L'hydravion
Par Simon Fezzo
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Aperçu du livre
L'hydravion - Simon Fezzo
L’hydravion
Jean Montesquiou
L’hydravion
LES ÉDITIONS DU NET
70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux
© Les Éditions du Net 2012
ISBN : 978-2-312-00758-8
1
L’équipage de l’hydravion sommeille encore, tandis qu’à toute vitesse la camionnette traverse Marseille dans la nuit finissante. En un quart d’heure, voici Marignane, où l’appareil d’Air Orient se balance calmement sur l’étang de Berre, contre le ponton de la Compagnie. Le soleil commence à surgir derrière le massif, dont un léger vent de terre pousse jusqu’en mer l’odeur de garrigue. La journée sera chaude, même pour une fin juin.
Les cinq membres de l’équipage s’avancent le long du ponton, leur léger bagage à la main. Puis le mécanicien déverrouille la petite portière à l’avant gauche, et ses compagnons de traversée attendent qu’il ait fini sa manœuvre pour pénétrer à leur tour dans le ventre du mastodonte.
L’appareil est encore dans la pénombre : c’est un Lioré & Olivier– un beau monoplan à coque métallique, véritablement mi- avion mi- bateau. Avec ses flotteurs accrochés aux ailes et ses quatre moteurs Hispano-Suiza placés tête-bêche sur un chevalet au-dessus de la cabine, il a étrange allure et semble presque inachevé. Cet avion peut en théorie couvrir 2500 km d’une traite, à 4000 m d’altitude. Mais pour la ligne d’Alexandrie, ce L&O, un modèle unique, a été équipé d’une spacieuse cabine pour 10 passagers, avec un petit cabinet de toilette à l’arrière. Contrepartie du luxe de l’installation intérieure, son rayon d’action n’est que de 1000 km environ.
Mais pour l’heure, la grosse machine inerte se balance très doucement sur l’eau, tandis que les premiers rayons du soleil commencent à faire briller sa coque en duralumin.
Le premier des cinq à s’insérer dans la cabine de pilotage est le commandant, M. Lagardevive, 50 ans, trapu, bedaine et petite moustache, l’air à la fois farouche et rigolard – un loup de mer du ciel, qui a volé longtemps avec Noguès pour établir les nouvelles routes de la compagnie (Marseille- Beyrouth par Naples et Athènes, Beyrouth – Damas et Beyrouth- Bagdad, et les prolongations toujours plus à l’est, jusqu’à Saïgon). Maintenant il est responsable des vols Marseille -Alexandrie et attaque aujourd’hui avec indifférence et même une certaine lassitude sa quinzième rotation.
Les sentiments du second pilote, Julien Ménard, sont à l’exact opposé : il voit le soleil percer la fine couche de nuages pour venir éclairer les crêtes du massif de l’Estaque, et cette vision de l’aube lui procure une bouffée d’exaltation : premiers rayons du soleil du premier jour de sa première mission pour la compagnie ; premier acompte, hier, sur son premier salaire ; et premier voyage à l’étranger, exception faite de quelques excursions à Bruxelles quand il était enfant, à Dunkerque, et que son père vivait encore.
Julien reste encore quelques instants sur le ponton à humer l’air marin, puis il grimpe à son tour à bord, suivi du mécanicien, un marseillais replet et rouspéteur. Après, c’est le tour du radio- navigateur, un jeune binoclard taciturne qui s’engouffre énergiquement avant de tendre la main à la chef de cabine, Mademoiselle Guérin.
Celle-ci, une ex infirmière d’allure germanique et distinguée, que des revers de fortune ont conduite, elle une fille de bonne famille de l’Est, à exercer ce difficile et subalterne métier, affiche toujours un air revêche envers ses collègues. Elle grimpe à son tour dans l’appareil, mais sa haute taille et l’étroitesse de sa jupe d’uniforme l’obligent à des contorsions qui, vues de loin, doivent surprendre.
2
L’intérieur de l’appareil sent le renfermé et l’essence d’avion. Mademoiselle Guérin aboie quelques ordres aux deux employés de la compagnie, qui l’ont rejointe à bord pour l’assister dans la préparation du vol :
– Germain et Louis, ouvrez toutes les portes. Thomas, allumez tout de suite le brûle parfum. Vous vous occuperez de la glacière ensuite. Mademoiselle n’a que deux heures pour transformer cette cage d’acier en fumoir de paquebot. Car les passagers, auxquels ce voyage va coûter une fortune, ne sont pas encore prêts à sacrifier les usages et le luxe de leurs habituelles traversées maritimes, même pour gagner au moins trois jours sur le trajet vers Alexandrie. Dans l’immense poste de pilotage, Julien et le mécanicien entament la fastidieuse litanie de la première check-list :
Réservoir droit ?
1500 l.
Température ?
18°
Robinet ?
Position un
… Et ainsi de suite pendant un bon quart d’heure. Au total, il leur faut faire une centaine de vérifications avant de prendre la mer, puis l’air.
Le poste de pilotage est large et très lumineux. Les deux copilotes disposent de sièges légèrement surélevés avec un large volant en demi-lune devant chacun. Juste derrière eux, légèrement en retrait, la barre marine de l’appareil, qui permet de commander, debout comme dans un bateau, les manœuvres purement nautiques. Encore derrière, de part et d’autre du poste et face à chaque cloison, les postes du mécanicien à gauche et du radio navigateur à droite – celui-ci beaucoup plus spacieux, avec une assez large tablette où sont punaisées les cartes du parcours, et sur la gauche du siège, le support du goniomètre, surmonté de sa grande antenne ronde mobile
À peine la préparation mécanique du vol terminée, l’équipage procède à la dernière analyse du trajet, véritable opération stratégique où il faut combiner adroitement les ultimes données météo, les contraintes de ravitaillement en essence, et les exigences des passagers, à qui l’on essaie d’offrir un vol intéressant permettant le survol du maximum de sites touristiques !
Les quatre hommes sont penchés sur la carte, tandis que le la feuille de papier pelure avec les relevés météo circule de main en main.
Le temps est beau sur le parcours, nous pourrons prendre l’itinéraire normal. Par contre l’absence de vent à Marignane en ce moment m’embête vraiment.
Oui, commente le commandant, il faut voir d’ici une demi-heure : si ça ne se lève toujours pas, alors, il faudra retarder le décollage jusqu’à ce que le mistral nous souffle dans le nez, et bien sûr emporter moins d’essence. Mais ça veut dire qu’il faudra se poser en Corse pour ravitailler.
– Quelle barbe !
3
Tandis que les échanges techniques entre les hommes de l’équipage se poursuivent, le commandant se tourne vers Julien en grommelant :
– Laissons donc Marcel terminer les vérifications électriques et venez plutôt avec moi étudier la liste de passagers. Je ne sais pas si on vous a dit ça, à l’école, mais les passagers… les passagers – c’est là qu’on trouve les vrais problèmes. Et, mon jeune ami, aucune check-list ne permet d’éliminer les risques ! En plus, n’y a pas de procédure pour traiter leurs problèmes ! Par contre, il y a des retenues de salaires à la clé, quand ils râlent trop.
Julien quitte à regret le mécanicien pour rejoindre le commandant et Mademoiselle Guérin dans la cabine de l’équipage, un petit espace en retrait du poste séparé de celui-ci par une légère cloison. Il y a là d’un côté une banquette assez confortable en fer à cheval entourant une petite table, et de l’autre côté la minuscule kitchenette où Mademoiselle Guérin doit tenter de déployer ses talents domestiques.
C’est sûr, Julien est plus à son aise avec les paramètres mécaniques du L&O qu’avec les caprices des richards transportés dans ses flancs. Le jeune pilote connaît infiniment mieux les avions que les hommes, et soupçonne que les machines sont, quoi qu’on en dise, plus fiables. Mais un pilote d’Air Orient est responsable avant tout de sa cargaison humaine, qu’il accompagne tout