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La faux et l'ivraie: Polar
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La faux et l'ivraie: Polar
Livre électronique277 pages3 heures

La faux et l'ivraie: Polar

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À propos de ce livre électronique

La responsable d'une société coopérative ouvrière est mystérieusement assassinée

Le musicien Tonino di Nalli est convié à l'enterrement d'un amour de jeunesse, Viviane, qu'il n'a pas revue depuis une trentaine d'années. Responsable d'une SCOP agraire en Anjou, elle vient d'être assassinée. Un bien étrange policier est chargé de l'enquête. Sur fond de litiges avec un semencier à propos de droits sur une variété de petit épeautre, plusieurs crimes jalonnent ce polar garanti sans OGM mais bourré de pesticides.

Suivez les dénouements de ce polar haletant, bourré de pesticides !

EXTRAIT

C'est bien mon intention, qu'est-ce qu'il croit ? Le semencier Ysengrain nous cherche des poux dans la tête depuis qu'il est convaincu que nous cultivons une variété de petit épeautre brevetée par ses soins, en fait, un hybride isolé par le grand-père de Thierry, mais qui présente trop de points communs avec le leur. Alors, comme ils ne supportent pas que le moindre brin d'herbe leur échappe, ils nous attaquent en justice. Ce genre de bisbilles émoustille davantage les journalistes que le travail d'inventaire et de conservation que nous effectuons depuis des années. Nos travaux, ils s'en moquent tout à fait. Je suis d'accord avec Viviane, il n'aurait pas fallu accepter leur visite. Ils sont sans doute là parce que, en ce milieu juin, l'actualité n'est pas débordante, mais ils nous causeront sûrement plus d'embarras qu'ils ne nous seront utiles. Thierry voit le piège, bien sûr, mais il pense réussir à l'éviter. Il se croit toujours plus malin que les autres.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Nouvellistes chacun de leur côté, Monique Debruxelles et Denis Soubieux écrivent ensemble des romans policiers depuis plus de dix ans. Dans La Faux et l'ivraie, nous retrouvons les personnages que nous avons déjà croisés dans Enquête sur un Crapaud de lune (Éditions Ex Æquo) et dans Meurtres à Fontevraud (Geste Éditions).
Denis Soubieux est tourangeau, Monique Debruxelles vit en région parisienne.
LangueFrançais
Date de sortie4 mars 2019
ISBN9782378778354
La faux et l'ivraie: Polar

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    Aperçu du livre

    La faux et l'ivraie - Monique Debruxelles

    Chapitre 1

    Quand le chanvre sent le sapin

    Gladys Cernin, vendredi 14 juin

    Lorsqu'il revient, après le déjeuner, Thierry est souriant et décontracté. Tout juste s'il ne sautille pas. Il a cette faculté enviable de passer d'une humeur à l'autre en quelques minutes, tandis que la plupart des gens ruminent leurs colères durant des heures. Sans tenir compte de ce que je suis en train de faire, il me parle de la fête des Crayons, programmée pour la mi-septembre. L'année, à Sigoule-sur-Èvre, est cadencée par plusieurs fêtes et commémorations qui nous tiennent à cœur et nous rassemblent. Celle des Crayons est la préférée des écoliers. Elle a lieu le deuxième samedi suivant la rentrée des classes. De nombreux lots sont à gagner : livres, matériel scolaire, mais aussi visites de musées, de châteaux... Les préparatifs amusent beaucoup Thierry Rollin, d'autant qu'il devra prononcer un discours pour l'occasion. C'est un exercice dans lequel il excelle.

    Il marche à pas énergiques dans notre bureau, au premier étage de l'usine, pépiant comme un moineau, m'empêchant de me concentrer. J'approuve tout ce qu'il dit dans l'espoir d'en avoir plus vite fini avec ce sujet.

    — Les journalistes arrivent, dit-il soudain, le nez à la fenêtre. Tu viens les accueillir ?

    Je le suis jusqu'à l'entrée du village, faisant mon possible pour effacer de mon esprit la scène de ce matin. Comment Viviane peut-elle le supporter ? Parfois, j'ai bien du mal à me rappeler que je l'admire et là, je le déteste pour plusieurs jours.

    — N'oublie pas de leur parler de notre nouveau projet, me glisse Thierry tandis que nous traversons le pont sur l'Èvre.

    Je ne risque pas, c'est moi qui le porte depuis le début. Cultiver des plantes tinctoriales pour fabriquer nos propres couleurs, c'est mon idée, mais Thierry et Viviane se l'approprient, comme d'habitude. « N'avons-nous pas fait le choix de tout partager ? » s'étonneraient-ils l'un ou l'autre si je leur en faisais reproche. Certes, mais seul le front de Thierry est ceint de lauriers, dont il ne cède que quelques branches à sa compagne et rien aux autres. Nous ne sommes que les instruments de son action. Quant à Viviane, je vois bien qu'elle peine de plus en plus à se contenter du second rôle, même si elle continue à tenir le discours des débuts : pas de patrons, pas de sous-fifres, des sociétaires. Tous égaux, mais Thierry l'est nettement plus que tous les autres réunis.

    — Et s'ils parlent du procès, reste évasive ou laisse-moi leur répondre.

    C'est bien mon intention, qu'est-ce qu'il croit ? Le semencier Ysengrain nous cherche des poux dans la tête depuis qu'il est convaincu que nous cultivons une variété de petit épeautre brevetée par ses soins, en fait, un hybride isolé par le grand-père de Thierry, mais qui présente trop de points communs avec le leur. Alors, comme ils ne supportent pas que le moindre brin d'herbe leur échappe, ils nous attaquent en justice. Ce genre de bisbilles émoustille davantage les journalistes que le travail d'inventaire et de conservation que nous effectuons depuis des années. Nos travaux, ils s'en moquent tout à fait. Je suis d'accord avec Viviane, il n'aurait pas fallu accepter leur visite. Ils sont sans doute là parce que, en ce milieu juin, l'actualité n'est pas débordante, mais ils nous causeront sûrement plus d'embarras qu'ils ne nous seront utiles. Thierry voit le piège, bien sûr, mais il pense réussir à l'éviter. Il se croit toujours plus malin que les autres.

    Sur le parking, deux types vêtus à l'identique de jeans et de chemisettes blanches regardent les alentours. Le plus grand des deux, un blond très maigre, commence déjà à mitrailler tout ce qu'il voit : à gauche, l'usine qui enjambe le ruisseau ; en face, les maisons de pierre, avec en arrière-plan la prairie où paissent des vaches ; à droite, à défaut des champs de chanvre cachés par la colline, l'étendue d'or des parcelles de blé et le panneau annonçant « SCOP Graines d'Utopie, Sigoule-sur-Èvre, village ouvrier ».

    La main tendue, Thierry se présente, puis se tourne vers moi :

    — Gladys Cernin, directrice administrative et ingénieur agronome. Et, comme la plupart d'entre nous, polyvalente, touche-à-tout. Elle a été embauchée toute jeune par mon père, puis elle est restée ici. Elle est la mémoire de ce lieu, l'un de ses piliers, aussi. Sans elle, rien ne serait possible.

    Je sais que Thierry est au moins à demi sincère et, tout à coup, ma rancœur s'envole. Je suis fière d'être à ses côtés et j'ai même envie de partager avec nos visiteurs tout mon attachement pour Sigoule.

    Les journalistes se nomment à leur tour. Ils disent que c'est un bel endroit, qu'ils sont séduits par le paysage. Thierry les écoute patiemment. Je vois qu'il a hâte de commencer son laïus. Souhaitant leur faire visiter d'abord le moulin, situé à l'extrémité ouest du village, nous empruntons la rue André Godin sur cent mètres, puis à gauche, nous prenons une venelle pour rejoindre la rue Proudhon qui nous ramène vers l'Èvre. Thierry explique qu'il a repris l'entreprise, après le décès de son père, et qu'il a voulu retrouver l'esprit libertaire de celui qui l'avait créée, son grand-père, Ernest Rollin. Je souris en moi-même, car d'après les photos affichées au musée du village, Thierry est la copie conforme d'Ernest. Grand, solide, frisé, il cultive la ressemblance en arborant une moustache à la Brassens, à présent presque blanche. Nos visiteurs posent quelques questions. Rien de méchant. Nous partons à droite, par le chemin Courbe, ainsi nommé parce qu'il suit, tout autour de Sigoule, le tracé de la rivière. Face à nous, dans un virage de l'Èvre, se dresse le moulin à vent, posé sur sa base de tuffeau, les ailes de chanvre solidement arrimées à leur hucherole. Nous passons devant la boulangerie, qui est aussi l'économat. Il n'y a personne, non plus que dans le fournil attenant, mais le boulanger, Sébastien Vausselle, arrive derrière nous à ce moment et nous salue.

    — Bonjour ! Je viens d'aller à la crèche voir si les petits ont aimé mon cake aux courgettes. Eh bien, ils en ont redemandé !

    C'est loin d'être un Apollon : râblé, dégarni, il a le menton en galoche et une incisive en moins, mais il est gentil, serviable. Le contraire de celui que nous allons rencontrer au moulin, 'Djudant, dont le caractère impulsif nous pose souvent souci. Il est mal dégrossi et son affection pour la bouteille n'arrange rien. J'appréhende toujours d'entrer dans son territoire, ignorant de quelle humeur il sera.

    — Voici le four à chanvre, dit Thierry en passant devant le bâtiment rond, construit sur deux niveaux. Il date du dix-neuvième siècle.

    — Il fonctionne encore ?

    — Naturellement. Et nous nous en servons aussi pour la cuisson du pain. Mais à cette heure-ci, il est fermé.

    Quand nous arrivons au moulin, il est vide. Les engrenages sont muets. Au pied de l'escalier, j'appelle, pensant que 'Djudant est peut-être en haut. Il ne répond pas. Sans perdre de temps à me demander où il se trouve, j'explique brièvement aux journalistes le travail du meunier et le fonctionnement des machines, je montre la bluterie, un superbe meuble datant du dix-neuvième siècle, puis nous les entraînons vers le village, en évoquant l'intérêt d'une SCOP : une rémunération identique pour les membres associés, des dirigeants élus par l'ensemble des salariés, des décisions prises démocratiquement. Je vois Thierry s'exalter. Je partage en général son enthousiasme, tout en sachant que la réalité est en deçà de la théorie. Et ces temps-ci, j'ai du mal à ne pas me sentir frustrée par cette organisation. J'aurais besoin d'un peu plus de liberté de mouvement. J'ai des idées à revendre, mais mes collaborateurs renâclent, évoquent le manque de temps, de moyens financiers ou humains. Je ne sais comment les convaincre et ça me turlupine.

    Thierry a prévu une courte visite du musée du Chanvrier, installé récemment dans une ancienne grange, avant de leur montrer l'usine, les champs, les potagers et les serres. Puis nous terminerons par la Bulle, notre conservatoire des graines, où Viviane leur expliquera son travail. Nous reprenons la rue Proudhon. Un peu plus loin, des cris d'enfants bourdonnent dans la cour de l'école. L'un des journalistes, dont j'ai déjà oublié le nom, marche aux côtés de Thierry, levant la tête pour lui parler, tandis que son compère m'emboîte le pas. Il me regarde en coin.

    — Ça n'a pas dû être facile pour vous, de vous habituer à la région ? me demande-t-il avec condescendance.

    Je fais semblant de ne pas comprendre.

    — Je suis née à vingt kilomètres d'ici.

    Il prend une tête d'ahuri qui lui sied à merveille.

    — Ah bon ?

    Je ne dis pas tout à fait la vérité, car je suis née à Paris. Mes parents sont venus des Antilles juste après leur mariage, mais je les ai peu connus. Après leur mort accidentelle, j'ai été adoptée par des agriculteurs en peine d'enfant. J'avais cinq ans quand je suis arrivée chez eux, à Jallais. Eux aussi sont partis, maintenant. Le reporter a peur du silence, sans doute, puisqu'il reprend la parole pour s'enquérir :

    — C'est encore loin, le musée ?

    — Nous arrivons. C'est le bâtiment dont le toit n'a qu'une seule pente.

    Juste avant se trouve la maison de Viviane, petite mais jolie, avec ses volets gris. Elle est un peu en contrebas, cinq marches descendent à la porte d'entrée. En arrivant au niveau de cet escalier, Thierry se fige.

    — Viviane ?

    Il semble interloqué. Parvenue à sa hauteur, je regarde dans la même direction. La porte de Viviane est ouverte. Pointant vers le ciel, un pied chaussé dépasse à l'extérieur. Je reconnais la sandale bleue qu'elle portait ce matin. Je passe devant Thierry pétrifié et dévale les marches. Viviane est étendue dans l'entrée. Je comprends sans peine qu'on ne peut plus rien pour elle et que sa mort a été violente. Sur le sol, autour d'une sellette renversée, s'éparpillent les débris d'un vase. Le cou de Viviane porte des marques rouges, ses yeux sans vie sont injectés de sang. Le photographe me bouscule, prend plusieurs clichés malgré mes protestations. Je dois user d'autorité, presque de violence, pour qu'il accepte de la laisser en paix. Quant à Thierry, il se tient à trois pas, bras ballants, les yeux agrandis d'effroi.

    Chapitre 2

    Du poulet au menu

    Gladys Cernin, vendredi 14 juin

    Les voitures de police qui encombraient le parking tout à l’heure sont presque toutes reparties. À la fenêtre du bureau, je frissonne en regardant couler l’Èvre. Malgré la température estivale, j’ai froid. Je ne sais où est Thierry. J’éprouve le besoin d’être près de lui, de me sentir rassurée par sa présence.

    J’ai passé un moment au secrétariat, tentant de réconforter mes collègues effondrés, mais aucun mot ne me venait. J’aurais voulu les étreindre et les garder blottis contre moi. Je n’arrive pas à réfléchir. J’ai l’impression de me déplacer dans le brouillard et le claquement de mes sandales sur le sol me met les nerfs en pelote. Il faut que je réagisse. Je dois réagir.

    La porte s’ouvre. C’est la comptable, Sylviane, la mine défaite, qui demande si elle peut rentrer chez elle.

    — Je ne sais pas. On ne nous a rien dit.

    — Mais les policiers nous ont déjà interrogés. Je ne vois pas ce que nous pourrions faire de plus.

    — Allez-y, dit derrière elle une voix d’homme qu'on n'a pas entendu venir.

    Sylviane sursaute. Le drame nous a rendus nerveux. Je vois un nez et un œil apparaître à la porte.

    — Vous pouvez tous rentrer chez vous.

    J'ouvre mon sac et saisis les clés du bureau.

    — Sauf vous, pour le moment, madame… Cernin, c’est bien ça ? Je voudrais parler avec vous.

    Tandis que Sylviane sort, l'homme s'avance tranquillement. C'est un quinquagénaire de taille moyenne, brun, les tempes dégarnies encadrant un visage tout rond au regard flapi. Il s’assied sur un fauteuil et examine avec curiosité ma table en verre et la lampe en laiton art déco, puis le bureau de Thierry, un lourd plateau de chêne encombré de documents, et enfin celui de Viviane poussé contre l'une des fenêtres, sur lequel sont posés plusieurs pêle-mêle de photos et deux chemises cartonnées. Le policier semble avoir tout son temps.

    — Je suis le capitaine Cousseran. Je sais que vous avez déjà tout raconté à l'un de mes collaborateurs cet après-midi, mais j’aimerais entendre moi-même votre récit.

    J’ai eu affaire à un jeune policier timide et j’aurais en effet préféré en rester là, mais je n'ai pas le choix, il me faut de nouveau revivre cette scène terrible.

    — Monsieur Rollin et moi faisions visiter les lieux à deux journalistes de la presse régionale.

    — Il était quelle heure ?

    — À peu près 14h20, 14h30. Nous les avons accueillis sur le parking. Nous…

    — Dans quel état d’esprit étiez-vous ?

    Son interruption me surprend.

    — Comment cela ?

    — Vous étiez anxieuse à l’idée de les recevoir ?

    — J’ai l’habitude, vous savez. Quand ce ne sont pas des journalistes, ce sont des étudiants ou des botanistes.

    — C’est toujours vous qui accompagnez monsieur Rollin ?

    — Non, ça dépend. Viviane Bruniquel le faisait souvent, et parfois d’autres. Tout dépend de nos disponibilités et de ce que souhaitent les visiteurs.

    — Vous voulez dire que, cette fois, la présence de madame Bruniquel n’était pas indispensable ?

    Sa voix traînante me tape sur le système et de toute façon, je ne me souviens même plus comment ça s’est décidé.

    — Elle ou moi, qu’est-ce que ça fait ? Nous sommes interchangeables, sauf chacun dans un domaine précis.

    — Et le sien était ?

    — La conservation de graines et le développement de plantes anciennes. Nous devions conduire les journalistes au conservatoire, où ils auraient rencontré Viviane.

    Le capitaine Cousseran fait tourner son alliance autour de son annulaire et la regarde. J’ai hâte d’en avoir terminé. Je lui narre en deux mots notre horrible découverte.

    — Quelle a été la réaction de monsieur Rollin ?

    — Il était sidéré. Ils étaient en couple, voyez-vous. Ça lui a fait un choc.

    — Ils s’entendaient bien ?

    S’il croit que je vais jouer les commères, il se trompe, le grand mou.

    — Oui.

    Il porte sa montre à son oreille, vérifie qu'elle fonctionne. Je le trouve vraiment bizarre. Il lève la tête et me regarde soudain au fond des yeux.

    — J’ai entendu parler d’une dispute entre eux, ce matin, au sujet de la venue des journalistes. Une violente dispute.

    Je reste de marbre.

    — Pas tant que ça. Thierry a un caractère impulsif. Viviane aussi, d’ailleurs.

    Il prend un air compréhensif :

    — Pourtant, il l'aurait attrapée par le bras et aurait crié : « Méfie-toi ! »

    Voilà ce que c’est que de s’engueuler dans le hall de l’usine, devant une bonne dizaine de personnes.

    — C’est vrai, mais ce n’est pas une raison pour croire Thierry coupable.

    Les yeux baissés, Cousseran évoque une tortue endormie. Le silence s’étire. Enfin, il se décide à reprendre la parole.

    — Pouvez-vous me dire ce que vous faisiez entre 12 heures et le moment où vous êtes allés chercher les journalistes ?

    Il doit être fou, ce flic. Voilà qu’il me soupçonne, à présent. Je me retiens de lui répondre vertement, mais ça me démange.

    — J’ai déjeuné avec plusieurs camarades de travail. Nous disposons d'un réfectoire.

    — Où se trouve-t-il ?

    — Juste à côté de l’école.

    — Donc, pas très loin de la maison de madame Bruniquel ?

    — En effet.

    — A-t-elle déjeuné avec vous ?

    — Non. Habitant le village, elle rentrait chez elle.

    Cousseran tapote sa joue gauche et suit le fil de ses pensées.

    — Vous n’habitez pas Sigoule ?

    — Non, Saint-Florent-le-Vieil. Mais je préfère rester ici le midi, plutôt que de faire l’aller-retour. C’est moins fatigant et j’aime partager mon repas avec mes collègues.

    — Vous vous entendez bien avec eux ?

    Il dit ça comme s’il en doutait.

    — Dans l’ensemble, je n’ai pas de problème.

    Il recommence à tripoter son alliance, tout en regardant ailleurs.

    — Et après le déjeuner ?

    — Je suis revenue ici.

    — Seule ?

    Je le vois venir, gros comme un bulldozer.

    — Oui. Je suis arrivée vers 13h50, il n’y avait personne dans les bureaux. Thierry est remonté vers 14h10.

    — Il vous a semblé dans son état normal ?

    Je sors de mes gonds.

    — Thierry n’a pas tué Viviane ! Oui, il était comme d’habitude, assez gai et calme. Ça vous va ?

    Je sens que ça l’amuse de m’énerver et je m’en veux d’entrer dans son jeu. Pour me décontracter, je respire à fond, par le ventre. Le mollasson a repris sa position ensommeillée et j’attends la suite.

    — Parlez-moi du village, de votre usine. Car c’est un peu la même chose, n’est-ce pas ?

    Me voici en terrain plus stable. Je me détends un peu et tandis que le flic, sortant un minuscule jeu de cartes de sa poche, entame une réussite sur le coin de mon bureau, je lui résume l’histoire de Sigoule :

    — C’est le grand-père de Thierry qui a créé le village et l’usine. Ernest Rollin faisait des études de philosophie quand, à la suite d’un héritage, il a acheté ces champs et le moulin. À cette époque, dans les années vingt, la culture du chanvre périclitait. L’industrie le remplaçait peu à peu par d’autres matériaux, moins onéreux. Mais Sigoule continuait tant bien que mal à en vivre, grâce à une usine de pâte à papier d’Angers, dirigée par un

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