Olessia
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À propos de ce livre électronique
Un jeune homme, Ivan Timoféiévitch, envoyé en mission pour plusieurs mois aux confins de l’Empire russe, dans une région reculée à la limite de la Russie, de l’Ukraine et la Pologne, vit dans un village où les habitants le regardent avec méfiance. Il a pour seule compagnie un paysan auquel pour passer le temps il tente d’apprendre à lire et écrire. Un jour, parti chasser, il s’égare et tombe par hasard sur une pauvre cabane perdue au milieu des forêts, où vivent une vieille femme et sa petite-fille, la jeune et belle Olessia. Toutes deux vivent à l’écart du monde car les villageois les considèrent comme des sorcières...
Sous ce simple nom d’Olessia, dans le silence des forêts et sous le sceau implacable du destin, une des plus belles histoires d’amour de la littérature russe.
Olessia est un des premiers récits du célèbre auteur russe Alexandre Kouprine et un de ses préférés, car très largement autobiographique !
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Recueil de nouvelles d'un auteur oublié. Des personnages variés font des rencontres imprévues et souvent les deux parties appartiennent à des classes sociales opposées, ce qui n'empêche pas l'amour de naître. Les thèmes évoqués sont la sorcellerie, la religion juive, le cirque et la nature. Une belle écriture. -ADAMSY, Babelio
Ce récit inscrit magnifiquement le personnage de la sorcière dans un contexte réaliste où va se déployer une aventure amoureuse sur laquelle plane la menace d'une terrible prophétie.
Les amateurs de Tolstoï ou Tchékhov (que Kouprine a rencontré à Yalta) retrouveront ici à la fois l'univers patriarcal russe et le charme des décors sauvages de la Russie profonde. Un joli tour de force narratif, un récit enlevé et poignant. -Agilulfo, Babelio
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Aperçu du livre
Olessia - Alexandre Kouprine
PETITE BIBLIOTHÈQUE SLAVE
— Collection dirigée par Xavier Mottez —
ALEXANDRE KOUPRINE
Куприн Александр Иванович
1870-1938
OLESSIA
Олеся
1898
Traduction d’Henri Mongault, 1933.
© Ginkgo éditeur, 2020. Traduction revue par Xavier Mottez
Couverture : John William WATERHOUSE, Ophelia (1889).
I
Courbé sous un lourd fagot, le garde forestier Iarmola1 qui me servait de domestique, cuisinier, compagnon de chasse, entra dans ma chambre, jeta bruyamment sa charge sur le plancher, souffla sur ses doigts engourdis.
— Quel vent, panytch2 ! dit-il en s’asseyant à croupetons devant l’orifice du poêle. Il va falloir chauffer ferme. Une allumette, s’il vous plaît.
— Alors demain, impossible de chasser le lièvre, hein ? Qu'en dis-tu, Iarmola ?
— Impossible, bien sûr... Écoutez comme ça souffle. Le lièvre reste au gîte par un temps pareil. Et demain vous n’apercevrez pas une seule foulée.
Le sort m’avait jeté pour six grands mois dans un trou perdu de la province de Volhynie, aux confins de la Polésie3 ; la chasse était ma seule occupation, mon plaisir unique. J’avoue que, lorsqu’on m’avait proposé ce séjour à la campagne, je ne m’étais pas attendu à un ennui aussi incommensurable. Je partis même avec joie. « Les forêts... la solitude... le sein de la nature... des êtres simples... des mœurs primitives, songeais-je en wagon, une province que j’ignore totalement, aux coutumes étranges, à la langue originale... et sans doute une multitude de légendes, de traditions, de chansons ! » Or à cette époque (autant raconter tout) j’avais déjà fait passer dans un petit journal une nouvelle où deux assassinats encadraient un suicide et je connaissais du moins en théorie le profit que l’observation des mœurs offre aux écrivains.
Mais... les paysans de Pérébrod se distinguaient sans doute par une insociabilité particulière, ou peut-être ne sus-je pas m’y prendre. Toujours est-il que nos rapports restèrent fort distants. Dès qu’ils m’apercevaient, ils ôtaient bien leur chapeau et lançaient en me croisant un revêche Gaï Boug qui signifiait, évidemment : Pomogaï Bog : Dieu vous aide ! Mais si j’essayais de lier conversation, ils me jetaient des regards ahuris, se refusaient à comprendre les plus simples questions, voulaient toujours me baiser les mains — survivance des mœurs féodales polonaises.
J’eus tôt fait de lire et de relire les quelques livres que j’avais apportés. L’ennui aidant, je tentai — à mon corps défendant et sans aucun résultat — de lier connaissance avec les notabilités de l’endroit : le ksiądz4 qui habitait à une quinzaine de verstes, le pan organiste qui partageait son logis, l’ouriadnik5 , le régisseur d’une propriété voisine, ex-sous-officier.
Je voulus ensuite guérir les maux des habitants de Pérébrod. j’avais à ma disposition de l’huile de ricin, de l’acide phénique, de l’iode, de l’acide borique. Mes connaissances rudimentaires en médecine et les réponses stéréotypées de mes clients — « J’ai mal au milieu du corps, je ne puis ni manger ni boire » — m’empêchaient de formuler le moindre diagnostic.
Une vieille femme, par exemple, vient me trouver, s’essuie toute troublée le nez avec l’index de la main gauche, tire de sa poitrine, dont j’aperçois un instant la peau brune, deux œufs qu’elle pose sur la table. Puis elle s’empare de mes mains, désireuse d’y appliquer ses lèvres : je les retire, lui reproche la messéance de son geste :
— Voyons, ma brave femme, que faites-vous là ?... Je ne suis pas un pope... Où avez-vous mal ?
— Au milieu, panytch, au beau milieu du corps ; je ne puis ni boire ni manger.
— Il y a longtemps que ça vous tient ?
Elle répond à ma question en en posant une autre.
— Est-ce que je sais, moi ? Ça me brûle ; ah, ça me brûle !... Je ne puis ni boire ni manger.
Tous mes efforts pour obtenir des symptômes plus précis demeurent infructueux.
— Ne vous inquiétez donc pas, me conseilla un jour l’ex-sous-officier ; ils guériront tout seuls, comme les chiens. Pour ma part, j’emploie toujours le même remède : l’ammoniaque. Un moujik vient-il me trouver : « Qu’est-ce qu’il y a ? — Ça ne va pas... » Aussitôt je lui fourre sous le nez une fiole d’ammoniaque. « Respire ! » Il renifle. « C’est cela... Encore plus fort !... Eh bien, ça va mieux ? — Comme qui dirait... — Tu vois... Allons, rentre chez toi et que le bon Dieu te bénisse ! »
Et puis ces baisements de mains me répugnaient fort : certains individus se jetaient à mes pieds, embrassaient mes bottes ! Ce n’était pas l’élan d’un cœur reconnaissant, mais une dégradante habitude, inoculée par des siècles d’esclavage et d’oppression. Je demeurais stupéfait en voyant avec quelle imperturbable gravité l’ouriadnik et le sous-officier promu régisseur tendaient leurs grosses pattes rouges aux lèvres des paysans.
Il ne me restait que la chasse. Mais à la fin de janvier le mauvais temps m’enleva cette dernière distraction. Le vent soufflait toute la journée, et pendant la nuit la neige se couvrait d’une croûte de glace sur laquelle le lièvre courait sans laisser de traces. Claquemuré chez moi, j’écoutais avec un indicible ennui les hurlements de la tempête. Un dernier passe-temps s’offrit à moi d’une manière originale ; je m’y cramponnai en désespoir de cause et me mis en devoir d’enseigner l’écriture au garde-forestier Iarmola.
J’écrivais un jour une lettre ; soudain je sentis que quelqu’un se tenait derrière mon dos ; je me retournai et aperçus Iarmola qui s’était comme toujours approché à pas feutrés avec ses chaussons de tille.
— Qu’y a-t-il, Iarmola ? demandai-je.
— J’admire comme vous écrivez. Si je pouvais en faire autant... C’est-à-dire pas comme vous, bien sûr, bégaya-t-il d’un ton confus en me voyant sourire, simplement mon nom de famille.
— Quelle idée te prend ? m’étonnai-je.
Iarmola passait pour le moujik le plus pauvre et le plus paresseux de Pérébrod ; il buvait tout ce qu’il gagnait ; ses bœufs étaient les plus mal soignés de la contrée.
— Qu’as-tu besoin de savoir écrire ton nom ?
— Voyez-vous, panytch, me répondit-il avec une extrême douceur, personne au village ne sait lire ni écrire. Quand il y a quelque papier à signer, personne n’en est capable. Le staroste met son cachet sans savoir de quoi il retourne... Si quelqu’un pouvait signer, tout le monde en profiterait.
Je fus touché de voir que ce braconnier, cet insouciant vagabond, dont l’assemblée communale n’eût jamais songé à demander l’opinion, se préoccupait pourtant de l’intérêt général. Je proposai de lui donner des leçons. Tâche ardue ! Iarmola qui connaissait à la perfection tous les sentiers et presque tous les arbres de sa forêt, qui s’orientait partout aussi facilement la nuit que le jour, qui distinguait à leurs foulées tous les loups, lièvres, renards des environs, ce même Iarmola n’arrivait pas à comprendre pourquoi, par exemple, la conjonction des lettres « m » et « a » formait la syllabe « ma ». Semblable énigme le plongeait pendant dix bonnes minutes dans de douloureuses méditations : son