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Peur sur Andernos
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Livre électronique316 pages5 heures

Peur sur Andernos

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À propos de ce livre électronique

Les animaux de ce vieil homme célibataire disparaissent les uns après les autres...
Un roman policier particulier : il n’y a ni crime ni cadavre. Mais simplement, un vieux célibataire, un brave homme. Vivant seul en compagnie de ses animaux, sa « Petite Ménagerie » comme il dit.
Employé de la ville, connu et estimé de tous. Gustave vit dans une vieille cambuse. Un beau jour, ses animaux disparaissent un par un. Pour tout le monde, la mort d’un chat n’est rien de spécial, pas de quoi en faire une montagne... Puis le chien. L’animal n’est pas victime d’une vulgaire boîte de mort aux rats, mais de la strychnine. Un médicament particulièrement dangereux. Le vieux garçon, sombre dans la désespérance la plus absolue et la neurasthénie. C’est une affaire sordide qui secoue la ville. Les Gendarmes piétinent.
Jean-François Guiraud nous livre ici un roman policier tout à fait inhabituel !


À PROPOS DE L'AUTEUR


Né en Lorraine, Jean-François Guiraud travailla à l’usine de nombreuses années. Ayant toujours eu l’envie d’écrire, il commence par écrire des articles dans l’Est Républicain. C’est lors de sa retraite qu’il saute le pas et écrit son premier roman : Peur sur Andernos.

LangueFrançais
Date de sortie5 nov. 2021
ISBN9791035314866
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    Aperçu du livre

    Peur sur Andernos - Jean-François Guiraud

    1

    Gustave

    Andernos-Les-Bains, une petite ville tranquille du bassin d’Arcachon. Elle avait su préserver son charme bucolique et se protéger de la voracité des promoteurs… Un exploit, comme disent les anciens, rajoutant malicieux : « Pourvu que ça dure ! » Bien que dans les années 30, peu à peu, inexorablement les lotissements, sous la pression des touristes, grappillent des parcelles de forêt ici ou là, au grand désespoir des lapins de garenne, ce qui oblige nos braves quadrupèdes à se réfugier un peu plus loin. Coup de chance, la forêt des Landes est vaste et Bordeaux encore bien loin… Sans oublier nos amis les écureuils qui, au seul bruit d’une tronçonneuse, paniqués, sautent d’arbre en arbre vers des lieux plus paisibles où, ils pourront en toute quiétude grignoter des pignes, fournies gracieusement par leurs amis les pins. Ces nouveaux quartiers, un mélange de villas traditionnelles et cossues, voisinent avec des maisons plus modestes, et les nouveaux venus ont à cœur de respecter le cadre traditionnel : « l’âme de la ville ! » C’est même à savoir qui embellira au mieux sa demeure… Ces villas se personnifient par leurs appellations : les pins, La Roseraie, La Garenne, Koxepa, souvent même un prénom de femme, souvenir d’un amour disparu à jamais : Ginette, Violetta ou Margueritte et autres…

    Dans cette paisible population, se distingue un personnage connu de tous. Un homme de peu, insignifiant. Mais, qui ne l’a pas croisé aux quatre coins de la ville ? Poussant sa carriole nonchalamment, encombrée d’un bric-à-brac invraisemblable de balais de toutes sortes, du traditionnel de cantonnier jusqu’au paille de riz, un véritable musée ambulant du balayage, dont le quidam moyen, se demande à quoi peut bien servir tout cet attirail hétéroclite ? Plus deux pelles, une normale et une petite, et un instrument étrange de sa fabrication, mais d’une redoutable efficacité pour décoller et éliminer, les milliers de taches de chewing-gums qui salissent les trottoirs et « La magnifique place de la jetée Louis David », du nom d’un ancien maire, qui a laissé un souvenir impérissable. Un bâtisseur né, qui sut dans les années trente agrandir sa ville, tout en lui conservant ce cachet si particulier du Sud-Ouest. Bien qu’aujourd’hui, nombre de jeunes le confondent avec un chanteur ou pire, un footballeur ! Ô temps, suspend ton vol, quelle ingratitude !

    Ce vieux célibataire, Gustave Pelletier, s’il ignore qui est Molière ou Racine, lutte inlassablement contre ces taches noires qui lui hérissent le poil ! Ces taches ennemies, en passe de supplanter les bons vieux mégots de cigarette, qui depuis des décennies règnent en maîtres sur tous les bitumes de France et de Navarre. Tout ce matériel, lui est fourni gracieusement par la mairie, son employeur. Pour tous les habitants, c’est Gustave, quant à son nom de famille, la grande majorité l’ignore, pour tous, c’est « Gustave » point barre. En charge de la propreté du centre-ville et plus particulièrement des endroits inaccessibles aux engins mécanisés. Pour lui, la propreté de sa ville, car c’est sa ville, représente sa dignité, sa préoccupation majeure. Cet emploi n’est pas un travail ou une occupation de hasard, pour rire, souvent tenu par des spécialistes de la glandouille pour passer le temps ! Non, Gustave se sent investi d’une mission de la plus haute importance. Le moindre papier, le moindre mégot l’irrite, même s’il lui faut le traquer dans un recoin inaccessible. Oui, c’était sa ville, il l’aimait. Les rues, l’ont vu courir en culotte courte et blouse grise en sortant de la communale. L’école, il n’y avait pas fait des étincelles, l’instituteur ayant renoncé à lui dévoiler les mystères du participe passé, idem pour les divisions qui ne l’avaient guère tourmenté. Mais pourquoi se serait-il tourmenté, comme il l’affirme :

    — J’en sais assez pour recompter ma monnaie chez le boulanger ou l’épicier du coin et… Tailler une bavette avec le voisin !

    Il faut dire, que pour tailler des bavettes, « le Gustave » ne se contentait pas des voisins, mais au moins de la moitié de la ville ! Si certains, l’écrasaient d’un regard hautain, lui en retour les ignorait superbement, ils étaient quittes…

    Par contre, ses goûts pour la nature et son amour des animaux en avaient fait un spécialiste incontournable des fables de La Fontaine. Il les connaissait toutes sur le bout des doigts, c’était même une plaisanterie, sa façon bien à lui de les raconter, lui valait nombre d’admirateurs. Sa préférée, celle du Corbeau et du Renard ne lassait jamais personne de l’entendre. Les enfants, n’étaient pas les derniers à le solliciter, pour eux, un jeu. L’apercevant, ils couraient vers lui, lui demandant malicieusement :

    — Gustave tu nous racontes le Corbeau et du Renard ?

    Gustave ne disait jamais non. Il faut dire qu’avec lui, cette fable était à rallonge, il y mettait du cœur et même toute sa rancœur, c’était sa préférée. Non pas en raison du corbeau ou du renard, mais du camembert, qu’il transformait en vedette de l’histoire. Il commençait toujours par sa sempiternelle et même réflexion, qui amusait :

    « J’veux bien vous la raconter, bougres de garnements, mais deux minutes pas une de plus, je ne suis pas payé pour ça ! » Les yeux rieurs des galopins s’allumaient. « Mais pour vous dire », reprenait-il :

    — Ce qui me chagrine dans cette histoire, c’est le sort du camembert dévoré par le Renard. Vous, vous rendez compte un peu, un camembert, ça coûte tout de même !

    Réflexion qui signifiait bien que l’homme vivait chichement. Le camembert, c’était l’unique vedette de ses fins de repas et, il rajoutait :

    — Un repas sans camembert, c’est comme une femme sans tendresse, vous vous rendez-compte !

    Et chacun d’imaginer… Sauf lui, car à part sa mère, qui l’avait tendrement chéri, les femmes, il n’en avait jamais même tenu une dans ses bras. Il reprenait :

    — Mon camembert les enfants, il me fait trois jours. Pas un de moins, pas un de plus.

    Et les gamins malicieusement de lui demander :

    — Mais tous les trois jours, il faut que tu t’achètes un camembert alors ?

    Là, les gamins attendaient la fameuse réponse, qu’ils connaissaient par cœur. Il faut dire que le Gustave, il s’y connaissait en camembert, il en connaissait même un sacré rayon, sa réputation était connue ! Il répondait aux gamins impatients :

    — Mais non bande de bêtas, je ne les achète pas un par un, mais par huit ou dix, suivant les promotions du jour. Les camemberts qu’ils nous vendent aujourd’hui, c’est de la farine, ils sont sans saveur, si j’appuie dessus avec le pouce, ils n’ont pas de souplesse, alors, arrivé à la maison, je les laisse mûrir, en été sur le rebord de ma fenêtre ou sur le bord de mon feu en hiver. Et de préciser :

    « Apprenez les enfants, qu’un camembert avant d’être consommé, se doit de vivre sa vie, il faut lui laisser du temps, même plus de quinze jours ! Une théorie qui ne manquait pas de saveur et qui surprenait. Il rajoutait :

    — Les camemberts, si on ne les surveille pas, des habitants viennent s’y loger… Devant les regards ébahis de ses auditeurs, il précisait : « Oui, je parle des asticots ! » Les asticots, un signe de bonne santé de mon camembert, car les asticots, ils n’élisent pas leur gîte n’importe où, ils aiment leur confort ! Alors je les récupère avec la pointe de mon couteau et ils finissent au bout de la ligne de mon copain Victor. Je sais, je sais, vous êtes surpris, aujourd’hui on fait les difficiles, mais vous ne savez pas ce qui est bon ! Tenez, pourquoi que le Renard a été attiré par le camembert du corbeau ? Devant les mines dubitatives de ces auditeurs, il répondait triomphant :

    — Mais par l’odeur pardi, oui l’odeur ! Et croyez-moi, le renard s’y connaît en odeur. Si le corbeau avait tenu un camembert, sorti du supermarché voilà une heure à peine, croyez-moi les enfants, le renard serait passé sous l’arbre, méprisant le corbeau sans lui accorder le moindre regard. Puis, regardant sa montre, il s’exclamait :

    — Mais vous me faites perdre mon temps, petits canaillous, ma tournée prend du retard !

    Sa tournée, personne ne savait à quelle heure elle commençait et encore moins à quelle heure elle se terminait. C’était selon. Il allait ainsi traquant le mégot, le moindre morceau de papier et pire les chewing-gums, dont il disait :

    — Cette trouvaille des Américains, qui transforme nos jeunes en un troupeau de ruminants ! Rien de pire pour salir ma ville ! Ces taches noires qui fleurissent partout, ces taches, je les maudis, c’est d’ailleurs pour ça que je me suis fabriqué cet engin avec un manche à balai, ce qui m’évite de me mettre à genoux pour les décoller. » Et de le brandir, tel un trophée ! Tout simplement une spatule qu’il aiguisait régulièrement ; solidement arrimée à un manche à balai, une astuce simple, mais ô combien efficace !

    L’œil toujours l’œil aux aguets, il traquait du matin au soir tout ce qui peut enlaidir sa ville. Non, Gustave ne travaille pas, inlassablement toute la sainte journée, il poursuit toutes ces petites négligences qui souillent sa ville et ternissent sa réputation. Il proclame :

    — Un chewing-gum écrasé, c’est bien pire qu’un crachat, la pire des incivilités, quoique, finalement, c’est même les deux, vous imaginez ? Cette théorie divisait. Certains moqueurs, lui lançaient :

    — Alors Gustave, tu as bientôt fini de passer la ville à la brosse à dents ? Gustave se contentait de hausser les épaules, de nature, il n’avait pas l’esprit à la polémique… Mais d’autres, le soutenaient ardemment :

    — Vous avez beau dire, le Gustave est consciencieux, on a de la chance de l’avoir, suffit-il de jeter un œil ailleurs pour s’en rendre compte… Et l’intéressé de rajouter :

    — Pour que ma ville soit impeccable, comme j’en rêve, il me faudrait le jour et la nuit et même, ça ne suffirait pas. Que de sagesse ! Il vivait comme ça ! Il n’avait pas d’horaire bien déterminé ; personne ne s’étonnait de le voir dès potron-minet ou tard le soir, à l’heure ou le quidam moyen, effondré dans son fauteuil devant la télé, roupille plus ou moins.

    Gustave était connu comme le loup blanc, principalement des vacanciers, qui, dès leur arrivée, s’inquiétaient :

    — Alors Gustave, toujours bon pied, bon œil ? Bien plus connu que le maire, ce « drôle de zèbre », comme il disait le regard malicieux… Il en était à son quatrième « Zèbre », car pour lui, tous les maires sont des : « Drôles de zèbres ». Une appellation, pas très loin de la vérité et que bien des habitants partagent. Mais lui, n’était-il pas un drôle de zèbre ? En fait, Gustave appartenait à sa ville et vice versa.

    Sa journée terminée, une fois déchargé son butin, de papiers, de mégots, de chewing-gums et autres incivilités dans la benne communale, il rentrait chez lui, rangeait sa précieuse carriole à côté de son vieux vélo, souvenir de sa première communion et, l’âme sereine, la conscience en paix, du travailleur ayant gagné sa graine. Il soignait sa petite ménagerie, une relation quasi fusionnelle, qui le relie directement à sa mère et, un autre chat, Noirot, comme son nom l’indique. Un rodeur, qui venait uniquement pour la pitance. Un ingrat, mais qu’importe, Gustave veillait sur tous avec un soin jaloux, il comblait leur moindre désir, notamment la nourriture, car ces messieurs dames en abusaient ! Surtout Monsieur Pompon, le chien ! Monsieur avait des exigences : Du bourguignon et pas n’importe quel bourguignon, mais du bourguignon du jour, cuisiné chaque matin. Pas question de lui servir un reste de la veille, il le dédaignait… Le boucher, un ami de trente ans, connaissait la musique, chaque jour, un kilo de bourguignon, finement préparé, attendait Gustave pour être cuisiné, le lendemain matin à l’heure du laitier. Ses chats étaient bien moins exigeants, ils finissaient les restes de Monsieur Pompon. Cette petite ménagerie était un héritage de sa mère, sa mère, pour lui, une époque à jamais disparue, lourde de souvenirs, qui par instants encore, lui faisait venir le bourdon… Ainsi vivait Gustave, ce vieux célibataire… Pour lui, les jours se suivaient et rien ne semblait vouloir perturber une existence aussi paisible.

    Or, un vendredi, vers midi, alors qu’il se baladait sur le marché de la ville, histoire d’entendre les derniers potins, Gustave fut salué bizarrement. Soudain un : « Bonjour Monsieur » d’une voix rauque et inconnue le surprit. Personne dans la ville ne lui donnait du Monsieur, pour tous, c’était un « salut Gustave » suivi d’un « ça va », ou un : « il fait beau aujourd’hui. » Surpris, il se retourna, ne vit personne, reprit son chemin bonhomme et, un nouveau « Bonjour Monsieur ! » Le fit se retourner, c’est alors que le propriétaire de l’animalerie ambulante, l’interpela :

    — Alors Monsieur, on n’a pas d’éducation, on ne répond pas, lorsque mon ami Lori, vous dit bonjour ? Abasourdi, il ne comprenait pas, c’est alors que le vendeur, décrocha un oiseau, qui manifestement l’observait, c’était un superbe perroquet rouge, le vendeur malin, regardant l’animal lui dit :

    — Lori, redit bonjour au monsieur, il est sourd… Mais l’animal, gonflant ses ailes, agressif, éructa des « Vilain, vilain, vilain » Gustave étonné, répondit au vendeur :

    — Mais je ne suis pas sourd ! Le vendeur rigola et s’adressant au perroquet : « Tu vois Lori, Monsieur n’est pas sourd… » Et l’animal de répondre toujours agressif : « Vilain, vilain, vilain. » Gustave ne savait quoi dire et le perroquet de continuer ses : « vilain, vilain à n’en plus finir… » Les gens s’arrêtaient, riaient, le vendeur en bon camelot de marché, heureux de l’aubaine, en rajoutait, dame ce n’est pas tous les jours que les chalands bloquent son allée ! Et le camelot de continuer son petit manège, histoire de faire durer… Gustave ne savait quoi faire… Finalement, il préféra rentrer chez lui, retrouver sa petite ménagerie.�Mais cette histoire, le perturba, un oiseau qui parle, tout de même ! Lui parlait à son chien Pompon et à sa Misette, mais c’était des paroles sans réponse. Mais des regards chargés de tendresse et de confiance réciproque.

    Par la force des choses, Gustave était un célibataire endurci, et pour cause, c’était ce que l’on appelle encore aujourd’hui, un rappelé d’Algérie : « Trente-deux mois, sous un soleil de plomb, ça use ! » Les filles ne l’avaient pas attendu. Mais sa vieille mère oui ! En retour il prit soin d’elle jusqu’au bout du bout. Rentré d’Algérie, heureux de retrouver le cocon de son enfance, la cuisine d’avant, les habitudes d’avant, sa petite cambuse, il s’estimait chanceux et proclamait :

    — Du moment que Pompon et Misette ma chouchoute, m’accueillent matin, midi et soir que demander de plus ? » Ce à quoi, beaucoup lui répliquaient : « Mais une femme ! » Un sourire répondait aux plaisantins, d’autres fois, n’ignorant rien du personnage, malicieux, il répondait :

    — Au moins moi, je suis certain que chaque matin et chaque soir, en rentrant, on me fait la fête, beaucoup avec leur femme, ne peuvent en dire autant ! L’allusion était feutrée mais faisait mouche ! Il n’avait rien d’un Don Juan, il le savait. Son séjour sous le soleil d’Oran, l’avait vieilli prématurément, il avait pris dix ans en trente mois ! Mais Gustave ne vieillissait plus, il oubliait de décliner ! À force de le croiser, de le recroiser dans la ville, personne ne le voyait prendre des rides, alors c’était pour tous : « Le Gustave qui ne change pas, et qui, comble de tout, ne prend jamais une ride. »

    2

    Clochemerle

    Pour ce vieux célibataire, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Son train-train semblait immuable, il menait sa petite vie, ne se préoccupant de rien. Jusqu’au jour où, un nouveau « zèbre », fut élu à la mairie. Pour lui, une vieille connaissance de la communale. En ces temps lointains, Gustave finissait péniblement son cursus scolaire, pendant que le futur maire, plus jeune de quelques années, s’échinait sur le B.A Ba de la lecture. Pour Gustave, cette élection fut une simple anecdote. Mais il commit l’imprudence, l’erreur de commenter :

    — Et alors, ça fera mon cinquième « Zèbre » tout simplement, pas de quoi fouetter un chat, je le connais bien, il n’a jamais cassé quatre pattes à un canard ! Jugement simpliste, sans malice, ni arrière-pensée, mais non dépourvu de réalisme. Une bonne âme, en mal de se faire mousser, informa le nouveau Maire de ce commentaire peu flatteur… Élu de justesse, à la surprise de tous, voulant marquer sa prise de fonction, par une décision de la plus haute importance pour :

    « Mettre fin à la pagaille administrative et au gâchis qui règne dans la ville ». Et, se gonflant d’importance pour affirmer sa toute nouvelle autorité, n’eut-il pas l’idée saugrenue de s’en prendre à Gustave ! Certainement chagriné de constater le peu de cas, que lui portait son ancien compagnon de la communale. Il décida que dorénavant, l’agent communal Gustave Pelletier, rentrerait chaque soir sa carriole au dépôt communal, comme tout le monde…

    Cette initiative au début amusa, mais porta tout de même un coup au prestige du nouvel élu. Elle confirmait bien aux yeux de beaucoup, qu’il n’avait pas inventé : « Ni le fil à couper le beurre, ni l’eau chaude et encore moins l’eau tiède ! » Les plus agressifs, mécontents de son élection, déclarèrent : « Il fallait s’y attendre, les gens pour être tranquilles, ont voté pour le plus con d’entre nous, avec cette décision stupide d’emmerder Gustave, ils ont gagné le cocotier ! »

    Ce coup d’éclat ne présageait rien de bon pour le nouvel édile. Peu à peu au sourire amusé du début, succéda une sourde irritation, une fâcheuse rumeur, car le zèbre était têtu comme une pioche.�Gustave jouissait de l’estime générale. Il ne refusait jamais de rendre service, que ce soit pour porter le pain à un malade ou une course quelconque, les habitants qu’ils soient de gauche ou de droite, tout comme ceux qui croyaient au ciel ou ceux qui n’y croyaient pas, même le curé l’estimait ! Bien que Gustave ne mette plus les pieds à l’église, son séjour en Algérie l’avait définitivement éloigné de la religion. Les vieilles bigotes, anciennes copines de sa défunte mère, lui en faisaient la réflexion :

    — Gustave, on ne te voit plus à la messe ?

    Triste, il répondait :

    — En Algérie, j’en ai trop vu. Tu m’excuseras, je ne crois plus au bon Dieu ! Par contre, il entretenait toujours amoureusement, les massifs entourant la petite église, vœux de sa défunte mère, qui tant de fois, l’avait conduit dans le saint lieu, le tenant par la main, fière de son fils, tout en lui recommandant d’être : « sage et honnête. » Recommandations qu’il suivait scrupuleusement. Bref, disons que Gustave faisait l’unanimité dans la population alors que le nouveau maire, faisait l’objet d’une suspicion générale, pire, avec cette affaire de carriole à Gustave, le mécontentement gagnait chaque jour. Cette rapide dégringolade se résumait en une phrase lapidaire : « Tout de même, s’en prendre à Gustave ! » La réflexion courait dans les rues et de plus en plus rapidement ! Un maire, ayant deux sous de jugeote, aurait compris, il aurait fait machine arrière. Hélas, l’homme était bête comme un balai. Peu à peu, il en résulta une sourde rumeur qui se transforma en un conflit entre l’élu et Gustave, étrange situation ! Gustave, estimait simplement que son outil de travail était en danger au dépôt communal. Il faut dire que trois ou quatre fois par le passé, sa carriole avait été victime de quelques fâcheuses facéties. Plusieurs fois le matin, il avait retrouvé son outil de travail, rempli d’agglos, de cailloux et autres détritus. Il lui arrivait même de trouver une inscription stupide griffonnée sur l’engin, une l’avait particulièrement meurtri :

    « Gustave ne fait rien, mais, il le fait bien ! » De ce jour, il décida que sa carriole passerait la nuit en toute sécurité chez lui en compagnie de son vieux vélo ! Le maire de l’époque n’attacha pas d’importance à cette exigence, il préféra en sourire… Et de son propre chef, la fameuse carriole dormait chez Gustave. Écœuré par la mesquinerie de son copain de la communale, il déclara :

    — Je regrette d’être dans l’obligation de perdre plus d’une heure par jour, pour obéir à un ordre aussi stupide. Précisant même :

    — Je ne suis pas du genre à profiter de la situation pour ne rien faire, plus d’une heure par jour, comme tant d’autres, qui en profitent. Rajoutant :

    — Car moi, je n’oublie pas que je coûte à la commune, une heure de perdue, c’est de l’argent du contribuable foutu ! Argument simple, mais ô combien sensible, comme chaque fois que l’on parle d’argent ! L’affaire tournait au vinaigre, prit des proportions, un journaliste en parla. La presse en fit son miel, avec une photo de Gustave poussant sa carriole et tout son matériel hétéroclite.� Cette affaire prenait de l’ampleur, d’autant que la ville baignait dans la solitude, les envahisseurs, c’est-à-dire, les vacanciers n’étaient pas arrivés, finalement : « On s’emmerdait ! » Au marché, les queues devant les commerçants ne parlaient que de l’affaire de la carriole de Gustave. Idem sur les trottoirs, dans les bistrots, le pastis aidant, en fin de journée, on commençait à s’empoigner, les esprits s’échauffaient, on négligeait même les performances des Girondins de Bordeaux, ainsi que l’équipe de Bègles en rugby ! Bientôt on se compta : « D’un côté les « pro-Gustave, de l’autre, les anti ! » Bien moins nombreux…

    Le maire, au lieu de calmer le jeu, jeta de l’huile sur le feu. Accusant ses adversaires politiques, de manipuler : « l’idiot de la ville ! ». Ce fut la déclaration de trop. Hélas, si Gustave n’avait pas brillé à la communale, ces soutiens rappelèrent que le maire n’était pas un génie, certains même, ressortirent un carnet de notes, avec le classement… Se voyant mis en cause, le maire en rajouta une louche et une grosse. Il accusa les auteurs de cette farce, de ne pas accepter le verdict des urnes ! L’affaire devenait politique, il fallait s’y attendre ! Le maire, accusa même Gustave, d’être : « Un agitateur au service de ceux qui voulaient fragiliser le maire ! » Bien entendu, Gustave ne voulait fragiliser personne. Dépassé par les événements, il déclara :

    — Je veux tout simplement rentrer chaque soir ma carriole chez moi, comme avant et, qu’on me foute la paix… Mais des rancunes sournoises et tenaces ressurgirent, le feu couvait… Le Préfet inquiet des proportions que prenait l’affaire à l’approche de la période des vacances, délégua un jeune fonctionnaire pour éteindre ce feu, qui risquait bien de se transformer en incendie ! Or, dans le Sud-Ouest, les incendies, on connaît ! Ce fut une jeune Sous-Préfète à qui échut cette délicate mission. Cette jeune fille de bonne famille, à n’en pas douter, fleurant bon l’ENA, manquait manifestement d’expérience. Elle comprit rapidement, qu’elle était tombée dans un véritable nid de guêpes ; on l’envoyait au casse-pipe, ni plus, ni moins.

    L’affaire devenait ingérable, les deux parties refusaient obstinément la moindre concession et bientôt, la fragile majorité du conseil municipal se fissura. Rajouté aux traditionnelles rivalités et aux rancunes ancestrales ; la ville devint ingouvernable ! Devant cet imbroglio, il fallut recourir aux urnes. Le Préfet avec sagesse, dissolut le conseil municipal.

    La campagne qui suivit fut houleuse. Les coups bas, les ragots, furent bien plus nombreux que les habituelles promesses électorales, qui n’engagent que ceux qui les écoutent ! Le jour « j », il n’y eut pas le moindre suspens, la véritable question en filigrane était bien de savoir si on était pour ou contre Gustave ! Il n’y eut même pas de deuxième tour, le maire en place se fit étriller, une mémorable raclée ! Le dépouillement, malgré un taux de participation exceptionnel, fut bâclé en moins d’une demi-heure, du jamais vu…

    Gustave, comme d’habitude ne vota pas, pour lui la politique c’était du : « pipi de chat ! » Cette affaire avait fait tellement de bruit, que plus personne, que l’on soit élu ou pas, n’osa toucher à un seul de ses cheveux ! Les irascibles partisans de l’ancien maire, se contentèrent d’affubler Gustave du surnom « d’intouchable » par dérision en référence à ceux de l’Inde. Mais uniquement sous le manteau et, entre amis sûrs, on ne sait jamais… La nouvelle municipalité, qui en fait était l’ancienne, se montrait toute heureuse de ce retournement de situation inespérée. Elle organisa un vin d’honneur dans la salle polyvalente de la ville. On fit salle comble, un seul absent de marque, Gustave. Il n’appréciait pas et ne comprenait pas tout ce charivari pour rien. Sa seule préoccupation, c’était de pouvoir récupérer sa carriole, « comme avant » déclara-t-il. Ce qu’il fit le soir même de l’élection. Sa traversée de la ville fut considérée comme une bravade vis-à-vis du maire battu, que nenni ! Gustave, les bravades, ce n’était pas son genre… Et, il reprit son train-train. Le nouveau maire, soucieux de marquer sa différence avec l’ancien, tout heureux d’avoir retrouvé son fauteuil six mois après l’avoir perdu, voulut remercier son « bienfaiteur ». Il proposa à Gustave de lui fournir une toute nouvelle et rutilante carriole, plus adaptée à son travail. Erreur fatale, Gustave nourrissait pour sa vieille carriole une tendresse et une affection surprenante ! Dame, voilà plus de vingt ans qu’il la poussait dans les rues, par tous les temps, fatalement, cela crée des liens ! Et puis, il le connaissait ce nouveau et ancien « zèbre. » Il savait la considération qu’il lui portait, n’avait-il pas un jour déclaré en plein conseil : « Ce con de Gustave, plus con que ses balais ! » Gustave avait de la mémoire et beaucoup de dignité. Il répondit à cette proposition qu’il jugea saugrenue :

    — Pourquoi dépenser tant d’argent, ma bonne vieille carriole ?

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