Voile Magazine

A bord du Belem

TIENS BON ! L’ordre a le mérite d’être clair, que l’on ait eu ou non une formation préalable à la manœuvre et au vocabulaire en usage sur le pont d’un trois-mâts barque tel que le Belem. Alors je tiens, nous tenons, devrais-je dire, ce lourd cordage qu’avec une dizaine de stagiaires nous nous sommes évertués à haler avec allant sur une demilongueur de pont. Qu’actionne-t-il ? J’ai raté l’explication qu’Annaëlle, l’une des femmes gabiers professionnels du Belem, a faite avant d’engager la manœuvre. Mais l’idée est d’établir la voilure pour faire route vers le nord et contourner la pointe de Bretagne pour rallier Roscoff depuis Lorient. Sans doute s’agit-il d’une drisse, à moins que nous ne soyons déjà en train de peser sur les écoutes…

UN EQUIPAGE MU PAR LA PASSION

Si je veux être bien vu des stagiaires, de l’équipage et des officiers, il va falloir que je sois plus attentif ! Car à bord la passion est totale et si d’autres stagiaires sont comme moi des novices, pas mal d’entre eux sont des habitués du , des récidivistes. Alors une fois le cordage tourné sur son cabillot, j’intègre la procession de l’équipage qui s’en va compte 210 points de tournage ! Un chiffre qui donne le vertige et pourtant, l’organisation du pont, d’une logique répétitive, finit par pénétrer mon esprit, du moins celle des manœuvres les plus utilisées : drisse, cargue et bras de vergue. Ces premières manœuvres sont surtout le liant d’un équipage hétéroclite fraîchement embarqué, avec d’un côté les 48 stagiaires et de l’autre les pros composés de six officiers et dix matelots, pour la plupart passé par l’, cette frégate bien plus gourmande que le en gabiers qualifiés. Tous à la manœuvre ! Et il en faut du monde. Car j’ai beau regarder autour des râteliers, ici tout se « tourne » à la main. Il y a bien ces deux gros cabestans hydrauliques près du petit rouf et celui, plus imposant encore, de la dunette, mais ils sont là pour aider, de façon exceptionnelle lorsqu’il manque des bras sur le pont. Dans les passavants, sur la dunette, sur le spardeck, au pied des mâts : des poulies, des râteliers, des cabillots et des hommes ! Tout se fait donc à la force de l’équipage, qui en redemande. « Le navigue grâce à vous, à travers vous ». C’est sur ces paroles que le commandant Matthieu Combot nous avait souhaité la bienvenue la veille au soir dans le grand rouf. Le est un voilier participatif et tous ne viennent que pour ça : manœuvrer, faire ses quarts, de jour comme de nuit, faire la plonge et, si possible, gravir la mâture ! Naviguer sur un trois-mâts barque du XIX siècle est une expérience uniquement possible en France sur le . Personne ne vient pour admirer le paysage, mais bien pour vivre au rythme de la mer l’expérience puissante du large sur un voilier légendaire. Car le faut-il le rappeler, est un survivant. Rescapé de la marine à voile étouffée par la vapeur; rescapé de l’éruption de la montagne Pelée en Martinique (1902); rescapé de deux guerres mondiales; rescapé de l’oubli, tout simplement, lorsqu’à la fin des années 70 il n’intéressait plus ni les yachtmen ni les écoles de formation de la Marine. Une survie qu’il doit largement à ses armateurs – le duc de Westminster (1914-1921), Sir Arthur Ernest Guinness (1921-53), la Fondation pour les orphelins de la marine italienne Cini de Venise et enfin la Fondation , soutenue par la Caisse D’Epargne. Ils ont su, l’un après l’autre, le transformer et l’adapter à de nouveaux usages. Sa silhouette est ainsi bien différente de celle de sa jeunesse lorsqu’il fut navire marchand entre 1896 et 1913. Il n’y avait alors ni timonerie, ni rouf grand ou petit, ni spardeck, ni faux sabord, ni hublot de coque, mais un pont dégagé possédant une unique superstructure au pied du mât de misaine – l’actuelle cuisine – et une immense cale pour recevoir les fèves de cacao destinées au chocolatier Menier ainsi que du sucre et du rhum. Dans la cale divisée trône désormais une longue table autour de laquelle se répartissent quatre box. Lieu de vie et d’intimité relative pour cette nouvelle « cargaison active » comme se décrit avec malice Gwénnaëlle, l’aînée des stagiaires embarqués à Lorient. Cette batterie centrale est aujourd’hui le centre de vie du . Espace de repos et de calme pour les navigants où le silence est de mise puisqu’à tout moment, les matelots hors quart sont susceptibles de s’y reposer ou d’apprivoiser leurs estomacs que le roulis met parfois à rude épreuve ! Mais dès que la cloche sonne l’heure du repas, la batterie se réveille et devient brouhaha, lieu d’échanges entre les matelots pros et les stagiaires qui partagent ici leur pitance. J’avoue suivre un autre régime, non pas alimentaire – la nourriture est la même pour tous – mais je suis invité à la table des officiers, dans le petit rouf ! Dit comme ça c’est très guindé, réminiscence d’une marine et d’usages du XIX siècle, mais l’ambiance est décontractée. De quoi parle-t-on à la table du commandant ? De voile, évidemment. De la croisière du second sur son Pogo 3 (normal pour un ancien coureur de la classe Mini), des courses au large du moment, mais aussi de la mer et de son partage avec les pêcheurs, les navires de commerce, et surtout de la météo du jour et de ce faible vent de noroît qui tourne au nordet à mesure que nous mettons de l’est dans notre route. Bref, un vent de face alors que le comme tout voilier à voiles carrées, est incapable de serrer le vent ! Patrice, le maître d’équipage – trente ans sur le – a été assez clair lors de la présentation du gréement aux stagiaires. Les onze voiles d’étai dans l’axe du navire servent à la stabilité du navire, à la tenue du cap, mais aucunement à la propulsion assurée par autant de voiles carrées. Faire du près serré revient à naviguer à 70° du vent… Ce n’est pas gagné ! Pourtant, faire de la voile fait partie de la promesse de cet embarquement. L’expérience prime sur la destination, le commandant attend que nous passions les Glénan et met le cap à l’ouest. Les équipiers de quart sont réquisitionnés pour hisser haut une bonne partie des voiles. Je suis à mon poste : du passavant au spardeck, je hale de concert avec l’équipage sur les drisses, les bras et les écoutes. Des manœuvres longues – 30 à 40 minutes – mais pas laborieuses. Le temps est au beau et l’esprit de corps nous donne des forces. Il en faut notamment pour hisser les vergues volantes (la plus lourde pèse 1,5 t.) et les frottements sont légion dans le gréement courant. A défaut de roulements bien huilés, c’est l’huile de coude qui est de mise ! La voilure est établie et nous courons vers le large, cap à l’ouest-sud-ouest. Façon de parler car la jolie brise que nous serrons nous propulse à 4 nœuds !

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