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L' Habitation comme vecteur de lien social
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Livre électronique582 pages6 heures

L' Habitation comme vecteur de lien social

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À propos de ce livre électronique

En s'intéressant à certaines populations socialement disqualifiées, soit les personnes ayant des problèmes de santé mentale et les résidents en habitation à loyer modique, les auteurs étudient le logement non seulement comme l'un des déterminants de la santé et du bien-être mais également comme un lieu d'intervention majeur dans le domaine des services sociaux.
LangueFrançais
Date de sortie11 juil. 2011
ISBN9782760528956
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    Aperçu du livre

    L' Habitation comme vecteur de lien social - Paul Morin

    COUVERTURE

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    Paul Morin

    Evelyne Baillergeau

    Ce livre se veut une contribution à la connaissance du domaine de l’habitation en tant que milieu de vie au Québec. Les conditions de logement ont une incidence sur l’organisation de la vie quotidienne des individus et des familles et sur leurs modes d’inscription dans la société. Nous souhaitons donc participer à l’épanouissement de ce domaine de connaissances, en nous intéressant, lors de la constitution de cet ouvrage, à un aspect bien précis de l’habitation, soit la compréhension du rôle que joue l’habitation quant à la nature du lien social de certains habitants socialement disqualifiés: les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale et les personnes résidant en milieu HLM. L’habitation peut être un vecteur négatif et contribuer au délitement du lien social – une trappe sociale dans la pire des éventualités (Morin et Pori, 2007) – ou être, au contraire, un vecteur de lien social.

    Avec l’expression « lien social », nous sommes en présence d’un redoublement de signifié. Le lien attache, réunit, met en relation. Cette qualité d’unification à plus ou moins longue portée est également implicite dans les significations qu’implique le vocable « social ». Ce dernier toutefois, circonscrit son champ aux regroupements d’entités relevant du genre humain. (Bouvier, 2005, p. 26)

    L’habitation est un domaine de recherche, somme toute, encore peu développé au Québec si on le compare par exemple à la Grande-Bretagne où les « Housing studies » ont depuis longtemps acquis leur lettre de noblesse en tant que thématique de recherche. Certes, le domaine de l’habitation a fait l’objet de nombreuses recherches au Québec au cours des dernières années, que ce soit au regard de l’analyse épidémiologique des conditions de logement des Québécois (Smargiassi et al., 2004) ou à celui de l’analyse des politiques du logement et de leurs conséquences sur le peuplement des villes (Dansereau, Villemaire et Archambault, 2002). Mais les travaux sur l’habitation en tant que milieu de vie demeurent peu nombreux. Cela est d’autant plus surprenant que le logement, l’une des composantes de l’habitation, outre d’être reconnu comme l’un des déterminants de la santé et du bien-être (ICIS, 2006; Lawrence, 2006), est devenu un lieu d’intervention majeur du dispositif de services sociaux dans la communauté dans le domaine de la santé et des services sociaux.

    LE DOMICILE COMME LIEU D’INTERVENTION

    L’intervention à domicile est ainsi devenue la norme dans le programme enfance/jeunesse/famille (Parent, 2004). Par exemple, la stratégie d’action ministérielle (MSSS, 2002) pose explicitement la nécessité d’une action coordonnée et intégrée, notamment auprès des familles ciblées par une telle stratégie. L’intervention à domicile auprès des familles est fortement préconisée et se déploie dans plusieurs directions, qu’il s’agisse de thérapie familiale (Cortes, 2004), de programmes de préservation familiale (Hanssen, 2004), de programme en périnatalité (MSSS, 2005b) ou encore d’intervention précoce afin de prévenir la négligence et les mauvais traitements.

    De même, pour les personnes présentant une incapacité temporaire ou permanente, l’intervention dans le milieu de vie constitue désormais la norme selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS, 2005, 2004). La désinstitutionnalisation, le virage milieu et plus récemment le virage ambulatoire ont été des moments charnières de cette évolution qui a pu s’appuyer sur les aspirations profondes des personnes concernées de demeurer dans leur domicile. Les écrits ont documenté cet état d’esprit, et ce, autant pour les personnes âgées que pour les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale. Ainsi, les personnes âgées désirent habiter dans leur domicile le plus longtemps possible (Rodriguez, 2001; Maltais et al., 2000). Quant aux personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale, elles aspirent à avoir un chez-soi et à recevoir des services modulés selon leurs besoins (Goldsack et al., 2005; Dorvil, Morin et Beaulieu, 2005).

    Chercheurs et politiques ministérielles prévoient que l’évolution des connaissances, des pratiques de même que les changements démographiques auront pour effet de provoquer une croissance importante du nombre de personnes desservies dans le cadre d’intervention psychosociale à domicile (MSSS, 2003). L’intervention publique en matière d’habitation et son maillage avec le secteur de la santé et des services sociaux constitue donc un enjeu clé des politiques sociales d’un gouvernement qui se préoccupe de la santé et du bien-être des citoyens. Déjà en 1986, la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait reconnu le logement comme l’un des déterminants de la santé et du bien-être (Raphael et Bryant, 2006; Bryant, 2004). Le logement constitue en effet un déterminant social crucial quant à la qualité de vie et de bien-être des personnes. L’accès à un logement adéquat et abordable établit les circonstances et/ou les opportunités d’accessibilité à d’autres supports réseaux formels et informels (Carter et Polevychok, 2004). Il est le « […] point d’insertion dans un ensemble plus vaste: le logement situe les individus dans un environnement, souvent un quartier avec ses services, ses écoles, les possibilités qu’il offre d’accéder au travail, à un réseau social élargi » (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2003, p. 23).

    Cette affirmation de la Commission relève cependant du sens commun car il s’agit d’un processus complexe qui demande à être clarifié et démontré par la recherche afin que l’on puisse saisir le rôle du logement dans ce processus. Malgré la centralité de ce bien dans notre vie quotidienne et au regard des pratiques d’intervention, on en sait encore très peu sur l’habitation en tant que milieu de vie et sur l’impact social des pratiques et des relations qui se jouent à ce niveau. Notons au passage que nous préférons le terme d’habitation à celui de logement parce qu’il permet de faire la synthèse logement/habitat.

    L’habitation est, dans le même mouvement, l’action d’occuper de façon régulière un lieu, et l’espace qui sert à cette occupation. Le fait d’habiter un lieu relève d’une démarche active, quelles que soient la forme matérielle de l’habitation et les contraintes qui pèsent sur cette démarche. La notion d’habitation diffère de celle de logement en ce qu’elle inclut, au-delà de l’espace occupé par l’habitant, l’ensemble des relations que ce dernier constitue entre cet espace et son environnement physique et social. (Flamand, 2004, p. 130)

    LIENS DE VOISINAGE ET PROCESSUS D’INDIVIDUALISATION

    Ce sont justement ces relations avec l’environnement social qu’évoque l’expression lien social. Trois principaux types de relations sociales associées à l’habitation sont généralement relevés par les chercheurs: les liens familiaux, d’amitié et de voisinage (Clapham, 2005). Notre intérêt ici concernera uniquement les liens de voisinage, car, dans une optique de développement des communautés, nous nous demanderons, un peu comme l’ont fait Morin et Rochefort (1998) quand ils ont cherché à appréhender les rapports entre le quartier, le lien social et l’action collective, quel rôle précis joue l’habitation dans la constitution d’un vivre-ensemble entre les habitants d’un immeuble, d’un ensemble d’habitations ou même d’un quartier. Les pratiques de développement des communautés renvoient à l’ensemble des « approches d’action communautaire fondées sur la participation des membres d’une communauté et sur le développement de leur emprise collective sur leurs ressources et leurs institutions locales » (Leroux et Ninacs, 2002, p. 26). Le terme de communauté inclut donc le territoire vécu, le milieu de vie, le quartier ou la paroisse, en milieu urbain, et le village, en milieu rural. Tous ces milieux ont toutefois été l’objet de telles transformations ces dernières décennies et leurs fondements en ont été si profondément ébranlés qu’ « il est difficile de prévoir quelles seront à l’avenir les assises de la communauté locale » (Dumont, 1994, p. 201). En effet, la mise sur pied de l’État providence a généré la production de multiples et divers services, notamment en santé et services sociaux, mais ces services, individuels et essentiellement professionnels, contribuent à délier les personnes de leur interdépendance communautaire (Renaud, 1987), à « décapitaliser » les liens sociaux (Paquet, 1999). Une telle conception étatique de l’assistance a en effet pour corollaire une forme radicale d’individualisme en matière de relations sociales (Rosanvallon, 1981). Ainsi, au lieu d’améliorer la qualité de vie de leurs habitants, la création d’habitations à loyer modique (HLM) destinées aux familles démunies a souvent provoqué une dégradation de leurs conditions de vie (Giddens et Blair, 2002).

    L’État providence tend, de ce fait, à démentir la raison même de son existence et de son développement par la manière qu’il distribue les biens et les services sous forme de biens privés au lieu de produire des biens publics, comme la socialité, la communication, la participation au discours public visant la définition des problèmes et la recherche de solutions (Bifulco et De Leonardis, 2005). La crise et la transformation de l’État providence, qui s’appuient, entre autres, sur « le constat largement partagé qu’il existe trop d’État dans nos sociétés » (Fédération des CLSC, 1986), ont provoqué en d’autres pays une vague néolibérale mais n’ont pas eu le même effet au Québec où un modèle particulier de développement s’est alors progressivement implanté (Lévesque, 2005; Vaillancourt, 2002) – sous la poussée notamment des organismes issues de la société civile – au sein duquel l’État devient partenaire avec les organismes issus de la société civile. La thèse de l’individualisation nous semble toutefois devoir s’appliquer également à la société québécoise; ici, comme ailleurs en Occident, une société des individus prend graduellement forme; se réalise le passage d’une politique d’émancipation à une politique de la vie fondée sur le principe d’épanouissement de soi et où la personne est agent et responsable de son propre projet de vie (Colaianni, 2004; Beauchemin, 2003; Ferguson, 2001). Pour des auteurs comme Beck (2003), Giddens (1994) et de Singly (2006), cet individualisme « peut être positif, au sens où il représente une conquête en ligne avec le processus de démocratisation » (Martin, 2007, p. 222). Cet individualisme se heurte toutefois aux inégalités persistantes entre hommes et femmes, entre riches et pauvres. Castel (2003), dans ce contexte de remise en cause de l’État providence et de la précarité du travail salarié, met plutôt l’accent sur le versant négatif de cet individualisme. Cette société des individus, riche en isolement relationnel, renvoie chaque individu à « sa sphère privée et à son enfermement dans celle-ci » (Castoriadis, 1996, p. 67).

    Le lieu où l’on demeure, en plus d’être un espace domiciliaire, représente pourtant, en principe, une possibilité de créer des liens sociaux avec ses voisins. Il peut y avoir une inscription forte dans un micro-territoire qui devient alors un milieu d’appartenance. Il s’agit d’un enjeu social considérable au moment où nombre de réseaux sociaux sont déterritorialisés et où, pourtant, les politiques sociales misent sur la communauté pour recréer des solidarités (Astier, 2007). Ainsi, le ministère de la Santé et des Services sociaux reconnaît explicitement que « La santé des personnes est influencée par les relations sociales qu’elles entretiennent sur le plan individuel et par les liens sociaux qui se tissent à l’intérieur d’une nation tout entière ou à l’échelle des collectivités immédiates auxquelles elles appartiennent, appelées communautés » (MSSS, 2005a, p. 94). A ce titre, l’adoption de la Loi 25 en 2003 et la mise en place en 2004, dans le cadre de cette réforme majeure du système de santé et de services sociaux, de 95 centres de santé et de services sociaux (CSSS) représentent une nouvelle tentative de l’État québécois d’en arriver à une synthèse équilibrée entre prévention, communautarisation et services aux personnes. Un CSSS a une double responsabilité: élaborer un projet clinique sur son territoire et favoriser la collaboration avec tous ses partenaires pour son élaboration et sa mise en œuvre (MSSS, Cadre de référence, 2004). Cette institution publique se voit donc dotée d’une responsabilité populationnelle « qui implique que tous les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux et leurs partenaires du territoire local sont amenés à partager collectivement une responsabilité envers la population de ce territoire » (Alliance… , 2006). Il ne s’agit donc plus uniquement de desservir des usagers dans une optique d’accessibilité de services mais l’ensemble de la population d’un territoire afin d’améliorer la santé et le bien-être des communautés qui la composent. Pour ce faire, il importe d’agir sur les déterminants sociaux de la santé et du bien-être car, dans la mesure où la santé est le produit de l’interrelation entre divers facteurs socioéconomiques, le secteur de la santé ne peut être le seul artisan et responsable de l’amélioration de la santé. Le développement des communautés représente donc une stratégie privilégiée par certains CSSS afin d’agir sur ces déterminants.

    À LA MARGE

    Notre démonstration s’appuiera sur l’apport de recherches et d’analyses de praticiens sur deux populations précédemment identifiées: les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale et les personnes résidant en HLM. Dans les deux cas, si l’on reprend l’idée développée par Pierre Bouvier (2005), l’habitation, au lieu d’être associée à des liens sociaux positifs, l’est plutôt à des liens sociaux négatifs, c’est-à-dire qu’il y a:

    […] prévalence, dans les interactions et les institutions, de situations contraignantes, de rapports de domination et de subordination […] cela implique […] le renforcement éventuellement nécessaire de liens sociaux endogènes […] Les liens sociaux positifs désigneraient les relations humaines orientées vers l’émancipation, la liberté, la justice, la solidarité. (Bouvier, 2005, p. 35)

    Il s’agit de deux populations qui, malgré une attention spéciale de l’État afin d’améliorer leurs conditions de vie, peuvent être qualifiées de marginalisées, et ce, selon deux variables qui composent la vie de toute personne, groupe et institution: le temps et l’espace. Il y a, en effet, persistance dans le temps et dans l’espace en ce qui concerne les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale et des personnes résidant en milieu HLM, particulièrement en milieu HLM familles, quant à leur réelle intégration dans la société. Ainsi, toutes deux peuvent être dites « à la marge », que ce soit par rapport à leur lieu d’habitation ou à leur insertion dans les rapports sociaux d’une société. Socialement disqualifiées, stigmatisées, ces populations sont refoulées dans leur logement ou, pour certaines personnes, confinées à un hébergement de groupe comme en résidence d’accueil. L’action d’organismes communautaires de quartier ou encore actifs dans le secteur de la santé mentale ou en milieu HLM consiste justement « à faire sortir les gens de chez eux et à provoquer des rencontres sur la base d’une double proximité, spatiale et sociale » (Morin et Rochefort, 1998, p. 109). Plusieurs des textes de ce livre font justement état de ces efforts, malheureusement encore trop peu nombreux et insuffisamment soutenus par les pouvoirs publics.

    LA COMPÉTENCE À AGIR

    Mais vers quoi tendent ces initiatives? S’agit-il simplement de promouvoir ponctuellement des liens positifs, le temps d’apaiser des tensions devenues trop vives, trop gênantes? Ou s’agit-il de viser la sortie de la marginalisation en procurant un rôle, une place, aux principaux intéressés dans ce processus, à travers des stratégies s’appuyant sur leurs compétences à agir. Selon Colaianni (2004), la compétence à agir consiste « en la compétence à se réorganiser un nouvel horizon, sur la base de ses expériences et capacités personnelles; on va vers quelque chose de nouveau qui n’est pas encore donné à voir » (Colaianni, 2004, p. 128, notre traduction). Au Québec, Lamarre (1998, p. 76), dans le cadre d’une approche systémique, utilise également cette notion: « Nous avons tendance à miser sur le contrôle des autres pour résoudre les problèmes, plutôt que sur l’information que nous nous donnons les uns les autres sur notre identité et nos compétences à agir dans nos projets communs. »

    La première optique nous semblant vaine, nous nous intéressons particulièrement aux pratiques qui s’inscrivent dans la seconde optique. Cela nous permettra de voir dans quelle mesure l’habitation peut effectivement être un vecteur de lien social majeur, au-delà de la cohabitation au quotidien.

    À cet égard, l’approche du développement des capitaux (social, financier, culturel et humain) semble représenter une voie prometteuse permettant de prendre en compte cette dimension du domaine de l’habitation (Keyes, 2001). Le capital économique renvoie aux ressources financières provenant généralement d’un travail rémunéré. C’est précisément ce type de travail qui est souvent absent chez les personnes résidant en milieu HLM familles et chez les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale. Le capital culturel correspond aux connaissances culturelles conférant un avantage social et économique. Le capital humain désigne les connaissances, qualifications, compétences et autres qualités possédées par un individu et intéressant l’activité économique. Le capital social concerne une série de ressources inhérentes à des relations de confiance et de coopération entre les gens. Ces ressources ne réduisent pas la pauvreté directement mais tiennent plutôt lieu de levier d’investissement en capital humain et en regard des ressources financières familiales. Le capital social procure une fondation majeure à de telles stratégies parce que c’est à travers des relations sociales que les individus se forment dans leur capacité et leur compétence à agir en public, individuellement et collectivement. Le capital social doit cependant être appréhendé comme une ressource collective, une caractéristique des communautés, plutôt que la propriété d’un individu. En tant que bien commun, le capital social peut jouer un rôle crucial dans certains aspects du bien-être de la communauté, par exemple pour assurer aux enfants une sécurité accrue puisque celle-ci devient la responsabilité de tous et chacun et non seulement des parents.

    Woolcock (1998), dans cette optique, a également défini le capital social en termes de réseaux de relations tant à l’intérieur des communautés défavorisées que dans la société en général; il s’agit de réseaux compris comme des types inclusifs de réseaux de coopération transcendant les clivages habituels de structures, de classes sociales, d’intérêts particuliers. Pour Keyes¹ (2001), le modèle de développement des capitaux de Woolcock présente une image claire d’un aspect crucial de ce processus de développement: il doit y avoir une synergie entre les logiques de travail émanant des institutions et des entreprises publiques – comme un Office municipal d’habitation (OMH) – et celles des organismes issus de la société civile comme les organismes communautaires et les associations de résidents. Lorsque la logique descendante (top down) et la logique ascendante (bottom up) travaillent de concert, cela signifie que les ressources institutionnelles et les compétences à agir des membres de la communauté d’appartenance s’entremêlent dans une relation dynamique et coopérative afin de résoudre les problèmes et de tirer avantage des opportunités. Ces combinaisons particulières de relations sociales produisent et se nourrissent de rapports de confiance et de normes de réciprocité.

    L’approche des capacités (Sen, 2000) semble également être une voie intéressante permettant de concilier deux registres d’action en apparence inconciliables: celui de l’assistance aux personnes et celle de la compétence à agir de ces mêmes personnes. Pour Sen qui prend comme point de départ « la reconnaissance de la liberté comme but essentiel du développement » (Sen, 2000, p. 10), il s’agit de porter le regard au-delà de la croissance économique afin de comprendre que la satisfaction des besoins fondamentaux doit inclure « la liberté d’expression, la dignité, le respect de soi et la participation à la vie sociale en général, autrement dit tout ce qui concourt à faire de l’individu un être social intégré et reconnu par les autres » (Paugam, 2006). Pour ce faire, il importe de s’appuyer sur les diverses structures de la société afin de permettre un réel développement des potentialités des personnes: « Pour peu qu’ils disposent de possibilités sociales, les individus sont à même de prendre leur destin et de s’apporter une aide mutuelle » (Sen, 2000, p. 21). Cette approche met la personne au cœur de l’action (Salais, 2005) tout en l’insérant dans une démarche collective.

    Ainsi en Italie, plusieurs pratiques territoriales de santé mentale communautaire ou d’intervention en milieu HLM ont été inspirées par cette approche. L’une des deux expériences de soutien à domicile analysées par De Leonardis et Emmenegger (2005) est celle d’une démarche locale, fortement enracinée dans le territoire d’une province du Nord-Est, le Frioul, où l’on veut conjuguer bien-être et communauté par la mise en place d’un système d’opportunités sociales pour les personnes ayant des problèmes majeurs de santé mentale. Les services aux personnes sont ainsi indissociables du développement des communautés locales. Il s’agit notamment d’engendrer de nouvelles formes d’économie, dans lesquelles la variable du marché est englobée dans la logique du don et de la réciprocité par le développement d’entreprises sociales et d’association de bénévoles (Zuttion, 2003). Ainsi, selon la logique d’analyse de l’approche par les capacités, ces facteurs de conversion que sont ces opportunités sociales transforment les droits des individus en capacités; de ce fait, la personne n’est plus seulement titulaire de prestations mais a la liberté de choisir et d’agir. Toujours dans cette même logique, l’institution devient partie intégrante de la communauté habitant le territoire sous sa responsabilité (Bifulco, 2003). À Trieste, sous le leadership d’une institution de santé, des interventions au sein de microterritoires, regroupant de deux à trois mille personnes, et associant étroitement organismes communautaires et population – souvent résidente en HLM – s’inscrivent dans cette même dynamique de soutien à domicile et de développement des communautés (Morin, 2006). Cette approche a aussi inspiré une universitaire anglaise à implanter à l’Université d’Anglia en Grande-Bretagne une formation de quatre mois pour les personnes usagères des services de santé mentale avec les objectifs suivants:

    « améliorer la qualité de vie des personnes usagères et accroître les opportunités de travail;

    développer l’affirmation de soi, les capabilités et les habiletés en promotion et défense des droits;

    développer les habiletés de formation des usagers » (Ramon, 2000, p. 193, traduction libre).

    Le terme de « capabilité » est donc au cœur de toute cette démarche: « Le mot capability signifie capacité, aptitude, possibilité. Chez Amartya Sen (2000), il prend un sens bien précis: l’ensemble des modes de fonctionnement humain qui sont potentiellement accessibles à une personne » (Talboni, 2003, p. 24). Ce faisant, on permet à des acteurs autrefois dominés de s’affirmer dans les sphères d’activité que nous avons mentionnées et, bien sûr, dans toutes les autres possibles qui correspondent à leurs aspirations. Paraphrasant Bouvier (2005), nous dirions que le lien social est une donnée et un projet. Les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale et les personnes résidant en milieu HLM ont malheureusement des liens sociaux qui semblent plus souvent négatifs que positifs. Nous l’avons dit, les textes réunis ici se veulent une contribution afin de changer cet état de fait; ils ont une utilité sociale (Paugam, 2007). Nous pensons qu’ils ont, entre autres mérites, de relier deux populations qui parfois s’opposent dans une « espèce de guerre des pauvres » à l’heure de la désinstitutionnalisation et de la réduction des budgets publics accordés au logement social dans un pays où pourtant la grande pauvreté n’est pas en baisse. Il nous semble qu’au contraire les convergences entre ces deux populations sont nombreuses et pertinentes à approfondir si on les aborde par le domaine de l’habitation et du lien social. Malgré les efforts publics consentis, pourquoi ces deux populations demeurent-elles à la marge? Au moment où le gouvernement du Québec (2007) diffuse un bilan largement positif du Plan d’action gouvernemental en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale 2004-2009, il importe de questionner ce bilan qui omet de considérer l’habitation comme un vecteur de lien social. Il faut toutefois reconnaître que le Cadre de référence sur le soutien communautaire en logement social représente une assise importante sur laquelle pourront s’appuyer le réseau de l’habitation et le réseau de la santé et des services sociaux pour travailler en ce sens (MSSS-SHQ, 2007).

    UN PARCOURS

    Cet ouvrage comprend deux grandes parties, toutes deux précédées d’une introduction. La première partie réunit des textes portant sur les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale. Cette population, malgré l’ampleur de la désinstitutionnalisation en milieu psychiatrique, se retrouve trop souvent dans des milieux d’hébergement problématiques comme celui des maisons de chambres. Des efforts sont toutefois réalisés depuis plusieurs années pour changer cette situation et faire en sorte que l’habitation joue un rôle positif au regard du lien social. Le texte de Boucher décrit et analyse une telle pratique innovante dans la région de l’Outaouais. La seconde partie du livre est consacrée au milieu des habitations à loyer modique (HLM). D’abord, quatre textes de chercheurs et praticiens québécois décrivent et analysent des expériences en milieu HLM ayant pour objectif le développement individuel et collectif de ses habitants. Un utile point de comparaison à ces expériences québécoises est subséquemment fourni par trois textes rapportant le résultat d’efforts similaires au Canada, aux Pays-Bas et en Italie.

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    1 Les textes de Leloup et Germain (chapitre 6) et de Baillergeau (chapitre 10) se sont justement inspirés de ce cadre de référence.

    PARTIE 1

    CHEZ-SOI, SANTÉ MENTALE ET LIEN SOCIAL

    Paul Morin

    L’habitation nous inscrit dans un territoire, dans un mode d’existence social. Pour les personnes exclues de la sphère économique, elle constitue d’ailleurs le mode d’inscription privilégié dans un plus vaste réseau et, de ce fait, représente l’un des éléments clés de toute politique sociale visant à contrer la pauvreté et l’exclusion sociale (Ulysse et Lesemann, 2004). La problématique de l’habitation pose également d’emblée des questions primordiales sur le rapport de l’être humain à l’espace et à l’appropriation de l’espace. Contrôle, territorialité, sécurité, ces concepts reviennent constamment dans la littérature sur l’habitation (Heywood, 2005). Tous et toutes nous souhaitons avoir un chez-soi; celui-ci représente une aspiration légitime à l’intimité, à la sécurité, à la souveraineté que procure un espace privé. Et il en va de même pour les personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale ne font pas exception (Borg, 2007). À une époque où l’hôpital psychiatrique pouvait être assimilé à un lieu d’enfermement, Tranchina écrivait justement que « L’asile est la destruction de la sphère privée dans une société basée sur la propriété privée » (Tranchina, 1976, p. 108, notre traduction).

    Si nous n’en sommes plus là, force est de reconnaître que cette destruction de la sphère privée se poursuit mais en se déclinant différemment selon la logique de la transinstitutionnalisation; un nombre substantiel de personnes ayant des problèmes sévères de santé mentale sont alors tout simplement traitées comme des objets que l’on déplace. Dévoilée dès 1976, par Castel, Castel et Lovell, dans La société psychiatrique avancée, cette logique a malheureusement toujours cours au Québec (Castel, Castel et Lovell, 1976).

    Ainsi à l’automne 2003, à Montréal, les aspects sociaux de la santé mentale ont occupé le devant de la scène médiatique à la suite de la fermeture d’un pavillon affilié à l’hôpital psychiatrique Douglas et d’un foyer clandestin qui hébergeait six personnes psychiatrisées dont plusieurs y avaient été envoyées par le département de psychiatrie de l’hôpital Jean-Talon. Dans les deux cas, les conditions insalubres dans lesquelles vivaient ces personnes ont provoqué leur fermeture. Quelques mois plus tard, le vérificateur général du Québec, madame Paradis, a dénoncé à son tour ces situations d’exclusion sociale où isolement rime avec pauvreté, humiliation et contrôle: « Présentement plusieurs personnes ayant des problèmes de santé mentale sont en attente ou à la recherche d’une

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