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Héritages
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Livre électronique67 pages59 minutes

Héritages

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À propos de ce livre électronique

"Héritages" est un recueil de dix Nouvelles dans lesquelles Valérie FOULON dresse les portraits de gens normaux: avançant, trébuchant, se relevant, vivant à la périphérie des autres et d'eux-mêmes. Les gens normaux ont tout d’intéressant surtout leurs failles.
LangueFrançais
Date de sortie11 févr. 2013
ISBN9782312008059
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    Héritages - Valérie Foulon

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    Héritages

    Valérie Foulon

    Héritages

    LES ÉDITIONS DU NET

    70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00805-9

    L’usine

    Je travaille debout, huit heures par jour, dans une conserverie de poissons de Concarneau. Je bosse dans une puanteur telle que même la brosse à ongles n’arrive pas à extraire de mes doigts, de dessous de mes ongles, de dans ma peau, les odeurs de viscères de poissons. Nuits et jours, vacances et week-end, je pue le poisson Godinec.

    J’habite au vingt rue Jos Parker, tout en haut de la venelle qui descend au port. Quand je pars travailler sur mon vélo rouge, les VTT me dépassent en un éclair. Je suis pas pressée d’arriver. Je voudrais bien passer prendre le pain chez Delphine et François. La boulangerie est en bas de la venelle, mais j’ai peur que l’odeur de poisson imprègne mon pain quotidien. Mes légumes, je les prends aux Halles, chez Jocelyne c’est chouette les légumes, ça vous laisse pas une odeur de crevure au fond des narines quarante-sept semaines par an. Le Concarneau Matin, je passe le prendre à l’Armor, chez Henri. On a fait le collège et le LEP ensemble. Il s’en est bien sorti. Y a des mariages qui vous plongent ou vous sauvent de la merde. Le mien m’y maintient. Fille de pécheur mariée à un fils de pécheur ; travaillant à l’usine avec mon mari. C’est pas folichon à raconter à la ligne « métier des parents » pour nos gamins le jour de la rentrée. Ça me ronge, ça. Ça me fait mal et ça me ronge.

    Souvent, mon père me raconte qu’à la fin des années trente, quand il était enfant, c’était calme la plage, la ville… Il venait jouer là avec les mouilles culs et les copains sans même savoir nager. Il n’y a avait pas toutes ces constructions d’aujourd’hui, toutes ces grues comme des araignées géantes qui promènent leurs grosses pattes grises sur les quais. Mon père a beau vendre son hydromel à la coopérative qui livre tous les magasins attrape-touristes, il ne s’habitue pas à leur présence, partout, dans la ville fortifiée, au port, sur les plages, dans les campings, dans les villas le long du sentier des douaniers. Ils les trouvent arrogants, bruyants et trop pressés.

    Avec Papa, je peux me lâcher et dire tout ce qui me pèse sur le cœur. Il ne me juge pas et il a même du mal à contenir quelques petits sourires qui partent, comme ça, en coin… Il aurait voulu une autre vie pour moi, même si travailler à l’usine et travailler chez Godinec c’est quand même pas blanc bonnet et bonnet blanc… C’est une petite boîte qui a jeté l’ancre rue de Colguen, dans la zone industrielle de Kérempéru, à la sortie de Concarneau, du côté de Pénanguer. C’est une petite poissonnerie familiale qui accueille les touristes, l’été, parce qu’il n’y a pas de petites économies, que tout est bon à prendre, même les quelques boîtes achetées – pour le souvenir – qu’on ramène à mamie qui garde le chien, à tata qui prend le courrier, au voisin qui surveille la maison au cas où… Quand t’achètes pour cent cinquante euros de poiscaille, ils te filent gratos un sac en coton marqué Godinec dessus. Y sont royaux non ? Godinec, c’est les boîtes de conserves de poissons, sardines, sardinettes, maquereaux en voici en voilà : en filets, en tartinables, au citron, aux algues. Chacun son terroir. Achetez mes bonnes lisettes m’sieurs dames, elles sont bonnes, elles sont belles. Elles sont même millésimées pour faire moins grande distribution. Qui en veut de mes filets de truite, de mes rillettes de saumon ? Elles sont bonnes, elles sont bio. Faut savoir suivre son temps. Godinec ne gave pas le plouc, il nourrit le gourmet. Que dis-je, Godinec réjouit les palais des gourmets les plus fins. On fait aussi dans les soupes. On fait même dans le foie de morue et là, pour ce qui est du foie de morue y’a deux camps : ceux qui arrivent à les avaler sans vomir et les autres. Je fais partie du deuxième camp. J’appartiens même à la frange intégriste des antis foie de morue. Je sais pas comment on peut avaler un truc aussi immonde. Comment on le cuit, comment on l’assaisonne et comment on le conserve, ça je sais. Ce que je sais pas encore c’est comment on enlève cette putain d’odeur. Quand je vais chercher les gosses à l’école, j’ai honte. Je sais qu’ils m’embrassent de bon cœur tellement ils sont heureux de repartir à la maison à seize heures trente au lieu de se taper la garderie jusque dix-neuf heures mais je sais que je pue. Je pue même sous la douche. Je sais que je pue quand je les aie dans les bras et que je les câline. Je pue au moment du baiser du soir. Plutôt crever que d’avaler du foie

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