Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Anguille: Prose poétique
Anguille: Prose poétique
Anguille: Prose poétique
Livre électronique148 pages2 heures

Anguille: Prose poétique

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

À la suite d’une brimade que lui inflige la maîtresse d’école, Aurör Pezaroy, petite fille vivant au coeur du bois, est soudain victime d’un mal aussi inquiétant et douloureux, que mystérieux. Dès lors, des métamorphoses surviendront, dès qu’elle sera émue, ou lorsqu’elle s’aventurera du côté de la mer.

À cause de sa conception dans le ruisseau, qui a dérangé les anguilles en laissant le jour s’infiltrer entre les algues, Aurör sera une enfant ensorcelée.

Pour protéger ses parents et elle-même, les métamorphoses devront rester secrètes… Débute alors une sorte de roman d’apprentissage, au cours duquel Aurör va comprendre que « la tendresse est l’inverse de l’inquiétude » au travers de multiples « initiations ».

Ce conte moderne est un éloge de la différence. Si certains êtres ont une perception ultra-sensible des choses qui participe de leur souffrance, c’est aussi leur richesse : « Au-delà de l’amas gris qui constitue un dos agité, il y a des hologrammes. Ce sont ceux-là, qu’il faut observer. »

À PROPOS DE L'AUTEURE

Juillet 1985. La cousine Garance fait découvrir à Claire une borie périgourdine dans la forêt du château de Marzac. Dès lors, la fillette s’imagine y vivre en ermite. C’est cette solitude que Claire Delpech, dans Anguille, porte aux nues comme un idéal nécessaire. Elle la recherche à travers un métier artistique, de graphiste concepteur et d’illustratrice – diplômée de l’école Penninghen en 2000 – qu’elle exerce depuis plus de quinze ans pour de grandes maisons françaises. Sous la forme d’un conte initiatique aux allures de Roman de Pays, Anguille, premier roman illustré de Claire Delpech, aux accents de l’Occitan paternel et d’enfance, nous parle de la marginalité à travers la métaphore du monstre et ses métamorphoses.
LangueFrançais
Date de sortie24 mars 2021
ISBN9782876837461
Anguille: Prose poétique

Auteurs associés

Lié à Anguille

Livres électroniques liés

Fictions initiatiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Anguille

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Anguille - Claire Delpech

    Claire Delpech

    Anguille

    Roman

    N.B. La version numérique ne contient pas d’illustrations

    La Compagnie Littéraire

    Catégorie : Prose poétique

    www.compagnie-litteraire.com

    ISBN 978-2-87683-746-1

    © Claire Delpech, pour le texte, 

    les illustrations intérieures et l’illustration de couverture. 2020

    La Compagnie Littéraire 

    11/13, rue Vernier – 75017 Paris

    Tous droits réservés pour tous pays. Aux termes de la loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40, toute représentation ou reproduction de cet ouvrage, tant partielle qu’intégrale et par quelque procédé que ce soit, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause est illicite et constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivant du Code pénal. Fors les analyses et les courtes citations à titre d’exemple ou d’illustration, selon l’article 41 alinéas 2 et 3, les copies ou reproductions sont strictement réservées à l’usage privé du copiste et interdites à toute utilisation collective.

    « Heureux les cœurs purs, [...] » 

    Matthieu, 5.8

    À mon père,

    I. 

    DANS LES BOIS

    « Anguille de verre » à « Anguille d’or »

    L’intuition de l’eau. Le monde intérieur.

    Le monde naturel. Le sel. 

    Ma chambre profite du creux de la roche, vérolé de mille maux bruns, minuscules boursouflures sur la pierre d’eau.

    Chaque jour, je recueille avec soin divers fragments dormeurs, habitants de dessous la pierre, matelas de fines algues, afin d’en orner, tel un mausolée, l’habitation de caillou. 

    Ces instants-là, je les veux comme une cérémonie. 

    Ma pièce en creux, j’en ai fait un trésor, là, tout au fond de l’eau. Seuls le connaissent le baliste, le poisson-grenouille, et les autres bêtes des Sargasses. Son sol, planté de surfaces choisies et dures, est précieux ; j’en suis fière. Je dois faire attention, parce que mon corps est très long, à ne pas y abîmer mes écailles à force d’écorchures. 

    Mon mari est le seul homme de terre, au cœur attrapé par une fille d’eau. En me rendant au ruisseau, là-bas vers le vieux continent, il m’a rendue à moi-même. Mon cœur d’anguille demeure baigné d’une gratitude immense envers ce sauveur aux incisives écartées et blanches, comme l’os de la seiche recraché par la mer, tout poli par le sel et le vent !

    Quelle joie de pouvoir enfin recouvrer la fluidité de ce dos, colmatant nouvellement mes deux calvaires de jambes en un seul membre-gouvernail, souple, aux reflets changeants selon sa régulière mobilité, balançant tout mon être de gauche à droite, scandant chacune de mes pulsations ! 

    J’oublie peu à peu le dégoût de la terre, le lourd engourdissement de mes sens, la nausée, mes désorientations hébétées. J’ai retrouvé la perception des sensations vouées à ma lignée, dont les sols crayeux de la bourgade m’ont privée. Les remous calmes qui coiffent mes écailles, la fréquentation des arborescences molles et assoupies, de toute cette vie, sous ce sol sur lequel ils posent leurs pieds, maîtres de leurs jambes, et d’un corps que je leur enviais jadis, à en mourir.

    Mes parents m’ont conçue dans la rivière d’octobre.

    Je me suis toujours figurée leur étreinte, regardée par une nature figée, quelques lièvres au regard interdit tout à coup emprunté à l’espèce de mon mari.

    Des renards, des oiseaux rapaces n’ayant d’autre attribution que leur âme carnivore, figés dans une contemplation soudain charnelle, l’œil plissé sous leurs paupières duveteuses.

    Je suis la fille d’une rivière rieuse et colérique qui se souvient des jambes nues de ma mère ancrées dans l’eau glacée, solides, prenant appui contre deux pierres stables pour ne pas se blesser les pieds ; quant à mon père, il m’est difficile de l’imaginer alors différent d’avec sa chevelure d’or rouge, mangée d’argent.

    Je ne sais si ma mère se trouvait hors de l’eau lorsque la semence fit entrer en elle les secrètes genèses de mes écailles, ou bien si l’eau de la rivière s’y perdit, en même temps que la semence, entourant de toutes parts les amants comme la bolée d’un bénitier noie sa grâce dans la nuque offerte.

    Il semble bien, pourtant, que ce ne fut pas une bénédiction.

    Derrière le regard de ma mère, éclate le puits clair de l’esprit ; il se révèle à sa surface, donné et mystérieux, diluant l’encre de ses prunelles, s’y lisant par reflets changeants. À peine moins noirs. La beauté de ma mère est écrite sans fards. Son teint est le jour, ses yeux, la nuit, ses lèvres l’été.

    D’elle émane le parfum blanc de la peau tout juste savonnée, fraîche et tiède, rose et hâlée ; le propre du linge repassé encore chaud, de nos dalles de pierre brute fraîchement lessivées, du ciel clair à peine débarrassé de son orage.

    Le tablier de ma mère se gonfle à l’endroit de la grande poche bleue où elle range ses poèmes, seuls témoins d’une âme bavarde, puisqu’elle parle peu. Son rire fuse dans l’air, tranchant et doux. Il séduit. Hommes, femmes, enfants.

    Ma mère est une femme claire éprise des petits matins.

    Elle vous fixe de ses forêts de crépuscules bistre, denses, pour vous y perdre. Deux nuits rondes crépitant dans le brasier de ses silences. Elles plongent en vous. Pas de fourberies possibles. Pas de mensonge. Tout de suite, vous êtes percé à jour. Puis elle rit. 

    Et vous voilà attrapé.

    Ris encore, Mère, en souvenir de cet instant, tracé par les mille pointes blanches, étincelant à la surface de l’eau, ce point du jour où tu sentis contre ton mollet, tout abandonné à mon père, la peau d’un habitant du dessous.

    C’était un autre corps à corps, la perception si nette du passage fugace de quelque chose de vivant. Puis, il y eut ce léger picotement à la jambe qui te dura tout l’automne, comme ton ventre s’arrondissait.

    Je suis née le neuf août, le jour de la Saint-Amour. D’un mois, le terme était dépassé. 

    Nourrisson, la minuscule du ruisseau, pibale goulue, aspirait l’aréole du sein au goût de pluie, tout gonflé d’un lait mêlé d’eau douce. Elle l’attrapait par happements rebondis, cognant contre poitrine sa petite gueule d’enfant-poisson ; elle prenait le chant des artères en grands travaux pour celui du torrent.

    Parfois toute sa chair de nouveau-né devenait fraîche et Mère allait chercher une laine et un châle pour couvrir la petite et elle-même, même quand le soleil était le plus haut, et que la borie était tiède entre ses murs de terre sèche.

    À l’intérieur du châle, à l’abri de toute prunelle, la peau du dos de l’enfant sécrétait une sorte de mucus, en quantité infime. Secret, dormait à l'intérieur de la chair de cette toute petite, un tapis d'écailles.

    Mon sort tient en deux mots : Aurör-Pezaroy. De pez aroy : poisson de ruisseau ; Aurör, pour cette aube en laquelle je fus conçue. Trois termes en vieux patois de mes aïeux, assemblés 

    Par toi, Mère. Seule. Car tu fais toujours tout toute seule, tandis que Père, lui, demeure enfermé dans sa tête aux embouchures voilées.

    Ceux d’ici-bas s’amusaient à lui crier : dur d’oreille, sourdingue ! En percevait-il la résonance aussi abîmée lui arrivait-elle ? Je me le suis souvent demandée.

    P-e-z-a-r-o-y. Sonorités semblant émaner du ventre d’un violoncelle. Ces sept lettres qui m’ont valu ces longs cheveux noirs que je laisse couler depuis toujours dans mon dos pour contrebalancer un prénom dont l’attribution m’a toujours semblé tout à fait androgyne. J’aurais aimé : Clara, comme la fille des fagotiers ou Garance, Marie, Luna, ou Fantine. 

    Éprise du jour, épouse de la nuit. Quand la lune y roussit, basse sur l’horizon. 

    Mon père aux sourcils de forêt rouge, aux cheveux de cuivre, flamboyants comme le buisson-ardent, au blanc des bras, dévoré de taches d’or. Aux hoquets brutaux, à la force d’ours. 

    Bien souvent, il oubliait. Il oubliait par fatigue, par fièvre ou par colère, le point de départ, la petite bête qui l’avait piqué au cœur, cette sensation d’exception, de différence ; aujourd’hui la piqûre le démangeait et sa fatigue tournait le dos à tous les poèmes du monde, contre un bon matelas et une soupe dont les morceaux enfonceraient sa faim comme de l’étoupe.

    Mon frère imaginaire, ma sœur... Comme j’aurais voulu vous connaître. Si seulement vous aviez été conçus. Mais nos parents ont gardé la peur de la rivière, la terreur de mes minuscules écailles, à peine perceptibles à l’œil nu. La hantise d’un nouvel enfantement, la chair de leur chair, glissante sous la paume ; les doigts sont malhabiles et glacés sous cette bestiole qui ne se laisse jamais saisir. Serpent d’eau douce. Monstre fuyant.

    Une magie sans cesse plus incongrue faisait de la fille de forêt, tantôt l’enfant préférée, tantôt celle dont on prenait plaisir à charrier la carcasse déjà cabossée, excitant tous les abus. Ce paradoxe naissait du comportement étrange du mioche-flanqué-d’une tare, que l’on sentait présente, là, sous la blouse.

    C’est à gauche, juste un petit cœur de poisson, qui palpite. Tic, Tic, tic. 

    À travers l’unique fenêtre de notre borie, le soleil crépitait dans les cheveux de ma mère, aux éclats de rires sonores, dévorée de lavande par ses eaux de Cologne. Le bonheur filait sur les mains ridées de mon père, qui quoique bourru nous surprenait en drôleries parfois longtemps contenues, dans des saynètes nocturnes improvisées, véritables bestiaires comiques. Il était ours, corbeau, lièvre ; fable ou conte, chaque crépuscule était une fête. 

    Mon père est « L’homme des toits ». Il étudie la perméabilité des matériaux, l’état des cazelles comme la nôtre ; par là même, défie l’isolement causé par son ouïe abîmée : lui, sait quitter le bois. Mère et moi, ne côtoyons qu’un univers de forêt, et de ce même sang : nous trois. Un monde affectif lavé de tout contact avec d’autres enfants, ou d’autres adultes.

    Les gens du village nous observaient, mi-curieux, mi-méprisants, craintifs, devant le culte aux esprits de la clairière dont ils nous soupçonnaient, furieux de notre différence.

    Malgré cela, jamais encore, installée derrière la bicyclette de mon père, je n’aurai délogé de leur regard ce qui s’y lisait.

    Car chez nous, jamais le mot « mal » ni autres termes le signifiant n’étaient prononcés, et la croyance liée à notre patronyme Ermitaïn, issu du vallon natal de nos aïeux, et selon laquelle le diable y dormait à la belle étoile, avait toujours été contée aux petits mêlée à un doux sourire qui les déposait à la lisière d’un sommeil bleu. Ouatant la cime des cornes malignes. 

    Une intelligente douceur était notre cuirasse contre les langues d’ici-bas, déliées contre nous autres zuroy, lignée flamboyante comme les fleurs de nos arbres.

    Deux cents années de réunions entre cousins, autour de tables massives, qui avaient vu chaque premier né devenir père à son tour. On prenait pour conciliabules ces soirées baignées de franche gaieté, durant lesquelles nous créions à coups de grands rires. Nous avions notre littérature, nos poètes, nos musiciens, nos couleurs. On élaborait des teintures éclatantes, décoctions de fleurs de gaude, de nerprun. Nous vivions au rythme de notre propre utopie : l’intensité. Nos semelles aux picots de bois étaient ourlées de sang de foulque, que l’on faisait rôtir dans des feuilles d’angélique après avoir pelé la bête comme un fruit. Nous étions forts d’une autarcie aux murs nourris de la terre blanche si caractéristique de cette partie de la forêt, dépouille d’une ancienne rivière, fortifiée aux os de nos gibiers. On se nourrissait de ses champignons, de ses herbes aux vertus secrètes, de ses fleurs au goût de lait. La couleur de nos rires attisait la pauvre envie des autres d’Aiguevierres,

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1