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Le piaf de Kaboul: Aller simple pour Cherbourg
Le piaf de Kaboul: Aller simple pour Cherbourg
Le piaf de Kaboul: Aller simple pour Cherbourg
Livre électronique161 pages2 heures

Le piaf de Kaboul: Aller simple pour Cherbourg

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À propos de ce livre électronique

Madhi, un demandeur d'asile afghan, occupe son attente interminable en venant en aide à ses semblables.

À Cherbourg, il y a les demandeurs d’asile dont Mahdi, un jeune afghan parlant français couramment, et puis les autres : les sans-papiers, les passe-murailles, ceux qui ne se montrent que la nuit pour tenter de forcer les grilles du port de commerce, âprement défendues par les CRS. Un ferry pour l’Angleterre n’est pas loin. La mort non plus ! Mahdi n’est pas de ceux-là. Guidé par ses introspections, il attend calmement la décision de la commission chargée d’examiner sa demande d’asile... attente sans fin qu’il consacre à ses semblables venus d’horizons lointains, différents. Il leur enseigne le français, gère leurs conflits, s’implique dans une traque policière organisée contre d’infâmes passeurs, affronte les préjugés qui lui font obstacle... et se laisse happer par Cherbourg.
Réalité ou fiction ? Dans ce roman-témoignage écrit à la première personne, l’une porte le masque de l’autre. L’auteur et Mahdi parlent d’une même voix de leur long voyage initiatique à travers les ténèbres du déracinement.

Découvrez le roman-témoignage poignant d'un déraciné perdu au coeur de Cherbourg qui devra faire face aux préjugés.

EXTRAIT

Bouger d’ici c’est me heurter à la mer, donc tenter encore et encore, chaque nuit, et à quel prix, de forcer le passage jusqu’au ferry. Dans le meilleur des cas, je passe le Chanel et m’adapte à la vie de ces insulaires qui s’expriment en anglais... ce qui signifie que je renonce au français, et ça, c’est impossible ! D’abord par respect pour ma mère qui m’a immergé dans la culture française, en m’éduquant comme un Français, et ensuite pour mon ego.
Ambivalente, ma voix intérieure, qui semblait se rallier à mes derniers arguments, me pousse cependant au départ. Et là, j’ajoute pour elle, donc pour m’en persuader :
— J’ai trop voyagé, trop mal voyagé, trop marché, trop fatigué mon corps, trop eu peur de l’inconnu... je n’en peux plus, j’ai besoin de repos, de stabilité, d’apaisement.
Je n’ai aucun mal à la convaincre, et je m’endors en marmonnant :
— Ma décision est prise, je débuterai – si mes diplômes afghans me le permettent – une formation par correspondance conduisant à un master professionnel 2, de vente et de marketing. La conseillère m’a promis qu’une attestation de reconnaissance de mon niveau d’études me serait délivrée par le centre ENIC-NARIC (France), et que je pourrai accéder à cette formation sans problème...
231 jours me séparent de celles que j’aime, le jour du top-départ d’une nouvelle épreuve que je dois affronter : « un combat long et difficile contre une administration tatillonne », m’a dit textuellement le commissaire, heureux de m’avoir convaincu de faire ce choix.
Et il a ajouté :
« De ce combat, tu n’en connaîtras ni la longueur, ni l’issue, car la procédure de demande d’asile peut durer de cinq à dix-huit mois, voire deux ans, et déboucher parfois sur un refus... mais tu le gagneras ce combat, Mahdi ! »

À PROPOS DE L'AUTEUR

En 1962, à vingt ans, Alain Rodriguez est arraché à sa terre natale. L’Histoire en a décidé ainsi. Il arrive en métropole avec pour tout bagage un sac à dos et une petite valise. Déboussolé, en quête d’un ancrage, il flirte avec les quatre points cardinaux de l’hexagone avant que l’Éducation nationale ne lui fasse poser pied dans un collège du Nord Cotentin. Deux ans après, il épouse une Normande, fonde une famille... et ne quitte plus sa presqu’île.
LangueFrançais
Date de sortie4 sept. 2019
ISBN9782851137777
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    Aperçu du livre

    Le piaf de Kaboul - Alain Rodriguez

    Alain Rodriguez

    Le piaf de Kaboul

    Aller simple pour Cherbourg

    Roman

    Lys Bleu Éditions – Alain Rodriguez

    ISBN : 978-2-85113-777-7

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    « La haine des autres a toujours été la meilleure façon de combler sa propre vacuité. »

    David Foenkinos

    La maman-moineau a veillé sur sa petite boule de plumes jusqu’au grand jour quand, porté par ses premiers battements d’ailes, le piaf s’est envolé pour la suivre : quel bonheur !

    Mais les bons moments sont éphémères.

    Ce matin-là, un ciel des plus sombres descend si bas qu’il amplifie démesurément le croassement des corbeaux à gros bec. La pauvre mère-oiseau, blessée la veille par un chat, est vite prise de panique.

    — Les mangeurs d’oisillons arrivent, les mangeurs d’oisillons !

    Il faut agir ! , lui commande son instinct.

    Et là, sans hésiter, elle pousse hors du nid son cher petit, en s’égosillant :

    — Pars loin d’ici, fuis Kaboul, moi je reste là pour détourner leur attention ! 

    Ses derniers mots.

    Quoi de plus beau que l’amour d’une mère ?

    Fuir Kaboul ou mourir

    Assis sur le bord du quai Alexandre III, je me laisse envelopper par le voile ténébreux d’une nuit de septembre, le regard braqué vers le pont tournant et l’avant-port. Je reste là, figé, comme si je craignais que le moindre battement de mes cils ne soit à l’origine d’une cascade d’imprévus, d’une suite d’événements désagréables, voire de catastrophes semblables à celles qui jalonnent mon récent passé : cet effet papillon déferlerait sur Kaboul, empruntant dans l’autre sens le long couloir de mon chemin d’exil. La rumeur, car il s’agirait d’une rumeur me concernant, prendrait corps ici, à Cherbourg, pour se propager à grande vitesse jusqu’en Afghanistan et frapper de plein fouet, ma mère. Cette crainte, telle une graine qui ne demande qu’à pousser, germe dans le terreau de mon imagination depuis que j’ai quitté le pays. Je vis ainsi dans la hantise d’apprendre que ma mère a été victime des talibans qui la puniraient d’avoir organisé ma fuite : ils ne sont plus au pouvoir mais restent omniprésents dans les rues de Kaboul. Je sais que certains étudiants que j’ai côtoyés – appelés là-bas « des talibans sans arme » – en seraient bien capables : ceux qui ont mis leur plume au service d’une cause pour combattre l’insupportable corruption qui règne au pays. Ils ne me pardonneraient pas d’avoir fui mes responsabilités d’intellectuel au service du redressement moral de notre société. Ils n’étaient pas « ces amis choisis par Montaigne et La Boétie » que me souhaitait ma mère, mais ils étaient mes « potes », et c’est ce qui comptait pour moi... Je vous parle d’un temps où, tels des moineaux picorant autour des bancs publics des jardins de Babur, ou sur Chicken-Street, nous glanions auprès des promeneurs la matière première de nos publications estudiantines, prétentieux au point de croire pouvoir mettre la culture à la portée de tous... Quelques-uns de mes « potes » se laissèrent alors séduire par le chant des sirènes intégristes, et je les ai quittés.

    Gorgui, le frère de ma copine, partage mes idées, ou je partage les siennes. Orienté vers le journalisme, il met sa plume au service de la cause de notre peuple victime de l’ignorance, du mensonge et de la pauvreté. De ces gens qu’il dit soumis en empruntant son élitisme cruel à Calaferte : « La vérité c’est que nous ne sommes que quelques-uns à ne pas pouvoir se passer de liberté. »

    Soudain, agressant mon champ de vision, les feux du port s’allument. Bousculant le cours de mes pensées, ils l’orientent vers une lumière plus intérieure celle-là : la flamme d’un amour bridé en quête d’oxygène.

      Zhila, Zhila, que c’est dur de t’avoir quittée !

    Zhila, ma petite amie que je n’ai plus oubliée depuis notre première rencontre au lycée, a une forte personnalité : elle dénonce, comme son frère Gorgui, les travers de l’institution. De ses contestations émerge le profond dépit de ne pas voir son nom de famille figurer à la suite de son prénom sur son état civil où elle n’apparaît qu’en tant que Zhila, fille de Sarbaz Ramsy Azmaray.

    — Autrement dit, je n’existe qu’au travers de mon père, sinon je suis invisible, en déduit-elle. Quand je fais des courses dans les magasins du quartier, on m’appelle :  la fille de Sarbaz , ou  la sœur de Gorgui . Il en est de même pour ma mère dont le nom de famille n’est pas mentionné sur ses papiers officiels, ainsi le médecin établit ses ordonnances au nom de mon père..., toutes invisibles, je vous le dis, les femmes sont invisibles ! »

    Cette logique est partagée par d’autres étudiantes, dont Arezu-Myriam, la fille d’un taliban français de Ghazni : elle a quitté sa famille pour venir étudier à Kaboul. Toutes adhèrent au collectif qui dénonce ouvertement « la punition, politique ou religieuse dont sont victimes les femmes privées d’état-civil ». Officiellement, elles n’existent que par leur prénom suivi de : « Femme d’untel », « Fille d’untel » ou « Sœur d’untel »... jusque sur les pierres tombales ! Cette privation d’identité est devenue insupportable au 1 % des femmes afghanes qui font des études supérieures : celles que les extrémistes religieux, encore nombreux dans les rues de Kaboul, accusent d’être des révolutionnaires perverties par l’occident. Car ils savent que cette revendication, relativement anodine, fait écran à une action souterraine beaucoup plus profonde, beaucoup plus dangereuse pour leur modèle de société : la remise en cause de la condition de la femme ! Ils savent que les membres du collectif évoquent souvent, dans le plus grand secret, le mouvement de libération de la femme des années 70 en France. Elles ont toutes lu « Le Deuxième sexe » de Simone de Beauvoir, parmi les livres les plus traduits et les plus lus au monde... alors les « fous de Dieu » les montrent du doigt dans la rue, ou les invectivent jusqu’à attirer la vindicte populaire sur elles : il est fréquent que leurs appels à la violence soient suivis d’insultes, voire de jets de pierres sur ces insoumises, ces « libertaires ».

    « Les jeunes femmes, dont certaines sont blessées, prennent alors leurs jambes à leur cou, tandis que les talibans gloussent comme des dindons », dit Zhila.

    Dans un registre plus gai, mon amie apprécie les musiques françaises engagées dans le sens de son combat : j’en profite pour les lui offrir à l’occasion. Le dernier de ces petits bonheurs est chanté par Axelle Red et Renaud. Plongé dans mes pensées, j’en fredonne un extrait, observé par un couple qui ralentit.

    « Petit Portoricain, bien intégré quasiment New-Yorkais

    Dans mon building tout de verre et d’acier

    Je prends mon job, un rail de coke, un café

    Petite fille afghane, de l’autre côté de la terre

    Jamais entendu parler de Manhattan 

    Mon quotidien c’est la misère et la guerre

    Deux étrangers au bout du monde si différents... » 

    Je me souviens de la dernière fois où j’ai chanté Manhattan Kaboul, juste pour Zhila, et qu’à son tour elle a fredonné le Lily de Pierre Perret : elle l’adore !

    Quai de Caligny, entre chien et loup 

    La nuit tombe à peine, j’ai encore du temps. Dans mon dos, la circulation des voitures s’est faite plus dense, mais je l’entends à peine. Toujours plongé dans mes pensées je m’efforce de « revivre » ma dernière rencontre avec Zhila...

    Je la retrouve avec son frère, son mahram (garde du corps). Il s’écarte de quelques pas pour nous accorder un peu d’intimité... brave Gorgui !

    Ce moment s’annonce délicieux pour Zhila, mais pas pour moi qui dois lui annoncer mon départ : je quitte l’Afghanistan, le lendemain, en quête d’un autre destin. La décision vient de ma mère, moi je souhaitais rester ici pour valoriser ma licence en techniques de commerce international, mais elle a insisté, en français et très autoritairement : « ça suffit Mahdi, j’ai mes raisons ! »... et elle me les a données  :

    — Il y a deux mois, soit treize ans exactement après la mort de ton père, j’ai reçu deux lettres anonymes dans lesquelles ces chiens d’islamistes – car je sais que c’était eux – menaçaient de s’en prendre à toi si je ne modifiais pas le contenu de mon enseignement du français, comme ils l’entendaient : c’est-à-dire sans poésie, sans musique, sans cette liberté d’agir à laquelle je tiens tant. Cette insipidité je l’ai refusée en négligeant leur mise en garde dont je prends mieux conscience aujourd’hui : les assassinats d’intellectuels, enregistrés chaque jour, prouvent que ta vie est vraiment en danger, mon fils.

    Je lui ai répondu qu’elle l’était aussi pour elle, et voilà ses mots : « Je te suivrai plus tard, car aujourd’hui je ralentirais les longues marches forcées qui t’attendent ». Alors, la voix de mon père s’est fait entendre en moi : « ta mère a raison, ces gens-là ne plaisantent pas, Mahdi », et j’ai décidé de lui obéir.

    Zhila m’écoute. Pétrifiée. Seuls les battements anarchiques de ses paupières et le tremblement de ses mains révèlent son profond désarroi. Puis, forçant la barrière de ses lèvres quasiment figées, sa petite voix, hachée par l’émotion, murmure :

    — Promets-moi que tu reviendras dès que les choses s’arrangeront ici. Quand les talibans, dénoncés par le peuple, seront définitivement rejetés, et que ces affreux « dindons » glousseront de dépit...

    Mon sourire mélancolique se veut rassurant.

    — Tu n’as pas à en douter : dans ce cas-là, je reviendrai ! Ce dont j’ai peur, c’est que Gorgui et toi n’attendiez l’impossible, que vous soyez condamnés à finir vos jours bridés par ces religieux bornés : les aigles ne volent pas avec les dindons Zhila ! Ceux que tu appelles « les dindons » ne sont pas au pouvoir, mais c’est tout comme : ils ont constitué « un gouvernement de l’ombre » qui s’est allié aux seigneurs de guerre afghans pour combattre Karzaï, et je ne les vois pas capituler de sitôt !

    La sentant tout à coup absente, je lui presse le bras.

    — Je te communiquerai mon adresse dès que je me serai fixé quelque part, Inch'Allah ! La route sera longue et difficile, mais j’y parviendrai, pour la mémoire de mon père et l’amour de ma mère.

    Zhila tremble, alors j’ouvre mon sac à dos, en sors une petite couverture multicolore et lui couvre délicatement les épaules. Un pâle sourire de remerciement précède sa réponse.

    — Moi je ne suis pas prête à quitter mon pays, Mahdi, bien trop de choses m’y retiennent, à commencer par mes parents qui ne voient pas la vie du même œil que ta mère, plus occidentalisée. Et puis je ne veux pas quitter mon frère Gorgui qui lutte avec sa plume pour plus de démocratie : la chaîne qui me retient on ne la voit pas, mais elle est solide, Mahdi !

    — Je la couperai quand même, Zhila !

    — Alors chacun de ses deux morceaux emportera avec lui une partie de moi... maintenant, qui sait, il est peut-être écrit que

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