Des arbres au long cours
Finalement, qu’a-t-on retenu de la fameuse mutinerie du Bounty ? L’épuisement de l’équipage, tripes déchirées par l’eau croupie et les biscuits véreux, l’impitoyable rigueur du lieutenant Bligh toujours prompt à dégainer le chat à neuf queues, les voluptés polynésiennes – Tahiti ne s’appelait pas la Nouvelle-Cythère pour rien –, la froide vengeance d’un Marlon Brando alias Fletcher Christian toujours élégant malgré le bicorne lorsqu’il abandonne Bligh et 18 de ses hommes aux bons soins d’une misérable chaloupe de cinq mètres de long, et puis la fuite éperdue pour échapper au « long bras de l’amirauté » jusqu’à Pitcairn où les mutins survivants s’entretuent… Certains auront peut-être aussi une pensée pour Bligh et ses malheureux compagnons qui parviendront à rejoindre l’île de Timor après une petite croisière de 6 500 km et 41 jours. Mais qui songe un instant aux 1 015 victimes innocentes de cette mutinerie ? 1 015 petits plants d’arbre à pain, patiemment récoltés pendant six mois, sans défense au fond de leur pot, que le cruel Christian fait jeter à la mer sitôt la chaloupe éloignée. Tel était le butin convoité à l’origine par le Bounty. Missionné par la Royal Society, Bligh devait se procurer des jacquiers en Polynésie et les acheminer jusqu’à l’île de la Jamaïque où leurs gros fruits pourraient nourrir les esclaves à bon marché. L’expédition comme tant d’autres en cette fin de XVIIIe siècle était placée sous le sceau de la botanique, une botanique utilitaire au service de politiques mercantilistes. Explorateurs, naturalistes et autres aventuriers aux mains vertes embarquent alors les arbres à bord deleurs vaisseaux et leur font traverser l’océan d’un continent à l’autre pour la plus grande gloire de la science… et de l’économie.
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