Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le Chant du reptile
Le Chant du reptile
Le Chant du reptile
Livre électronique598 pages8 heures

Le Chant du reptile

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un médecin allopathe, originaire du pays de l’Argoat (Côtes d’Armor), passionné de pêche à la mouche, va vivre une étrange expérience qui bouleversera sa vie et ses certitudes et qui va l’entraîner dans une aventure ésotérique et initiatique.
Une équipe se forme et sera appelée à venir en aide à notre planète « Gaïa » dans l’expectative d’un changement de dimension en l’an 2012. Pour cela, ils devront prendre conscience de la réalité de certains faits qui leur étaient jusqu’à présent inconnus.
Crop-circles, manipulation du monde médical, Merkabah, effet miroir, état de maître, décodage biologique, labyrinthes, énergie libre, chakras, amour inconditionnel, etc., seront pour eux de nouvelles réalités qui vont les transformer.
Leur première aventure va les amener en Angleterre, sur le site de Stonehenge, puis au sein des cathédrales gothiques pour éveiller le chakra cardiaque de Gaïa... Créant une réaction qu’ils n’avaient pas prévue.
Plusieurs mois plus tard, ils vont se retrouver à Rennes-le-Château pour une nouvelle aventure initiatique riche en péripéties et en apprentissages.
Leur rencontre avec Joël Ducatillon et Maria va alors les conforter dans la certitude que l’homme est verrouillé et qu’il peut se libérer s’il en prend conscience. De fil en aiguille, toutes ses connaissances et l’étude des éléments laissés par l’abbé Saunière, ex-curé de Rennes-le-Château, vont les mener inexorablement vers le tombeau de Jésus remettant en cause les textes diffusés par le Vatican depuis vingt siècles…
LangueFrançais
Date de sortie15 janv. 2013
ISBN9782312007311
Le Chant du reptile

Auteurs associés

Lié à Le Chant du reptile

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le Chant du reptile

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le Chant du reptile - Yves Cornudet

    cover.jpg

    Le Chant du reptile

    Yves Cornudet

    Le Chant du reptile

    Le chemin de l’ascension

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00730-4

    Chapitre 1

    Ceux qui cherchent, reçoivent sans cesse des indices du monde de l’esprit. Les gens ordinaires appellent ces indices : « coïncidences »{1}.

    – Entrez !

    Le docteur Erwan Le Dantec fit entrer Mme Leulier, la dernière patiente de la journée. Malgré son allure sportive et un visage souriant, une certaine lassitude apparaissait à travers tout son être, quelque chose d’indéfinissable, peut-être tout simplement la fatigue d’une longue et ennuyeuse journée à écouter toujours et encore les sempiternelles histoires des habitants du petit village breton où le docteur s’était installé il y a maintenant une dizaine d’années ou peut-être plus…

    Assis derrière son bureau, Le Dantec s’évadait à travers les champs et les bois vers sa rivière favorite où, par cette belle journée de fin de printemps, les truites devaient être à poste, prêtes à gober la plus petite éphémère.

    – Vous ne m’écoutez pas docteur ?

    Mme Leulier, qui depuis dix minutes déversait un flot de paroles mélangeant ses problèmes de cors aux pieds, de douleurs dans la poitrine, la naissance de sa dernière petite-fille et les potins du village, sortit brutalement Le Dantec de sa rêverie. Il eut envie de lui répondre qu’effectivement il ne l’écoutait pas, qu’il se désintéressait totalement de ses jérémiades et qu’il se foutait royalement de ses cors, mais son sourire habituel reprit le dessus.

    – Au contraire, dit-il très sérieusement, je suis tout ouïe.

    Machinalement, il prit une ordonnance et griffonna dessus quelques mots que seule l’habitude de Mme Lebras, la pharmacienne, permettait de déchiffrer.

    – Voilà Lucette, vous mettrez cette pommade deux fois par jour sur votre cor, quant à vos douleurs dans la poitrine, ne vous inquiétez pas, elles sont liées au stress, vous allez me faire une petite cure de ce nouveau médicament. Vous verrez, tout ira bien et revenez me voir dans une semaine, dites bien le bonjour à Robert.

    Le Dantec était déjà debout, la main sur la poignée de la porte, l’esprit vagabond, il grommela vaguement un au revoir et vit que quatre nouveaux patients étaient arrivés entre-temps dans la salle d’attente. De plus en plus las, il se rassit mécaniquement à son bureau. À ses pieds, un épagneul breton frémit légèrement lorsqu’il lui passa la main sur la tête.

    – Alors Rhésus, qu’est-ce que tu en penses ? On liquide rapidement tout ça et on va à la pêche ?

    Rhésus n’était pas un chien ordinaire, il pouvait rester des journées entières aux pieds de son maître sans bouger, la plupart des clients ne le voyaient même pas, son attachement au docteur était tel qu’il donnait l’impression de tout comprendre, tout savoir de lui. À la moindre sollicitation, il était debout, frémissant, prêt à réagir. Il avait déjà compris, on irait au bord de la rivière et obéissant, pendant que son maître, de l’eau jusqu’au ventre, traquerait la truite en amont, il saurait rester en arrière à la recherche de foulques, poules d’eau ou ragondins. C’était comme un rite, ils allaient tous les deux, compagnons silencieux, jamais l’un sans l’autre vers un plaisir presque charnel, celui d’une communion totale avec la nature.

    Encore un peu de patience, le temps allait se mesurer en ordonnances d’antibiotiques, d’anti-inflammatoires, vaccinations et antidépresseurs. Le Dantec boucla rapidement cette fin d’après-midi, pas très fier de lui, mais qu’importe, il appliquait à la lettre ce qu’il avait appris en faculté et donnait aux malades ce qu’ils espéraient de lui.

    – Au revoir, bon rétablissement et merci encore pour ces belles salades.

    Emportant les deux magnifiques frisées que son dernier patient lui avait apportées, il ferma le cabinet avec empressement. Rhésus piaffait déjà d’impatience et montrait bruyamment sa joie.

    – Calme mon chien, calme, encore un peu de patience…

    Divorcé sans enfant depuis dix ans, plus personne ne l’attendait à la maison, à part la vieille Maryvonne fidèle à la famille depuis la nuit des temps. On ne pouvait pas lui donner d’âge, Erwan l’avait toujours connue là, indéracinable, mémoire vivante de la famille Le Dantec, pilier de la vieille demeure familiale. Elle n’en finissait pas de vieillir, silencieuse dans cette grande maison, elle en était l’âme et veillait sur ce garçon qu’elle avait porté dans ses bras dès sa naissance. Habituée aux frasques de « son petit », elle préparait les repas et vaquait à ses occupations. Elle aurait bien aimé qu’Erwan se remarie, mais avec une fille d’ici cette fois, une fille qui aurait appris à aimer cette maison et l’aurait remplie de cris d’enfants, mais il préférait la présence de son chien à celle des femmes.

    Le Dantec avait rencontré sa femme à la fin de ses études alors que sa superbe réussite à l’internat de Paris lui ouvrait un avenir particulièrement brillant. Leur amour avait été aussi court que passionné et n’avait pas résisté à la volonté de Le Dantec de s’installer chez lui, en Bretagne, abandonnant toute ambition personnelle pour vivre une simple vie de médecin de campagne. La séparation avait été très difficile à accepter mais le temps avait fini par effacer les stigmates gravés dans son cœur. Certes, le souvenir de sa très jolie femme le hantait encore de temps en temps mais il avait accepté cela comme une épreuve et en avait fait son deuil.

    Ce 7 juin, jour de printemps, malgré le beau temps, lorsque Erwan sortit du cabinet, suivi comme son ombre par Rhésus, il ressentit immédiatement cette lourdeur caractéristique, prémices d’un violent orage. Aucun souffle d’air ne venait troubler l’atmosphère chargée d’électricité. Le temps semblait être en suspens, les hirondelles volaient au ras du sol attrapant dans leurs vols tournoyants les insectes prisonniers de cette haute pression. Leurs cris stridents atténués par la moiteur de l’air se mêlaient au léger murmure de la fontaine centenaire trônant au milieu de la place.

    Le Dantec se mit au volant de sa vieille Lada Niva 4\4 qui lui convenait parfaitement autant pour faire des visites éloignées à travers les chemins cahoteux et les ornières que pour rejoindre ses coins de pêche les plus reculés.

    Rhésus sauta à ses côtés, s’installa confortablement sur le siège du passager qui lui était réservé et posa la tête sur les genoux de son maître. La vieille Lada toussota puis s’ébranla lentement, Le Dantec conduisait calmement, et petit à petit, pendant qu’il roulait à travers les routes sinueuses bordées de noisetiers, il renaissait doucement à la vie. À chaque fois qu’il partait ainsi, une forme de sérénité s’insinuait tranquillement en lui, tous les soucis de la journée, tout ce qu’il avait dû entendre, voir, écouter et absorber comme une éponge, toutes les responsabilités qu’il avait endossées disparaissaient dans ce moment présent, instant magique où le docteur Le Dantec redevenait Erwan, simple pêcheur accompagné de son plus fidèle ami.

    Dans un dernier soubresaut, la voiture s’immobilisa près du moulin de Kérankou et le silence revint. Erwan et Rhésus n’étaient alors plus homme et chien, ils étaient deux êtres qui allaient doucement s’intégrer à la nature sans rien déranger, s’y fondre en ombres silencieuses. Dans un cérémonial immuable, Le Dantec chaussa lentement ses waders en néoprène, parfaite deuxième peau, passa les bretelles et sortit religieusement de son fourreau la canne à mouche. Depuis quelques années déjà il avait abandonné le bambou refendu avec regret car il avait dû reconnaître que la fibre de carbone apportait une action de pêche inégalable. En revanche, il n’avait jamais abandonné la soie naturelle refusant d’utiliser ces choses modernes qui n’avaient de soie que le nom et ressemblaient à de gros spaghettis multicolores.

    Veste de pêche sur les épaules, lunettes polaroïd sur le nez, Le Dantec s’avança lentement vers la rivière. Moment magique où le temps s’arrêtait, où plus rien n’avait d’importance. En cette fin de journée, dans l’air surchargé d’électricité, vrombissaient des milliers d’insectes qui survolaient la rivière. Très concentré, Erwan s’assit au bord de l’eau, et tout en passant tranquillement le bas de ligne dans les anneaux de sa canne, il observait, scrutait, écoutait, tous ses sens en alerte. Deux bergeronnettes sautillaient de rocher en rocher à la recherche d’insectes, les cris stridents des hirondelles et des martinets volant à ras de l’eau, signaient la présence de nombreux moucherons en surface et les prémices de l’orage. Quelques éphémères au lourd corps couleur ivoire défilaient sur l’eau, les unes, ailes bien redressées pondaient encore, les autres déjà mortes, ailes plaquées dans le film de la surface devenaient des proies faciles pour truites et hirondelles. Ponctuellement, Erwan aperçut des phryganes, si caractéristiques, ailes en V recouvrant leur corps dodu, qui après avoir passé deux ans sous les pierres et rochers de la rivière, protégées par un étui de bois ou de graviers, se métamorphosaient pour finalement s’envoler dans un vol nuptial de quelques heures. D’autres sortes d’insectes défilaient sur l’eau, c’était une véritable procession. Un véritable bonheur pour l’amoureux de la nature qu’était Le Dantec. Cette petite partie de la Bretagne résistait encore à la terrible pollution des nappes phréatiques due aux épandages totalement anarchiques et incontrôlés des lisiers de toutes sortes et en particulier ceux des cochons. À chaque fois qu’il pensait à cela, la colère montait en lui, colère contre cette société qui ne recherche plus que le profit, où les hommes ne sont plus des « êtres humains » mais des « avoirs humains ».

    Mais Le Dantec évacua ses sombres pensées pour se connecter à la rivière. De part et d’autre, quelques gobages silencieux déchiraient la surface de l’eau. Les petites truites, plus fougueuses, sautaient dans un éclaboussement multicolore. Le spectacle était magnifique, sublime, Erwan était complètement subjugué par tant de beauté. Par expérience et parfaite connaissance de la rivière, son regard fouillait les berges car il savait que les discrets gobages dans ces zones signaient la présence des plus beaux spécimens de Farios.

    Chaque geste était précis et il choisit dans une vieille boîte à cigarillos pleine d’un fatras de mouches artificielles une petite éphémère à ailes grises. Il la fixa religieusement sur son bas de ligne et prit soin d’écraser l’ardillon de l’hameçon pour ne pas blesser les truites. Enfin, comme un rite maintes fois répété, il sortit sa boîte à graisse pour imbiber les hackles de sa mouche, lui assurant une parfaite flottaison.

    Enfin en action, il siffla doucement Rhésus pour le repérer. Celui-ci apparut presque immédiatement la truffe pleine de terre et l’arrière-train frétillant. Rassuré, Erwan lui fit signe et entra doucement dans l’eau.

    Tous ses sens étaient en alerte, le moindre mouvement sous contrôle, Le Dantec n’existait plus, il était l’eau, il était insecte, poisson, lumière. La nature l’avait envahi, il n’était plus l’intrus, il était pénétré par cette étrange alchimie qui faisait que tout ce microcosme vivait alors dans cette symbiose parfaite dont il faisait partie intégrante. Là, juste devant lui, un discret remous, toujours au même endroit. Avec une rigueur de métronome, la truite montait aspirer des insectes, juste derrière une branche d’aulne qui vibrait sous l’effet du courant.

    Le bras droit d’Erwan commença à faire siffler la soie dans l’air, il enregistrait tout : le rythme des gobages, la vitesse de l’eau, la présence d’un léger contre courant perfide qui pourrait faire draguer son artificielle et entraînerait un refus systématique de la truite. Mais Le Dantec était trop fin pêcheur pour oublier le moindre détail. Dans un dernier geste un peu plus ample, la soie fut projetée entraînant le bas de ligne et la mouche, dans un posé délicat juste en amont du poste de la Fario.

    Comme paralysé, Erwan était maintenant totalement immobile, seule sa main gauche dans un mouvement mécanique ramenait la soie et au moment précis où la mouche passa à l’aplomb de la truite, la surface de l’eau se déchira et la mouche disparut dans un tourbillon. Instantanément, le bras droit du pêcheur se redressa ferrant la truite. Dans un rush désespéré, la truite fonça dans le courant pour lutter contre ce fil qui la retenait, mais Le Dantec la brida rapidement tout en douceur et la ramena à ses pieds. Fatiguée par cette débauche d’énergie, la belle mouchetée avait abandonné la lutte.

    Émerveillé comme à chaque fois par la beauté de ce poisson, Le Dantec, évitant de la sortir de l’eau, la décrocha délicatement pour lui rendre sa liberté. Choquée, mais libre, la truite encore asphyxiée par la lutte qu’elle venait de fournir mit quelques secondes avant de filer vers la cache la plus proche.

    Le Dantec remercia la rivière et la truite pour le beau cadeau qu’il venait de recevoir et savoura un instant ce bonheur indicible qu’elles lui avaient apporté. À ce moment-là, il ne savait pas encore que par cette simple pensée, il rejoignait l’état d’esprit des indiens d’Amérique du Nord remerciant « la Terre mère » pour tous les cadeaux qu’elle leur offrait journellement. Cela faisait maintenant des années que Le Dantec ne prélevait plus de poisson et qu’il pinçait systématiquement ses ardillons pour éviter de les blesser et faciliter le décrochage. Certes, il comprenait le stress terrible que pouvait ressentir une truite prise au piège et il en était parfois atteint dans un moment de lucidité, mais le virus reprenait rapidement le dessus balayant les quelques scrupules qui risquaient de mettre en péril sa passion.

    Pendant qu’il faisait sécher son artificielle, Le Dantec avançait très lentement dans l’eau. Attentif à ne rien perturber, il évitait soigneusement les zones de frayères. Cette première prise avait enchanté Le Dantec, c’était un très beau coup du soir, rendu magique par l’atmosphère orageuse, la lumière baissait doucement et la nature semblait en attente, les lourds nuages approchants inexorablement. Le Dantec, malgré lui et de manière automatique, comptait les secondes qui séparaient chaque éclair du coup de tonnerre qui l’accompagnait.

    – Dix secondes… La foudre est à trois kilomètres.

    Erwan savait que les premières gouttes n’allaient pas tarder, alors doucement il sortit de l’eau pour remonter rapidement 150 mètres plus haut dans l’espoir de surprendre « la grosse » du rocher de la Naine. Deux ans déjà qu’il l’avait repérée, juste sous l’aplomb de cet énorme rocher qui formait une grotte. Une truite d’au moins 4 kg, impossible d’imaginer qu’un poisson de cette taille puisse vivre dans cette rivière, et pourtant il avait dû se rendre à l’évidence, une telle truite existait, un vrai monstre !

    Depuis, elle était là, régulièrement à poste lorsque le temps s’y prêtait. Cette truite hantait ses nuits et parfois, il s’éveillait en sursaut, tremblant et trempé après avoir bataillé des heures pour finalement se retrouver bredouille, hameçon ouvert.

    Et ce soir, elle était là, fidèle à son rendez-vous, toujours au même endroit. Il l’avait surnommée « Ness » et comme d’habitude, il ne savait pas comment l’aborder. Impossible de l’aval, le rocher l’en empêchait. De l’amont, Ness le repérait instantanément et disparaissait comme par enchantement. En l’abordant latéralement par l’autre rive, bien que cela paraisse la meilleure solution, c’était impossible, car la puissance du courant au centre de la rivière entraînait sa soie et sa mouche n’avait pas le temps de glisser jusqu’au repère de la truite.

    Le Dantec la voyait, là, magnifique, juste sous la surface. Il la regardait, émerveillé avec le même regard que lorsqu’il était enfant. Le spectacle de cette reine des Farios était extraordinaire, ses ouïes palpitaient doucement et sa queue ondoyait d’une manière parfaitement régulière, de temps en temps, elle faisait un écart pour happer une proie invisible.

    Rhésus s’était approché de son maître ressentant la tension de ce moment magique, ils étaient tous les deux là, immobiles, enracinés au sol, le regard fixe, la respiration un peu oppressée. La musique de la nature les imprégnait totalement, tout n’était plus que vibrations. Pendant quelques secondes, Le Dantec eut l’impression de ne plus être de chair mais une corde de violon qui vibrait doucement sous la caresse d’un archer invisible. Son cœur et sa respiration avaient pris, malgré lui, le rythme des ouïes de Ness.

    Puis soudain, le ciel se déchira, de lourdes gouttes s’écrasèrent sur l’eau, milliers de piqûres qui firent bouillonner la rivière, un véritable déluge s’abattit transformant le lieu en furie. Le bruit était assourdissant ! Surpris par tant de violence, Erwan et Rhésus sortirent de leur torpeur et se précipitèrent sous le rocher de la Naine pour se mettre à l’abri.

    Ness avait disparu…

    Tremblant, Rhésus s’était blotti entre les jambes de son maître. Le grondement de l’orage rebondissait sur la colline et se propageait sur le rocher comme dans une caisse de résonance.

    Le rythme de la nature avait maintenant changé, tout n’était plus que violence, les bourrasques de vent, la pluie diluvienne, la rivière gonflée par tous les ruisselets formés au gré du relief dévalait dans un bruit assourdissant.

    Nulle peur ne s’était immiscée dans le cœur de Le Dantec, un calme étrange l’avait envahi, il était comme hypnotisé par la magie du lieu, la furie environnante lui semblait très loin.

    Beaucoup d’histoires couraient sur ce rocher. Certains anciens prétendaient que les nuits de pleine lune une sorcière naine y comptait ses pièces d’or, d’autres affirmaient que c’était un lieu mythique où les druides venaient pratiquer des rites sacrés. Évidemment, Erwan ne croyait pas un mot de ces sornettes beaucoup trop éloignées de la réalité scientifique dans laquelle il avait évolué, mais il était là, dans un état étrange au milieu de la tourmente. Rhésus, rassuré par le contact de son maître et peut-être aussi un peu envoûté, avait cessé de trembler.

    Petit à petit, Erwan glissa dans une sorte de torpeur très agréable, ses bras et ses jambes puis tout son corps s’engourdirent insensiblement. Une étrange sensation le submergea, cela était agréable et étonnant. Alors, il se détendit complètement, à moitié ensommeillé, son chien blotti entre ses jambes, serein, comme protégé dans une bulle indestructible, l’orage paraissait loin malgré la proximité des grondements du tonnerre et la succession des éclairs.

    Soudain, une onde de picotements parcourut son corps de bas en haut et il perdit tous ses repères habituels. Immédiatement il paniqua, ne comprenant absolument pas ce qui lui arrivait, il essaya de reprendre le contrôle mais loin d’y parvenir, la sensation s’amplifia, augmentant son angoisse.

    Terrorisé par ce qui lui arrivait, Le Dantec essaya de bouger, mais son corps refusait obstinément de lui obéir, pourtant il était bien éveillé, il ressentait bien la chaude présence de son chien mais rien n’y faisait, il n’était plus maître de lui.

    En désespoir de cause, il se laissa totalement aller, exacerbé par les éléments déchaînés, son esprit enregistrant tout jusqu’au moindre détail. Les sensations devinrent de plus en plus étranges, il avait l’impression d’être granit, puis il lui sembla être projeté sous l’eau et là, au fond de l’anfractuosité formée par la roche, bien calée et protégée du courant violent, il aperçut « Ness » attendant tranquillement que le calme revienne.

    Erwan était là, vibrant à l’unisson avec le magnifique poisson, une sensation étrange de nager à contre-courant sans avoir besoin de respirer et sans aucune difficulté. Sensation extraordinaire, aucune angoisse ne l’étreignait. Brutalement, il eut l’impression de chuter pour se retrouver là, bien éveillé dans la même position qu’il avait quelques instants plus tôt. Rhésus avait redressé la tête, l’orage s’éloignait lentement.

    – Ness ne sera à ta portée que lorsque tu auras compris…

    Le Dantec sursauta, la voix semblait venir de Rhésus.

    – Mais qui parle ? lança Le Dantec

    – Qu’importe qui parle, ce lieu magique qui unit les forces de la terre et celles du cosmos ouvre la porte aux hommes purs.

    Abasourdi, Le Dantec insista.

    – Qui êtes-vous ? Et que dois-je comprendre ?

    – Ce que je suis est sans importance, seul ce que tu retiendras de cette première expérience est important.

    – Mais !

    Erwan regarda fébrilement autour de lui, mais il dut se rendre à l’évidence, il n’y avait absolument personne.

    L’orage était loin maintenant. Au fracas du tonnerre succéda le bruit de la rivière amplifié par la crue, l’eau s’écoulant des arbres donnait l’impression qu’il pleuvait encore. La nature resplendissait, lavée, arrosée, elle semblait avoir reçu un bain de jouvence, les oiseaux avaient repris leurs chants et tout donnait l’impression de renaître à une vie nouvelle.

    Rhésus s’était levé et s’étirait en baillant, insensible à l’étrange expérience que venait de vivre son maître. Précédé de son chien, Le Dantec rejoignit sa voiture, l’eau ruisselait sur son visage et ses vêtements. Il parcourut les quelques centaines de mètres qui le séparaient de sa Lada dans un état étrange, toutes sortes d’idées contradictoires lui traversaient l’esprit, mais la plus persistante était qu’il était atteint de schizophrénie fulgurante.

    Son esprit cartésien bien formaté par une dizaine d’années de faculté lui soufflait insidieusement qu’il s’était simplement endormi quelques secondes et avait fait un rêve étrange dû à son obsession de prendre Ness.

    Malgré tout, au fond de lui, une petite voix timide mais persistante lui répétait qu’il avait vraiment vécu cela…

    Chapitre 2

    Tout désir est engendré par un désir antérieur. La chaîne du désir est infinie. Elle est la vie même{2} !

    Le lendemain matin, Le Dantec s’éveilla, le corps moulu, il avait l’impression d’avoir dormi dans une machine à laver bloquée sur essorage.

    Rhésus s’ébroua près de lui et jappa pour sortir. Hirsute, mal réveillé, Erwan lui ouvrit machinalement puis, se dirigea vers la cuisine d’où parvenait une odeur de café et de pain grillé. Après avoir embrassé Maryvonne qui comme d’habitude s’activait autour du vieux fourneau à bois, il prit place face à un grand bol de café.

    Malgré l’insistance de Le Dantec pour moderniser la cuisine, Maryvonne n’avait jamais voulu que l’on y change quoi que ce soit. Dans l’entrée, un vieux lit clos inutilisé depuis des décennies qui aurait fait pâlir d’envie n’importe quel antiquaire servait de penderie pour manteaux, cirés et toutes sortes de défroques d’où émanait une odeur étrange de naphtaline et d’humidité. La vieille table de chêne sur laquelle le petit déjeuner était servi portait les stigmates de générations entières. Faite d’une pièce, Erwan essayait souvent d’imaginer quel arbre magnifique avait pu accoucher d’une telle merveille, quelles mains avaient réussi à la tailler, à la façonner ? Toute l’année, du feu ronronnait dans le fourneau en fonte, gardant toujours de l’eau et du café au chaud, Maryvonne pouvait y faire mijoter des petits plats pendant des heures et des heures, emplissant la maison entière d’odeurs merveilleuses qui auraient donné faim aux anorexiques les plus atteints.

    Mais ce matin, Le Dantec n’était pas enclin à méditer sur le charme du lieu. Encore sous le choc de l’expérience de la veille, il but machinalement son café et bouda le pain grillé.

    Après un long moment de silence, Maryvonne lui demanda :

    – T’as pris quelque chose hier soir ? J’aurais bien fait une truite aux amandes pour midi !

    – Non, l’orage m’a surpris, il a fallu que je me protège sous le rocher de la Naine.

    En disant cela, Erwan jeta un regard furtif vers Maryvonne pour observer une quelconque réaction car il n’était pas sans savoir que les anciens du pays ne parlaient pas volontiers de ce lieu qu’ils considéraient comme magique ou diabolique… En fonction…

    De fait, Maryvonne sursauta légèrement.

    – T’aurais pas dû !

    – Pourquoi dis-tu ça, tu sais bien que je ne crois pas à toutes les sornettes que vous racontez au sujet de ce rocher.

    – On raconte beaucoup de choses. Mais t’as tort de te moquer.

    – Mais qui est « on » ? Toujours on, on, on. Ça veut rien dire les « y paraît, faut qu’on. »

    Un long silence s’ensuivit. Pourtant, Le Dantec insista sur un ton légèrement ironique.

    – Alors raconte, que dit-on au juste sur ce si célèbre rocher ?

    – J’te dirai rien d’plus, j’aime pas le ton sur lequel tu parles de ça. T’as qu’à aller voir le père Mathieu, tu sais, le vieux rebouteux qu’habite au moulin de Kérankou. T’as pas intérêt à l’prendre à r’brousse poil sinon t’en tireras rien.

    – L’hôpital qui se fout de la charité !

    Maryvonne s’en retourna à ses fourneaux en maugréant et Erwan comprit qu’il n’était pas nécessaire d’insister. Tête de pioche, pensa-t-il, mais il se leva lui faire un rapide baiser dans le cou puis quitta la cuisine pour aller dans la salle de bain.

    En se rasant, Le Dantec pensa que finalement le conseil de Maryvonne était bon mais qu’il allait falloir jouer serré, le vieux n’était pas facile à manier et détestait le monde médical depuis qu’il avait eu quelques années plus tôt à subir un exercice illégal de la médecine. Procès qui avait été une immense mascarade ridiculisant une fois de plus le monde des médecines parallèles. Le Dantec quant à lui n’avait pas d’état d’âme par rapport à ce genre de soins, seule la médecine officielle, scientifique, avait droit de cité, point barre. Ceci étant, il n’était pas intervenu dans les problèmes de Mathieu et avait refusé de témoigner en sa défaveur sachant très bien que dans les campagnes, beaucoup de gens étaient très attachés à leur « rhabilleur ».

    Si on devait faire une description du père Mathieu, c’était maintenant un homme d’une soixantaine, plein de vie, sec, qui pratiquait encore de temps en temps le reboutage. Guérisseur à ses heures, les mauvaises langues disaient qu’il était un peu sorcier et qu’il connaissait beaucoup de secrets. A cette pensée, Le Dantec sourit en se demandant bien de quels secrets il pouvait s’agir, mais qu’importe, Mathieu aura certainement quelque chose à lui dire au sujet du rocher de la Naine et pourra peut-être l’aider à lui donner une explication rationnelle au sujet de la drôle d’expérience vécue la veille.

    En sortant de la maison familiale, le docteur fut submergé par les odeurs de la terre mouillée. L’orage de la soirée avait ravivé les couleurs de la nature, tout semblait nettoyé, énergisé. Malgré son côté cartésien, Le Dantec ressentait au fond de lui ces subtils changements. Quant à Rhésus, il ne se posait aucune question, le museau enfoui dans une taupinière, il grognait bruyamment en essayant de déloger l’animal qui avait probablement fui au plus profond de ses galeries.

    Un léger sifflement et Rhésus, la truffe pleine de terre, sauta dans la voiture, reprit sa position favorite et la Lada s’ébranla vers le cabinet médical.

    Après une matinée ennuyeuse et sans surprise, Le Dantec décida de bouder le repas préparé par Maryvonne pour rendre visite au père Mathieu.

    L’homme habitait dans un moulin délabré, vieille bâtisse enlacée dans un méandre de la rivière. Envahie par les ronces et les orties, seuls quelques pans de murs en granit gris apparaissaient. Plus haut, d’une cheminée branlante, s’échappait un filet de fumée signalant la présence de Mathieu.

    Le docteur traversa un bric-à-brac effrayant, mélange de vieux brocs en émail, de roues de bicyclette, de morceaux de grillage et toutes sortes d’objets hétéroclites enfouis dans la végétation qui menaçaient jusqu’à l’ouverture de la porte d’entrée. Ayant laissé Rhésus dans la voiture, Le Dantec frappa à la porte formée de deux battants, seul un loquet sur la partie supérieure permettait de tenir celle-ci fermée. Reniflant ses mollets, un corniaud venu de nulle part exprimait un mécontentement très net envers l’intrus par des grognements qui auraient fait mourir de rire une légion de pitbulls.

    – Mathieu ?… Mathieu ?

    N’ayant pas de réponse, Le Dantec entra. La pièce était terriblement sombre, il fallut quelques secondes au docteur pour s’habituer à l’obscurité. Seules les braises d’un feu exsangue rougeoyaient dans l’âtre d’une cheminée noircie par plus d’un siècle de feux. L’odeur âcre du lieu prenait à la gorge ; tabac, vin, graillon, saleté engendraient un mélange qui n’avait rien de la subtilité des parfums créés par les « Nez » des grands parfumeurs.

    Pour le père Mathieu, l’hygiène était manifestement un concept tout à fait ésotérique, le mot en lui-même ne faisait probablement pas partie de son vocabulaire, il laissait cela aux « gens de la ville », plus aptes à se laisser abuser par ce genre d’idées farfelues.

    C’était la seule et unique pièce habitée du moulin. Un lit, un vaisselier, une table et une vieille horloge constituaient le seul mobilier, cauchemar des huissiers de justice. Seule concession au modernisme, un évier ébréché était majestueusement surplombé d’un robinet en col-de-cygne tout inox ! Il servait probablement indistinctement à la vaisselle, et beaucoup plus rarement à une toilette succincte et hypothétique.

    Mathieu était là, silencieux, assis sur un tabouret de bois près de la cheminée, fumant une Gauloise maïs, insensible à la présence de Le Dantec et des grognements du chien. Celui-ci resta un moment à contempler ce tableau incroyable en ce début du vingt et unième siècle.

    – Salut toubib !

    – Bonjour Mathieu, comment sais-tu que c’est moi ?

    Le vieil homme ne répondit pas et montra de sa main fripée et jaunie par le tabac une chaise en face de lui.

    Le Dantec s’approcha et s’assit. Sans un mot, Mathieu prit la cafetière calée près du feu, puis deux verres, et les remplit aux trois quarts les complétant d’une bonne rasade de gnôle dont la provenance était probablement aussi mystérieuse que le bonhomme lui-même.

    Rompu au rituel, Le Dantec prit le verre avec plaisir en faisant abstraction de la coloration extrêmement douteuse de celui-ci et commença à boire avec un étrange plaisir. Il aimait particulièrement ces moments simples de partage où le silence est roi. Malgré le fossé qui les séparait, Erwan avait toujours été très respectueux du père Mathieu, archétype d’un monde révolu, retranché dans ses habitudes, ses gestes maintes et maintes fois répétés qui égrenaient mieux que n’importe quelle horloge tous les moments de la vie quotidienne. Il regardait cela avec un sentiment étrange mêlant le plaisir et la tendresse.

    Contre le granit chaud de la cheminée, un vieux chat ronronnait bruyamment, couvrant presque le tic-tac de la vieille horloge à balancier. La dernière goutte avalée, le père Mathieu posa son verre couvert de tanin.

    – Alors, qu’est-ce qui t’amène mon gars ?

    Erwan savait qu’il était inutile de tourner autour du pot, le vieux était trop malin et avait trop vécu pour s’embarrasser de paroles inutiles.

    – Le rocher de la Naine ! Tu sais bien qu’on raconte beaucoup de choses à son propos et probablement beaucoup de bêtises.

    – Tu t’intéresses à ça maintenant ?

    – Et pourquoi pas, tu sais bien que tout ce qui a trait aux légendes m’intéresse.

    – Laisse tomber, ce ne sont que potins de villages, des histoires sans fondement de naines et de trésors, issues de l’imaginaire fertile des Bretons.

    – Ce n’est pas ce que je te demande ! Que sais-tu, toi, Mathieu en dehors des contes ?

    – Pourquoi penses-tu que je puisse en savoir plus ?

    – Je ne sais pas, une forme d’intuition.

    – Eh bien tu te trompes, je ne sais rien de rien, en tout cas rien qui pourrait t’intéresser.

    – Oh, oh ! Tu en as trop dit ou pas assez !

    Mathieu toussota, prit une profonde inspiration et lui dit de sa voix rocailleuse si caractéristique.

    – Tu ne pourrais pas comprendre, t’as trop été à l’école, ça t’a déformé le cerveau.

    Habitué aux sarcasmes de Mathieu, Erwan sourit et insista.

    – Dis toujours, et laisse-moi juger si je peux comprendre ou pas.

    Un long silence s’ensuivit, Mathieu alluma lentement une cigarette, sembla réfléchir puis, se mit à parler doucement.

    – De toute manière, les temps vont changer, des bouleversements dont le monde n’a même pas idée vont se produire, alors tout ça n’a plus grande importance, que tu y comprennes quelque chose ou non m’est bien égal.

    Mathieu marqua une pause comme pour chercher ses mots, le docteur se garda bien d’intervenir, car même s’il se méfiait énormément des élucubrations de Mathieu, il n’en restait pas moins qu’il était très intrigué par cette entrée en matière.

    Mathieu revint à la charge.

    – Pourquoi veux-tu savoir ?

    Alors, après une courte hésitation et au risque de passer pour un demeuré, Erwan lui raconta son aventure pendant l’orage. Mathieu réagit instantanément.

    – T’as fait une extériorisation !

    – Une quoi ?

    – Une extériorisation… tu es sorti de ton corps.

    – N’importe quoi !

    – Tu vois que tu es incapable de comprendre, au premier mot que tu ne comprends pas, tu deviens insultant.

    Le Dantec comprit aussitôt qu’il avait fait une erreur, il ne laissa pas le silence s’installer plus longtemps et insista.

    – Excuse-moi, je ne voulais pas te blesser, mais tout ceci est très nouveau pour moi et j’hésite à aller voir un collègue psychiatre. Mathieu sourit malicieusement et reprit.

    – Tes collègues psychiatres mettraient vite une étiquette sur ton expérience, du style schizophrénie ou je ne sais quoi, j’ai lu tellement d’idioties sur ce sujet.

    – Comment connais-tu des mots pareils et d’où tu sors tes connaissances et où as-tu lu cela ?

    – Ho, ho, que de questions ! Ma vie n’a pas été toujours celle que tu crois !

    Bizarrement, la conversation prenait un tour que n’attendait pas le docteur, il était très intrigué par l’incroyable disproportion qu’il y avait entre le lieu et l’homme qu’il avait en face de lui. Un homme sans âge qu’il ne connaissait manifestement pas et qui s’exprimait parfaitement bien.

    – Je ne demande qu’à comprendre.

    – Le problème avec des gars comme toi, c’est que vous avez été tellement manipulés pendant vos études que vous avez développé un énorme cerveau gauche pour un cerveau droit étriqué, inutilisable. En fait, vous êtes handicapés du mental, avec en plus, un ego surdimensionné.

    – Dis donc, tu ne crois pas que tu es un peu dur avec moi.

    – Oh ! Ce n’est pas avec toi que je suis dur, c’est avec un système qui crée des gens comme toi. As-tu seulement remis en question un seul des dogmes que tu as appris à la faculté ?

    – Mais de quoi parles-tu ?

    – De rien, laisse tomber ! Tu veux en savoir plus sur ton « expérience » comme tu dis ?

    – Bien sûr.

    Le bip du docteur se mit à sonner dans sa poche interrompant la conversation.

    – Excuse-moi Mathieu, il faut malheureusement que j’y aille, mes patients m’attendent. Je reviendrai plus tard si tu veux bien !

    – Va mon petit, tâche d’ouvrir un Velux dans ta tête et à bientôt.

    – Merci pour le café, à très bientôt.

    Erwan sortit du moulin avec le chien sur ses talons. Il rentra machinalement dans sa voiture, Rhésus daignant juste lever la tête pour accueillir son maître. Sur le chemin du cabinet, Le Dantec s’avoua avoir été très intrigué par Mathieu qui lui était apparu sous un jour très nouveau et il se promit de retourner le voir le plus rapidement possible. Qui était réellement ce bonhomme ? Quel âge avait-il vraiment ? D’où venait-il ? Que savait-il exactement ? Que pouvait-il lui apprendre sur sa drôle d’expérience ? Qu’avait-il voulu dire à propos de l’avenir ? Tant de questions sans réponse…

    Chapitre 3

    La perception du monde par l’intermédiaire de vos sens est si grossière qu’elle vous empêche d’appréhender l’univers et les différents mondes qui le composent.

    Une épidémie de gastro-entérite occupa Le Dantec pendant les dix jours qui suivirent. Mais il devait reconnaître que son aventure l’avait profondément marqué.

    Alors, dans les quelques moments de liberté que lui laissait son travail, il allait dans la librairie ésotérique de la ville voisine à l’affût du livre qui pourrait lui donner quelques débuts d’explications sur les états de conscience altérés. Le libraire qui se targuait d’être un authentique druide, l’amusait beaucoup. Il faut dire qu’il avait toute la panoplie : Triskel autour du cou, queue-de-cheval, bagues magiques, baguette de cristal et j’en passe, mais il était très chaleureux et aidait le toubib dans ses recherches avec un rien de compassion et un zeste de suffisance devant ce pauvre homme perdu dans un monde à des années-lumière de sa propre réalité. Malgré tout, il le conseilla au mieux en fonction de son degré de capacité à comprendre sans trop le perturber dans son « savoir. »

    Le Dantec lui en était reconnaissant et sympathisa rapidement avec cet homme hors du commun. Il est vrai qu’il avait toujours aimé naturellement les hommes ou femmes qui sortaient de l’ordinaire et bousculaient un peu l’ordre établi.

    Puis, il comprit enfin ce que voulait vraiment dire « surfer sur Internet » lorsqu’il se perdit à travers les méandres du web pour tenter de récolter d’autres informations, et même si son forfait s’évaporait au fil des heures, le nombre incroyable de sites qu’il découvrit le sidéra. On y trouvait de tout, les théories les plus ésotériques et celles plus proches de sa propre sensibilité.

    Un site l’intéressa plus particulièrement, un neuropsychiatre suisse venait de faire une découverte très étrange sur une zone du cerveau droit située entre le lobe frontal et le lobe temporal. En effet, il prétendait que l’excitation de cette zone pouvait entraîner dans certaines conditions une projection de l’individu hors de son corps. Les personnes qui avaient accepté de faire l’expérience racontaient des choses étranges comme le fait de se voir au-dessus de leur corps, de passer « énergétiquement » dans une pièce éloignée de celle de l’expérimentation et de rapporter après le réveil exactement ce qu’ils y ont vu et entendu. Ce type d’expériences avait été fait suffisamment de fois pour éliminer toutes supercheries d’autant plus que ce psychiatre passait pour une pointure et risquait de perdre toute sa notoriété s’il s’avérait que les résultats aient été falsifiés.

    Un tel discours touchait Le Dantec beaucoup plus que ce qu’il considérait comme des élucubrations. Peut-être qu’une explication sensée sera donnée sur ce phénomène dans les années à venir. Voyages astraux, extériorisations, 4e dimension et j’en passe, le faisaient bien rigoler. Il avait appris à la faculté et les ouvrages de psychiatrie lui confirmèrent sans aucun doute possible que tout n’était que biochimie et que nos émotions naissaient d’une salade entre la génétique, la psycho-généalogie, les expériences pré et postnatales, enfin rien qui ne traite d’une hypothétique âme, esprit ou il ne savait quoi.

    Le surmenage expliquait très bien l’expérience qu’il avait vécue et basta… Probablement un passage à vide avec perte de conscience et hallucination. Les choses rentraient dans l’ordre. Maryvonne préparait de merveilleux petits plats, l’été pointait son nez et les patients étaient raisonnablement chiants… Et puis, les belles mouchetées n’attendaient que son bon vouloir.

    Évidemment, « Ness » le hantait toujours, il fallait absolument qu’il accroche ce monstre à son palmarès avant qu’un autre pêcheur ne le repère et l’attrape avec une autre technique, moins noble mais certainement plus efficace dans ce cas de figure. Ce serait l’apothéose de sa carrière de moucheur.

    Ce vendredi, un très léger vent du nord s’était levé et avait passablement refroidi l’atmosphère. La canne à mouche était bien au chaud dans son fourreau, mais malgré le vieil adage « vent du nord, rien ne mord », Le Dantec savait depuis bien longtemps que personne ne peut présumer de l’humeur des truites. Alors il n’hésita pas longtemps, le cabinet s’étant vidé, il se leva et fit un signe à Rhésus, « Ness » n’avait qu’à bien se tenir.

    La Lada les amena sans encombre au bord de l’eau et le rituel commença. D’abord le wader puis le gilet de pêche, enfin il sortit religieusement la 8 pieds de son écrin, y fixa son moulinet manuel contenant la soie DT 5 F, des noms bien barbares pour un néophyte mais qui prenaient toute leur valeur pour un initié, une seule erreur entre le poids de la soie et la puissance de la canne rendrait la pêche impraticable avec lancés imprécis et posés approximatifs. Puis, il choisit une queue-de-rat neuve sur laquelle il fixa un joli sedge marron, imitation parfaite d’une phrygane.

    Rhésus en avait profité pour prendre possession du lieu, il était en arrêt devant un terrier de lapin, la truffe tendue vers le trou, le corps raide, la patte gauche relevée, son corps tremblant d’excitation.

    Insensible aux problèmes métaphysiques de son chien, Le Dantec descendit lentement vers la rivière et s’assit au bord de l’eau pour observer. L’alchimie de la nature avait un effet presque instantané sur lui. Depuis longtemps, il avait compris qu’il ne fallait pas la violer, mais au contraire s’en imprégner, entrer en elle pour s’y fondre, ne pas déranger, être dans l’accueil. Lui-même avait souvent l’impression d’être observé… Étrange sensation ! Mais il l’acceptait sans chercher à comprendre.

    Le léger vent du nord bruissait dans les arbres ; aujourd’hui, ni bergeronnettes ni martinets. Mauvais signe ! Il avait beau scruter la surface de l’eau, aucun insecte ne défilait, aucun remous suspect, aucun gobage.

    La seule solution pour sauver la pêche consistait à monter une nymphe plombée à la place du sedge dans l’espoir de débusquer les truites au fond de l’eau.

    Ce type de pêche était nettement plus difficile que celle à la mouche sèche car elle réclamait beaucoup plus d’observation, de réflexe et d’intuition, mais elle réservait aussi de nombreuses surprises.

    Erwan entra alors tout doucement dans l’eau en essayant de ne pas faire rouler les pierres sous ses pieds, les truites étant très sensibles aux vibrations transmises par le sol. Il se dirigea ostensiblement vers l’amont et la soie commença à siffler dans l’air. Rhésus, qui avait fini par abandonner son lapin, s’était assis au bord de l’eau et regardait son maître avancer tranquillement. La soie formait des arabesques, la canne répondant instantanément aux sollicitations du poignet d’Erwan, il explorait systématiquement tous les postes susceptibles d’abriter un poisson, posait délicatement l’imitation qui coulait immédiatement au fond de l’eau. De la main gauche, un mouvement saccadé et régulier lui permettait de récupérer la soie tout en donnant vie à sa nymphe.

    Rhésus était finalement reparti vaquer à ses propres occupations, toujours aux aguets, à l’affût du moindre bruit ou de la plus petite odeur. Il suivait des traces qui n’aboutissaient nulle part, revenait, furetait et repartait sur une autre piste elle-même coupée par une nouvelle. Une véritable toile d’araignée de fils invisibles et inextricables. Le pêcheur, quant à lui, était totalement concentré, prêt à ferrer au moindre mouvement ou arrêt suspect de la soie. Là, derrière cette racine, où plutôt là, devant ce rocher, le courant se déchire en deux parties créant une zone de calme ou alors plus loin en queue de gravière. Rien n’y faisait, la rivière paraissait soudain totalement stérile, vide de toute vie…

    Même s’il savait qu’il était inutile de s’acharner, Le Dantec ne résista pas à se diriger vers le rocher de la Naine pour tenter de voir « Ness ». Malheureusement, comme toutes les autres truites, elle avait abandonné son poste favori pour une cachette plus sûre.

    Dépité, Erwan décida de rentrer, il siffla légèrement entre ses dents pour appeler Rhésus tout en regardant le célèbre rocher. Il avait la forme d’un bateau retourné formant une arche naturelle ouverte d’un côté, fermée de l’autre. Le granit était magnifique et il se fit la réflexion qu’il n’y avait jamais remarqué de stigmates provenant des anciens tailleurs de pierres ; pourtant, presque tous les gros rochers de la région avaient été plus ou moins fendus pour récupérer les blocs nécessaires à la construction de l’abbaye cistercienne de Koad Mallouen dont on pouvait admirer les ruines non loin d’ici. Bizarre… Aurait-elle une anomalie qui la rendait impropre à son utilisation ? Probable… De toute manière, n’étant ni géologue ni archéologue, le docteur stoppa net toute nouvelle élucubration.

    Rhésus en avait profité pour s’allonger

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1