Japon caché: Villages préservés, sanctuaires antiques et forêts primaires
Par Alexia Kerr
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1952 aux Etats-Unis, Alex Kerr est un spécialiste des arts et des cultures d’Asie orientale. Conférencier et antiquaire, il est un infatigable conservateur des arts traditionnels du Japon. Japon perdu est son premier livre, écrit originellement en japonais et lauréat du prix Shincho Gakugei en 1994.
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Aperçu du livre
Japon caché - Alexia Kerr
1
Hameaux cachés
Minami-Aizu, préfecture de Fukushima
Un proverbe dit : Ushi ni hikarete Zenkoji mairi, « Tiré par une vache pour adorer à Zenkoji ». L’histoire raconte qu’une vieille dame qui lavait ses habits à la rivière suspendit un tissu sur une vache pour le faire sécher. La vache s’enfuit et la vieille dame dut la poursuivre. La vache vagabonda de-ci de-là et quand elle finit par s’arrêter, la dame se trouvait à Zenkoji, au temple de pèlerinage de Nagano.
La morale de l’histoire, c’est que la raison apparente qu’on a d’être attiré quelque part est sans grande importance. Ce n’est pas suite à un désir personnel conscient qu’on est tiré par la vache fuyarde du destin vers sa vraie destination. Minami-Aizu, dans la préfecture de Fukushima, est pour moi l’un de ces endroits.
Un voyage accompagné
En 2018, j’ai été contacté par One Story, entreprise avec laquelle j’ai organisé des soirées : on me demandait si j’aimerais accueillir un voyage accompagné dans la ville de Minami-Aizu, au sud-est de la préfecture. Cela supposait plusieurs excursions préparatoires pour connaître les ressources touristiques du lieu, avant la préparation du voyage lui-même.
Les mots « guide » et « voyage accompagné ou organisé » ont assez mauvaise presse aujourd’hui : ils nous évoquent le porteur d’un petit drapeau pilotant un troupeau de voyageurs distraits au milieu d’un site bondé. L’idée prévaut dans le tourisme moderne que le touriste individuel est plus évolué et sophistiqué que celui qui se déplace en groupes. Mais j’ai fait partie de tels groupes au Bhoutan et en Italie et j’y ai davantage appris que j’eusse jamais pu le faire tout seul. Un voyage organisé bien préparé peut être tout aussi enrichissant qu’un bon livre. Bien que je n’eusse jamais entendu parler de Minami-Aizu et dusse prendre une carte pour le situer, j’acceptai aussitôt.
En train sur la ligne de Tobu à partir de la gare d’Asakusa
Il faut descendre à l’arrêt d’Aizu-Tajima pour voyager autour de Minami-Aizu. C’est le terminus de la ligne du train qui part de la gare d’Asakusa à Tokyo.
Je montai dans le train plein d’expectative. Pour beaucoup, moi y compris, le nom « Aizu » est associé au malheureux baroud d’honneur des loyalistes du shogunat dans la ville d’Aizu-Wakamatsu, lors de la guerre de Boshin de 1868 à l’époque de la restauration Meiji. L’épisode le plus triste concerne le ByakkoTai (L’unité du Tigre blanc), groupe de dix-neuf samouraïs adolescents. Juchés sur une colline dominant le château, les jeunes gens (ils n’avaient pour la plupart que seize ou dix-sept ans) se suicidèrent tous en voyant de la fumée sourdre des remparts – ils crurent la bataille perdue.
Aiku-Wakamatsu se trouve à une heure environ au nord de la gare d’Aizu-Tajima : j’espérais donc avoir l’occasion de découvrir ce site. Au surplus, sur le chemin d’Aizu, un embranchement de la ligne de Tobu part vers les temples polychromes de Nikko, lieu que je goûte depuis mon enfance.
La ligne ferroviaire de Tobu.
C’est en 1964 que ma famille a emménagé à Yokohama. À douze ans, les trains me fascinaient et j’avais coutume d’explorer en train les alentours de Yokohama et Tokyo. J’aimais particulièrement prendre le train de Nikko à partir d’Asakusa. Je faisais des économies et quand j’avais assez, j’achetais un billet pour Nikko, pour faire une petite excursion. À l’époque, les trains gérés par l’État étaient plutôt spartiates alors que la ligne privée de Tobu, avec ses sièges en velours et ses grandes fenêtres, paraissait vraiment luxueuse. La prendre m’excitait toujours.
Tout plein de souvenirs d’enfance, je m’attendais bien sûr à ce que l’express d’Aizu-Tajima passe par Nikko en chemin. Mais à un moment, notre train emprunta une voie latérale et il fut évident qu’il n’y aurait pas de Nikko. Quand j’y réfléchis, je me rendis compte que plus d’un demi-siècle avait passé depuis mes voyages d’enfant sur cette ligne.
Environ deux heures après avoir quitté Tokyo, au moment où l’on passe de la préfecture de Tochigi dans celle de Fukushima, le paysage aperçu depuis le train se mua en pure étendue de neige blanche. Là-bas, à la gare d’Asakusa où j’étais monté, c’était le début du printemps. Ici, on était encore au creux de l’hiver. Je n’avais jamais tenu Fukushima pour particulièrement éloigné, mais à présent je comprenais : « Nous sommes dans le Nord. »
Volutes de toits de chaume
Mes compagnons m’attendaient à la gare d’Aizu-Tajima et nous gagnâmes en voiture la vieille cité-étape d’Ouchi-juku. Sa célébrité dépasse largement Minami-Aizu et c’est un site touristique bien connu. À la période d’Edo, il s’agissait d’une juku, une ville d’étape, sur l’ancienne route d’Aizu Nishikaido qui allait d’Aizu-Wakamatsu plus au nord jusqu’à Imaichi à Nikko. Son architecture typique préservée en fait l’une des juku du Japon les plus remarquables.
L’ancienne ville-étape d’Ouchi-juku.
Le village de chaumières le mieux connu au Japon est Shirakawa-go dans la préfecture de Gifu : ses toits de chaume très pentus ponctuent une vallée pittoresque. Ouchi-juku, qui fut d’emblée une ville-étape et non un village agricole, est très différente d’aspect. Pas d’éparpillement, les maisons y sont précisément alignées en rangées parallèles le long d’une rue centrale qui se prolonge jusqu’au pied d’une petite colline où un carrefour l’interrompt. À partir de là, on gravit la colline pour avoir une vue panoramique sur la ville.
Jadis, comme nous le montrent les vieux tableaux, les bâtiments des juku étaient partout coiffés de toits de chaume. Seuls quelques rares juku subsistent encore, dont la plupart des toits ont été habillés de tuiles avec le temps. Une ville-étape entièrement constituée de chaumières est donc une rare rescapée.
Jusque dans les années 1960, lorsqu’on envisageait la ville de Kyoto en altitude, on découvrait une vaste étendue de toits de tuiles, spectacle qui a bien sûr disparu depuis longtemps. On l’appelait iraka no umi, « la mer de tuiles ». On pourrait appeler les rangées de chaumières d’Ouchi-juku des kayabuki no onami, « de grandes volutes de chaume » apportées par la mer.
La ville qui s’est endormie jusque dans les années 1970
L’histoire d’Ouchi-juku remonte à 1643, à ses débuts de ville-étape sur une portion de la route ravie par les seigneurs féodaux d’Aizu quand ils faisaient leur voyage biannuel à Edo, migration connue sous le nom de sankin-kotai, soit « présence alternée ». Chacun des quelque trois cents seigneurs féodaux du Japon avait ordre de se rendre une fois tous les deux ans à Edo. Le seigneur y résidait un an puis regagnait son fief l’année suivante. Sa femme et son épouse vivaient en permanence à Edo, en tant qu’otages. Il s’agissait de tenir à l’œil les seigneurs puissants afin qu’ils ne causent pas d’ennuis – et aussi de les appauvrir grâce aux dépenses considérables entraînées par les voyages.
Et ces dépenses étaient immenses. Même un seigneur ordinaire pouvait voyager avec une suite de cent personnes. Il était fréquent de voir l’entourage du daimyo (le seigneur) parcourir les principales artères – il s’agissait des « parades du daimyo », daimyo gyoretsu. Un grand seigneur, tel celui de Kaga (Kanazawa), voyageait avec une suite de près de 4 000 personnes. Pour le seigneur d’un fief assez proche d’Edo, le voyage durait une semaine ; pour un seigneur de Kyushu, il pouvait durer un mois. On estime que pour un fief assez vaste, un seul voyage pouvait coûter des centaines de millions de yen, soit des millions de dollars en monnaie d’aujourd’hui.
L’itinéraire le plus emprunté était le Tokaido, une route s’étendant entre Kyoto et Edo, immortalisée par la série de gravures sur bois, Les cinquante-trois étapes du Tokaido. Mais il y avait nombre d’autres routes, notamment celle de Nakasendo, qui reliait aussi Kyoto à Edo, mais tout à fait à l’intérieur des terres, par les montagnes de Gifu et Nagano. Les villes-étapes apparaissaient le long de ces routes. La ville d’auberges typique ressemblait beaucoup à l’Ouchi-juku d’aujourd’hui : une rue centrale jalonnée d’auberges et de boutiques. Seules subsistent aujourd’hui des vestiges du Tokaido, mais on peut encore trouver quelques juku en bon état sur le Nakasendo et d’autres routes parallèles.
Tel est le cadre dans lequel se développa la ville d’Ouchi. On a supputé qu’une seule nuit d’étape d’un seigneur, avec sa suite et ses chevaux (le coût d’entretien d’un cheval dans une auberge était le double de celui d’une personne) pouvait se monter (en valeur d’aujourd’hui) de cinq à dix millions de yens (de quarante à quatre-vingt mille dollars). On conçoit que cela suffisait à assurer la prospérité de la ville jusqu’au séjour de l’année suivante. Avec le temps, les seigneurs empruntèrent un autre itinéraire que celui d’Ouchi, laquelle ne fonctionna plus guère comme une ville d’étape. Les aubergistes se convertirent à l’agriculture pour augmenter leurs revenus : à la fin de la période d’Edo, Ouchi-juku était devenue « mi-agricole, mi-étape ». Avec la construction de nouvelles routes après l’ouverture du Japon au monde dans les années 1870, elle fut totalement contournée et, abandonnée dans ses montagnes, ne fut plus qu’un simple village agricole. Mais ses imposantes maisons subsistèrent le long de la grand-rue.
Ouchi-juku s’endormit tranquillement durant le siècle suivant. C’est ce qui la sauva. Les autres villes-étapes de la préfecture de Fukushima – et de la plupart du pays – balayées par la marée du développement moderne, furent totalement transformées et perdirent l’essentiel de leur charme historique. C’est dans les années 1970 qu’on redécouvrit Ouchi et que le gouvernement la qualifia de Juyo Dentoteki Kenzobutsu-gun Hozon Chiku, d’ordinaire abrégé en Judenken, soit « une zone préservée en raison d’un groupe d’importants édifices traditionnels ». On trouve des Judenken dans tout le Japon. Elles se caractérisent par le fait que les propriétaires sont encouragés à rester vivre dans leurs maisons et à poursuivre des activités commerciales comme l’accueil de touristes ou la restauration.
À Ouchi, une fois obtenu le classement de Judenken, on remplaça les toits en zinc installés dans les années cinquante par le chaume originel. Au béton de la grand-rue on substitua de la terre battue. La vieille cité ressuscita.
Un atelier de chaume dans une école abandonnée
Je me suis rendu trois fois à Ouchi, une fois en mars dans la neige, une fois en mai alors que soufflaient les brises printanières et une dernière en novembre, à la saison des feuilles mortes. En toute saison, la ville était toujours pleine de visiteurs descendant d’autocars sur le parking près de l’entrée du village. Il y avait aussi quantité de voitures. La plupart des maisons ont été converties en restaurants ou en boutiques de souvenirs pour les touristes. Si la ville n’a pas encore atteint le stade de surcapacité qu’on pourrait qualifier de tourisme excessif, elle n’en est plus très loin.
Un problème plus important pour Ouchi est celui du chaume. Ses plus de quarante grandes chaumières nécessitent de grandes quantités de chaume et de dépenses ainsi qu’un personnel compétent pour l’entretien des toits. Dans la vallée d’Iya à Shikoku, où mes collègues et moi gérons neuf maisons – dont la mienne, Chiiori – c’est un souci permanent, comme dans la ville d’Ugomachi, dans la préfecture d’Akita, que nous visiterons au chapitre 4. Il en va ainsi dans tout le pays lorsqu’il s’agit de toits en chaume.
Dans ce contexte exigeant, nous avons fait à Ouchi la rencontre d’un homme qui s’est consacré à ces toits. Il s’agit de Yoshimura Norio, propriétaire d’une des maisons de la grand-rue qui abrite le restaurant Komeya. Après avoir été fonctionnaire dix ans durant à la mairie, Yoshimura, préoccupé par l’avenir du chaume à Ouchi, a démissionné pour se faire couvreur spécialiste du chaume. Il est désormais impliqué dans quantité d’activités, qui vont de la transmission des savoir-faire pour l’entretien des vieilles maisons et la restauration des toits de chaume à la diffusion des aliments locaux ou aux festivals du cru.
Quand je suis allé le trouver, Yoshimura m’a guidé hors de la grand-rue animée vers les champs enneigés derrière la ville, jusqu’à une école secondaire désaffectée. Une fois dans l’école, nous avons parcouru un long couloir glacé. Ouvrant une porte, mon guide a révélé un toit de chaume de la taille d’une petite maison qui occupait presque toute la salle de classe. Il était entouré de bambou, de cordages en paille et d’ustensiles de couvreur. Il avait converti la salle en atelier. « Ici, me dit-il, nous pouvons travailler qu’il neige ou qu’il pleuve. »
J’ai visité plusieurs villes qui se focalisent sur ces toits, mais c’est la première fois que j’ai vu ou entendu parler d’une ville ayant installé un tel atelier dans une salle de classe. C’est une excellente idée qu’on aimerait voir reprise par l’Agence des affaires culturelles dans tout le pays.
Une collection de bois anciens « trésor national »
À côté du restaurant de Yoshimura, se trouve un autre établissement prospère. Son propriétaire s’appelle Tadaura Toyoji, et c’est un personnage clé dans la protection des chaumières d’Ouchi. C’est aussi un entrepreneur immobilier, métier où l’on procède souvent à la destruction des vieilles bâtisses. Il nous a conduits dans son entrepôt, non loin de la ville, pour voir sa collection de kozai ou « vieux bois ». Cet entrepôt s’est avéré vraiment énorme, abritant des vieilles poutres et piliers, ainsi que des lattes de planchers et des lambris, empilés sur une hauteur de deux étages sur toute la longueur de cet entrepôt gigantesque. Il avait recueilli ces bois anciens non seulement dans la préfecture de Fukushima mais dans toute la région septentrionale du Tohoku. Tadaura expliqua avoir commencé sa collection en assistant à la destruction des vieilles maisons et en voyant jeter de magnifiques morceaux de bois ancien. Ce gâchis l’avait choqué.
Nous étions impressionnés par la simple quantité de bois anciens, mais aussi par leur qualité. Tadaura s’était servi de ces bois pour construire sa maison à côté de son restaurant Misawaya. Mais l’atelier en abrite toujours de grandes quantités : d’énormes dalles d’orme keyaki, de pin rouge matsu, de hêtre buna, de sapin japonais tsuga, de cerisier sakura, de chêne kashiwa, de marronnier japonais tochi et de gingko icho. Dans le Japon contemporain, le keyaki est une espèce en quasi voie de disparition ; kashiwa et matsu ont si souvent été victimes de parasites ou abattus qu’on voit rarement de grandes sections de ce type de bois.
Le bois utilisé dans les vieilles fermes était fendu à la main avec une sorte d’herminette, la chona. J’ai toujours considéré que les vieilles poutres noircies façonnées à la chona étaient des sortes de sculptures. Elles portent la marque du sculpteur et m’évoquent les statues énigmatiques du moine-sculpteur du XVIIe siècle, Enku. Les charpentiers ont cessé de façonner les poutres à la chona il y a plus d’un siècle à mesure que les scieries se répandaient, de sorte que le bois sculpté ainsi est de plus en plus rare. De ce point de vue, les poutres entassées dans l’entrepôt de Tadaura peuvent être qualifiées de Trésor national.
Ouchi-juku est très petite. Sa rue centrale fait à peine cinq cents mètres et sa population se monte à 150 personnes au plus. Il est d’autant plus remarquable qu’un aussi petit lieu abrite deux visionnaires comme Yoshimura et Tadaura. Et il n’y a pas qu’eux. Mes trois visites se sont espacées sur huit mois et à chaque fois j’ai découvert qu’on avait refait des toits. C’est le signe que de nombreuses personnes se consacrent à la conservation de ce village inhabituel.
Des toits rouges et un temple rural
À chaque visite de Minami-Aizu, j’entamais une excursion de découverte dans la campagne. Mes voyages allaient du village de Hinoemata au sud à Showa-mura à l’ouest. Si je suis persuadé qu’Ouchi-juku est le plus beau village subsistant de chaumières, c’est aussi un lieu très touristique et je suis toujours à l’affût de villages préservés où les foules n’affluent pas encore.
Une caractéristique omniprésente, quand on roule dans cette région, ce sont les hauts toits de zinc peints en rouge sombre. Avec leur renflement particulier, ils ont la forme typique des toits de chaume. Et c’est bien ce qu’ils sont. Les gens se sont contentés de poser des feuilles de zinc sur le chaume pour le protéger de la pluie et de la neige. En dessous, on trouve en général une épaisseur de chaume ainsi qu’une structure de grands piliers et une charpente de grosses poutres.
Cette culture du toit de chaume n’est pas spécifique à Ouchijuku et on la rencontre dans toute la région de Minaimi-Aizu, en fait dans tout le pays. Ce qui fait la différence, c’est le classement de Judenken accordé ou pas aux maisons par le gouvernement : dans le premier cas, leur restauration est subventionnée, dans le second, elles n’intéressent pas les touristes. Il arrive même que les gens du cru ignorent que leurs maisons avaient autrefois un toit de chaume.
Le village écarté de Showa-mura regroupe de telles maisons à toit rouge. Si les toits sont en zinc, maisons et village restent très proches de leur condition originale.
J’ai trouvé d’autres lieux intéressants au cours de ces expéditions. Un jour, nous roulions un peu à l’ouest de la gare d’Aizu-Tajima quand nous tombâmes sur un petit temple situé de l’autre côté des rizières appelé Nansenji. Isolé au milieu d’une vaste étendue de champs se dressait un portail à toit de chaume de deux étages. La scène sortait d’un tableau de paysage agreste. Lors de ma visite printanière, le grand arbre poussant derrière le portail était un cerisier pleureur aux longues branches tombantes : contrastant avec les neiges hivernales, il induisait une atmosphère romanesque et pastorale.
Jusqu’alors, à qui me demandait quel était mon portail de chaume préféré, je répondais toujours le portail du temple de Honen-in, le long de la promenade du philosophe à Kyoto, et celui de la maison Iriki dans la ville du même nom, dans la préfecture de Kagoshima. J’y ajoute maintenant le portail de Nansenji pour constituer mes « Trois portails à toit de chaume du Japon ».
Un village de fermes magariya
Au sud-ouest de Nansenji, nous avons fait notre deuxième découverte, le hameau de Maesawa. Comme celles d’Ouchi, ses maisons sont classées Judenken et sont de ce fait bien conservées. Mais Maesawa est moins connu qu’Ouchi et donc encore à l’écart des sentiers battus.
Lors de ces visites à Minami-Aizu, j’étais piloté par l’auteure Suzuki Statomi : c’est elle qui m’a fait découvrir Maesawa. Lors de notre première visite, j’allais pénétrer dans le hameau quand Suzuki-san m’arrêta : « Non, par ici d’abord ». Elle me précéda à travers la route pour gravir la colline à l’écart du village. Nous grimpâmes un sentier étroit à travers une forêt de cryptomerias sugi jusqu’au moment où nous pûmes envisager la vallée : là, serti entre les sugi, apparut le hameau de Maesawa. C’était une image idéale de « hameau caché ».
Maesawa n’a jamais été une juku, une ville-étape, et présente donc un habitat dispersé, comme un village de fermes. Elle se compose d’un groupe de magariya (fermes en forme de L) réunies dans une vallée au pied des collines. La caractéristique la plus remarquable du village, c’est sa quinzaine de magariya, à la structure inhabituellement similaire. En 1907, un grand incendie a dévasté l’essentiel du hameau. Les charpentiers se sont réunis pour relever d’un coup l’ancien village, ce qui explique l’unité de temps de toutes les maisons.
On trouve des magariya ailleurs au Japon, mais elles se concentrent surtout au nord. Elles doivent leur forme en L à la froideur du climat qui obligeait les gens à faire rentrer le bétail pour survivre à la rigueur de l’hiver. Une magariya typique comporte une aile principale où vivaient les habitants et l’extension destinée aux animaux. Très abondantes autour de la ville de Tono à Iwate, elles s’étendent dans les préfectures du nord, dont Fukushima et Akita. Elles s’inscrivent dans le folklore romantique du Tohoku.
Le temple à toit de chaume de Nansenji, Minami-Aizu.
À Maesawa les gens du cru continuent de vivre plus ou moins comme ils l’ont toujours fait. Une maison restaurée accueille le musée de la magariya ouvert au public. Je redoute toujours qu’une maison muséifiée ne soit une vitrine bureaucratique. Tout autour du Japon, les maisons de ceci et de cela sont généralement rutilantes. Leurs conservateurs les agencent conformément à des théories historiques qui peuvent être fort éloignées de la culture locale ; ils les gèrent
