« Je suis née à Hanoï et j’y ai vécu les dix premières années de ma vie. Cette ville colorée, bruyante, chaleureuse a été le lieu de mon enfance. C’est ce lieu que j’ai dans le cœur et qui motive toute mon existence. L’enfance est un paradis perdu, mais l’on ne revient jamais de son enfance. Quand j’écris, aujourd’hui, c’est de ce lieu que je le fais. Lieu de la joie éclatante, mon cœur est encore dans cette djellaba à la ceinture orange… Cette djellaba à paillettes scintillait au soleil.
Avec sa ceinture orange à la taille, elle me semblait d’une classe absolue. J’aimais son extravagance. Quand ! disaient-ils : étrangère ! étrangère ! Je m’en amusais. La vie était un jeu, alors. Même la pauvreté paraissait poétique, car tout restait à inventer. Hanoï est une excentrique : des poules et des cochons s’amoncellent à l’arrière d’une mobylette, cinq personnes se tassent sur une petite Honda, un frigo tient en équilibre sur un pousse-pousse, des fils électriques composent un ciel noir… Cette ville tient du surréalisme, des œuvres de Duchamp. “Ceci n’est pas une moto”, pourrait-on écrire sous la Yamaha qui transporte une cargaison de jantes, d’oies ou de poissons rouges dans des sacs plastique emplis d’eau. Tout est possible, ici. Rien n’est interdit : il n’y a pas de feux de circulation, aucun Code de la route. Nous roulions souvent tous les quatre, avec mes parents et mon frère, sur une même moto, sans casque. J’aimais sentir la liberté dans mes cheveux, je tendais les bras, et la pluie, qui coule à torrents dans ce pays humide, me nettoyait de la chaleur.