Le Tour du monde en 240 jours: L'Hindoustan
Par Ligaran et Ernest Michel
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Avis sur Le Tour du monde en 240 jours
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Aperçu du livre
Le Tour du monde en 240 jours - Ligaran
EAN : 9782335041699
©Ligaran 2015
Préface
Les Hindous ont le type européen, excepté la couleur.
Il n’y a pas bien longtemps, pour s’instruire, on faisait le tour de France ; aujourd’hui, c’est le tour du monde qu’il faut faire pour être de son époque. Généralement, on s’imagine qu’un tel voyage demande un courage héroïque, beaucoup de temps et surtout beaucoup d’argent ; c’est une erreur. Il fallait plus de fatigue, de temps et d’argent pour faire le tour de la France, il y a 50 ans, qu’il n’en faut aujourd’hui pour faire le tour du monde. Si nous allons vers l’Ouest, la traversée de l’Atlantique demande huit jours, celle du Continent américain sept, celle du Pacifique dix-huit ; et du Japon à Marseille, on vient en 40 jours : donc en tout soixante-treize jours ; moins de deux mois et demi pour franchir les vingt-cinq mille milles ou quarante-cinq mille kilomètres.
Les dangers de la mer ou des populations plus ou moins barbares ne sont pas redoutables ; il meurt moins de voyageurs par les accidents de mer que par ceux des chemins de fer, et les populations ne sont, dangereuses que pour les imprudents qui les maltraitent.
Quant à la santé, le voyage est un excellent moyen de la fortifier.
Les navires qui sillonnent les grands Océans sont des châteaux flottants ; on y jouit de tout le confortable et de toutes les distractions : bals, concerts, jeux de société ; l’ennui y est inconnu. Les wagons américains sont des salons qu’on transforme en chambres pour la nuit ; et aux Indes, outre le panka ou éventail mécanique, la double toiture, les persiennes et les vitres de couleurs, les fenêtres sont encore garnies, l’été, de branches odoriférantes ; au moyen d’un ressort ingénieux, le mouvement des roues fait tomber sur elles une légère pluie dont l’évaporation rafraîchit et embaume. Donc, pas trop de fatigue à craindre et confortable partout.
Certes, il y a des excursions pénibles dans les montagnes du Japon, dans certaines parties de l’Himalaya et dans l’intérieur de la Chine, mais elles ne sont pas plus difficiles que celles que nous offrent nos Alpes et nos Pyrénées.
Le Français, en général, réduit encore le monde au bassin de la Méditerranée ou à l’ancien continent ; il ignore les ressources inexploitées qui, sur les divers points du globe, peuvent donner l’aisance et la richesse à de nombreuses familles. Les enfants, de leur côté, savent que le père et la mère ne sont que des usufruitiers, et qu’ils peuvent compter sur leur part de bien. Lorsqu’ils commencent à raisonner, ils font leurs calculs : J’aurai tant de milliers de francs de mon père, tant d’autres milliers de ma mère ; ce n’est pas assez : il me faut un emploi qui produise tant ; et ils entrent dans une administration.
Puisse ce livre montrer la facilité et l’utilité des voyages ! S’ils sont faits dans un esprit sérieux, l’observation et la comparaison feront tomber les préjugés. Les hautes classes, chez nous, voient, dans le commerce et dans l’industrie, quelque chose d’inférieur, et presque de déshonorant. Lorsqu’elles ont des biens, elles se contentent de voir leurs fils, presque toujours privés de fortes études, gérer ces biens ; plus tard, ceux-ci les feront gérer par des tiers et iront en dépenser les rentes à Paris, où ils feront naufrage.
Une grande partie de la bourgeoisie pousse ses enfants dans les carrières administratives, après les études qu’exige un baccalauréat. Après trois ans de stage, un jeune homme, à 23 ans, gagnera 100 à 150 francs par mois ; il en gagnera le double à 40 ans. Esclave du travail, il le sera des opinions d’un maître qui change à tout instant ; il devra briguer sans cesse la faveur de tel député ou de tel ministre, et tout cela pour avoir, à la fin de ses jours, une pension de retraite de deux à trois mille francs. Comment s’étonner alors qu’on ne trouve presque plus d’hommes de caractères ? Si ce jeune homme, ou son père pour lui, avait connu le globe, il aurait fait comme les Anglais, comme les Allemands et les Hollandais, il aurait trouvé, dans l’industrie et dans le commerce, une occupation honorable qui lui eût donné, non l’aisance mais la richesse, non l’esclavage mais la liberté. Aux États-Unis, les emplois administratifs sont le lot des courtes intelligences qui n’ont su ou pu se créer une carrière indépendante.
Aussi, si de l’autre côté de l’Océan, on connaît d’autres plaies, on ignore celle du fonctionnarisme.
Il est temps pour nous de voir notre infériorité et d’y porter remède. Lorsqu’on parcourt la surface du globe et qu’on voit partout l’Anglais, l’Américain et l’Allemand prendre pied à notre exclusion ; lorsqu’on voit que, même là où nous étions parvenus à nous établir, nous sommes tous les jours supplantés par nos rivaux, que même, dans plusieurs de nos colonies, les affaires et le commerce sont en d’autres mains que les nôtres ; lorsqu’on voit ce que pensent de nous les autres peuples, le chauvinisme baisse pour faire place à de tristes réflexions ; les illusions disparaissent et on s’applique à l’étude des causes qui ont produit notre infériorité pour les paralyser et les détruire ; en un mot, on sonde nos plaies sociales pour les guérir.
Ce que j’écris n’est que l’ensemble des notes de voyage prises sur place, au jour le jour, et adressées à ma famille ; si l’arrangement méthodique fait défaut, l’impression du moment y est tout entière, et fait mieux ressortir la vérité des choses.
Dans trois précédents volumes, les lecteurs ont pu faire, en ma compagnie, la traversée de l’Atlantique, parcourir le Canada et les États-Unis, me suivre de San-Francisco au Japon et en Chine, étudier ces curieux pays qui s’identifient si rapidement aux mœurs de la vieille Europe.
C’est maintenant à travers l’Hindoustan que nous allons nous engager, pour achever le tour du monde et retourner ensuite vers la France.
Chapitre Ier
Calcutta. – La ville et ses monuments. – Mœurs et coutumes. – Castes et religions. – Missions et Œuvres.
Les Hindous faisant leurs ablutions au bord du Gange.
Sur le steamer le Singapore,
4 janvier, 1882.
C’est le 12 décembre, vers deux heures du soir, que j’arrivais à Calcutta.
Aussitôt que le Pilote a fixé le navire à l’endroit désigné dans la rivière, et que la douane a passé la visite des bagages, je descends à terre et me dirige vers l’hôtel de Paris, tenu par un Français, ancien cuisinier du vice-roi ; puis, je parcours la ville et fais mes visites en commençant par la Poste et le Consulat.
La capitale de l’Inde, siège du vice-roi, est vaste et belle, avec un million d’habitants.
Dans le quartier européen, les rues sont larges et les maisons ont presque toutes un petit jardin ; dans la ville hindoue, les rues sont plus étroites et la population est très agglomérée ; souvent, à côté d’une belle maison en pierres, ou d’un beau monument servant d’école, on voit la hutte de boue ou de feuilles de cocotiers.
Dans la partie européenne, les jardins et les squares sont ornés d’un vert gazon et de plantes des tropiques.
On arrose les rues au moyen des coolies qui répandent avec la main l’eau d’une outre en cuir portée sur le dos.
Les monuments tels que le palais du vice-roi, la Cour de justice, les banques, le Musée sont superbes. Le palais des Postes est dominé par une coupole majestueuse.
Les tramways sont dans toutes les directions et servent surtout aux indigènes ; l’Européen préfère le gkarry, voiture à un ou deux chevaux, qu’il loue au prix de trois roupies par jour.
Le soleil est si brûlant, même en hiver, qu’on ne peut s’y exposer sans danger ; on voit aussi une quantité de palanquins, portés sur les épaules de quatre coolies, deux à chaque bout d’une seule perche.
Ces palanquins consistent en une longue caisse noire, qu’on ouvre par un côté pour s’y allonger. Je les ai pris d’abord pour des cercueils.
Les Hindous ont le type parfaitement européen, excepté la couleur, qui va du brun au noir ; ils sont le plus souvent nus, sauf un morceau d’étoffe enroulé à la ceinture ; d’autres portent une longue robe blanche, légère et serrée au corps ; la tête est entourée d’un turban dont la forme et la couleur varient selon les provinces.
Les femmes ont un petit corset, qui descend des épaules sous les seins et portent, comme les hommes, un morceau d’étoffe enroulé à la ceinture, plus une longue pièce d’étoffe qui passe en bandoulière sur la poitrine et dont une partie se replie sur la tête en guise de voile. Elles tirent toujours ce voile sur la figure, dès qu’elles aperçoivent un homme.
On les voit peu dans les rues, excepté celles des castes inférieures, obligées de gagner leur vie ; garçons et filles sont nus jusqu’à huit ou dix ans ; on porte les bébés à califourchon sur la hanche gauche.
Dans les banques, dans les magasins, dans les administrations, la presque totalité des employés sont Hindous ; le gouvernement anglais en fait même des magistrats, des militaires, des conseillers.
Au Musée, je trouve, comme en Europe, une riche collection d’animaux, de minéraux, d’objets d’art de l’Inde et de tous les pays. Je remarque deux morceaux d’or pur ; l’un a été trouvé en 1858 à Ballarat (Australie), il pèse 2 166 onces, l’autre a été trouvé en 1871 à Berlin (Victoria Australie) et pèse 1 717 onces.
Le jardin zoologique possède surtout de beaux tigres. On l’illumine parfois le soir et on va assister au repas des fauves.
Le jardin botanique, à quelques mille de distance, est peut-être le plus beau du monde. On