloir jouer les entremetteuses avec la délicatesse d’un gros bourrin !

    La fille à bicyclette m’a d’abord dépassé, à faible allure, étant par ailleurs fort occupée à lorgner la maison…, lorsqu’elle m’a aperçu, alors que j’étais hissé sur mon perchoir, bras levé armé de l’engin castrateur. De surprise, elle a donné un coup de frein intempestif qui l’a déséquilibrée. Après un rattrapage magistral en partie dû à un raidillon providentiel qui stoppa l’engin transformé en bolide tenu d’une main flageolante, la cycliste a posé pied pour se reprendre aussitôt et rajuster ses coterons. Essoufflée, mais toujours en selle, après s’être essuyée le front d’un revers de main, elle partit lentement à reculons, chancelante, s’arrêta près de l’escabeau, pour m’adresser immédiatement la parole. La position avantageuse que me conférait mon activité d’élagage me convenait, et puis, l’embardée, aussi prévisible qu’elle fût, m’avait mis en joie. J’ai donc fait montre d’une amabilité peu coutumière. Nous avons commencé notre échange par une série de banalités, et ce, avec un sérieux étonnant :

    – Il fait chaud ! Tu as bien du courage de bosser par ce temps ! – La surprise l’avait quelque peu déstabilisée : manque de pot, ce jour-là, le ciel était grisâtre, et, tenace, un petit vent d’ouest désagréablement frisquet et méchamment pénétrant sévissait depuis le matin.

    – Il faut bien se rendre utile !

    – Certes ! Jolie taille ! Si le cœur t’en dit, il y en a autant à élaguer chez moi…

    – Proposition aussi alléchante que directe, et qui m’honore, évidemment (elle n’avait probablement pas évalué la portée de ses dires), mais la réflexion s’impose (et pour cause !)… La tâche est rude, pour un novice en la matière…

    – Je blague !… Tu te rappelles de moi ?

    – Excuse-moi…, je devrais ?

    – Si on veut… J’ai bien changé depuis ton départ, ma tignasse a encore gagné en longueur et en volume, tandis que j’ai considérablement minci… Mais à l’époque, j’avais un surnom, relatif à ma chevelure. (Le tout accompagné de mimiques : une main épousant la hanche, l’autre ébouriffant la crinière, avec un petit rire éloquent, style : Alors là, si ça ne te suffit pas mon bonhomme, c’est que tu es sacrément demeuré.) Ça te met sur la voie ?

    – Bouclette !!!

    – Gagné ! (Point de triomphalisme dans la voix, mais un hochement de tête une moue et un froncement sourcil appuyés, autant d’éléments significatifs, histoire de me laisser entendre : Quand même, il y aura mis le temps, l’animal, eu égard à ce magnifique attribut, et largement reconnu comme tel, don généreusement octroyé par Dame nature dont je peux m’enorgueillir !)

    En fait, j’avais parfaitement reconnue Marina ; sans me vanter, je suis doté d’une mémoire phénoménale, que je contrôle à l’envi. Je n’oublie jamais un visage, et ce, en dépit du temps qui passe… Je recompose les étapes, analyse les changements, évalue le satisfecit, ou, à l’inverse, mesure l’intensité des épreuves subies, l’avachissement des chairs, la dureté des traits, étudie les mimiques, prête attention aux inflexions de voix, décrypte les signes imperceptibles, parades derrière lesquelles on croit s’abriter, bref, je suis la chronologie du spécimen, les ravages auxquels il est soumis, et donc, situe parfaitement l’individu en question. Tout ceci en un temps record… et avec un minimum d’erreurs… un talent parmi d’autres, singulier pour un être misogyne tel que moi, particularité que je me garde bien de divulguer aux autres… à quoi bon ?

    Et puis… Bouclette… je la revois si bien… Tellement tartignolle !… Du bran de judas constellant son visage, un œil trop brillant, un nez à la retroussette, une masse de cheveux cuivrés, tire-bouchonnant, disciplinés tant bien que mal par des barrettes toujours placées de traviole, un tablier flashant assorti au pelage, maculé de taches… à ce propos… détail mémorable : elle gardait toujours en poche un bâton de craie… qu’elle utilisait avec des gestes compulsifs pour tenter d’effacer les salissures, et éviter ainsi – précaution inutile –, de se faire houspiller par sa mère, maniaque de la propreté, qui du seuil de la boutique peinturlurée en rouge reluquait d’un œil peu amène sa souillon de fille dès son retour au bercail afin de décider si elle allait lui flanquer ou non une bonne rouste à coup de torchons mouillés pour lui apprendre : outre le respect du travail de la ménagère, celui les bonnes manières, et provoquant ainsi chez la coupable multi récidiviste des cris de goret dont on connaissait la provenance – l’oreille environnante ne prêtant guère attention au grabuge : la routine, en somme, ponctuant l’activité provinciale de ses p’tits ennuis domestiques !

    D’année en année, j’ai retrouvé Marina, et nous sommes devenus, j’ose le dire, de très bons amis. La séparation précédant la rentrée des classes ne m’affecta nullement : nous avions convenu de correspondre régulièrement ; prolixe, Marina pouvait m’adresser plusieurs lettres par semaine, car elle adorait cette forme de communication – plus indirecte donc plus aisée lorsqu’il s’agit de s’épancher sur soi, m’avoua-t-elle –, ne rechignant jamais à la tâche, contrairement à moi qui ne trouvais jamais rien à lui balancer en retour. Faut dire que j’organisais mes journées avec la régularité d’un métronome et qu’ainsi j’anticipais tous mes moindres faits pour éviter autant que faire se peut leur part d’incertitude. Aucun reproche ne m’a jamais été formulé quant au pauvre contenu de mes épisodiques bafouilles (enfin…, encore heureux, n’étant pas à l’origine de cette proposition relative à ces échanges !), infatigable, toujours enjouée, elle me filait des tartines que je lisais en diagonale, passant surtout la dégoulinade de mots chargés de bons sentiments à mon encontre. Il faut quand même préciser que j’ai dû lui couper le sifflet sur un point : dans ses premiers envois elle me bassinait avec mes vieux, revenant sur leur fin atroce… ça partait sûrement d’une bonne intention, mais je hais le misérabilisme, aussi ai-je mouché une bonne fois l’écrivailleuse aussi mièvre que passéiste de telle sorte qu’elle n’ait plus envie de laisser aller sa plume sur ce sujet sensible qui ne regardait que moi, un point c’est tout ! Cette parenthèse définitivement close, les échanges ont repris leurs cours, suivant un ordre bien établi, et en dernière partie du courrier, j’avais immanquablement droit aux potins concernant mes ex-camarades de classe. Sans être particulièrement intéressé par ces longs fleuves épistolaires rédigés d’une écriture ronde et régulière, j’avoue néanmoins avoir été captivé à mon insu : preuve en est qu’un beau jour (façon de dire), je ne reçus point de lettre durant une semaine. Désemparé par cette interruption étrange et déstabilisatrice, je me suis contraint au silence durant deux ou trois longs jours encore, au cas où cet interlude ne serait qu’une manœuvre habilement conçue pour me faire réagir. Mais, n’en pouvant plus, abandonnant les hypothèses aussi alambiquées que tordues, d’une main fébrile j’ai formulé par écrit une demande d’explications sur ce silence qui bousculait un rythme auquel on m’avait habitué. Ah ! L’entreprise n’était point aisée ! Je ne voulais pas me placer en porte-à-faux, être résolument demandeur, au risque d’être malencontreusement piégé… j’ai tiré la langue, ahanant tant et plus, gribouillé pas mal de feuilles – que je me suis empressé d’aller claquer dans la poubelle de l’immeuble après les avoir mises en mille morceaux, précaution utile connaissant MamiPau et sa manie consistant à fureter partout –, avant d’être relativement satisfait du résultat… que j’ai vite fourré dans une enveloppe en évitant de me relire, tant la confusion m’embrouillait. Fierté oblige, je ne voulais pas laisser transpirer mon désarroi, tout en suggérant mon besoin de réassurance. Après cette prouesse épistolaire m’ayant passablement échauffé les méninges, il m’a fallu faire preuve de patience quelque temps encore. J’ai bien tenté de la joindre par téléphone, en vain. Personne ne répondait à la boutique, ni à son domicile. Je commençais à me résigner à mon triste sort, pestant contre l’inconstance féminine, lorsque j’ai eu la délicieuse surprise de découvrir, posée bien en évidence sur mon lit, l’enveloppe tant attendue, et reconnaissable entre toutes – un petit dessin au caractère ridiculement infantile figurant toujours au coin gauche… J’aurais dû comprendre qu’une missive m’attendait, rien qu’au regard entendu que MamiPau m’adressa dès mon retour au bercail : une œillade rapide mais parlante, un rien salace, dont elle usait à mon encontre pour la première fois de manière aussi évocatrice…

    J’ai compris cette mimique, ô combien évocatrice, comme un signe d’appartenance, genre : « Ben, mon p’tit

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