Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les Armes Silencieuses 2071
Les Armes Silencieuses 2071
Les Armes Silencieuses 2071
Livre électronique351 pages5 heures

Les Armes Silencieuses 2071

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Quand, en 2071, une navette de transport se crashe hors des zones sous contrôle du gouvernement, le pilote survit. Cet accident va lui donner l’opportunité d’en apprendre plus sur la façon dont les grandes crises des années 2020 ont été gérées… sur les illusions dans lesquelles on maintient la population.
Ça n’est pas vraiment de la science-fiction. On connaît déjà l’influence considérable des réseaux. Les neurosciences et l’intelligence artificielle sont largement employées et étudiées par les publicitaires comme par les conseillers en communications. On sait manipuler un homme, un groupe ou une foule. Mais pour être efficace il faut des moyens considérables, la capacité d’adapter ces méthodes à chaque individu et une éthique pas trop contraignante…
Les techniques existent déjà, les moyens évoluent rapidement. Ça se passe sous nos yeux…
LangueFrançais
Date de sortie19 nov. 2020
ISBN9782312078731
Les Armes Silencieuses 2071

Auteurs associés

Lié à Les Armes Silencieuses 2071

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les Armes Silencieuses 2071

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les Armes Silencieuses 2071 - Philippe D. Roger

    cover.jpg

    Les Armes Silencieuses 2071

    Philippe D. Roger

    Les Armes Silencieuses 2071

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Autres œuvres du même auteur :

    – La Soulimoune et autres histoires du paradis

    – 2017, l’illusion démocratique

    – La Prophétie d’Aïzan

    www.Soulimoune.fr

    © Les Éditions du Net, 2020

    ISBN : 978-2-312-07873-1

    1 – Le réveil

    Je reprenais conscience dans un local sombre. Ma tête me faisait mal, tout mon corps était douloureux et engourdi. Mon esprit était confus. J’avais une sensation de ne reprendre possession de mon être que difficilement et lentement. Rien de ce que mes yeux parvenaient à distinguer ne me semblait familier. J’étais allongé sur le dos, et la seule source de lumière apparente semblait être ce trait lumineux, un peu en hauteur plus loin que mes pieds…

    Je restai un long moment immobile, le temps que mon cerveau se remette à mouliner à peu près normalement. Je m’efforçais de maintenir mes yeux ouverts de plus en plus longuement. Et ils étaient attirés par la barre lumineuse sur ma droite, au bout de ce qui semblait être ma couche. Avec le temps je percevais qu’elle était irrégulière, fine à un bout et plus large à l’autre, une espèce de triangle étiré. Puis m’est venue l’impression que la lumière qui en émanait devait être celle du jour. Et je comprenais finalement que cette barre était bien l’interstice d’un volet grossier qui fermait mal et qui laissait passer la lumière du jour…

    Il n’y avait pas de construction aussi approximative dans les Zones Urbaines… Mon corps s’était crispé avant même que l’idée ne se formalise clairement dans mon esprit… J’étais chez les Parias.

    Cette découverte m’avait fait l’effet d’un électrochoc et mon cerveau encore vasouillard jusque-là s’était brusquement animé, passant d’un état léthargique à celui de panique. Il fallait que je me sauve, que je me lève et que je me tire d’ici pour rejoindre une zone de sécurité. J’esquissai un mouvement pour me relever, mais je ressentis une vive douleur à l’épaule gauche. En y portant la main droite, je m’aperçus qu’elle était solidement bandée. J’essayai de bouger mes jambes, mais là aussi, ma jambe gauche se signala par une souffrance intense un peu au-dessus de la cheville. Ma tête semblait prise dans un étau. Je n’étais pas en état de courir la campagne et encore moins de me défendre. Je me reposai sur ma couche en reprenant ma respiration et c’est là que les souvenirs se mirent à affluer. La navette, le crash…

    * * *

    Je suis conducteur de navette. Enfant j’étais fasciné par ces vaisseaux qui passaient dans un souffle au-dessus de chez nous. Elles étaient spectaculaires, belles, majestueuses et représentaient une sorte d’évasion par le fait qu’elles sont destinées à relier les Zones Urbaines entre elles. La réalité est évidemment moins poétique. Pendant les premières années, il m’arrivait souvent d’être chargé de délivrer personnellement des messages ou des colis privés, et cela m’a permis de visiter un peu les autres Zones, mais la plupart du temps, je ne fais que des sauts d’aéroport en aéroport… Ce qui n’est pas très excitant. Ce service de messagerie est d’ailleurs notre véritable raison d’être parce que les navettes sont entièrement automatisées, ce qui réduit pratiquement notre rôle à de la surveillance pendant le vol. Bien sûr, tous les ans nous faisons des stages en simulateur, de façon à rester capable de reprendre la main sur la machine et de la faire atterrir à l’aide des commandes de vols, mais dans la pratique, peu d’entre nous ont eu à utiliser réellement ces commandes. Ces navettes sont très fiables. D’ailleurs les navettes affectées, celles qui vont d’un fournisseur unique à un client ou une filiale en ne transportant qu’une sorte de produit, sont la plupart du temps totalement automatiques.

    Au départ d’une escale, je me livre à une rapide inspection visuelle et réglementaire de l’extérieur de la carlingue. Toutes les navettes se ressemblent, elles ont la forme d’un gros boudin, aplati en dessous et profilé aux extrémités. À l’arrière elles sont munies d’un système d’ailerons stabilisateurs. Celles que je pilote sont des NVG800, à deux dérives verticales qui supportent les moteurs propulseurs, reliées à leur sommet par un aileron horizontal orientable, et sur les côtés deux autres ailerons fixes. Les moteurs magnéto-sustentateurs sont intégrés à la carlingue et ne sont donc visibles que par-dessous, ou plus rarement par-dessus ! Ces navettes ne servent qu’au transport de marchandises. Les êtres humains voyagent le plus souvent par jet. Aussi il n’y a pas de hublot. Seulement la bulle transparente du cockpit à l’avant.

    Au moment de décoller, c’est l’intendant qui m’apporte la valise. Le plus souvent une mallette qui contient sur une clef les éléments du plan de vol initial, les documents concernant la marchandise, les codes déverrouillant les containers, et quelques courriers matérialisés importants et confidentiels qui seront pris en charge directement par l’intendant du port d’arrivée.

    Pénétrer dans une navette est facile parce qu’elle repose sur quatre vérins qui, sur des surfaces plates comme le tarmac d’un aéroport, mettent la carlingue à ras de terre. On y monte donc par quelques marches intégrées à la porte de soute avant. Et on accède au cockpit par l’intérieur.

    Le cockpit ne comprend que 5 sièges : un pour le pilote, en avant au milieu, deux sur les côtés en retrait et deux au fond, adossés à la soute. La plupart du temps les quatre sièges passagers sont inoccupés, mais il arrive que pour diverses raisons de services des membres de la compagnie ou des officiels occupent les autres sièges.

    Ce jour-là, j’avais un passager, un autre pilote, plus jeune, qui se prénommait Julian. Il avait été chargé de délivrer un colis dans la Zone Urbaine Bordelaise, et revenait avec moi comme simple passager. Je le connaissais un peu. C’était un gars de ma taille aux cheveux bruns soigneusement coiffés, mince, et au visage étroit. C’était le genre de type qui ironisait sur tout, avec toujours un peu de condescendance dans la voix et dans l’attitude, comme s’il était un peu au-dessus des contingences ordinaires. J’y voyais plutôt un manque de maturité et ne me sentais pas vraiment d’affinité avec lui, mais c’était un passager… Il avait juste la même combinaison que moi, argentée, avec une bande rouge verticale de chaque côté, de l’épaule à la cheville. Il avait pris place sur le siège à ma droite et enfilé ses écouteurs.

    La procédure de démarrage est simple. Le pilote met la main gauche sur l’identificateur biométrique, puis frappe le code de la machine sur un clavier. Ce mécanisme déverrouille le contrôle de la navette. Puis le pilote doit afficher la destination. La plupart du temps, il ne s’agit que d’une simple validation parce que nos navettes font le plus souvent des allers-retours entre deux points et la machine affiche par défaut le point de départ du vol précédent. Et puis l’écran central affiche successivement, le check-up météo sur le trajet, le plan de vol, et le check-up technique, qui comprend la vérification de la charge énergétique, le contrôle des capteurs, et des moteurs, la fermeture des portes de soute et le verrouillage de la cargaison, la déconnexion de toutes les liaisons mécaniques établies avec le sol pendant l’escale… Le pilote valide successivement chacune de ces phases, et l’appareil envoie alors une demande d’autorisation de décollage au contrôle de l’aéroport.

    Dès que l’autorisation est donnée, le bouton de validation passe au vert, et le pilote peut lancer le décollage.

    La machine se soulève alors sur ses vérins pour permettre un meilleur fonctionnement des moteurs de sustentation. La navette décolle, s’oriente face au vent s’il y a lieu pour permettre au moteur propulseur de compenser celui-ci. En effet la plupart des aéroports n’autorisent que le décollage vertical des navettes, le déplacement horizontal n’étant autorisé qu’à partir d’un certain seuil qui peut différer d’un aéroport à l’autre mais que la machine connaît.

    La navette rentre alors ses vérins et à partir de ce moment-là, le rôle du pilote se limite à quelques contrôles et exceptionnellement une intervention technique. Nous avons une formation assez poussée de ce point de vue.

    Julian m’avait proposé une partie de Fodus, un jeu holographique, mais, je ne goûte pas vraiment ces amusements. J’ai de la lecture… Il pouvait faire passer le son de son jeu sur son casque de navigation et ainsi m’épargner les cris et les couinements de ce genre de divertissement.

    Les navettes ne sont pas très rapides : un peu plus de 100 km/h. Les marchandises ne doivent pas être malmenées et la priorité est donnée à l’économie. À ces vitesses-là, elles n’ont pas besoin d’aller chercher l’air allégé des couches hautes de l’atmosphère et restent le plus souvent entre cinq cents et mille cinq cents pieds. Seule une couche nuageuse très basse ou des conditions météo particulières les poussent un peu au-dessus.

    Peu avant de sortir d’une Zone Urbaine, deux petites barrettes lumineuses s’allument en bleu clair de chaque côté de l’écran de contrôle, et un indicatif sonore se fait entendre. C’est le signal pour le pilote. On lui conseille alors de vérifier les paramètres de vol et leur évolution. Si une anomalie apparaît, il est préférable d’envisager un atterrissage d’urgence dans la Zone que dans le no man’s land de l’interzone. On survole à ce moment-là le plus souvent de vastes décharges et quelques sites industriels qui sont implantées en limites des Zones Urbaines.

    Et en franchissant la frontière, les barrettes passent au jaune, et resteront ainsi jusqu’à ce qu’on pénètre dans une autre Zone.

    J’aime bien survoler l’interzone. C’est sauvage, plein de végétation. De jour, on aperçoit parfois un village de Parias, une rivière, des animaux… Les Parias n’ont pas de grands troupeaux ni de grandes surfaces cultivées, mais c’est curieux, j’ai beau savoir que ce milieu est hostile, il a toujours exercé sur moi une sorte de fascination.

    Cette fois, la nuit est tombée peu après que nous sommes sortis de la Zone. Il n’y avait pas grand-chose à voir, si ce n’est quelques faibles lueurs de l’habitat des Parias et le relief reconstitué sur l’écran grâce aux radars de la navette. Je m’étais plongé dans ma lecture…

    Après environ trois heures de navigation, une alarme retentissante m’a brusquement sorti de ma concentration. Un voyant carré orange était allumé, son information se répétait en clignotant sur l’écran : « défaut de la source d’énergie ». Je restai un moment interdit. Le niveau d’énergie avait été validé au décollage, et la consommation vérifiée à la sortie de la zone était tout à fait normale. C’était juste impossible. Je ne me suis pas longtemps perdu en conjectures. Nous avons ressenti une brusque secousse et la navette avait pris une inclinaison vers l’avant gauche, symptôme de la déficience d’un des magnéto-sustentateurs. Et plusieurs alarmes se sont mises à hurler pendant que le tableau de bord s’animait et que l’écran était envahi de messages… C’était critique. Nous étions loin des Zones Urbaines, et il y avait un problème majeur. Mais l’urgence était de stabiliser la navette. J’ai débloqué la manette « pilotage manuel ». Mais le couvercle qui devait dégager les commandes manuelles ne s’ouvrait pas. Certains de mes collègues m’avaient raconté que parfois, l’appareil oubliait qui était son pilote et qu’il fallait se réidentifier pour avoir accès aux commandes. Je posai ma main sur l’identificateur biométrique et tapai frénétiquement le code de la machine. Mais rien n’y faisait. Je me suis alors tourné vers Julian. Lui aussi était pilote, peut-être la machine accepterait-elle son identité à lui. Au milieu du vacarme des alarmes je lui hurlais de venir. Mais Julian était tétanisé, figé dans son fauteuil, les yeux écarquillés, le visage bigarré par les éclats lumineux des voyants des alarmes. Ses yeux m’ont fixé un instant, je tâchais de lui agripper la main malgré les secousses de plus en plus fortes, il avait réagi, mais il était engoncé dans son harnais de sécurité et n’en trouvait plus le déverrouillage. J’ai compris que nous allions nous cracher mais que je n’avais pas mis mon propre harnais. Trop tard ! La navette a touché une première fois le sol en me projetant au plafond du cockpit, et je suis retombé durement sur le tableau de bord. Puis au deuxième contact, elle a dû heurter un relief, parce que l’arrière s’est soulevé et elle a entamé un mouvement de bascule cul par-dessus tête. Et alors qu’elle se retournait, la verrière du cockpit est rentrée en contact avec une grosse roche. De ma place j’avais juste vu la roche fracasser la verrière et pénétrer dans le cockpit et je suis allé m’écraser dessus la heurtant de l’épaule. La navette a poursuivi sa bascule et sa course en allant s’écraser au-delà du rocher. Moi j’ai glissé du rocher dans une espèce de faille.

    Le vacarme s’est tu. J’étais meurtri mais restais conscient. J’ai essayé de me hisser à l’extérieur de l’anfractuosité rocheuse dans laquelle j’étais tombé. Mais j’avais un bras et une épaule qui ne répondaient plus. Et puis il y a eu une forte explosion. Une lueur aveuglante est passée par-dessus le rocher qui me séparait de la navette, des projectiles de toutes sortes ont percuté le sol et les roches aux alentours, et un souffle m’a balayé et repoussé au fond de mon trou. J’ai perdu connaissance…

    * * *

    Je m’étais réveillé ici. Dans cette cellule sombre. Qui sentait une odeur forte et indéfinissable. Il n’y avait qu’une explication. J’avais été récupéré par les Parias, et ils avaient fait de moi leur prisonnier. Et ça n’était pas le plus rassurant. Ces gens qui vivaient en dehors de toute civilisation étaient réputés peu accueillants, certains avaient des mœurs féroces. Il se disait qu’ils torturaient leurs prisonniers par jeu, et même qu’ils les battaient à mort pour attendrir leur viande avant de les manger ! Je n’avais jamais accordé beaucoup de crédit à ces légendes mais maintenant que j’y étais confronté, j’avais peur. Et puis une chose était certaine, c’est qu’ils vivaient sans aucune hygiène, et que chez eux circulaient de nombreuses maladies éradiquées chez nous. Les gens qui revenaient de chez les Parias étaient rares.

    Mes yeux maintenant habitués à l’obscurité distinguaient les contours de la pièce dans laquelle j’étais. Contrairement à l’idée que je me faisais d’un cachot, elle était assez encombrée. C’était un local d’environ trois mètres sur cinq. J’étais allongé sur une couche, qui devait être à près d’un mètre du sol, le haut du corps légèrement relevé. À ma droite il y avait une paroi, apparemment de bois, qui se prolongeait au-delà de mes pieds sur deux à trois mètres. Il y avait des meubles bas et au-dessus, la fenêtre avec le volet qui fermait mal. Sur le mur d’en face, qui lui semblait être de maçonnerie, il y avait une porte en bois. et de chaque côté des rayonnages avec des boîtes, des bocaux et plein d’objets qu’il m’était difficile d’identifier dans la pénombre.

    À côté de moi il y avait un meuble à peine plus haut que le lit, sur lequel il y avait un bougeoir, avec les restes d’une chandelle consumée. À l’autre bout, il y avait un fatras d’outils contre la paroi, parmi lesquels je distinguais une pelle et des balais…

    J’aurais pu utiliser certains de ces objets comme une arme… Décidément mes geôliers ne semblaient pas se méfier de moi. Soit ils étaient vraiment sûrs d’eux et de mon handicap à cause de mes blessures, soit…

    Et si je n’étais pas tombé en interzone, loin de chez les Parias ? Non, j’étais à plus de deux heures de ma Zone de départ et à plus d’une heure de la Zone parisienne où je me rendais. Même en dérivant fortement pendant les quelques minutes de la panne, nous nous sommes crashés très loin de toute Zone Urbaine. Les contrôleurs ont dû recevoir les messages d’alerte émis par la navette et être en mesure de nous localiser précisément, mais les secours n’ont pu arriver tout de suite. Et si j’avais été secouru par des Urbains je serais à l’hôpital, ou chez moi, ou au pire dans un logement Urbain… Et ceci n’y ressemblait pas. Qu’était devenu Julian ? La terrible explosion survenue après le crash, ne me laissait pas beaucoup d’espoir qu’il soit vivant…

    * * *

    Mes spéculations laborieuses furent interrompues par des bruits qui venaient de l’extérieur, puis plus précisément de derrière la porte en bois. Il y avait des gens qui parlaient, parfois fort, riaient, déplaçaient des objets… Il y avait des voix d’hommes et de femmes. Je distinguais mal ce qui se disait, les mots me semblaient déformés. On avait ouvert des portes ou des volets dans la pièce d’à côté et un fin trait de lumière apparaissait sur le cadre de la porte.

    Je renonçai à me trouver une arme. Ils étaient nombreux, et dans l’état où j’étais, je n’aurais pas pu m’en servir efficacement. Je restais silencieux, figé sur ma couche, le dos moite, le cœur battant trop fort, les sens en éveil… Après tout, ils m’avaient gardé en vie jusqu’à maintenant. Alors autant voir ce qui allait arriver et miser sur un arrangement.

    Je n’eus pas à attendre longtemps, quelques instants plus tard, la voix d’un homme a semblé se rapprocher, et presque aussitôt la porte s’est ouverte, apportant un flot de lumière dans la pièce et la silhouette d’un géant qui se tournait vers moi. Il devait m’apercevoir, au fond de la pièce, mais je ne le distinguais qu’à contre-jour, et il était phénoménal. Ses épaules étaient tellement larges que mes yeux passaient de l’une à l’autre pour apprécier la distance, et il tenait la poignée de porte entre deux doigts, comme j’aurais saisi une graine de céréale pour ne pas l’écraser…

    – Alors, on est réveillé ?

    Je restais figé, incapable d’articuler un mot. Ce n’était même plus la peur qui me tétanisait, mais le sentiment d’impuissance devant ce monstre qui aurait pu m’écraser d’une main par inadvertance. L’homme s’était dirigé vers la fenêtre, avait soulevé le crochet et poussé les volets. La pièce fut aussitôt envahie par la lumière du jour et je pus le voir distinctement. L’éclairage adoucissait quelque peu ses formes et ses proportions, mais il n’en restait pas moins impressionnant. Il avait des bottes, une salopette de grosse toile grise et une chemise qui avait dû être rouge ou marron. Un collier de barbe, qui hésitait entre le brun et le roux, encadrait un visage rond ou s’inscrivait un immense sourire. Il me fixait d’un regard vif, un peu ironique :

    – Comment tu te sens ce matin ?

    S’il n’y avait eu ses premiers mots sur le réveil, j’aurais eu du mal à comprendre cette dernière injonction. L’homme parlait bien la même langue que nous les Urbains, dans une version plus proche de celle des siècles précédents, mais avec un accent incroyable. J’avais entendu un : « kômin tut’saon s’mâatin » et j’avais traduit.

    Il ne s’était pas formalisé de ma non-réponse, et s’était approché de moi.

    – Je vais t’aider à te redresser. Va bien falloir que tu avales un peu quelque chose…

    Il avait empoigné un oreiller d’une main, et j’avais pendant un quart de seconde craint de finir étouffé. Puis il avait introduit l’autre de ses immenses paluches derrière mon dos et avait poussé délicatement vers l’avant. Le mouvement m’avait arraché une grimace parce que mon épaule tirait autrement sur la blessure. Il avait arrangé les oreillers derrière mon dos et m’avait repoussé délicatement sur ce dossier improvisé avec un sourire de satisfaction.

    – On va t’apporter de quoi boire et manger. Ça ne te fera pas de mal parce que tu as vraiment une haleine de chèvre.

    J’ignorais quelle odeur avait le souffle d’une chèvre, mais je supposais un instant que cela devait ressembler à celle de la colle épaisse qui empâtait ma langue et mon palais à l’instant. Chez les Urbains on aurait évité une telle remarque, de peur de mettre son interlocuteur mal à l’aise. Mais lui ne devait pas s’encombrer de ce genre de délicatesse. Avant de sortir il s’était tourné une dernière fois vers moi :

    – Ça va ?

    Toujours incapable de prononcer le moindre mot, j’esquissais un petit mouvement de tête affirmatif qui sembla le rassurer. Il avait laissé la porte entrebâillée, même pas fermée. D’ailleurs, il l’avait ouverte sans qu’il y ait un mouvement de clef ou de verrou au préalable. Et visiblement le volet n’était maintenu fermé que par un simple crochet. Je n’avais jamais été enfermé.

    Quelqu’un allait venir m’apporter de quoi me restaurer. L’angoisse qui m’avait saisie à mon réveil, quand j’avais découvert que je n’étais pas dans une Zone sécurisée, puis quand j’avais entendu des gens envahir la pièce à côté de mon refuge, s’était apaisée. J’allais peut-être pouvoir poser des questions. Il fallait que je puisse parler. Ça m’évitera au moins de passer pour un demeuré. Je me raclais la gorge et essayais de saliver, d’assouplir mes lèvres et les muscles de ma mâchoire…

    * * *

    Au bout d’un quart d’heure, la porte avait été à nouveau poussée. C’était une femme qui tenait un plateau. Elle était de taille normale. Elle m’adressa elle aussi un magnifique sourire. Je n’aurais pu lui donner un âge précis. Elle avait un visage aux traits doux, mais plutôt carré, avec une mâchoire assez forte pour un visage féminin. Mais ce qui fascinait, c’était ses yeux : des yeux gris-bleu, clairs, sereins, rieurs, tendres et confiants. Il me vint à l’esprit que si tous les hommes que j’entendais débattre dans la pièce d’à côté étaient du même acabit que mon précédent visiteur, cette femme devait être capable de les calmer par la seule force de son regard. Elle avait une épaisse chevelure grise en partie ramassée au-dessus de sa tête et dont l’extrémité pendait derrière. Elle avait un pantalon de la même toile grise que la salopette de l’homme, une chemise bleu clair, et une large ceinture lui entourait la taille. Elle était pieds nus. Elle m’avait salué en souriant.

    – Bonjoie ! Te voilà donc revenu parmi les vivants ! Je suis sûre que tu dois avoir soif !

    Elle avait le même accent que le géant. Elle avait posé le plateau sur le meuble en repoussant le bougeoir, et avait rempli un verre avec l’eau d’une carafe. L’homme sentait un peu la sueur. Elle avait une odeur troublante, qui n’avait rien à voir avec les parfums dont se couvraient les Urbaines. Elle me tendit le verre doucement jusqu’à ce que je puisse le prendre avec la seule de mes mains qui était vraiment mobile.

    Je buvais d’un trait, lui rendais le verre en articulant un « merci » encore étouffé.

    Elle était assise, une fesse sur le bord du lit. Elle remplit le verre à nouveau. Puis se saisit de l’assiette.

    – Si je te pose le bol sur les cuisses, Tu vas pouvoir te débrouiller ?

    – Oui… Je crois… Merci… Où suis-je ?

    – Chez nous ! Dans un village de ceux que vous appelez… les Parias je crois ?

    Ses mots semblaient l’amuser… Je goûtai le plat. Il y avait des morceaux de légumes et des choses que je n’étais pas sûr d’identifier. Le goût était très fort, très parfumé, plutôt agréable néanmoins. La faim m’avait fait oublier la prudence la plus élémentaire. Cette nourriture aurait pu être empoisonnée, ou droguée… Elle s’était levée, mais j’avais besoin de réponses. Je lui demandais :

    – Pourquoi m’avez-vous amené ici ?

    – Ça nous a paru mieux que de te laisser mourir près des débris de ta navette…

    – Qu’attendez-vous de moi ?

    – Que tu te remettes rapidement sur pied, qu’on n’ait plus à venir te nourrir dans cette remise…

    Elle semblait s’amuser à chacune de mes questions.

    – Il faut que je rentre en contact avec le Contrôle… Il faut que je les prévienne…

    – D’ici, ce n’est pas possible. Il n’y a aucun des moyens de communication que vous employez, chez les Urbains. Quand tu pourras te déplacer, nous trouverons une solution. Ton épaule est sérieusement abîmée, il y a trois fractures et il faut la maintenir immobile. Mais ta jambe, c’est beaucoup moins grave. Le coup a été violent mais l’os n’est pas cassé. Tu pourras bientôt te tenir sur tes jambes et gambader comme un lapin… Mange pour l’instant. Je reviens tout à l’heure.

    Je n’ai jamais vu de lapin. Et ceux que les médias nous montrent, sont dans de petites cages, et n’évoquent pas la gambade… L’expression m’avait paru curieuse… Mais j’étais chez les Parias. Je l’interpellai encore une fois juste avant qu’elle ne sorte :

    – Dites… Il y avait un autre homme avec moi, dans la navette… Vous savez si…

    – Non. Apparemment, tu as été éjecté mais si quelqu’un était à bord de la navette il n’a pas pu survivre à l’explosion qui a suivi le crash. Tu es le seul survivant. Je suis désolé. C’était un de tes amis ?

    – Non…

    J’ai entendu les occupants de la salle voisine repartir, mais quelqu’un avait dû rester ranger les reliquats de leurs agapes, parce que j’entendais le choc de vaisselles à côté. Comme elle l’avait dit, la femme était revenue un peu plus tard, récupérer le bol et remplir la carafe d’eau, ainsi qu’une grande bassine. Elle m’avait montré ce qu’ils avaient prévu pour que je puisse faire un peu toilette et satisfaire à mes besoins immédiats, le reste de la journée. Elle avait ajusté mes coussins et m’avait demandé :

    – Besoin d’autre chose ? Si tu n’as pas froid, je laisse la fenêtre ouverte. Un peu d’air frais ne te fera pas de mal, tu as un teint de déterré… Ah au fait, moi c’est Margot. Margoline en vrai, mais tout le monde m’appelle Margot. Et le costaud que tu as vu ce matin c’est Barnard. C’est chez lui ici. C’est lui qui viendra t’apporter à manger ce soir et qui sera là cette nuit si tu as besoin de quelque chose… Euh… Et toi ?

    – Mmm… Moi c’est Ocriss. Merci pour ce que vous faites pour moi…

    Elle avait eu un petit hochement de tête et un sourire à peine perceptible.

    – Le temps va peut-être te paraître long… Est-ce que tu aimerais un livre ?

    Je la regardais sans vraiment comprendre, alors elle était sortie et revenue aussitôt avec un truc parallélépipédique qu’elle avait posé sur ce qui me servait de table de chevet à côté de la carafe. Sur le dessus il y avait marqué « Croc-blanc » Et « Jack London ». Et elle était sortie avec un petit geste de la main.

    Un livre… J’en avais entendu parler, et même vu sur des photos d’archives, mais je n’en avais jamais vu de près. Chez nous ils étaient considérés comme des inutilités inflammables…

    Après un instant d’hésitation je saisis l’objet, difficilement parce qu’il me fallait le prendre sur la gauche avec ma main droite seule valide. Je le posai sur mes genoux, et pour la première fois de ma vie, feuilletais un livre. Les caractères étaient lisibles, mais leur taille était figée… Chaque face de chaque

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1