Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le graveur
Le graveur
Le graveur
Livre électronique362 pages5 heures

Le graveur

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un avocat opposé au crime organisé, un directeur de la protection de la jeunesse et un pédophile sont abattus dans diverses régions du Québec. Rien ne les relie, mis à part la signature sur leurs cadavres: les lettres T et C ont été gravées dans la chair de leurs fronts. Que signifient ces lettres? Qui peut bien se cacher derrière ces homicides? La liste de suspects potentiels est tellement longue que les enquêteurs de la Sûreté du Québec et de la police de Longueuil doivent travailler ensemble pour résoudre ces meurtres sordides.
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2019
ISBN9782898032905
Le graveur
Auteur

Pierre Bergeron

Né à Longueuil au début des années 50, Pierre Bergeron a eu son premier contact avec le monde policier alors qu’il était répartiteur pour la police de Saint-Lambert. C’est à la suite de l’enlèvement de monsieur Pierre Laporte, alors ministre du travail, qu’il a décidé de devenir enquêteur. Après 32 années d’expérience, dont 25 consacrées aux enquêtes criminelles, Pierre a écrit son premier livre, Né pour enquêter, publié en 2016. Le graveur est son deuxième roman.

Auteurs associés

Lié à Le graveur

Livres électroniques liés

Thrillers pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le graveur

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le graveur - Pierre Bergeron

    1999-2015.

    Nicolet

    Mardi soir, le soleil continue sa descente derrière les cumulus qui s’étirent paresseusement sur la ligne d’horizon, tels d’immenses moutons laineux. La chaleur accablante et l’humidité annoncent une nuit où il sera, encore une fois, difficile de trouver le sommeil. Au Québec, cette année, ce fut ainsi tout au long du mois de juillet.

    Le vent est nul et l’atmosphère lourde, un orage serait bienvenu. La rivière ressemble à un miroir où les gerris, aussi appelés « patineurs d’eau », se déplacent rapidement à la recherche de leurs proies. Occasionnellement, une petite perchaude fend la fine pellicule à la surface pour saisir cet insecte ultra vif. Les résidents s’attendent à une autre veillée calme, dans la paisible municipalité de Nicolet.

    Au sud, la rue Notre-Dame longe ce plan d’eau, un affluent du lac Saint-Pierre faisant partie intégrante du fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de Trois-Rivières. Les maisons riveraines possèdent toutes un accès direct à un quai flottant où chaloupes et bateaux de pêche sont amarrés. Sur d’autres quais, des kayaks et des canots sont empilés. Souvent, durant l’été, les voleurs sévissent dans ce secteur recherché. Parfois, un moteur, un kayak ou un canot est volé. C’est un moindre mal, les assureurs sont là pour couvrir ces pertes. Mais en d’autres occasions, ce sont des vandales qui endommagent leurs embarcations.

    Pour les décourager de revenir, la Sûreté du Québec a conseillé aux riverains de s’unir contre le crime. Ils ont créé une vigile ayant pour but d’empêcher de nouvelles infractions.

    Plusieurs voisins profitent de cette chaude soirée pour faire du kayak, du canot ou même du pédalo en famille. Le seul fait de se retrouver sur l’eau leur rend cette canicule plus facile à supporter.

    Une motomarine navigue non loin des autres plaisanciers. Cette bombe, bâtie pour la course, n’est habituellement pas le genre de machine qu’on trouve dans le coin. D’une simple pression du doigt, ce pilote peut mettre fin à la quiétude ambiante et s’en éloigner rapidement. Jaune vif et noir, cet engin est facilement identifiable avec les mots Sea-Doo, d’un rouge éclatant, apposés de part et d’autre.

    L’apparence du pilote n’a rien pour rassurer les plaisanciers sur ses intentions. À l’instar des motocyclistes, il porte un casque orangé et chausse des lunettes spécialement conçues pour s’adapter à ce sport. Revêtu d’une combinaison isothermique longue, noire et blanche faite de néoprène, d’une paire de gants en polyester noir, il complète son habillement avec une veste de flottaison noire et blanche et d’un sac à dos étanche à l’eau. Tout pour s’assurer de filer confortablement à haute vitesse. Tout le monde se connaît par ici. Le nouveau venu est fixé par les plaisanciers qu’il rencontre, question de lui démontrer qu’il n’est pas le bienvenu dans leur havre de paix.

    L’homme est surpris par le nombre de personnes qui se livrent à des sports nautiques à cette heure-là. Il aurait dû prévoir cette possibilité lorsqu’il est venu inspecter l’endroit quelques jours auparavant. Voyant leurs réactions à son égard, il décide d’aller patienter un peu plus loin, à l’abri des regards de ces gens qui lui semblent tourner en rond devant leur demeure. Le pilote se lève, pieds nus, demeurant debout sur une jambe, l’autre repliée sur le banc de sa machine qu’il dirige de mains expertes. Il est mince et de petite taille. Un adolescent, peut-être ? Si tel est le cas, il est facile d’extrapoler pour imaginer le pire. Tout un groupe d’adolescents aux commandes de telles machines serait une calamité pour la qualité de vie. Le conducteur salue de la main les plaisanciers rencontrés sur son passage. Ce simple geste semble avoir un effet calmant instantané sur leurs appréhensions. Lentement, l’homme s’éloigne des embarcations pour attendre le moment propice pour passer à l’acte.

    Il croise un canot dont la coque est entièrement faite de cèdre, une protection naturelle contre le bruit qu’il pourrait émettre, l’ennemi numéro un des riverains, à égalité avec les vandales. Un trentenaire dirige cette embarcation à l’aide d’un moteur électrique silencieux. À bord, ses passagers, deux garçonnets d’environ sept ans, portent une veste de flottaison orangée et sourient à l’approche de la motomarine qu’ils ne lâchent plus des yeux. Passant près d’eux, le pilote leur adresse un sourire non feint — seule partie visible de son visage —, en fredonnant, à voix basse, le couplet d’une chanson écrite par Raymond Lévesque :

    Quand les hommes vivront d’amour

    Il n’y aura plus de misère

    Et commenceront les beaux jours

    Mais nous nous serons morts, mon frère.

    Sans modifier sa direction ni sa vitesse, le pilote s’éloigne lentement vers l’est. Il observe les maisons sur sa gauche, en s’intéressant plus particulièrement à la dernière : une demeure de style canadien aux murs extérieurs en pierres des champs. Les multiples fenêtres donnant sur l’eau sont toutes fermées et les stores sont clos, probablement pour éviter que les rayons du soleil ne réchauffent trop l’intérieur. Depuis sa position, il entend le ronronnement de la climatisation. Une pompe à eau fonctionne au bout du quai, alimentant un arrosoir de jardin servant à humidifier un potager non loin. Satisfait de ses constatations, le pilote poursuit sa route pour disparaître complètement de la vue des plaisanciers.

    Plus à l’est, la rivière se sépare en deux bras, et le pilote s’engage à gauche. Les habitations ont cédé la place à des fermes et leurs interminables champs. Maintenant à l’abri des regards indiscrets, il coupe le moteur et s’assoit confortablement sur le banc de la motomarine pour observer le ciel.

    Le soleil est couché, mais le firmament est toujours enflammé par ses derniers rayons qui accentuent la bande nuageuse de l’horizon. La nuit commence à tomber, mais ne change rien à l’accablante chaleur.

    Le pilote s’allonge sur le siège, la tête appuyée sur les commandes pour mieux observer les couleurs et attendre que la noirceur chasse définitivement les dernières lueurs de ce soleil d’été.

    22 h 46. Aucun son n’est perceptible sur la rivière. Les plaisanciers ont réintégré leurs demeures. Plus l’obscurité s’installe, plus les maringouins se font voraces. L’homme ouvre son sac à dos, en sort une cannette de répulsif sous pression et asperge généreusement les rares parties non recouvertes de son corps. Il replace le couvercle rouge éclatant sur la bombe aérosol, la remet à sa place et jette un coup d’œil à son pistolet. Le Glock, 9 mm modèle 17 M de fabrication autrichienne peut faire feu même après une longue période d’immersion sous l’eau, c’est pourquoi il est l’arme de prédilection des commandos des forces armées et des nageurs de combat. Y ont été ajoutés un silencieux Delta Force 1 et, attaché sous le canon, un combiné torche/laser Tactique M6. L’homme sourit en pensant que le moment est venu.

    Jetant un dernier coup d’œil sur un ciel presque sans nuage permettant à la pleine lune de briller pleinement, il relance le moteur et, tous feux éteints, rebrousse chemin lentement, en restant à l’affût du moindre mouvement suspect en provenance de la grève. Une vingtaine de mètres avant d’arriver à la première résidence sur la rue Notre-Dame, l’homme prend conscience qu’il n’est qu’à quelques pas d’amorcer la deuxième phase de son plan préparé si minutieusement au fil des mois. Son cœur bat soudainement la chamade. Il coupe le moteur de son embarcation d’une main tremblante et se laisse dériver en direction d’un quai flottant modulaire dont un des côtés est occupé par un vieux bateau Blue Wave, servant à la pêche sportive.

    Il touche presque son but. Son entraînement rigoureux reprend le contrôle de ses émotions. Ses sens aiguisés sont aux aguets alors qu’il examine chacune des propriétés avoisinantes, cherchant une présence humaine ou, pire encore, celle d’un chien. Satisfait, il reporte son attention aux portes et fenêtres de l’habitation visée. N’y détectant rien de particulier, il décide d’amorcer la phase finale de la seconde étape de son plan. La pompe submersible couplée à l’arrosoir de jardin s’est arrêtée depuis peu, l’eau ruisselle encore abondamment sur une grande partie du quai, de la pelouse et du trottoir conduisant à la porte d’entrée secondaire. Çà et là, sur le terrain, de petites et de grandes flaques d’eau sont visibles.

    Ne voulant pas annoncer son arrivée et perdre l’effet de surprise, l’homme présente sa motomarine par tribord en s’aidant d’un pied pour empêcher la coque de percuter bruyamment le débarcadère.

    Le pilote débarque, amarre son Sea-Doo et enlève son casque pour entendre le moindre son émis dans cet environnement. Nerveusement, il récupère le Glock, mais fait tomber du sac, entre l’embarcation et le quai, sa cannette de répulsif. Ne voyant pas la nécessité de la récupérer, il décide de s’en abstenir.

    Sans bruit, il se rend à la maison en marchant dans quelques flaques d’eau. Il plaque fermement son arme sur sa cuisse pour que sa silhouette ne fasse qu’une avec elle et marche le plus naturellement possible, pour ne pas éveiller la curiosité de quiconque pourrait l’observer.

    Rendu à la porte arrière, l’homme est caché de la vue potentielle des voisins immédiats par de gros thuyas occidentalis de plus de quatre mètres. Il profite de cette cachette pour prendre une dernière longue inspiration avant de faire face à sa destinée, derrière cette porte. Enfin, le scénario imaginé et préparé minutieusement depuis si longtemps sera bientôt réalisé.

    L’intrus sonde la porte en tournant lentement la poignée. Content de constater qu’elle n’est pas verrouillée, il la pousse lentement. Une des charnières émet un petit cliquetis métallique à peine audible. Prestement, l’homme entre dans la maison en refermant doucement derrière lui. Il traverse une grande cuisine ultramoderne dotée d’électroménagers de grand luxe. Sous ses pieds nus, le froid de la céramique le surprend, quoiqu’elle soit en parfait accord avec l’atmosphère glaciale qui règne dans cette maison climatisée à l’excès.

    Un bruit rythmique de froissement se fait entendre depuis le salon voisin. Sans bruit, l’homme s’avance tout en actionnant le viseur laser de son arme avant de pénétrer dans la pièce. Sur sa gauche, il découvre un grand escalier en chêne verni conduisant à l’étage. Il n’aura cependant pas besoin de l’emprunter, car il vient de localiser sa cible. Assis sur un fauteuil de cuir noir et battant vigoureusement la mesure, le résident est en train de regarder un spectacle sur un grand écran Samsung 4K, mais écoute la musique, à plein volume, avec un casque d’écoute Bose. Absorbé par le spectacle du groupe américain The Eagles, vêtu d’un jeans et d’un T-shirt bleu, il n’a pas conscience de la présence de cette autre personne qui, de son côté, observe les alentours, essayant de déterminer si sa cible est seule dans cette vaste maison, tel qu’il s’y attendait.

    L’homme approche par l’arrière et retire vivement le casque d’écoute. L’autre, stupéfait, se lève d’un bond et crie :

    — Pourquoi t’as fait ça ?

    Il écarquille les yeux en constatant la présence d’un individu armé. Terrorisé, il hurle :

    — Que veux-tu ?

    — Bouge pas, bonhomme ! répond calmement l’intrus, son laser pointé sur la poitrine de l’audiophile. Pas un seul geste, t’as compris ?

    Éberlué et décontenancé, le résident demande à son assaillant d’une voix chevrotante :

    — Que me voulez-vous ? Je n’ai pas d’argent ici. C’est mon bateau que vous voulez ? Mes clés sont sur la petite table à côté du téléphone, dans la cuisine, prenez-le…

    — Ta gueule, Soucy. Ici, c’est moi qui parle. C’est moi qui fais des recommandations et qui sais ce qui est le mieux pour toi…

    — Vous me connaissez ? Pourtant, je ne vous connais pas et…

    — Ta gueule, j’ai dit… c’est moé qui parle. Y’a quelque chose que tu ne comprends pas dans ce que je viens de te dire ? On n’est pas en Cour, maître Soucy. T’as fini de faire la loi et de décider pour les autres, ajoute l’intrus sur un ton ne laissant place à aucune réplique avant de poursuivre sur un ton plus calme. T’aimes ça faire la loi, toi ? Maintenant, c’est à mon tour d’la faire.

    Décontenancé, mais ayant conservé une partie de sa vivacité d’esprit, Soucy tente d’identifier, à travers ses souvenirs, son interlocuteur. Il n’y arrive pas, au grand plaisir de l’autre qui semble avoir deviné la pensée de l’avocat.

    — Hé ! Maître. Tu me replaces pas ? demande l’intrus, en appuyant longuement sur le début du mot maître, imitant le bêlement d’une chèvre.

    Soucy poursuit sa recherche mentale avec plus de détermination.

    — Je le savais que j’étais rien pour le système judiciaire et que tu m’oublierais dès que le dossier serait clos. Vois-tu, même après toutes tes belles promesses… tu m’as oublié.

    — Mais… qui êtes-vous ?

    — T’as eu ta chance. Les années ont passé. T’as vieilli, tes cheveux ont blanchi, t’as grossi, mais moi, comme tu viens de le constater, je ne t’ai jamais oublié… C’est à ton tour de payer pour ce que tu m’as fait.

    L’intrus lève son arme et, juste avant de presser la détente, il voit Soucy lever les yeux vers l’escalier derrière lui. Rapidement, il presse la détente deux fois. Deux petits bruits secs résonnent avant que Soucy tombe à la renverse sur la table à café dans un grand fracas.

    — Nonnnnnnnnnnnnn ! s’écrie une voix puissante, en provenance de derrière le meurtrier.

    Surpris, il pivote rapidement et voit un colosse, dans la soixantaine, à qui il concède au moins 40 kilos, se ruer sur lui les poings dans les airs.

    Vu la courte distance les séparant, l’assassin ne peut éviter ce premier contact qui s’annonce violent. N’ayant pas le temps d’esquiver, il décide de rouler avec le choc initial question de dissiper le plus d’énergie possible. Il reçoit une puissante droite au visage, l’envoyant au sol où il roule jusqu’à la table à café. Sonné, il se retourne et voit son assaillant, démontrant une agilité remarquable pour une personne de cette stature, foncer sur lui à toute vitesse. Le tueur est vite maîtrisé par l’homme qui vient s’asseoir à cheval sur ses hanches, ses lourdes jambes de chaque côté. D’un geste précis d’une main, il agrippe l’avant-bras du tueur pour empêcher tout mouvement de l’arme vers lui. L’assassin se fait rouer de coups, mais tient toujours le Glock. Son nez est brisé par un coup de poing et le sang gicle sur le plancher de frêne verni.

    L’attaquant a beau être gros et fort, ses attaques ne sont pas à son image. À l’évidence même, ce n’est pas un bagarreur. Pour cette raison, l’intrus constate qu’il a peut-être encore une mince chance de s’en sortir s’il demeure calme et utilise sa tête au lieu de ses muscles.

    Ébranlé, le souffle court, dû aux multiples chocs encaissés par sa cage thoracique et sa tête, il sait qu’il ne pourra plus supporter ce traitement encore bien longtemps. Toujours incapable de soulever son bras immobilisé sous le poids de celui de l’homme, il doit vite trouver une solution. Se sentant défaillir, sa vision commence à s’obscurcir. Il est sur le point de perdre connaissance.

    Il doit désespérément tenter quelque chose. Il n’a plus le choix, il faut jouer le tout pour le tout. Il cambre son poignet droit vers l’intérieur et presse sur la détente de son Glock, sans obtenir le résultat escompté. L’attaque reprend de plus belle. Son champ de vision devient de plus en plus étroit. Plus qu’une question de secondes maintenant, peut-être même de fraction de seconde, avant qu’il perde connaissance. Dans un geste de désespoir, il cambre son poignet droit au maximum et presse la gâchette.

    Cette fois, le coup de feu atteint sa cible. Un pied du colosse est touché de plein fouet. Surpris autant par le choc que par la douleur intense ressentie, l’homme sursaute, relâchant la pression sur le bras du tueur. Vif comme un chat aidé par l’adrénaline qui coule à flots dans ses veines, ce dernier en profite pour lever son arme et viser. Dès qu’il voit son pointeur laser sur la poitrine du géant, il presse rapidement la détente deux fois.

    L’impact des projectiles a projeté l’homme vers l’arrière, dégageant l’intrus qui, secoué et cherchant son souffle, bouge difficilement. Le visage ensanglanté, les côtes meurtries, peut-être même cassées, il reste au sol quelques instants, pour récupérer avant de réussir péniblement à se relever.

    Dès qu’il est debout, aussi vite que ses blessures le lui permettent, il contourne le divan et se rend à sa première victime, couchée sur le dos. Il lève son arme, vise le côté de la tête et presse la détente. Le crâne éclate, faisant voler des morceaux de cervelle et du sang partout sur le plancher et le mur. Les plaies au visage de l’assassin gouttent sur le jeans de feu maître Soucy. Il sourit, ses dents ensanglantées rappellent le sourire d’un boxeur, toujours dans le ring, savourant une victoire durement acquise sur un adversaire coriace.

    Il s’agenouille près de Soucy, dépose son arme et sort un couteau tactique d’un étui. Sur le front, il trace malhabilement, d’une main tremblante, les lettres T et C. Il range ensuite son couteau, reprend son arme et contourne de nouveau le divan, en titubant, pour rejoindre le colosse effondré non loin de l’escalier. Il approche le Glock tout près de son front, puis presse sur la détente. Le projectile lui perfore l’arrière de la boîte crânienne avant de terminer sa course incrusté dans le plancher de bois franc.

    En douleur, le tueur quitte la maison, plié en deux, et retourne au quai. Il lève difficilement l’amarre qui retient la motomarine, s’y assoit et donne un élan, du pied, pour s’éloigner du quai silencieusement. Après s’être laissé dériver sur une bonne distance, il lance le moteur et navigue vers l’ouest. Pour ne pas attirer l’attention, il vogue lentement, son moteur tournant à faible régime. Sa grande nervosité l’incite à vouloir quitter les lieux à toute vitesse, mais sa tête lui ordonne de n’en rien faire. Presqu’en silence, dans la zone habitée, il presse ensuite sur l’accélérateur après s’être éloigné suffisamment. Quelques secondes plus tard, sans aucune retenue, il fait vrombir le moteur au maximum de ses capacités.

    Aussitôt sorti de la voie navigable de la rivière Nicolet, le pilote se dirige vers l’ancienne municipalité de Pointe-du-Lac, du côté nord du lac Saint-Pierre. Chaque vague, roulis ou tangage de la motomarine lui rappelle douloureusement qu’il est mal en point et a beaucoup de difficulté à respirer. À mi-chemin, il immobilise son engin, mais laisse tourner à vide. Tout est noir autour de lui. Il tend l’oreille. Aucune embarcation ne semble le poursuivre. Pour s’en assurer, il coupe le moteur. Convaincu d’être seul au milieu du lac Saint-Pierre, l’homme en douleur prend le pistolet à sa ceinture et le laisse couler au fond du lac. Il ajuste sa position sur le siège, pour éviter de trop souffrir, et reprend la navigation, à vitesse moyenne, jusqu’à ce qu’il soit rendu à une halte routière aux abords de la route 138.

    Dès qu’il atteint la rive sud, il descend de la motomarine volée à la marina de Trois-Rivières et, dans l’eau jusqu’à la taille, la dissimule le mieux possible dans les buissons et quenouilles bordant le lac. Se dirigeant vers la seule auto sur le stationnement de la halte routière, il s’arrête devant une poubelle. Il retire ses gants, contaminés par des particules microscopiques de résidus de poudre, pour les enfouir sous la montagne de détritus. Toutes les phalanges de sa main gauche arborent des tatouages représentant une même figure souriante, mais, sur l’index, un X rouge a été ajouté. Celles de son autre main sont tatouées de symboles d’inspirations chinoises.

    Il marche dans le stationnement gravillonné, en maudissant son idée de ne pas porter de soulier pour piloter la motomarine. Il retire son casque, qui l’a fait tant souffrir durant la traversée, dépose son sac à dos sur le capot de l’auto et prend, dans une des pochettes extérieures, un trousseau de clés. Il déverrouille une Honda blanche vieille de huit ans, monte à bord en lançant tout son équipement sur le siège arrière avant de quitter par la route 138, direction ouest, vers Trois-Rivières.

    Rue Notre-Dame, Nicolet.

    La résidence de maître Soucy se situe au bout du cul-de-sac sans trottoir et bordé d’arbres majestueux. Son voisin immédiat, le président du comité des vigiles du secteur, trouve curieux de ne pas avoir vu ses voisins s’activer sur leur terrain ou dans leur potager depuis déjà quelques jours.

    François-Xavier Plourde, que tous les riverains appellent familièrement FX, décide de se rendre chez les Soucy pour assouvir sa curiosité grandissante. À première vue, tout semble normal à l’extérieur de la maison, les deux autos sont à leur place habituelle, dans le stationnement en forme de U. Il monte quelques marches, accède à la galerie en ciment, et appuie sur le bouton de la sonnette pour s’annoncer. Aucun bruit ne lui parvient de l’intérieur. Pendant qu’il attend une réponse, il observe la minuscule boîte à lettres qui déborde de courrier, mais surtout de dépliants publicitaires de toutes sortes, comme si maître Soucy et son frère, Christian, étaient absents depuis un bon moment. FX frappe à la porte avec insistance. N’obtenant toujours pas de réponse, il sonde la poignée, la constate verrouillée. Il décide d’utiliser son téléphone portable et appelle chez son voisin. Pas de doute, il a composé le bon numéro, puisqu’il entend le téléphone sonner à l’intérieur. Après quatre sonneries, le système de messagerie vocal prend l’appel. Ce comportement ne ressemble pas à celui de Christian, toujours prompt à répondre dès les premières sonneries. FX est de plus en plus convaincu qu’il se passe quelque chose d’anormal. Il range son téléphone et commence à descendre l’escalier pour retourner chez lui. Soudainement, il se souvient que son voisin aime écouter des spectacles de groupes rock avec un casque d’écoute, bien assis devant son téléviseur. C’est peut-être le cas ? Il remonte sur la galerie pour regarder par la grande fenêtre arquée du salon, et voir s’il ne pourrait pas attirer l’attention d’un des deux frères.

    La scène qu’il découvre alors lui glace le sang. Son bon ami et voisin est couché par terre dans une grande mare de sang brunie par le temps. Dans un bond vers l’arrière, il pousse un cri étouffé, de surprise et de frayeur. FX ne sait que faire et encore moins comment réagir. Après plusieurs secondes d’hésitation mêlée à de l’incrédulité, il se reprend et compose le 911. La voix chevrotante, il raconte son histoire en fournissant l’adresse de son voisin. Se conformant aux demandes de la répartitrice du 911, FX traverse la rue et s’assoit sur une immense roche décorative pour y attendre l’arrivée des policiers.

    Des bruits de sirène se font bientôt entendre et, à mesure que les secondes passent, deviennent de plus en plus forts. À 09 h 32, un premier véhicule de patrouille de la Sûreté du Québec s’arrête au 12 rue Notre-Dame à Nicolet.

    François-Xavier Plourde n’a toujours pas retrouvé son calme. Il explique aux policiers, une dame dans la jeune vingtaine et son compagnon prénommé Dave, à peine plus âgé qu’elle, ce qu’il a vu. Pour appuyer ses dires, il leur désigne du doigt la fenêtre par laquelle il a pu constater le drame. Durant cette courte conversation, deux autres véhicules de patrouille arrivent en renfort. Dave recommande à FX de réintégrer son domicile, pour sa sécurité, et d’y demeurer jusqu’à ce que la scène de crime soit sécurisée.

    Dave résume rapidement la situation aux autres et, après une courte concertation, les quatre agents passent à l’action. Considérant l’urgence de la situation et la possibilité que le résident soit toujours vivant, Dave décide d’enfoncer la porte avant d’un solide coup de pied. Aussitôt entrés, ils trouvent un deuxième corps, directement devant eux, près de l’escalier menant à l’étage. Dave et sa compagne s’occupent des constatations d’usage sur ce premier corps alors que leurs collègues font de même sur la deuxième victime. Dans les deux cas, il s’agit de mort évidente, les boîtes crâniennes sont ouvertes et une partie des cerveaux macule le sol.

    Les quatre policiers, maintenant l’arme à la main, passent au peigne fin ensemble le rez-de-chaussée, puis se séparent en duo pour vérifier simultanément au sous-sol et à l’étage. Lentement et méthodiquement, ils font la tournée de toutes les pièces, examinant sous les lits et dans les garde-robes, à la recherche à la fois de nouvelles victimes et du meurtrier.

    Après avoir inspecté tous les étages de la maison, les policiers la considèrent maintenant comme sécuritaire. Ils reviennent à leur point de départ, sur la galerie, respirant un grand coup, comme s’ils avaient manqué d’air. Dans les faits, ils chassent de leurs muqueuses cette puissante odeur âcre de fer qui se dégage lorsqu’une grande quantité de sang est laissée à l’air libre, dans un lieu clos.

    Un périmètre de sécurité est assuré pour protéger la scène de crime. Dave et sa compagne s’occupent de la porte avant alors que l’autre duo surveillera la porte arrière. Ils ne doivent, en aucun cas, retourner sur la scène de crime ni laisser entrer qui que ce soit jusqu’à ce que des enquêteurs prennent en charge le dossier.

    Dave décroche le microphone de sa radio émettrice, attaché à sa veste pare-balles, pour brosser à son supérieur un portrait global de la situation.

    À 11 h, les premiers enquêteurs, provenant de la section des homicides de la Sûreté du Québec postés à Montréal, arrivent sur la scène de crime assistés de ceux du BRE (Bureau régional d’enquêtes) de Trois-Rivières. Les lieux ayant déjà été sécurisés par les premiers répondants, ils attendent d’avoir en main un mandat d’entrée avant de pouvoir pénétrer légalement dans la maison et de commencer leur travail. L’obtention d’un tel document est d’une nécessité absolue avant d’entreprendre tout examen d’une scène de crime dans une résidence privée.

    Le poste de commandement mobile, un énorme autobus aux couleurs de la Sûreté du Québec, arrive alors que plusieurs autres policiers en uniforme s’ajoutent. Certains ont comme tâche de délimiter

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1