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Le collier d’émeraude: Roman
Le collier d’émeraude: Roman
Le collier d’émeraude: Roman
Livre électronique253 pages3 heures

Le collier d’émeraude: Roman

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À propos de ce livre électronique

Marie-Line Breton, en 1766, vient de perdre sa mère. Elle lui a laissé un petit carnet de notes, où elle va découvrir petit à petit l’histoire de celle-ci, mais aussi celle de ses aïeux...

L’action se passe au 18ème siècle en l’Île-de-France devenue MAURICE depuis la Révolution Française. Marie-Line Breton, en 1766, vient de perdre sa mère qui lui a laissé un petit carnet de notes où elle va découvrir petit à petit l’histoire de celle-ci, mais aussi celle de ses aïeux ayant dépensé des sommes extraordinaires dans le jeu. Un collier d’émeraude a été perdu au fil du temps et Marie-Line, convaincue que ce bien lui revient de droit, va partir à sa recherche, assistée en cela de son époux avoué à Port-Louis, ainsi qu’avec l’aide de l’un de ses frères, officier de la toute puissante Compagnie des Indes. Nous assistons tout au long du récit à la vie de chacun des personnages dans cette colonie royale, où le commerce du « bois d’ébène » est fructueux pour les grands administrateurs de l’île, et certains colons et où le jeu fait et défait les fortunes. C’est aussi, l’histoire mouvementée de cette course inépuisable vers la vérité que recherche l’héroïne.

Un collier d’émeraude a été perdu au fil du temps et Marie-Line, convaincue que ce bien lui revient de droit, part à sa recherche. Découvrez dans ce roman historique le parcours mouvementé d'une course inépuisable vers la vérité au sein d'une colonie.

EXTRAIT

Nos aïeux ont réussi à défricher la dixième partie de Maurice et nous continuons de la cultiver en y semant froment, orge, avoine, riz, maïs et millet. Une grande partie est réservée aux Noirs et est faite de manioc, seule nourriture qu’ils acceptent d’avaler. Certains colons ont entrepris de faire du sucre et du fort beau coton mais on ne peut labourer les terres à cause des pierres la jonchant, alors beaucoup d’entre eux façonnent les champs à coup de pioches en y jetant quelques grains dans les trous formés par celles-ci. Dès qu’un champ se trouve moissonné, on y plante un autre grain. Les terres récemment défrichées sont de bons rendements mais sont trop sollicitées. Certains disent que c’est la faute des abattages de bois qui rend la terre sèche au point de ne faire que de la poussière, terrain privilégié des fourmis et de toutes sortes d’insectes nuisibles.
Heureusement, nous avons de beaux jardins. Je vous parlerai du nôtre un peu plus en avant. La plupart des colons de nos amis y cultivent des légumes de métropole en faisant venir des graines de France par les navires de la Compagnie mais aussi provenant du Cap et de l’île Bourbon. Pourtant peu de fruits ici peuvent venir à maturité.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Madeleine Arnold-Tétard s’est mise tardivement à l’écriture, n’ayant , jusqu’en 1995, écrit que des historiettes ou essais restés dans ses tiroirs.
Archiviste documentaliste de la ville de Meulan pendant toute sa carrière et Historienne d’Art de formation, elle s’adonne tout naturellement à l’écriture, et ce, de façon définitive peu après la retraite en 2002, et depuis, elle n’a cessé de noircir des pages et des pages... Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages à succès.
LangueFrançais
Date de sortie12 avr. 2019
ISBN9782378779979
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    Aperçu du livre

    Le collier d’émeraude - Madeleine Arnold-Tétard

    Chapitre 1

    Année 1766 – le carnet vert –

    Je m’appelle Marie-Line Breton et suis l’épouse d’Albert Ferrat avoué à la Cour. Nous sommes en l’année 1766. Je viens de retrouver, dans un vieux coffre rangé dans notre grenier et appartenant à ma mère, un petit carnet recouvert de velours vert. Qu’en est-il de son contenu ?

    Mère nous a quittés dernièrement, à peine voici trois mois de cela n’ayant pas supporté la mort de mon père pourtant parti depuis déjà trois années. Dès cette date fatidique, elle n’a fait que s’affaiblir pleurant tout le jour son amour perdu, le seul homme qu’elle n’ait jamais connu dans sa vie. Nous avions tout fait pour qu’elle se sente bien chez nous, rien n’y a fait. Elle s’est éteinte de chagrin, telle une bougie.

    Elle n’a pas vu fleurir cette nouvelle année s’étant éteinte à la mi-décembre 1765. J’ai vingt-trois ans et me retrouve orpheline du jour au lendemain. Je suis désormais celle qui doit faire face à tout cet héritage et se doit de décider de trier les affaires personnelles de mère se trouvant encore dans une vaste malle que je n’avais pas encore eu le courage d’ouvrir depuis son décès. Mes frères m’ont laissé tout loisir de m’occuper de cela ayant bien d’autres chats à fouetter de par leurs affaires avec la Compagnie des Indes. Mes mains, en tâtonnant dans toutes ces lingeries, ont trouvé ce carnet tout au fond de ce coffre où mère serrait ses vêtements ou ceux qu’elle ne portait plus depuis son deuil. Il était bien caché aux yeux de tous et, sans doute, quiconque ne l’aurait retrouvé si je n’avais pas entrepris ce tri.

    Je dois vous entretenir de notre vie dans cette île entourée de lagons. La Compagnie des Indes nous a envoyé dans cette colonie appelée aussi Maurice du nom de son découvreur, Maurice de Nassau prince des Hollandais, ce depuis plusieurs générations. Je suis la quatrième génération de notre famille à vivre sur cette Isle de France. Père m’a souvent conté que le voyage fut assez éprouvant pour nos aïeux afin d’arriver à bon port. Le voyage durait alors cinq mois. La Compagnie possédait le monopole du commerce et beaucoup de matelots se rendirent, sur les navires, de Lorient jusqu’à cette île où ils débarquèrent, pour la plupart, pour toujours. Une fois arrivés au Port-Louis, de l’Île-de-France, certains autres colons restèrent parfois plusieurs années dans l’océan Indien, avec pour base ce port où se déroulaient toutes sortes de trafics, et ce avant de regagner la France où le roi Louis le Quatorzième, encore vivant, leur donnait l’absolution pour les débordements bien souvent occasionnés.

    Mon arrière-grand-père, François Breton, s’engagea donc, pour son premier voyage pour la Compagnie, sur la flûte Le Massiac. Il n’avait que seize ans et ferait plusieurs expéditions en Indes et en Chine avec de longs séjours dans l’océan. Il naviguera pendant près de six ans avant de prendre pied ici où nous vivons tous, désormais, dans son souvenir.

    Père, qui connut son grand-père, m’avoua qu’il fit de très nombreuses fois la route entre Lorient et les îles. Qu’entre-temps il eut le souci de fonder famille et de donner le jour à mon grand-père ; le temps se trouvait très limité entre deux voyages pour profiter de sa famille et se comptait en mois et rarement en année complète, mais tout le monde s’y faisait.

    Que trouvèrent donc de si attrayant, sur cette île encore presque inhabitée, ces premiers colons ? Que firent-ils, sur place, pour intégrer sans peine ce climat et cette faune et flore tellement démesurés à leurs yeux incrédules et surtout comment les familles virent-elles ses séparations continuelles dues à la Compagnie n’ayant de cesse de multiplier leurs voyages ?

    François ne savait ni lire ni écrire et n’a donc jamais laissé de traces écrites de ses voyages, ni même de lettres que mon arrière-grand-mère n’aurait su lire. Leur traversée était pourtant narrée par l’écrivain de bord ou par quelques capitaines érudits, ce qui nous a permis de connaître certaines de ses traversées. L’île se trouvant à trois mille six cents lieues de la grande Madagascar fait partie, avec l’île Bourbon et Rodrigues, de l’archipel volcanique des Mascareignes. Ceci, je l’ai appris grâce aux religieuses du lycée de Port-Louis où père m’avait inscrite pour me donner une certaine éducation de jeune fille bourgeoise. J’avais appris également qu’en 1753, un certain abbé appelé de La Caille s’était rendu ici pour établir des relevés destinés à dresser la carte de notre île et en avait fait une description des plus honorables.

    Notre terre est recouverte d’une quantité incroyable de pierres de toutes grosseurs cendrées noires ; également de pierres ponces principalement sur la Côte-Nord de l’île, de laves ou d’espèce de laitier et de fer. S’y trouvent aussi des grottes profondes et d’autres vestiges de volcans anciens éteints à ce jour. L’île de France est recouverte de bois de belle facture, surtout du côté-est de celle-ci qui sont, cependant, submergés de lianes et de fougères. Plus de soixante ruisseaux se trouvent dans la partie méridionale de l’île. Beaucoup ont des largeurs et profondeurs les rendant difficiles à passer. Nous avons également, dans le centre de l’île, de forts nombreux étangs d’eau douce, sources de tous ces ruisseaux. Dans le côté-nord et nord-ouest les habitants souffrent du manque d’eau car on n’y rencontre que des mares d’eau salée.

    Nos aïeux ont réussi à défricher la dixième partie de Maurice et nous continuons de la cultiver en y semant froment, orge, avoine, riz, maïs et millet. Une grande partie est réservée aux Noirs et est faite de manioc, seule nourriture qu’ils acceptent d’avaler. Certains colons ont entrepris de faire du sucre et du fort beau coton mais on ne peut labourer les terres à cause des pierres la jonchant, alors beaucoup d’entre eux façonnent les champs à coup de pioches en y jetant quelques grains dans les trous formés par celles-ci. Dès qu’un champ se trouve moissonné, on y plante un autre grain. Les terres récemment défrichées sont de bons rendements mais sont trop sollicitées. Certains disent que c’est la faute des abattages de bois qui rend la terre sèche au point de ne faire que de la poussière, terrain privilégié des fourmis et de toutes sortes d’insectes nuisibles.

    Heureusement, nous avons de beaux jardins. Je vous parlerai du nôtre un peu plus en avant. La plupart des colons de nos amis y cultivent des légumes de métropole en faisant venir des graines de France par les navires de la Compagnie mais aussi provenant du Cap et de l’île Bourbon. Pourtant peu de fruits ici peuvent venir à maturité.

    Nous n’avons aucun troupeau de bêtes comme mes ancêtres en possédaient en Bretagne d’où nous venons. Uniquement, nous élevons quelques chèvres et leurs cabris et quelques cochons venus de France ou d’Inde que l’on peut nourrir facilement. Très peu de moutons, quelques bœufs et vaches provenant de Madagascar, ces bœufs bizarres que l’on nomme ici des zébus et quelques pauvres vaches, bien maigres, ne donnant que peu de lait. Celles ramenées de France par les matelots sont beaucoup trop chères mais rendent plus abondamment.

    Le climat d’ici, dans notre siècle actuel, est tropical m’a-t-on appris à l’école des sœurs. Il est pourtant tempéré par les influences océaniques. J’adore le souffle des alizés du sud-est engendrant quelques oppositions selon les versants de l’île. Nous sommes situés sur le passage de cyclones terrifiants provenant de l’océan pendant le temps de l’été. Je redoute toujours d’en voir arriver un qui détruirait tout ce que nous avons eu tant de mal à construire.

    Que voyons-nous d’habitants sur cette île aux multiples ethnies ? La Compagnie a apporté des hommes libres les blancs égaux juridiquement ; s’y trouvent également les métis et puis les esclaves dont beaucoup de colons profitent largement en les faisant trimer du matin au soir sous le soleil de plomb, les nourrissant que du seul manioc ou de riz. Sur cette langue de terre, nous sommes près de deux mille habitants. Beaucoup sont encore célibataires et sont employés de la Compagnie des Indes ayant laissé, pour ceux mariés, leurs femmes et enfants sur le grand continent du royaume de France. Seules les familles implantées depuis trois générations ont fait venir les leurs comme c’est notre cas.

    Ceux que nous nommons les libres sont des esclaves affranchis des malabares que les colons ont amené de l’Inde comme ouvriers à tout faire. Ils sont plus d’un millier ici et beaucoup les emploient à diverses tâches. Quant aux esclaves proprement dits, ils sont deux fois plus nombreux que nous les Blancs. Leur chiffre menace de doubler car provenant de la traite avec Madagascar ou le Mozambique mais aussi de l’Inde, et beaucoup proviennent désormais d’Afrique, vendus par leurs rois réciproques car étant, soi-disant, de mauvais sujets. Ainsi ils s’en débarrassent à bon compte obligeant les négociants à leur donner des sommes exorbitantes !

    Quelques décennies plus avant, Père avait parlé un jour, à l’un de ses collaborateurs, de la mauvaise politique navale du royaume et de la réduction de la flotte royale, obligeant ainsi les officiers de marine à passer à la Compagnie des Indes, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Pourtant, je m’étais laissée dire, quelques années plus tard, que l’ancien roi, Louis XIV possédait une flotte à nulle autre pareille ! J’en avais d’ailleurs trouvé la liste lors d’une publication de la Gazette nous parvenant du continent, avec beaucoup de retard certes et que j’aimais à parcourir pour me documenter. En effet, ne lisait-on point que ce roi avait possédé jusqu’à quatre-vingt-douze vaisseaux et quatre mille quatre-vingt-quatorze pièces de canon avec un peu plus de trente mille hommes d’équipage ! Plus tout un tas d’autres navires plus légers mais tout autant utiles à son commerce, des brûlots, des flûtes, des frégates, des pataches, tartanes, sabarets et cénaux, sans compter les avoirs qu’il possédait sur les bateaux de la Compagnie des Indes tant orientale qu’occidentale et dont il était le chef suprême et quelques autres navires partant de Saint-Malo, détenus par des armateurs fort riches devant rendre des comptes à Sa Majesté. Ces bateaux traversaient les mers et océans avec de nombreux hommes de bord, tant officiers ordinaires qu’extraordinaires qui n’étaient payés qu’avec beaucoup de retard. Les officiers majors semblaient les mieux récompensés touchant une centaine de livres jusqu’à trois cents pour les mieux gradés. Les enseignes, quant à eux, ne touchaient qu’à peine la moitié de ce que recevaient les capitaines et autres lieutenants ; tout juste se contentaient-ils d’une cinquantaine de livres par traversée ; quant à l’aumônier, considéré lui aussi comme officier major, il était bien le moins loti avec ses trente livres. Le chirurgien et l’écrivain de bord mieux gâtés touchaient la même prime que les enseignes. Les officiers mariniers, eux, recevaient entre seize et quarante livres selon leur rang. Il y avait tant et tant d’hommes à bord qu’il fallait payer sous peine de rébellion, sans compter les professions spécialisées comme maître charpentier, maître calfat, Bosman ou bosco, quartier-maître, maître de chaloupe, voilier, armurier, l’aide-chirurgien secondant le maître chirurgien tout puissant, sans compter les valets du capitaine, les officiers munitionnaires, les simples matelots et quelques soldats toujours possibles pour parer aux attaques de navires ennemis. 

    Toutes ces galères transportaient souvent des prisonniers emmenés dans les récentes colonies pour y purger leur peine mais aussi nombreux esclaves, tout comme elles transportaient, pour la nourriture des hommes, des vivres disparates et pouvant se conserver. On y entassait bien des têtes de bétail comme moutons ou également volailles comme des poulets, des douzaines d’œufs, des livres de farine, de sucre, de riz, de pruneaux et des quintaux de foin pour nourrir les chevaux embarqués si besoin. Certains navires faisant de longs parcours allant de deux à six mois embarquant pour plus de vingt et un mille livres de marchandises. Parfois, à l’arrivée, les matelots en manquaient, malgré tout, et ce depuis plusieurs jours.

    *

    J’aimerais aussi évoquer notre bonne ville de Port-Louis qui est notre capitale. Elle possède une excellente rade pour les navires ne cessant de faire les va-et-vient. C’est un port aménagé, comportant de nombreuses installations pour le mouillage à Caudan et pour l’entretien des bateaux quelque peu endommagés par les tempêtes ou autres étocs rencontrés en route. Nous avons, dans cette ville, environ un demi-millier de maisonnettes, toutes faites de bois, que certains déplacent au gré de leur fantaisie sur des rouleaux. Il n’y a aucune vitre ni rideaux et les meubles y sont de très faible qualité. Nous avions la chance, pendant mon enfance, de demeurer à Pamplemousse, un petit village tout près de là et bénéficions, grâce aux sacrifices de mes aïeux, d’une belle maison. Les rues, si l’on peut qualifier ces chemins de rues, n’étaient à l’époque, ni pavées ni bordées d’arbres. Quelques esquines y poussent provenant d’Asie et leurs aiguillons sont bien souvent la cause de blessures aux pieds des usagers. Après tout, c’est peut-être un bienfait car ne dit-on point que son rhizome est antirhumatismal ? Ces chemins sont, eux aussi, parsemés de pierres et aucun entretien n’est à l’ordre du jour des travaux décidés par notre gouverneur.

    Mon grand-père, ayant débarqué plusieurs fois malade, fut l’hôte de l’hôpital de Port-Louis en débarquant du Massiac et les autres fois en quittant le Dauphin, deux des flûtes sur lesquelles il faisait ses traversées. Ce bâtiment de soins, nous le devons à Mahé de la Bourdonnais mort depuis une dizaine d’années et qui fut un excellent gouverneur général des Mascareignes pour la Compagnie. Cet hôpital s’élève entre le trou fanfaron et le bassin des chaloupes du port. Nous lui devons aussi, à ce brave gouverneur, de nombreux bienfaits sur les établissements français des mers de l’Inde et ici en Isle de France ainsi qu’à Bourbon. Pourtant tout cela ne fut pas du goût de certains des directeurs de la Compagnie en raison de leur coût ! Pauvre gouverneur qui fut destitué de son poste pour soi-disant une entente avec l’ennemi ce que le général Dupleix lui opposa. Il fut alors envoyé en Martinique et fut ensuite prisonnier à Londres pendant quelques années, puis embastillé à Paris en 1748. Il sera jugé en 1751 et mourra après sa libération en 1753. Père gardait de lui un souvenir ému et reconnaissant. Beaucoup de colons le pleurèrent pendant des années.

    *

    La concession, que possédaient mes parents à Pamplemousse, n’avait pas été acquise sans peine. Il en avait fallu défricher des terres pour obtenir enfin le droit de s’y installer. Que d’heures passées à l’arrachage de ces herbes collantes sous le soleil ardent ! Que d’efforts avaient dû fournir François, mon arrière-grand-père, pour donner à sa jeune femme et à leurs enfants, un semblant de vie normale sur cette île encore sauvage. Il lui avait fallu détourner le minuscule ruisseau situé aux confins du domaine pour les faire parvenir sur les lieux les mieux exposés aux cultures ! Seuls, le coton, l’indigo, la canne à sucre formaient les meilleurs rendements. Les colons, entre eux, ne se prêtaient guère la main ou après de longues palabres ! C’était chacun pour soi !

    Nous vivions donc, depuis ma petite enfance, en une maison merveilleuse, dans ce lieu de Pamplemousse ; bien que modeste, elle se situait au sein d’un jardin luxuriant. La maison se composait d’une varangue (1) avec ses perrons en pierre de taille, sur laquelle ma mère disposait de nombreux pots de gandhias naturels, des fougères à profusion, ce qui nous amenait beaucoup de fraîcheur pour lutter contre la chaleur intense du soleil. Je me prélassais dans les bras de ma nénène (2) Laure de longues heures durant ; nous nous balancions grâce aux gros fauteuils à bascule, faits de bois achetés à la Compagnie des Indes et que Mère disposait harmonieusement sur cette terrasse. Les portes vitrées de notre demeure, garnies de voilages de dentelle, laissaient filtrer le jour dans la maison quelque peu sombre. Nous l’éclairions, le soir venu, par une lampe à l’huile de coco. Ces portes rappelaient celles des maisons de notre Bretagne ancestrale où étaient nés mes ancêtres et dont Père m’en avait fait la description ; je le soupçonnais de les avoir fait poser, tout exprès, pour qu’il se souvienne, lui aussi, de son enfance là-bas, sur les Monts d’Arrée et qu’il en gardât, à jamais, une image inaltérable.

    Comme j’adorais respirer tous ces parfums, les essences naturelles de ces plantes extraordinaires ne poussant qu’ici et devenant gigantesques. Père aimait bien jardiner. Je l’assistais, tant bien que mal, à l’époque, du haut de mes quatre ans, en ces travaux que beaucoup trouvaient ragoûtants. Moi, je m’y complaisais avec tant de plaisir. Remuer la terre, biner, bêcher, arroser les plants avec mon minuscule arrosoir fabriqué exprès, pour moi, par le ferblantier du village, un vieux créole fripé comme une vieille pomme, tout crépu, à qui je me faisais, à chaque fois, une joie d’aller rendre visite. Il y avait tant d’odeurs merveilleuses chez ce vieux grigou ! Nénène Laure m’y emmenait quelquefois à contrecœur. Il nous accueillait toujours en riant et en criant « vini Manzelle… vini voir mon banne ferblanc ». Nénène ne l’appréciait pas vraiment ni d’ailleurs l’amitié qui me liait à lui ! Elle ne disait rien mais n’en pensait pas moins. Elle le trouvait indigne de me parler ainsi, car j’étais, malgré tout, Mademoiselle Breton et l’on se devait de me respecter ! La vie passait ainsi, insouciante pour moi, jusqu’à ce qu’arrivât ma puberté.

    J’étais rose d’émotion, comme les fleurs recouvrant la varangue de l’Habitation d’une de mes tantes qui ne choisissait toujours que des fleurs ou plantes de cette teinte douce ! J’avais quinze ans et demi et je venais de tomber amoureuse. Albert, mon amoureux, serait bientôt mon époux. Il m’offrirait un immense bouquet de fleurs d’Ibiscus orné de grands feuillages ; lui-même tiendrait son bouquet plus modeste de marié. Nous serions si beaux tous les deux, vêtus tout de blanc immaculé, moi-même dans une robe de dentelle rehaussant ma fine silhouette. J’étais fragile à cet âge car mon corps s’était insuffisamment développé pour recevoir les hommages de mon époux. Que m’importait, je l’aimais, j’en étais certaine, d’un amour profond ! Avec le temps, je le sais, viendrait certainement ce désir que toute femme ressentait pour son époux. Je m’en persuadais chaque jour et Albert le comprenait ! Il avait dix années de plus que moi, était avoué à la Cour et d’une beauté à couper le souffle. J’étais tombée raide dingue amoureuse de lui au premier regard et lui de moi. Étonnant vous direz-vous mais, dans notre siècle, ce genre de mariage disparate était légion.

    Notre maison d’époux, venant par héritage à Albert, établie à Port-Louis, était à l’image de celle à Pamplemousse. Son jardin me semblait, chaque jour, plus luxuriant encore. Était-ce l’amour qui me le faisait regarder comme un nouveau

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