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99 contes fantastiques
99 contes fantastiques
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Livre électronique333 pages4 heures

99 contes fantastiques

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À propos de ce livre électronique

Ces contes se présentent en ordre croissant, du plus court au plus long. Leur facture est d’une part, classique (rigueur, regard souvent féroce sur la réalité) et, d’autre part, ils privilégient la fantaisie, l’imaginaire, le mystère et même parfois le surnaturel. Sans oublier, bien sûr, la poésie.
LangueFrançais
Date de sortie23 avr. 2013
ISBN9782312009940
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    99 contes fantastiques - Francis Crespin

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    99 contes fantastiques

    Francis Crespin

    99 contes fantastiques

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    Du même auteur :

    Poésie :

    Le loup, l’agneau, le renard, le lièvre… et les autres, Fables d’aujourd’hui, Thélès, 2003.

    Entre l’âne et l’orignal, le lion, Fables des 3 continents, Nouvelle Pléïade, 2006.

    Plaisir de fables, Fables du monde, PAVP, 2007.

    Contes et nouvelles :

    Baby, pardonne, Plongée au cœur d’une Amérique insolite, L’Harmattan, 2010.

    Miniroman, Le cri du cadre, ILV Edition, 2011.

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00994-0

    Avant-propos

    Comment obtenir l’usage optimum de ces contes ?

    Avant tout, sachez qu’ils se présentent en ordre croissant, du conte le plus court au conte le plus long.

    Et pourquoi ce titre de « contes fantastiques » ? On le sait, ce qui se conçoit clairement, s’explique aisément. Au cours de mes études, mes préférences littéraires se sont portées vers deux écrivains du XIXe siècle influencés par l’extraordinaire mode du romantisme. Cette révolution esthétique se traduisit par l’adoption d’une forme littéraire nouvelle : le fantastique. Forme sitôt adoptée par des auteurs tels que Poe, Cazotte, Hoffmann…

    Le premier écrivain auquel je me suis intéressé a été Auguste Villiers de l’Isle-Adam (1838-1889). Baudelaire le considérait comme l’artiste le plus doué de sa génération, avec ses Contes cruels, ses Nouveaux contes cruels et son roman L’Ève future.

    Le second fut Guillaume Apollinaire (1880-1918). Victime de la Grande Guerre, cet écrivain peut être considéré comme un des précurseurs de la poésie moderne. Il est l’auteur de contes fantastiques, en particulier avec L’Enchanteur pourrissant et L’Hérésiarque et Cie.

    Bien sûr, ces deux écrivains ne furent pas les seuls à être victimes de ma fringale estudiantine ! Bien d’autres écrivains vinrent s’ajouter par la suite à mon étude. Mon penchant pour le fantastique s’en trouva naturellement fortifié par des œuvres de la même veine. D’un côté, par celles, de facture classique, épicées de rigueur, de dureté, de rudesse, autrement dit par un certain regard, souvent féroce, cruel, sur la réalité. De l’autre, par des œuvres plus modernes qui privilégiaient le monde intérieur, la fantaisie, l’imaginaire, le surnaturel…

    Ainsi, dans ce dernier registre,  naquirent ces contes « fantastiques » nourris par le rêve, la peur, la superstition, le remords… Comme l’écrivait P.-G. Castex (Le Conte fantastique en France), le fantastique, est « une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle ». Autrement dit, le fantastique c’est l’espace du dedans. Il est dans votre regard. Disparus les fantômes, les vampires, les morts-vivants, les sorciers et autres revenants du XIXe siècle !

    Une chose encore. J’ai privilégié une variété de textes qui permettent au lecteur de respirer à son aise, à son rythme, suivant ses préférences. À mes yeux, l’important est qu’il me lise sans ennui. Voilà mon souhait le plus vif.

    F. C.

    L’humour, c’est l’état de grâce de l’intelligence. C’est la conscience de la relativité des choses humaines. C’est le premier mot de la culture et le dernier de la sagesse.

    Doris Lussier (humoriste québécois).

    Un mot, un de plus… et la pensée s’éveille.

    1 – VENGEANCE

    Furieux de s’être atrocement essoufflé en montant les marches, il prit son fusil et, de rage, descendit l’escalier.

    2 – FATALITÉ

    En salle d’opération, on lui retira le martel qu’il s’était mis en tête. Il ne put survivre à l’opération.

    3 – OSMOSE

    Dans la glèbe enfoncé, il eut une chienne de vie. Une vie terre à terre, pendant laquelle il récoltait, à pleins tombereaux, des tonnes et des tonnes de merde.

    4 – SOUFFRANCE ORNITHOLOGIQUE

    Le pire désagrément pour un ornithologue, quel est-il ? Commencer à se déplumer ? Se faire plumer ? Du tout : pour lui, le pire, c’est de tomber sur un bec.

    5 – IMPRUDENCE

    À force de se creuser la tête (bien inutilement d’ailleurs) pour tenter de résoudre d’insolubles problèmes, il tomba raide mort, la cervelle vidée.

    6 – LE FEU SOUS LE POIL

    Étincelante sous son maquillage jusqu’au bout des ongles, gainée de bottes montantes incarnadines, elle allumait sur son passage les mâles leur laissant entrevoir qu’elle était nue sous le vison.

    7 – VIRTUOSITÉ

    L’artiste jongle avec douze assiettes pleines à ras bords, hérissées de douze coupes disposant chacune de leurs douze baguettes. Il jongle, jongle, jongle, les doigts dans le nez, sans laisser échapper un seul grain de riz, une seule goutte de champagne.

    Une ligne, une autre encore… et la pensée ondoie, prend forme, s’affermit.

    8 – HISTOIRE D’UN GRAND DISTRAIT, QUI ATTENDAIT À LA STATION DE MÉTRO RÉAUMUR-SÉBASTOPOL, PAR UNE SPLENDIDE MATINÉE DE MAI, CELLE QUI LUI AVAIT PROMIS, LA VEILLE AU SOIR, D’ÊTRE À LUI POUR TOUJOURS

    Au moment précis où la rame entra dans la station, il avança d’un pas. Crunchchch…

    9 – SYSTÈME D

    Du fond de sa cellule, le prisonnier sortit de sa poche son couteau suisse, échappé par miracle à la fouille. Il dégagea la lame ouvre-boîte. Prenant son temps, tirant la langue, il découpa la porte et prit la poudre d’escampette.

    10 – JUSTE RETOUR DES CHOSES

    À force de casser du sucre sur le dos de ses voisins, son ascension se poursuivit, irrésistible. Jusqu’au jour où une de ses victimes, s’étant aperçue du manège, se rebiffa, s’empara du pilon et réduisit en poudre son calomniateur.

    11 – APPÉTISSANTE

    Appétissante comme du bon pain, elle était bonne, tendre, croustillante, parfumée, nature. On la désirait au point de rêver y mordre à belles dents, sans penser à mal. Comme il fallait s’y attendre, un mec la dévora, toute chaude, le plus naturellement du monde… Il ne resta d’elle que des miettes.

    12 – AMOURS ANCILLAIRES

    La servante mettait les pieds dans le plat avec une candeur, une grâce, une maladresse telles, que son maître, subjugué par ses manières et ne voulant à aucun prix qu’elle fasse tourner la sauce ou rendît son tablier, se forçait, le sourire aux lèvres, à mastiquer, jusqu’à la dernière arête, le brochet mayonnaise.

    13 – LA COQUILLE DE GÉDÉON

    Gédéon donna l’exemple : il emboucha sa coquille (trompette). Ses guerriers l’imitèrent. Et les murailles de Jéricho commencèrent à trembler sur leurs bases. Pris de remords, Gédéon mit la sourdine (dispositif sur des instruments à vent pour amortir les sons) pour ne pas (trop) déranger les assiégés. Ensuite il emboucha à nouveau sa coquille et, cette fois, les murailles de Jéricho tombèrent.

    Ce qui indisposa fort les habitants de la ville.

    14 – LE SECRET DE LA LONGÉVITÉ

    Le rire défrise. Le rire ride. Le rire déforme.C’est la raison pour laquelle de sa vie il ne rit. (À part de fugaces sourires, avaricieux, tout juste, lesquels étirèrent ses lèvres, à peine, et ne firent rire personne.)

    Pleurer, s’emporter, courir… à quoi bon ?, ça use, ça épuise, ça enlaidit, ça vous donne les yeux rouges et les poches sous les yeux.

    Une machine bien huilée qui ronronne, ronronne, ronronne, doucement, dans la naphtaline.

    Telle fut sa vie.

    À vivre sans effort, sans vivre, il vécut centenaire*.

    *Pour les curieux de littérature, il s’agit de Bernard Le Bouvier de Fontenelle, académicien, un immortel – ou presque !

    15 – LA TÊTE

    « Tu me fais la tête, vraiment, tu me fais la tête ? » me demanda-t-elle, un soupçon d’impatience dans la voix.

    Je lui fis signe que oui, je lui faisais la tête.

    Après tout, n’ai-je pas le droit de lui faire la tête ? De bouder ? Ne suis-je pas son petit canard adoré, par hasard ?

    Alors, j’ai choisi une feuille de papier, sorti ma boîte de couleurs, choisi un crayon fusain.

    Avec amour, avec tout le talent dont j’étais capable, je lui ai fait la tête qu’elle réclamait. Le jour de la St Valentin, je la lui ai offerte, sa tête. Celle d’un canard.

    Un paragraphe ou deux et voici la pensée qui s’installe et s’épanouit.

    16 – LA CLANDESTINE

    Ficellé sur son siège d’avion, respirant à grand peine, une mouche vint se poser sur son nez. Aussitôt d’un revers de main, il la chassa. « Ouste ! Va-t-en, sale bête ! »

    Ses voisins lui lancèrent de suspicieux regards, croyant sa raison envolée.

    Mais non ! ce fut la sale bête, qui, tout naturellement, s’envola pour se poser sur le pif d’un autre passager, d’un autre encore, et d’un autre…

    C’est ainsi que, malgré claques, jurons, injures, regards hostiles, contrôles douaniers et formalités d’immigration, une mouche, une toute une petite mouche berrichonne de rien du tout, venue se déniaiser à Paris, parvint, les ailes dans le nez, sans visa, sans passeport, sans fouille d’aucune sorte, à devenir canadienne.

    17 – À L’EAU DE ROSE

    Par une belle nuit d’été où la lune était pleine, il profita de l’occasion pour lui prendre la main. « Mon amie, soupira-t-il en lui baisant le bout des doigts, je vous aime comme jamais vous fûtes aimée. » Ensuite il se pencha sur l’échancrure de son corsage et murmura : « Tout ce qui compte dans ma vie, c’est votre bonheur… »

    Elle pâlit, rougit, pâlit encore mais, par bonheur, l’obscurité était telle que sa pâleur et sa rougeur passèrent inaperçues.

    « Monsieur, gloussa-t-elle, comme vous y allez ! »

    Cependant elle se laissa embrasser. Et réembrasser. Encore et encore.

    Ils se marièrent, vécurent d’eau de rose, se racontèrent des histoires à l’eau de rose, et finirent par avoir une ribambelle de petits diablotins roses parfumés à l’eau de rose.

    18 – HISTOIRE DEAU

    La police tente actuellement d’identifier une jeune inconnue, d’environ vingt-trois ans et demi, dont le cadavre vient d’être retiré des rapides de Lachine, à Montréal (Québec).

    De race blanche, la malheureuse mesure 1 m 59 et pèse 64 kg à sec. Elle a les cheveux bruns mais, en raison de leur long séjour dans les eaux tumultueuses du Saint-Laurent, ils ont repris leur couleur originelle soit celle d’un blond filasse. La morte porte un jeans Levis, du type délavé, ainsi qu’un chandail bleu pâle avec l’inscription "Bonheur suprême".

    Au-dessus du sein gauche de la noyée, un petit tatouage en forme de coeur traversé d’une flèche, avec ces mots : « À l’eau, je t’m ».

    Toute information complémentaire serait la bienvenue. Communiquez avec le commissariat de votre quartier.

    19 – LE BRAS D’ALEXANDRE

    À la veille de la bataille de Gaugamèles, en Mésopotamie, bataille qui s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices, Alexandre eut la plus désagréable surprise de sa vie. Alors qu’il reposait sur sa couche, un bras menaçant se dressa soudain devant ses yeux à peine entrouverts.

    Un bras musclé, un bras parfumé, le bras d’un roi (probablement celui de son adversaire Darius), le saisit à la gorge. Malgré la douleur, Alexandre retint un cri pour ne pas réveiller sa compagne étendue à moitié nue à ses côtés et se prépara à repousser l’attaque.

    Dieux du ciel et de l’enfer !, il attrapa solidement l’intrus par le poignet, le tordit aussi fort qu’il put et poussa, pour de bon cette fois, un cri à propulser la favorite hors des bras de Morphée, un cri de douleur, de rage, de désespoir : le bras de l’ennemi, c’était le sien !…

    20 – LE FIL DE LA VIE

    À sa naissance, son cordon ombilical s’entortilla autour de son cou. Mauvais début. Il s’en fallut d’un fil qu’il meure étranglé entre les cuisses maternelles.

    Devenu grand, il s’attacha au métier de maçon. Toute la journée, truelle en main, il surveillait son fil et chantait en montant son mur. Un mur bien droit, net, sans bavures.

    Pendant ses loisirs, il taquinait la carpe et le goujon. L’œil rivé sur le bouchon du fil. Impassible comme un procureur en exercice.

    Rectiligne et paisible, sa vie se tendait entre son fil à plomb et sa canne à pêche.

    Un jour de grand vent, le fil à plomb cassa.

    « Mauvais présage… » grommela-t-il tout chose, la gorge nouée. Sa chanson dépérit. Son mur perdit son aplomb. Sa vie ne tenait qu’à un fil.

    Comme de juste : le lendemain, on le retrouva pendu à son fil. La langue pendante, tordue, violette.

    21 – RECETTE POUR UN PAPY RUSSE

    Trempez votre papy russe dans un bol d’eau fraîche. Surtout s’il s’étiole et manifeste quelque aversion pour les moutons.

    Vous verrez, c’est radical ! Il cessera illico de crier : « De grâce, ôtez-moi ces moutons au-dessous de mon lit !… »

    Instantanément, il reprendra des couleurs.

    Vous aurez la paix. Au moins pour un moment. Et même pour un bon moment.

    Au cas où, une fois remis dans son fauteuil, votre vieux papy s’écrierait à nouveau : « Je les vois toujours !… » Alors, n’hésitez plus : passez l’aspirateur sous le lit.

    L’opération terminée, s’il persistait encore à divaguer avec ses mammifères à toison, en ce cas, bien sûr, carrément, renversez-lui le bol sur la tête.

    Un bol d’eau bien fraîche ça fait passer les humeurs moutonnières… Ça fait du bien.

    22 – RENDEZ-VOUS MANQUÉ

    J’étais tout feu tout femme.

    Je délirais dans les roseaux secs où j’attendais ma flamme.

    Elle vint.

    Les roseaux s’enflammèrent instantanément. À travers un rideau de fumée, je m’enfuis vers le lac, dépité, le poil roussi.

    La fraîcheur des eaux me redonna courage. Après quelques brasses, je revins sur terre et marchai sur les braises, pieds nus.

    Je la cherchai. En vain. Elle s’était volatilisée ou plutôt consumée. Du moins, je le présume. Car je retrouvai, au milieu des flammèches, la semelle de ses sandales. À demi-carbonisée, fumante, pitoyable.

    Ça m’apprendra à m’embraser pour le beau sexe. La prochaine fois, je ne jouerai pas avec le feu. Promis.

    Il n’y a pas de fumée sans feu. Ni d’allumeuse sans réverbère. Ce qui n’est pas tout à fait exact, je l’avoue. Je recommence : il n’y a pas de fumée sans feu. Ni d’allumeuse sans allumé.

    23 – MÉDECIN

    Angélique ôtait son soutien-gorge lorsqu’elle se tourna vers son mari : « Chéri, t’as l’air patraque.

    – Tu crois ? »

    Il se tourna vers elle, le souffle court, les yeux exorbités.

    « Oui, je crois. »

    Elle reprit son déshabillage. « Je crois même, ajouta-t-elle, que t’aurais besoin d’un médecin. C’est urgent.

    – T’as raison, c’est urgent.

    – Robert, ne bouge pas, je téléphone. »

    Elle se dirigeait déjà vers l’appareil quand son mari lui prit le bras. « Pourquoi téléphoner, mon ange ? Inutile ! J’ai à portée de main tout ce qu’il me faut pour guérir !

    – Je ne comprends pas… »

    Il éclata de rire. « Tu vas comprendre. Ne m’as-tu pas dit : T’as besoin de mes deux seins ? Alors, j’attends mon remède ! Et qu’ça saute ! »

    Et il tendit les mains vers la guérison.

    24 – COUP DE FOUDRE

    Trois éléments, un soupçon, un sentiment, une émotion, sommeillaient (tant bien que mal, il est vrai) chez la même personne, un charmant jeune homme.

    « Je soupçonne, murmura le premier élément.

    – J’ai le sentiment, soupira le deuxième.

    –… que nous commençons à ne plus nous sentir ! » compléta sèchement le dernier.

    Au même instant, le jeune homme aperçut la fille. Belle comme un jour de printemps. À croquer – avec délicatesse, bien sûr.

    « Je soupçonne… reprit le premier élément, soupçonneux de nature, qui ne savait que répéter les mêmes choses.

    –… que je ressens… compléta le second.

    –… comme un éblouissement ! » acheva le dernier.

    Le jeune homme aborda la donzelle : « Mademoiselle… »

    La beauté lui sourit.

    Coup de foudre.

    Fusion des trois éléments.

    25 – VENTS

    Aucun métier au monde n’est méprisable : il gagnait sa vie au théâtre. Il n’était pourtant ni acteur ni régisseur ni souffleur : il gagnait sa vie avec du vent. Avec ses propres vents pour être plus spécifique : le monsieur était pétomane.

    Cela n’avait pas été facile, pas facile du tout pour lui de trouver un emploi. Les directeurs de théâtre lui riaient au nez : « Du vent ? Du vent? Enfin, vous voulez rire ! Que voulez-vous faire avec du vent? Du vent, Monsieur ! »

    Un pourtant eut du flair, si l’on peut dire, celui de l’engager.

    Il lui suffisait d’apparaître, de se pencher très en avant, perpendiculairement à ses jambes, d’empoigner ses cuisses, d’inspirer profondément, de raidir les bras… pchitt… Le public adorait ça, en redemandait, applaudissait à tout rompre. Surtout lorsqu’il mettait le feu aux vents.

    Un soir de grand vent, alors qu’il répétait en plein air son numéro, Éole, le dieu des vents, jaloux de son succès, profita de l’aubaine pour s’engouffrer dans son… entrejambe et l’emporter dans les airs. Bon prince, il lui permit pour ne pas trop perdre la main (si l’on peut dire), d’exercer ses talents. De ce fait, le dieu continua, de temps à autre, à souffler un peu et, le reste du temps, prit des vacances.

    26 – L’ESPAGNOL À LA VALISE

    Sur le coup de midi, en pleine sierra d’Alcubierre (commune d’Espagne, province de Huesca, communauté autonome d’Aragon), l’Espagnol, un svelte bonhomme vêtu de noir de la tête aux pieds, aux traits durs et sombres, s’arrêta sur le bord de la route. Avant de se redresser, sur un rocher plat, il posa sa valise. Une bonne grosse valise de carton noir, éraflée par les voyages, boursouflée par les ans, minable.

    Après avoir ôté son feutre aux arêtes aussi droites que les ombres du moment, le voyageur, longuement, comme à plaisir, s’épongea le visage d’un chiffon d’ébène, sorti d’on ne sait où, tout en considérant avec un sourire, une légère crispation au coin des lèvres, le paysage qui l’entourait : une plaine impitoyable, couverte d’épineux à perte de vue, anéantie de soleil.

    L’examen terminé, l’homme sombre s’assit en face de sa valise. Du geste précis du maestro qui attaque sa partition, il l’ouvrit, en tira diverses pièces avec lesquelles il développa, rue après rue, quartier après quartier, sans hâte, toute une ville, une ville immense qui se tordait et se déformait dans les bouffées de chaleur jusqu’à l’horizon.

    Son oeuvre accomplie, il referma soigneusement le couvercle de sa valise, saisit la poignée et se dirigea avec nonchalance vers le premier café venu.

    27 – EMOI

    Décor : un parasol rouge à rayures bleues, quelque part sur une plage, en fin d’après-midi ; une mer qui somnole ;

    Personnages : Madame en monokini sous le parasol ; à ses côtés, Monsieur qui fait la sieste ; deux chiens de service.

    Entre les deux loloches de Madame, son ventre rose à l’air, Basset roupillait, extatique, gorgé des caresses de sa maîtresse.

    « Mon canari, mon roudoudou, mon gros lapin, mon ours du Bengale… » roucoulait la belle enjôleuse ou quelque chose d’approchant. Ce qui ne dérangeait pas l’adorable Basset, au contraire. Qui ne dit mot, consent.

    Survint un berger allemand. Noir, redoutable, superbe.

    Dans le temps de le dire (et de l’écrire) : la saucisse sursaute, saute à terre et s’enfuit, ventre à terre – ou plutôt ventre à sable.

    Madame pousse un cri, les nénés affolés.

    Monsieur ouvre l’oeil, simplement.

    L’Allemand, lui, l’Allemand, la truffe dédaigneuse, le regard hautain, leur tourne le dos et disparaît par où il est venu. Et le canari, où s’est-il envolé ?

    28 – LE JOUEUR

    Avant de monter sur le billard, forcément, le joueur avait les boules. Qu’allait-il lui arriver ? Entre les doigts de sa main gauche, les boules cliquetaient, discrètement, à peines audibles. Soudain, comme il posait le pied sur la table, le joueur saisit une boule, la rouge, dans sa main droite et l’éleva au-dessus de sa tête.

    « Non !… non !… » s’écrièrent précipitamment les hommes autour de lui. Des hommes tout de vert vêtus. Trop tard ! De la main du joueur la boule s’échappa. Clac ! elle frappa un des hommes au front. Puis, d’un geste aussi précis que rapide, la main prit une autre boule, la noire celle-là, et la lança. Sur une autre cible. Et la main répéta le mouvement, encore, et encore. Avec la même habileté chirurgicale. Toutes les boules y passèrent. La bleue, la blanche, la verte, la dorée…

    Quand le joueur eut épuisé ses projectiles, il contempla la scène. Posément. Ses adversaires se frottaient le crâne. En grimaçant. À l’exception d’un seul qui riait jaune (un petit sec qui s’était caché derrière ses collègues). « Merci messieurs ! murmura le joueur, maintenant, je ne suis plus dans le pétrin ! Maintenant que je n’ai plus les boules, je suis à vous ! »

    29 – DE TROU EN TROU

    Un jour, l’homme des cavernes, un chasseur, en eut assez de courir. Il s’arrêta, mit un doigt dans sa bouche et s’écria : « Merde !…, pas de bol, j’ai un trou dans ma dent ! » À croire qu’il ignorait en avoir plusieurs.

    Au même moment, une noix de coco, mal lunée ce jour-là, lui tomba dessus. « Merde !…, éructa-t-il, j’ai un trou dans ma tête ! » Cette fois, il avait vu juste : il n’en avait qu’une.

    Etourdi, il se coucha et soupira : « Merde alors !, je suis un trouduc, pour avoir été sous les cocotiers sans obéir au principe de précaution ! »

    Son état empira mais, avant de passer l’arme à gauche, il eut le temps de marmonner : « M… M… Merde !, j’ai pas eu le temps de faire mon trou… ou… ou… »

    Dix minutes plus tard, un autre cosaque survint sur les lieux du drame. Il grogna : « Merde alors !, j’ai pas envie

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