La Battue
Par Éric Caramano
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Aperçu du livre
La Battue - Éric Caramano
978-2-312-00727-4
Jeudi 06 Mai 2010 17 h 45
Loin de se douter de ce que les jours à venir allaient lui réserver comme lots de surprises et de découvertes, Paul CLERMAN rentrait chez lui après sa journée de travail.
Paul, vous l’avez sans doute déjà croisé sans y prêter attention. Un anonyme parmi les autres anonymes dans la foule que l’on croise au quotidien. La quarantaine grisonnante, vêtu sans luxe ni goût particulier mais toujours élégant. Il a l’air taciturne de ces personnes qui n’attendent plus grand chose de la vie. C’est un modeste employé de bureau comme il en existe des millions. Son travail il l’exécute sans plaisir mais avec application, sachant que ce n’est pas là qu’il trouvera son épanouissement car ce job n’est qu’alimentaire et encore est-ce tout juste suffisant une fois payés le loyer, les charges et la pension alimentaire qu’il verse à son ex en espérant que celle-ci en fasse bon usage pour l’éducation de leurs enfants. Sans les perfusions financières de sa famille, Dieu seul sait ce qu’il deviendrait.
Oui, il a de quoi être taciturne, désabusé. Il se réfugie dans sa soif de connaissance, sa faim de culture et l’ironie profonde dont il abuse pour cacher sa timidité et son mal-être. Sa chanson préférée, la version live de Money des Pink Floyd dans l’album Delicate Sound of thunder, dont les paroles reflètent l’air du temps avec sa crise financière. « Money, it’s a gas ».
Il rentre chez lui comme quasiment tous les soirs, un coup d’œil dans la boîte aux lettres, des pubs, au pire des factures. Arrivé dans son appartement, il ouvre son PC et consulte ses boîtes mails, encore de la pub et quelques fichiers amusants envoyés par des contacts. La télé qu’il a allumée machinalement en entrant vomit son flot d’images de vulgarité ordinaire du quotidien, le fortifiant dans son idée qu’il se fait du monde.
Pour autant, Paul est un être sociable. Des amis il en a quelques-uns dont il est sûr de l’indéfectible fidélité. Des copains, camarades de travail bien sûr qu’il en a, ils lui permettent de le distraire de sa torpeur quotidienne. Car Paul est un personnage attachant, essayant toujours d’avoir le mot pour rire, dérision quand tu nous tiens, prêt à donner son attention là où d’autres n’auraient prêté que leur oreille.
Avec une telle personnalité on peut se demander si Paul a déjà été amoureux. Bien sûr, comme tout un chacun, et il n’a jamais laissé sa place. Adolescent et pré-adulte il était prêt à tout pour voir ses petites amies. Il succomba même dans une passion fougueuse, vorace, quasi cannibale. Du sexe, des excès, de la violence à l’image de la force des sentiments qu’ils éprouvaient. Une relation qui s’était finie de façon aussi brutale qu’elle était née et qu’ils l’avaient vécue.
Puis il rencontra celle qui allait devenir la mère de leurs enfants. Au début cela ressemblait à sa relation précédente, puis, petit à petit tout cela s’était étiolé, non par la faute des enfants, mais à cause du mal être de cette vision du monde que Paul commençait à ressentir. Enfin, il y avait eu la séparation et son lot de turpitudes communes.
Paul n’espérant plus grand chose de la vie, ne s’attendait pas à retomber amoureux et y prenait même garde. Plus ou moins malgré lui, il avait dressé des barrières qu’il se refusait de franchir, même s’il sentait parfois poindre en lui des sentiments troublants auprès de certaines personnes de la gente féminine, il faisait de son mieux pour cacher son trouble.
Pour le sexe, il s’y adonnait encore parfois mais plus par hygiène que par recherche du plaisir, même s’il le prenait évidemment. Mais, lorsqu’il sortait de ces relations éphémères c’était toujours avec un certain dégoût de lui-même et l’envie de reculer encore plus loin la prochaine échéance de ces soubresauts orgasmiques persuadé qu’un jour il serait capable de s’abstenir, tant cela reflétait en lui la médiocrité dans laquelle il était tombé et celle de l’espèce humaine.
Médiocre parmi les médiocres, mais qui ne s’ignore pas, voilà l’image qu’il avait de lui.
Paul c’est monsieur tout le monde à la différence près que ses expériences passées qui viennent souvent troubler ses nuits de cauchemars aux images bien trop réelles où la misère et la terreur qu’il a pu côtoyer de trop près l’ont persuadé que la vie est dérisoire et que le monde qui nous entoure est bien plus vil que l’on veut nous le faire croire.
Il avait dans l’esprit que toute sa petite vie pourrait tenir dans une boîte à chaussures. Pour résumer, Paul, 40 ans, divorcé, 2 enfants, comptable. Bonjour la caricature de loser.
Restauré et lavé, il retourne sur son PC pour effectuer quelques recherches historiques ou généalogiques selon les soirs, entrecoupés de morceaux choisis de l’actualité brûlante, le tout en musique bien entendu. Puis, sentant la fatigue monter, il s’installe pour son sommeil, programmant sa télé pour qu’elle s’éteigne dans l’heure qui suit dés fois qu’il s’endorme. Mais pas ce soir-là.
Jeudi 06 Mai 2010 22 h 37
Le téléphone sonne, il s’empresse de décrocher, même si les coups de fils tardifs ou trop matinaux éveillent en lui l’angoisse que quelque chose de terrible vient de se produire, une vieille résurgence du passé quand, à quelques années d’intervalles, ses grands-parents paternels étaient partis. C’est la voix de sa meilleure amie, une ex-collègue de travail avec qui le courant était passé tout de suite, qui le tire de sa somnolence.
Paul ! C’est Marge !
Oui, comment vas-tu ?
Pour que je t’appelle à une heure pareille tu dois bien t’en douter.
Des soucis ?, l’art de la concision par excellence.
Oui, d’ordre professionnel, mais je préférerais t’en parler de vive voix plutôt qu’au téléphone. Tu es disponible demain soir ? J’ai besoin de te parler.
Tu sais bien que pour toi je le serais
Bon. OK. Je t’envoie un message dès que je sors du boulot demain et je te dirais où l’on se retrouve. Tu es sûr que ça ne te dérange pas ?
Puisque je te le dis. Je ne t’ai jamais menti. J’attends ton message demain.
Merci. Bonne nuit et à demain
Bonne nuit à toi aussi et ne cogites pas trop même si je ne connais pas l’importance de tes soucis. Bises.
Bises.
Ah ! Marge. Sacré bout de femme, se dit-il en raccrochant tout en se demandant ce qui pouvait bien se passer pour qu’elle l’appelle à une heure aussi tardive. En général ce n’était pas bon signe.
En se remettant en position pour tenter de s’endormir, il se remémora ce qu’ils avaient vécu ensemble et les circonstances de leur rencontre.
Cela faisait maintenant cinq ans qu’ils se connaissaient. Dès leur première rencontre, lorsque son directeur était venu lui présenter la nouvelle arrivante dans le service, comme cela se fait à l’accoutumée, il s’était immédiatement douté que cette femme compterait dans sa vie. Une intuition. Elle débarquait au moment où il se dépatouillait de son divorce, au moment où sa vie avait basculé dans une routine maladive de divorcé. Métro, boulot, dodo. Ils avaient commencé à se retrouver de temps à autre dans la salle fumeurs, à parler de tout et de rien. De leurs goûts musicaux, littéraires, puis, petit à petit ils en étaient venus à se faire des confidences sur leur vie. Ce dont Paul se souvint de plus surprenant est que, cette année-là, lorsqu’il avait adressé un message à ses collègues de bureau pour leur souhaiter de bonnes fêtes de fin d’année, elle fût la seule à répondre. Les arrivées dans leur duo de Manuel, homme à tout faire, un bricolo de première et accessoirement assistant de Marge, et Pierre, jeune apprenti informaticien qui n’avait ni les yeux ni la langue dans sa poche, complétèrent ce qui durant deux années allait devenir le noyau dur d’une bande de déjantés pour leurs autres collègues de travail.
Ces quatre larrons se firent vite remarquer par leurs cavalcades dans les couloirs aux moments des pauses cigarettes auxquelles ils s’amusaient à donner des noms de code par messagerie interposée. De « CCC » pour Café Clope Conneries qui pouvaient devenir Course de Chinchillas Cavernicoles ou encore Caravane de Chameaux Clopinant, en « TKC » pour Tabac Kawa Conneries qui dérivait en Taxidermiste de Koala Chinois ou bien Trahison du Kiwi Chilien, leur imagination était sans borne.
Ces pauses cigarettes étaient de vraies récréations, jeux de mots stupides, blagues foireuses, moqueries éhontées et jeux débiles s’y succédaient et il n’était pas rare de les voir sortir du « fumoir » les larmes aux yeux, plus par les fous rires qu’ils venaient de se prendre que par la gêne occasionnée par la fumée. Une vraie amitié les liait désormais. Paul vécu ces années comme une comète traverse une nuit d’août.
C’était pour lui une bouffée d’oxygène dans sa vie. Les rencontres qu’il avait pu faire grâce aux liens qu’ils avaient noués élargirent son horizon. Puis, sa mission s’achevant, Marge partie sous de nouveaux cieux. Elle eut droit à un cadeau d’au-revoir, ces