Actéon ou l'amant fabuleux
Par Helios Radresa
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Aperçu du livre
Actéon ou l'amant fabuleux - Helios Radresa
Actéon ou l’amant fabuleux
Helios Radresa
Actéon ou l’amant fabuleux
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2016
ISBN : 978-2-312-04837-6
« Ainsi mes pensées poursuivant une proie sublime se retournent contre moi et me donnent la mort de leurs sauvages morsures cruelles ».
Giordano Bruno
La belle romaine
J’aime lire et écrire dans les bibliothèques qu’elles soient publiques ou pas. Ce sont les vacances d’été. La bibliothèque est en partie désertée par les étudiants qui la fréquentent habituellement. Pendant toute une partie de l’année le lieu est détourné de son usage. Les adolescents y trouvent un espace loin de la surveillance parentale où ils se livrent à toutes sortes d’activités propres à leur âge et dont l’alibi est « je travaille à la bibliothèque ». Les personnes plus âgées chassées en temps ordinaire de ce lieu de recherche et d’étude reviennent timidement consulter les livres. Elles se sentent comme de toutes petites lumières dans les ténèbres malgré la trêve estivale.
J’ouvre le livre qui se trouve devant moi sur la table et qui vient du fond d’une réserve. Je l’ouvre avec précaution parce qu’il est ancien. Sur un calepin que je tire de ma poche, je note les dates de naissance et de mort de Bruno. Une fois de plus par acquis de conscience. Rapidement je parcours des yeux les pages consacrées à sa biographie. Je résume : sa naissance dans une province du Royaume de Naples, son entrée au monastère de Saint-Dominique qui a une excellente réputation si on se souvient de ce jeu de mot « Domini Cane », puis son froc jeté aux quatre vents de l’aventure sa vie errante de poète et de philosophe dans cette Europe de la seconde moitié du quinzième siècle dévorée par les querelles de religions. Je contemple le portrait de Bruno comme celui d’une innocence perdue. Bruno, c’est le surnom dont m’avait affublé Marina C. un soir dans son jardin parfumé au pied de la Villa Borghèse, via Margutta.
Je passais souvent mes soirées à Rome dans le jardin de Marina. Allongés sur des transats, elle bavardait et moi je me contentais d’écouter en regardant la ville que le ciel transcendait. Au loin j’apercevais le haut de la coupole de Michel-Ange qui coiffe la Basilique Saint-Pierre aussi parfaite que le sein d’une belle romaine. C’était un été comme celui-ci. Parfois un peu lasse elle ralentissait son débit. C’était toute la vie mondaine de Rome qui m’était contée à mi-voix comme si chaque mot devait être choisi avec un soin infini et gourmand dans une langue française apprise, qu’elle pratiquait avec plaisir. Souvent las de regarder l’espace infini au-dessus de Saint-Pierre je me laissais choir à ses pieds en posant ma tête sur ses genoux et ne pensant plus qu’au moment qui me livrerait l’entrée de sa chambre.
Ce voyage à Rome est déjà loin dans ma vie. J’étais parti pour le compte d’un institut de recherche étudier le mouvement de la population italienne après la mise en application des règlements de libre circulation. Je ne devais séjourner que deux semaines et je n’avais pris qu’une petite valise, quelques lettres de recommandations, et mon blazer bleu marine que je ne devais jamais porter à cause de la chaleur et même oublier je ne sais où. Une simple cravate avait suffi. Le train arriva de nuit. Il était en retard de plusieurs heures et l’on ne m’avait pas attendu à la stazione Roma-Termini.
J’eus du mal à trouver un taxi. Je tendis au conducteur le bristol sur lequel Marina avait écrit son adresse et qui ne comportait pas de numéro de téléphone. À son sourire je pensais que ma mère m’avait envoyé là où il fallait que je sois dans cette ville. Marina était une amie de ma mère, une femme de sa génération, elle s’était proposée de me trouver un hébergement à Rome pour la durée de mon séjour. Le taxi traversa la Piazza di Spagna que je connaissais par des cartes postales et finalement s’immobilisa via Margutta. La rue était faiblement éclairée. Je distinguais de nombreux immeubles bas datant sans doute de la Renaissance italienne dont certains comportaient au rez de chaussé des boutiques d’antiquités dans lesquelles on devinait un bric à broc de meubles et de bibelots. Plus tard j’allais apprendre que de nombreuses personnalités du monde des arts et des lettres habitaient ou avaient habité cette rue comme Federico Fellini, Giuletta Masina, Anna Magnani mais également Nicolas Poussin, ou Pierre Paul Rubens. Pour l’heure je réglais le chauffeur et longeais un mur ocre à la recherche d’une porte d’entrée. Un portail de trois à quatre mètres de haut se trouvait à quelques pas. Sur l’un des deux battants je découvris une ouverture plus petite. Un heurtoir y était fixé à hauteur d’homme. Je frappais de toute mes forces. Le bruit résonna dans la rue sans que personne ne s’émeuve, d’ailleurs personne ne vint m’ouvrir. Je recommençais à plusieurs reprises sans résultat.
Perplexe et ne sachant pas si je devais aller chercher un hôtel ouvert je demeurais encore un instant debout près du portail. Peu de temps après je fus récompensé de ma patience. Un couple s’approcha de la porte, sorti une clef et l’ouvrit. Je me faufilais à l’intérieur mais au lieu de me trouver dans un vestibule, je découvris derrière la porte une sorte de colline couverte d’une végétation exubérante d’où se détachaient lumineuses et irréelles de petites maisons comme de poupées. À différents endroits il y avait des escaliers qui grimpaient parmi les arbres et les fleurs. Je me mis à errer à la recherche de la maison de Marina. Après plusieurs volées d’escaliers traversées d’un pas hésitant j’entrais au hasard dans l’une des maisonnettes dont la porte fenêtre qui donnait sur l’extérieur était grande ouverte. Toutes les lampes semblaient avoir été allumées mais je n’y voyais personne. Je posais ma valise à l’entrée et je me mis à chercher quelqu’un susceptible de m’indiquer mon chemin.
En explorant la pièce dans laquelle j’étais entré, je remarquais un sol carrelé dans une teinte rosâtre qui par endroit était