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Le Souffleur
Le Souffleur
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Livre électronique307 pages4 heures

Le Souffleur

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À propos de ce livre électronique

Deux meurtres coup sur coup, voilà un début d'été bien insolite pour la petite ville sans prétention d'Alice. En quelques jours, les affaires sont presque classées et les coupables identifiés sans équivoque, leur acte fleurant la vengeance à plein nez. Mais la jeune commissaire ne peut s'empêcher d'y discerner d'étonnantes similitudes, comme la présence d'un homme mystérieux flottant telle une ombre au-dessus des meurtriers, semblant leur insuffler force et détermination.

Bravant les interdits et en proie à ses propres démons, Alice se jette corps et âme dans cette investigation. Elle est sur tous les fronts, menant l'enquête, maintenant à flot sa vie sentimentale, se prenant parfois les pieds dans le tapis. Elle doit y parvenir coûte que coûte, mais certaines chutes sont douloureuses, et peuvent la blesser bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Du moment qu'elle garde le contrôle, tout ira bien. Mais l'a-t-elle jamais eu entre les mains ?
LangueFrançais
Date de sortie8 janv. 2021
ISBN9782957597918
Le Souffleur
Auteur

Marion Fioravanti

Marion a derrière elle trente-six ans de bavardage intensif. Son imagination fertile l'a toujours incitée à raconter des histoires sous diverses formes telles que des poèmes, des chansons ou encore des récits de voyage. Elle aime et pratique la musique, la bonne cuisine et les langues étrangères. Lyonnaise invétérée, elle ne rate pourtant pas une occasion de sillonner l'Italie, sa terre d'origine et de coeur. "Le Souffleur" est son deuxième roman, et marque ses débuts dans le domaine passionnant et électrisant du polar.

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    Le Souffleur - Marion Fioravanti

    miette

    Prologue

    Paul marche dans le vent glacial, serrant son manteau autour de sa gorge. C’est fou ces variations de température, il est chanceux de n’avoir encore rien attrapé malgré les courants d’air de son bureau mal isolé. Ça ne l’empêche pas de sourire béatement, et il avance d’un bon pas. Paul n’est pas du genre à se plaindre, ou à exprimer une quelconque émotion, d’ailleurs ; en fait, ses collègues le tournent souvent en dérision pour ça. Parfois même, quand ils croient qu’il ne les entend pas, ils l’appellent le psychopathe. Il le sait, mais ne dit rien. Paul est gentil, pas sourd.

    Il n’a pourtant pas toujours été comme ça, il a juste progressivement appris à se foutre de tout. Une vie de déceptions l’a amené vers un emploi peu gratifiant, au salaire de misère à peine suffisant pour payer le loyer d’un piteux appartement, dans un quartier tout aussi minable. Après avoir tenté de nager à contre-courant des années durant, il a fini par se laisser submerger par les flots lourds de la médiocrité. Ses proches l’ont d’ailleurs toujours connu ainsi : sans vie, sans énergie, sans perspective.

    Mais aujourd’hui, c’est différent. Sans qu’il se l’explique, tout a changé. Si on lui demandait à quel instant précis il s’est réveillé, il réfléchirait, et évoquerait ce moment où Sylvie l’a bousculé, et où son café brûlant d’après déjeuner s’est renversé sur sa chemise, dans l’hilarité générale. Mais ça ne serait pas d’une grande aide, car le café n’y est pour rien. Ni le gloussement idiot de Sylvie, ou les railleries des autres. Et personne ne lui demande jamais rien, de toute façon.

    Durant ce long après-midi à trépigner dans son bureau, à chercher à contenir cette euphorie indescriptible, il a envisagé de faire cette chose qu’il n’a jamais osé faire. Lorsqu’il s’est finalement décidé, il en a rougi de plaisir. Il a pris ses affaires, salué les collègues qui n’ont même pas tourné la tête dans sa direction, et quitté le bâtiment en sifflotant.

    Il marche d’un pas allègre, zieutant régulièrement sa montre malgré l’absence d’impératif précis. Ses pieds lui font un peu mal, mais il ne s’en soucie guère. Lorsqu’il arrive à destination, il fait déjà nuit noire. La maison lui paraît à la fois belle et grotesque, comme dans ses souvenirs, et il ricane comme le jeune garçon qu’il fut, des années plus tôt. Les lumières sont éteintes, la pénombre n’est troublée que par l’éclairage public de la rue. Il glisse machinalement la main dans la poche de son manteau pour s’assurer de son contenu, puis avance d’un pas décidé vers le porche. Tandis qu’il frappe quelques brefs coups à la porte, il essaie, en vain, de prendre une expression sérieuse. Puis la porte s’ouvre, et un individu le toise de l’œil vitreux d’un sommeil interrompu :

    — Monsieur, vous savez quelle heure il est ? Pour qui est-ce que vous vous prenez à débarquer comme ça ? On ne... vous av... Paul ? Paul Revard ?

    Paul grimace, quelque chose à mi-chemin entre l’approbation gênée et la douleur contenue. L’homme semble sortir de sa torpeur, un brin d’amusement dans le regard, de crainte aussi. Il ne sait visiblement pas sur quel pied danser.

    — C’est dingue Paul, putain, ça fait combien de temps ? 15-20 ans ? Bon, et je veux dire… C’est sympa de te voir, mais quand même vachement inattendu. T’étais parti si soudainement, je pensais que tu ne voudrais plus rien avoir à faire avec moi ! Après Maryse, je veux dire…

    Paul ne répond pas, tressaille à peine au prénom de Maryse. Il dévisage son interlocuteur, un peu groggy de sommeil, qui en prime reçoit de plein fouet des vagues de souvenirs qu’il avait depuis longtemps occultés. Celui-ci tente de reprendre une contenance, et continue d’un ton faussement téméraire :

    — Écoute, euh… je ne vais pas te mentir, ce n’est pas le moment idéal, là. Demain, je me lève tôt pour une réunion, et j’ai une semaine chargée. Donne-moi ton numéro et je te rappelle le week-end prochain. Ça marche ?

    Paul le regarde longuement, puis, sortant la main de sa poche en un geste assuré, fond sur lui.

    *****

    Depuis son buisson du jardin voisin, un homme ne perd pas une miette de la scène. Bien, très bien, tout a été rapide et efficace, une vraie frappe chirurgicale. Le silence qui émane de la maison laisse même penser que l’épouse n’est pas encore sortie du lit. Et déjà Paul s’éloigne, disparaissant au coin de la rue. Il n’y aura eu aucun témoin. Sauf lui, bien sûr.

    Après avoir compté une minute, il rejoint à pas légers sa voiture, garée à l’entrée du lotissement. C’était un peu imprudent de venir, mais il devait s’assurer que tout fonctionnerait comme prévu. Une fois la police impliquée, il sera peut-être plus délicat d’être au cœur de l’action. Et encore.

    Il remonte la route, phares éteints, jusqu’à visualiser la silhouette de Paul. Celui-ci marche du même pas décidé qu’en venant, malgré ses pieds probablement meurtris par son périple nocturne. Cet aspect est inattendu, il pensait que Paul aurait pris sa voiture. La détermination fait vraiment pousser des ailes.

    Il le suit à distance, sans trop s’approcher, et Paul semble ne pas du tout remarquer sa présence. Au loin, les sirènes de police et d’ambulance se font entendre. Trop tard se dit-il, un rictus aux lèvres.

    Lorsque Paul arrive finalement sur le promontoire qui surplombe la ville, loin de la scène de crime, l’homme le laisse à ses contemplations et reprend tranquillement la route de chez lui, espérant profiter de quelques heures de sommeil avant de se rendre au travail.

    *****

    Le matin se lève. Assis sur son banc, Paul contemple, le regard vide, le sourire aux lèvres, le rougeoiement du ciel à l’horizon. Il a un peu de sang sur sa chemise et sur sa joue. Ses pieds sont meurtris également et lui font souffrir le martyr. Pourtant, une étrange sensation de calme l’habite. Il jette un coup d’œil à sa montre, et constate qu’il commence le travail dans deux petites heures. Sans même un dernier regard pour le panorama, il prend nonchalamment la route de chez lui ; il a juste le temps de rentrer prendre une douche et se changer avant de se rendre au bureau.

    Chapitre 1

    — Montre-toi, saleté de chaussure !

    Le cri résonne, sans réponse, dans la maison vide. Alice parle seule, comme toujours, elle hurle, même. Elle dit que ça l’aide à réfléchir. Ou à tromper la solitude. La réalité, c’est qu’elle vit une lutte de tous les instants contre les objets, qui refusent de se plier à sa volonté. Les chaussures en sont l’exemple flagrant : après tout, elles ne peuvent pas se cacher à mille endroits, puisqu’elle les a enlevées hier soir dans le salon. Et pourtant ce matin, l’une d’elles reste introuvable, même sous la menace. Alice pourrait vous parler des heures des agressions qu’elle subit : de la tasse qui lui saute des mains pour se jeter par terre, de la dalle dans la rue qui se surélève légèrement pour la faire trébucher, ou du coin de porte qui lui fusille les doigts de pied quand elle passe. Elle pourrait en parler, mais elle n’en parle pas. Parce qu’un flic maladroit, ça fait mauvais genre. Et ne parlons même pas d’un flic qui prête aux objets une volonté propre.

    Pendant ce temps, son portable bipe et s’impatiente. Elle ne lit que le premier message, les autres étant probablement de la part de son tenace coéquipier, qui voudrait qu’elle lui confirme qu’elle est déjà en route pour la scène de crime. Ce qu’elle ne fait jamais, car elle estime la manœuvre trop infantilisante. Une fois la deuxième chaussure retrouvée derrière le radiateur, Alice attrape sa veste en cuir, son téléphone et sort de la maison. Attirés comme des aimants, ses longs cheveux châtains viennent se coincer dans la fermeture éclair. Après les avoir extirpés avec difficulté, elle se débarrasse de sa veste sur le siège passager ; il fait déjà bien assez chaud, de toute façon.

    Elle a une vingtaine de minutes de route selon le GPS, sa destination étant dans un village de banlieue proche du sien. Le trafic est raisonnable pour un matin de semaine, ça se voit que les gens sont en vacances. Elle a l’impression de l’être aussi, un peu, sans tous les emmerdeurs qui encombrent habituellement la route et la mettent plus en retard qu’elle ne l’était en partant. Même les travaux se sont calmés, et ça, c’est son plus grand plaisir. Un coup d’œil dans le rétroviseur intérieur attire son attention sur ses cernes, qu’elle n’a comme à son habitude pas cherché à camoufler. Le maquillage ne lui a jamais paru indispensable, d’autant qu’aux premiers jours d’été, elle peut compter sur sa peau de demi-italienne pour lui conférer une mine radieuse. Du reste, elle trouve ses collègues plus patients avec elle lorsqu’elle arbore la tête des nuits trop courtes.

    Tandis qu’elle chantonne, son téléphone sonne à nouveau. Un coup d’œil sur l’écran la fait grimacer. C’est un message de Morgan, le cinquième en deux jours. Elle souffle bruyamment. C’est sa première relation sérieuse depuis des lustres, une relation qu’elle n’attendait pas, ne souhaitait pas, et l’effraie plus qu’elle ne saurait l’exprimer. Jusqu’ici, elle n’avait jamais fréquenté quelqu’un qui prend soin d’elle, lui envoie des messages. Ça l’agace d’autant plus qu’elle ne sait pas exactement pourquoi ça l’agace. Peu importe, car elle vient d’arriver sur les lieux. Elle répondra plus tard. Ou jamais.

    Une fois garée, elle se dirige vers Arnaud qui l’attend devant le ruban de police, au début de l’allée qui mène à la porte. S’il est énervé contre elle, il ne le montre pas. Alice se souvient vaguement qu’il lui a parlé de ses récents cours de... Yasushi, Feng-shui... ou sashimi, bref, un sport asiatique à la mode. Elle se remémore comme il perdait vite patience lorsqu’ils ont commencé à faire équipe, trois ans plus tôt. Il essayait même de la convaincre, parfois un peu lourdement, d’entamer un travail sur elle. Tu sais, beaucoup de policiers se font suivre, ça n’a rien de honteux. Réalisant petit à petit que c’était peine perdue, et pour préserver sa propre santé mentale, il a fini par réaliser ce travail lui-même. Pour apprendre à gérer les états d’âme des autres, ou les laisser glisser sur soi, plutôt. Elle lui voue une gratitude silencieuse pour avoir fait l’effort d’apprendre à la supporter, contrairement à ses anciens coéquipiers qui eux, n’ont pas fait long feu. Et elle ne l’avouerait pour rien au monde, mais elle apprécie beaucoup de travailler avec Arnaud.

    En s’approchant, elle voit que son visage n’est pas vraiment serein, il semble préoccupé. Ça, c’est inhabituel. Il lui fait un vague sourire, mais le cœur n’y est pas. Comme d’habitude, elle prend garde à maintenir une distance ; quand on est grande comme elle, on essaye de ne pas se tenir trop près des hommes, qui peuvent se trouver complexés d’être observés d’en haut.

    — Salut Alice, c’est bien que tu sois là tôt. On a un sacré bazar ici, et la femme de la victime est un peu hors de contrôle. Elle était hystérique quand elle a appelé les secours, d’autant que son mari était déjà mort.

    — Le médecin ne lui a rien donné pour la calmer ?

    — Si, justement, elle est plus apaisée maintenant. Mais on craint que les médocs ne la rendent un peu incohérente, donc il ne faudrait pas traîner à l’interroger. C’est pour ça que je t’ai envoyé les premières conclusions de la scientifique par messages.

    — Ah… euh… oui, bien sûr... !

    Arnaud la regarde, pousse un soupir las, mais toujours sans colère. Impressionnant, ce sashimi, se dit-elle. Lui aussi est de taille plus qu’acceptable, mais sa posture voutée lui fait perdre de précieux centimètres. Alice est secrètement convaincue qu’il est né comme ça. Heureusement, son caractère dynamique et ses traits enfantins compensent ce vilain travers.

    — Bon, je te fais le résumé. La femme dit qu’on a sonné à la porte à trois heures et demie du matin. Elle a été la première réveillée, et a secoué son mari, qui est descendu voir. Elle l’a entendu parler, mais pas d’autres voix. Une discussion plutôt calme, a priori. Puis elle a cru distinguer un bruit sourd, et ensuite plus rien. Elle a appelé plusieurs fois, mais n’a pas eu de réponse. Quand elle a trouvé le courage de descendre, son mari baignait, mort, dans une mare de sang.

    — Et qu’est-ce qu’elle a fait ?

    — Elle déclare être restée figée quelques minutes, elle ne saurait dire combien de temps. Puis elle a essayé de trouver son pouls, a priori inexistant. Puis elle s’est un peu ressaisie et a appelé les secours. Les voisins sont sortis à l’arrivée des ambulances, mais ils disent tous qu’ils n’ont rien vu de la scène car ils dormaient quand c’est arrivé.

    — Ok, et que dit la scientifique ?

    — Qu’ils n’ont jamais vu ça. L’arme du crime, figure-toi, c’est un couteau de table ! Un de ceux au bout arrondi !

    — Hein ?

    — Oui ! Le coup a été porté sans aucune hésitation, droit au cœur. Probablement par quelqu’un de la même taille que la victime, ce qui étonne beaucoup les légistes, car ils disent qu’il faut une force incroyable et beaucoup d’adresse pour traverser la peau avec ce type d’arme. En fait, ils ne pensaient même pas que c’était possible. La victime n’a probablement même pas eu le temps de réaliser ce qu’il lui arrivait ! Il s’appelle Lorenzo Viallet, au fait, et sa femme est Maryse. Donc suspect d’environ un mètre soixante-quinze, potentiellement de forte corpulence, et… c’est à peu près tout.

    — Pas de vol ? De violence autre ?

    — Non. En fait si j’en crois la femme, l’affaire aurait duré moins de deux minutes. L’assassin est venu, a échangé trois formalités, et a planté son mari. Pour repartir comme il était venu.

    — C’est peut-être une vengeance... Mais le mari ne s’est pas méfié, puisqu’il a ouvert la porte, et n’a même pas élevé le ton. Pas d’empreintes, j’imagine ?

    — Eh bien si, figure-toi, le couteau en est rempli ! À première vue, il y en aurait de plusieurs personnes. Ils ont déjà prélevé celles de la femme.

    — C’est une bonne nouvelle, non ? Pourquoi tu fais une tête pareille ?

    — En fait, ça m’étonnerait franchement que ce mec soit fiché. Sinon, il aurait mis des gants. À mon avis, on ne trouvera rien. Il y a aussi quelques empreintes sur le torse ensanglanté de la victime, sûrement celles de la femme.

    — Hum bon, j’espère qu’elle aura des choses à nous raconter, car je sens qu’on va patauger, sinon.

    — Alice…

    — Oui pardon, ça n’était pas pour faire un mauvais jeu de mots ! Je jette un coup d’œil rapido à la scène de crime, et je file l’interroger. Elle est où ?

    — Dans le salon.

    La scène de crime est simplissime, et tient dans un mouchoir de poche. Un type de la scientifique explique à Alice que les deux hommes se sont tenus de part et d’autre du seuil de la porte, puis le tueur s’est avancé brusquement, sans que la victime ait le temps de reculer. L’arme a été plantée en suivant une parfaite ligne horizontale, et le sang n’a presque pas giclé. La victime s’est effondrée sur elle-même, et est tombée mollement sur le sol, sans autre trace de blessure due à la chute. Les analyses plus poussées viendront après autopsie.

    Alice trouve ensuite l’épouse assise sur le canapé, recroquevillée et la tête légèrement penchée sur le côté, le regard dans le vide. Elle fait volontairement un peu de bruit en s’approchant pour ne pas la surprendre, mais la veuve semble flotter ailleurs, loin d’ici. Elle tourne pourtant le regard dans la direction de la jeune femme lorsque celle-ci tire un siège pour lui faire face.

    — Madame Viallet, je suis le Commissaire Rossi. Je suis désolée de venir vous cueillir dans un moment si difficile, et par ailleurs, je vous présente toutes mes condoléances. Mais nous sommes obligés de passer par ce moment pénible, car nous aurions besoin d’en savoir plus sur votre mari, pour l’enquête. Pourriez-vous me parler un peu de lui ? Son travail, ses habitudes...

    La femme semble ne pas comprendre la question. Du coin de l’œil, Alice voit Arnaud qui regarde dans leur direction, et elle lui fait discrètement signe d’approcher. Celui-ci vient s’asseoir à ses côtés, au moment où Maryse prend finalement la parole.

    — C’est… c’était un homme très ordinaire. Raisonnable, droit. Il était chef comptable et son travail comptait énormément pour lui. En fait, nous étions collègues, à une époque, c’est même comme ça qu’on s’est connus. J’ai arrêté de travailler peu de temps après, quand sa carrière a commencé à décoller. Je ne sais vraiment pas ce que je vais faire, à présent…

    — Restez avec nous, Madame. Parlez-nous un peu de ses loisirs.

    — Il n’en avait pas vraiment. On a perdu notre chien il y a deux ans, avant ça, il l’emmenait se promener pendant de longues heures. Puis il ne s’est focalisé que sur son travail. Il partait assez tôt, rentrait souvent tard. En général, il s’endormait devant la télé à peine le dîner terminé.

    — Avait-il des amis avec qui sortir ?

    — Non... pour être honnête, il ne s’est jamais fait beaucoup d’amis, et ne s’est pas intégré avec les miens. Je ne les vois plus depuis quelque temps, d’ailleurs. Au travail, il était quelqu’un de très ambitieux, donc il n’était pas toujours apprécié.

    — D’accord. Vous pensez qu’il aurait pu s’attirer des jalousies ? Se faire des ennemis ?

    — Hum… j’ai du mal à le croire. Mais je vous donnerai les coordonnées de l’entreprise, si vous voulez.

    — Oui, merci. De la famille ?

    — Sa sœur est partie vivre en Suisse. Ils sont plutôt en bons termes, mais pas très proches. Il n’a pas connu son père, et sa mère est décédée il y a quelques années.

    Alice et Arnaud échangent un bref signe de tête, et se lèvent dans la foulée. Alice tend sa carte de visite, et prend les mains de la veuve entre les siennes.

    — Nous vous remercions pour votre patience malgré les circonstances. Je vous laisse ma carte, n’hésitez pas à me contacter si vous pensez à quoi que ce soit. Nous reviendrons vers vous plus tard dans l’enquête. Encore une fois, toutes nos condoléances.

    — Merci. J’espère que vous arrêterez le tueur. Tout ça n’a tellement pas de sens...

    — Les meurtres en ont rarement. En tout cas, nous ferons le maximum. Allez vous reposer, et soyez forte.

    Elle leur fait un petit sourire en se libérant de l’étreinte des mains de la commissaire, et reste ainsi, le regard absent. Alice et Arnaud, s’éloignent, et une fois dehors, discutent quelques minutes à voix basse.

    — Je vais rester un moment pour clôturer la scène de crime, propose Arnaud.

    Alice voudrait en faire autant, mais pense proposer à Morgan d’aller déjeuner ensemble. Cette petite dame fluette et abattue lui a foutu le bourdon.

    — Ok ça me va, je passe plus tard au commissariat, et je convoque l’équipe pour une réunion en début d’après-midi.

    — Ça marche ! D’ici là, on aura peut-être quelques infos supplémentaires de la scientifique et de l’enquête de proximité.

    Apparemment, le voisin direct ne s’est pas manifesté, j’ai chargé quelques agents d’aller jeter un œil.

    — Merci Arnaud, à tout à l’heure.

    Ils s’éloignent, et Alice, après avoir regagné sa voiture, reste assise quelques minutes, à réfléchir à ce crime insolite. Puis elle reprend la route, morose, tout en composant distraitement le numéro de Morgan.

    Chapitre 2

    Marta a quatre-vingt-treize ans aujourd’hui. Pour elle, ce n’est pas un anniversaire banal : en fait, c’est le premier depuis des siècles où elle se sent sereine. La salle à manger semble avoir retrouvé son calme également, à peine troublée par les sirènes étouffées qui résonnent derrière les vitres. À la réflexion, ce lieu n’a peut-être jamais été aussi paisible. Marta promène son regard autour d’elle. Depuis douze ans qu’elle vit dans cette maison de retraite, elle en connaît chaque détail, chaque centimètre carré de tapisserie qu’elle a fixée pendant des heures, chaque tableau hideux qui était déjà démodé avant même d’être cloué au mur. Le sol aussi a vieilli, ce lino des années quatre-vingt-dix usé par le passage répété des soignants.

    Peut-être qu’après les évènements d’aujourd’hui, tout cela va changer. Que l’argent qu’on ponctionne sur le compte en banque des résidents sera utilisé pour remettre en état cette pièce durement amochée. Marta ne sera probablement pas là pour le voir. Mais elle s’en fiche éperdument, elle ne laissera rien gâcher ce pur moment de félicité. Elle ferme les yeux quelques instants, et expire paisiblement. Puis, quand elle entend tambouriner à la porte, elle sait que la tranquillité va prendre fin. Alors, se concentrant sur ses pensées, elle formule mentalement un vœu. Celui de ne plus jamais accepter ce qu’elle a vécu ces dernières années. Puis écartant les cheveux de Thérèse qui baignent dans le gâteau, elle souffle ses bougies.

    *****

    Alice est de retour de son déjeuner, mi-figue, mi-raisin, totalement agacée. Morgan n’a pratiquement pas décroché un mot, et affichait un air fatigué, absent, préoccupé même. Pourtant, à peine entre-t-elle en salle de réunion qu’elle reçoit un SMS : Merci pour cet agréable déjeuner, ma belle. Mouais. Outre la tournure un peu trop formelle, l’ensemble semble manquer de sincérité, ou est-ce un ressenti subjectif après ce long monologue qu’elle a dû entretenir ? Mais l’instant est mal choisi pour se focaliser sur son amourette du moment, et elle voit que l’équipe est au complet et discute tranquillement en attendant le démarrage de la séance de travail. Pour cadrer l’attention des autres autant que la sienne, elle claque dans ses mains, plus fort qu’elle ne l’aurait voulu. Le silence se fait, les regards se tournent brusquement vers elle, et Arnaud sursaute. Encore un peu d’effort avec ton shinobi, se dit-elle, quelque part satisfaite d’être encore capable de provoquer une réaction chez son partenaire.

    — On va démarrer si vous le voulez bien. Vous avez normalement tous pris connaissance du dossier, et des rares éléments à notre disposition après la première visite sur la scène de crime.

    En balayant la salle des yeux, elle sait d’entrée de jeu que la réunion sera laborieuse. C’est étrange, car ce crime pourrait bien être la chose la plus excitante qui soit arrivée dans la ville depuis plusieurs décennies. Mais peut-être l’équipe est-elle découragée d’avance en lisant les premières conclusions. Comme elle. Ou alors ne les a pas encore lues. Comme elle, dix minutes plus tôt.

    Sa stratégie qui fonctionne presque à tous les coups consiste à donner petit à petit la main à Arnaud, qui gère les réunions comme un chef d’orchestre. Mais pas aujourd’hui, car elle sait qu’elle doit faire des efforts sur ce point. Elle commence donc d’une voix claire, en marchant en travers de la pièce tel un métronome.

    — Voici le résumé. Nous avons affaire à un individu mâle de quarante-sept ans, marié et sans enfant. Un mètre soixante-treize, soixante-dix kilos, de race blanche, châtain aux yeux bleus. Physique peu athlétique, un certain embonpoint qui se localise au niveau du ventre. Rien de particulier niveau santé, juste un peu de cholestérol. Côté social, un travailleur

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