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L'été sous un chapeau de paille: Chroniques humoristiques
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L'été sous un chapeau de paille: Chroniques humoristiques
Livre électronique126 pages1 heure

L'été sous un chapeau de paille: Chroniques humoristiques

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À propos de ce livre électronique

Anecdotes de vacances ou chroniques détaillées du touriste loin de chez lui.

« Les vacances ? Fuir de chez soi en croyant s’évader de soi. »
Trente-sept petites chroniques de vacances dues à la plume savoureuse d’un digne héritier de Blondin et de Vialatte. De drôles d’histoires drôles sur les moeurs de l’homo touristicus, ses rites, ses migrations vers le Sud…
« Certaines peuplades ne vivent que par beau temps. De ces privilégiées, on dit qu’elles ont tout – les jambes des filles et les brugnons mûris sur le pêcher. »

Un recueil de chroniques humoristiques pour tout touriste en herbe ou pour toute personne qui souhaite s'évader avec gaieté et fantaisie

A PROPOS DE L'AUTEUR

Décédé en 2014, Alain Bertrand était le fondateur de la collection Plumes de Coq aux éditions Weyrich. Son ton humoristique, que l'on retrouve dans nombreuses de ses œuvres, caractérise son écriture. Il est l'auteur de plusieurs romans mais aussi d'essais sur la littérature belge.

EXTRAIT 

Certaines peuplades ne vivent que par beau temps. De ces privilégiées, on dit qu’elles ont tout – les jambes des filles et les brugnons mûris sur le pêcher.
Autant dire que le sud de la Loire ne manque de rien ; il lui suffit d’être heureux tous les jours de l’année, sauf quand il pleut. Ce bonheur sans nuage n’empêche pas ses habitants de mourir comme tout le monde. La mort seule rétablit la parité entre le Sud et le Nord – où le ciel se dégage, à l’occasion, avec une parcimonie qui confine à l’avarice.
Le beau temps y reste une hypothèse d’autant plus précieuse qu’il se fait rare. Au Nord, l’éclaircie est l’expression météorologique de l’espérance. L’indice que l’homme n’est grand que par son refus de céder à la grisaille du quotidien. Certes, le ciel restera bouché comme une bouteille de bière, mais est-ce une raison suffisante pour ne plus y croire ? Le Nord garde en mémoire les traces de l’une ou l’autre journée ensoleillée. Les syndicats d’initiative épinglent le phénomène sur des cartes postales et dans leurs statistiques.
LangueFrançais
ÉditeurWeyrich
Date de sortie15 oct. 2014
ISBN9782874893001
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    Aperçu du livre

    L'été sous un chapeau de paille - Alain Bertrand

    1

    PAR BEAU TEMPS

    Certaines peuplades ne vivent que par beau temps. De ces privilégiées, on dit qu’elles ont tout – les jambes des filles et les brugnons mûris sur le pêcher.

    Autant dire que le sud de la Loire ne manque de rien ; il lui suffit d’être heureux tous les jours de l’année, sauf quand il pleut. Ce bonheur sans nuage n’empêche pas ses habitants de mourir comme tout le monde. La mort seule rétablit la parité entre le Sud et le Nord – où le ciel se dégage, à l’occasion, avec une parcimonie qui confine à l’avarice.

    Le beau temps y reste une hypothèse d’autant plus précieuse qu’il se fait rare. Au Nord, l’éclaircie est l’expression météorologique de l’espérance. L’indice que l’homme n’est grand que par son refus de céder à la grisaille du quotidien. Certes, le ciel restera bouché comme une bouteille de bière, mais est-ce une raison suffisante pour ne plus y croire ? Le Nord garde en mémoire les traces de l’une ou l’autre journée ensoleillée. Les syndicats d’initiative épinglent le phénomène sur des cartes postales et dans leurs statistiques. Or les statistiques ne creusent jamais que le puits des certitudes : au Nord, le beau temps n’a de beau que le nom, soit qu’il n’est pas si beau que cela, soit qu’il l’est plus que nulle part ailleurs – dans ce cas, on parlera de canicule.

    Surchauffe passagère au sud de Lyon, la canicule est une calamité à hauteur de Maubeuge. Tout comme la peste ou le choléra, elle supprime les vieillards et déshydrate les bacs à fleurs.

    À tout prendre, les autochtones lui préfèrent le crachin de saison ou le vent qui fait dansoter les rideaux aux fenêtres. Il se trouve une sagesse ancestrale dans cette manière de ployer l’échine sous le plomb des nuages. Car le monde est un fardeau écrasant, à l’exemple de la foule et de la condition humaine. Si bien qu’il vaut mieux prendre son parapluie pour sortir, voire sa paire de bottes par gros temps.

    On s’en va au boulot, la gabardine ruisselante ; on en revient, la goutte au nez.

    Un matin, miracle, le baromètre remonte ! L’anticyclone des Açores s’annonce plusieurs soirs à l’avance, juste après les informations de 20 heures. Les plus optimistes guettent son apparition vers l’ouest, sans vraiment y croire. Mais à peine la lumière déchire-t-elle les nuées que tout le monde oublie son anorak. Pour peu que l’éclaircie s’allonge à la manière d’une belle fille au soleil, on irait jusqu’à enfiler une chemise à manches courtes. Toutes ces bontés du ciel bouleversent la mesquinerie des habitudes. La joie des heures simples se répand comme une traînée de poudre. Les bistrots se prolongent en terrasse, les glaciers baladent leurs airs napolitains sur les boulevards. Les jupes raccourcissent, les épaules se découvrent des nudités girondes.

    Libérés de leurs escarpins, les orteils s’empourprent, étalent des grappes de coquelicots.

    Les jets d’eau se courbent au spectacle des landaus qui pépient.

    Quelques vieillards rêvent que l’amour leur souffle encore ses bulles de savon.

    Ces moments de grâce sont une parenthèse, un brouillon d’été. L’homme irait même jusqu’à s’évader sur un banc public. Mais ce mirage ne dure que le temps de réenfiler sa parka. Voici que déferlent des cumulus plus noirs que des parapluies. Dessous, l’obscurité étend ses ombres au point qu’on prendrait le jour pour la nuit. Et tout ensemble, la pluie, l’orage, la tempête, la nature s’en prennent à la fragilité des choses, usant à l’égard des hommes de méthodes interdites par les conventions de Genève.

    En pareil cas, l’homme redevient un escargot métaphysique.

    Il ne sort dans la rue que pour se mettre à l’abri et se mouille quand même par tradition. Ses antennes finissent par le guider vers l’écran pâle de la télévision. Eh quoi ? Est-ce l’azur des maillots de bain et la joie stridente des planches de surf ? Ou la révélation du journal de 13 heures, à savoir que le beau temps est un pléonasme passé Valence ? Toujours est-il que l’employé de bureau se met à croire que l’avenir est bleu partout en Méditerranée. Lui viennent des fatigues saisonnières et des envies de femme enceinte : croquer l’abricot cueilli à sa branche et, dans l’heure, siroter le petit rosé sous le couvert du parasol. Ces salivations, parfois, se doublent de désirs masculins refoulés tout l’hiver : sécher une bouteille de pastis entre potes, cracher des noyaux d’olives dans la fontaine musicale, au centre de la place.

    Sandales, short et marcel : un beau matin, le nordiste se prend pour un sudiste. Au lieu de nouer sa cravate et de préparer sa boîte à tartines, le voilà travesti en touriste. L’homme neuf encombre sa bagnole comme un grenier, fixe la caravane au timon, embarque sa famille, démarre, direction Metz, Dijon, Montélimar.

    Les vacances ? Fuir de chez soi en croyant s’évader de soi.

    2

    PIQUE-NIQUE SUR AUTOROUTE

    À la première éclaircie, l’homme émerge de sa condition en noir et blanc et sort le barbecue de l’abri de jardin. Manger des quartiers de viande saignante le conduit de week-ends arrosés en week-ends prolongés, jusqu’aux vacances que l’on dit grandes.

    Là, il prend le temps de s’avaler n’importe quoi et de boire en plein air, ailleurs que dans le rectangle de sa pelouse. Au bord d’une route nationale, par exemple, ou au camping, dans le carré pelé de sa parcelle. Cette belle aventure s’appelle un pique-nique et réclame, comme l’alpinisme en haute montagne, un canif, de l’oxygène et une nappe à carreaux.

    Le pique-nique fleurit sur du vichy étalé dans un pré ancestral. En évidence, un panier d’où émergent une baguette, un camembert et un jésus.

    Autour de l’autel campagnard, un père un rien sec, une mère un brin circulaire et leur progéniture laissent la part maigre à la fantaisie, sachant que le plaisir tient davantage à l’idée d’être en vacances qu’aux rondeurs de l’œuf dur.

    Le pique-nique moderne se joue autour d’une glacière, sur une table en béton armé, le long d’une autoroute. C’est le moment de grâce, celui où l’automobiliste immobilise sa famille, sachant qu’il s’est levé avant l’aube et qu’il se couchera après le crépuscule, plus mort que vif.

    En attendant, l’homme rôtit et balance des chapelets d’injures.

    La route des vacances restreint si fort son vocabulaire qu’on lui préfère son chien, lequel sait quand il faut s’arrêter, se lancer dans une course, poser son séant, agiter la queue, voire donner la patte. Une activité dont l’homme se prive moins par goût de la politesse que par hébétude, au terme d’un bon millier de kilomètres avalés sous la canicule, cerné de nigauds qui, une fois par année, vont exposer leur cuir à l’autre bout de la France, en même temps – curieusement – que lui.

    À midi, passé Mâcon, la canicule s’étend, et le recours à la climatisation aussi.

    Dans cette atmosphère de fin du monde, le seul remède éducatif, c’est la glacière.

    Le vacancier range son bolide entre un Allemand à moto et une famille en caravane hollandaise. D’un jet de regard, le bon père de famille évalue ses chances de manger assis à l’ombre d’un feuillu, après avoir conduit assis trop au chaud. Si la place est libre, l’épouse charge comme une colonne blindée vers le banc stratégique et y prend position, la mine revêche. Le mari suit comme il peut, la démarche chaloupée à cause de la grosse boîte en P.V.C.

    La glacière est cubique, c’est le graal des petits vacanciers.

    Dedans, l’haleine fade des pâtes à la mayonnaise. Des milliards de bulles purifiées par le froid des glaçons. L’œuf dur qui s’écaille en préambule au chant des grillons. Le paquet de beurre durci comme un galet dont on fait les pissoirs d’autoroutes. Entre les flancs bleu pâle, les petites habitudes familiales gardent la dignité et les formes du frigo de la maison : on est comme chez soi, mis à part que les aliments sont serrés tels des parachutistes.

    Les bouteilles dominent comme autant d’obus et les canettes sont des grenades. À quoi vont-ils servir ? La vague de fraîcheur qu’exhale la glacière à l’ouverture console trois secondes de la pluie de feu.

    Mais surtout, on mange en famille, pour la première fois depuis la communion du gamin. L’adolescent sirote la température de sa limonade à l’orange. La grande sœur pioche dans son bloc de yoghourt à la vanille. Maman tente d’étaler une lamelle de beurre tout le long de la baguette. Papa s’éclabousse le poignet du jus de sa tomate. Au lieu de pester comme il le ferait à la maison, il s’en amuserait presque. Car

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