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Sale temps pour les Allemands: Itinéraire de Werner Schneider, prisonnier de guerre allemand en France, 1945-1947
Sale temps pour les Allemands: Itinéraire de Werner Schneider, prisonnier de guerre allemand en France, 1945-1947
Sale temps pour les Allemands: Itinéraire de Werner Schneider, prisonnier de guerre allemand en France, 1945-1947
Livre électronique223 pages3 heures

Sale temps pour les Allemands: Itinéraire de Werner Schneider, prisonnier de guerre allemand en France, 1945-1947

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À propos de ce livre électronique

Un pan peu glorieux de l'histoire : le sort des prisonniers de guerre allemands (PGA) en France.

C’est d’une histoire peu glorieuse, longtemps passée sous silence des deux côtés du Rhin, que témoigne ici Werner Schneider, sous la plume de sa fille, Christine. « […] ce livre donne également une consistance personnelle à une lacune historiographique qui est celle du sort des prisonniers de guerre allemands (PGA) en France », précise Beate Klarsfeld dans sa préface.
Werner Schneider fait partie de ces 750 000 PGA envoyés en France, dès avril 1944, pour reconstruire le pays que leur armée avait détruit. Détenus dans les terribles camps de la plaine du Rhin, dans des conditions inhumaines, affamés, affectés au déminage des régions côtières, aux travaux industriels ou agricoles, ils ne furent pas traités comme l’exigeaient les conventions de Genève. Si tous feront l’amère expérience de la défaite et connaîtront le processus de dénazification, tous ne sont pas des criminels de guerre.
Le voile sur cette sombre page se lève petit à petit. « Nous n’avons jamais cessé de lutter contre l’impunité des criminels nazis, mais nous n’avons jamais demandé ou accepté que l’on persécutât des Allemands parce qu’ils étaient allemands », a déclaré Serge Klarsfeld le 25 mai 2018 lors de l’inauguration d’une stèle au camp de Rivesaltes où furent détenus des PGA.
Un récit remarquable, ponctué de références historiques, écrit en toute humanité. Un témoignage de première main pour que « chacun puisse se forger une opinion personnelle de ce qui s’est alors passé, car l’Histoire n’est pas seulement celle des vainqueurs », comme l’écrit Werner Schneider.
Werner Schneider a participé au documentaire de l’historien Fabien Théofilakis, Quand les Allemands reconstruisaient la France, réalisé par Philippe Tourancheau, produit par Cinétévé et France Télévisions, et diffusé sur France 2 le 10 mai 2016.

Plongez dans le témoignage de première main de Werner Schneider, un des 750 000 PGA envoyés en France pour reconstruire le pays que leur armée avait détruit et découvrez un récit remarquable, ponctué de références historiques, écrit en toute humanité.

EXTRAIT

À Cherbourg, dans ses pensées, Werner se dira qu’à ce moment-là encore il aurait pu s’enfuir facilement et rejoindre l’Allemagne par ses propres moyens. S’il avait su !
Le 5 septembre 1945, quatre officiers, accompagnés d’autres soldats anglais, avaient déboulé à grand bruit de jeep dans le campement. C’était un début de matinée glacial, dehors il gelait ; aussi, personne n’était parti aux travaux de la ferme. Tout se passa si vite que pas un ne put réagir. Sans même leur laisser le temps de se vêtir, ces parachutistes au béret rouge firent mettre en formation les militaires allemands dans la cour, les regardèrent de la tête aux pieds, parlèrent en anglais sans qu’aucun comprît, puis repartirent. Werner et ses compagnons avaient quand même eu le temps de se geler ; ils rentrèrent en trombe pour s’habiller. Personne n’avait saisi un traître mot de ce qui avait été dit, certes fort, mais pas à leur intention. Retour à l’attente.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Franco-allemande, née 15 ans après la guerre, Christine Schneider a souvent entendu les récits de son père concernant son vécu de prisonnier de guerre allemand en France. Mais elle ne pouvait le resituer véritablement dans aucun contexte historique correspondant à ce qu’elle avait appris jusque-là. Le silence des mémoires nationales la laissait incrédule face à certaines conditions évoquées par Werner. Des heures de récits détaillés, des enquêtes sur les lieux du passé (Normandie, Bretzenheim), des lectures documentaires et des rencontres lui permettront d'écrire ce livre dans lequel elle peut enfin reconstituer l’histoire assez incroyable de son père, en vérifier la véracité et avoir envie de la faire connaître.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie18 janv. 2019
ISBN9782848867533
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    Aperçu du livre

    Sale temps pour les Allemands - Christine Schneider

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    Tous les documents de première main ont été laissés tels qu’ils ont été rédigés par leurs auteurs.

    À Mélanie, Julie, Muriel, Éloïse et Clarisse,

    ainsi que tous les petits,

    à Maman et à Gérard,

    à Hardy et Christina,

    à Sadikhe

    et à tous ceux qui nous ont soutenus

    dans notre démarche.

    Préface

    Acte de piété et d’amour filial, ce livre donne également une consistance personnelle à une lacune historiographique qui est celle du sort des prisonniers de guerre allemands (PGA) en France : pour la plupart, ils ne furent pas traités comme l’exigeaient les conventions de Genève et beaucoup (le nombre reste toujours indéterminé) sont morts dans des conditions encore mal définies et insuffisamment décrites.

    En retraçant le parcours de combattant puis de prisonnier de son père, Werner, Christine Schneider réussit à le faire revivre comme si c’était lui qui tenait son journal pendant les années quarante. Avant de devenir copilote navigateur dans la Luftwaffe en Norvège, Werner avait affronté les grands froids et les partisans en Union soviétique. Il s’en était sorti. Prisonnier des Britanniques puis des Américains, il n’eut pas la chance de mon père qui fut libéré dès l’automne 1945 et qui retrouva aussitôt sa famille. Werner, comme des centaines de milliers de soldats, fut livré aux autorités françaises pour aider à la reconstruction de la France, aux travaux agricoles ainsi qu’au déminage des régions côtières. Démineur dans la Manche, Werner s’en sort encore, car il est un as de la mécanique et a beaucoup de sang-froid, mais il souffre terriblement de la faim comme on peut en souffrir à vingt-deux ans et quand on effectue un travail épuisant et périlleux où les pertes humaines sont nombreuses.

    Début 1947, Werner est transféré à Thorée-les-Pins dans la Sarthe, un immense camp de PG qui est un véritable mouroir où on les affame, où ils ne sont pas soignés, où les conditions matérielles sont lamentables, où ils sont trop faibles pour travailler. Werner parvient à se faire transférer à l’arsenal de Rennes comme armurier et son habileté technique lui permet d’améliorer son existence. En octobre 1947, il devient travailleur civil libre à Villerupt en Moselle dans une fonderie employant deux cent cinquante Allemands. Il reprend contact avec sa famille en Allemagne de l’Est où il refuse de vivre, rencontre une jeune Française et décide de s’installer en France et d’y fonder une famille. Il réussira. Sa fille a voulu non seulement faire le récit de ce qu’avait vécu son père, mais aussi lever le voile sur ce que fut trop souvent la condition en France d’un million de PG allemands. Elle fournit à ce sujet des informations précises et utiles sur les différents aspects de ce problème.

    Le manuscrit de Christine Schneider m’est arrivé alors que mon mari préparait la pose d’une stèle, la première en France, à la mémoire de quatre cent soixante-trois PGallemands morts au camp de Rivesaltes en moins de cinq mois entre le 15 août et le 31 décembre 1945. À la tête de l’association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France, il a pris cette initiative parce que Rivesaltes a été de 1939 à 1942 un camp très dur où ont souffert les républicains espagnols, les gitans et les Juifs étrangers. Deux mille trois cents de ces derniers ont été déportés et environ deux cents ont perdu la vie dans ce camp de la zone libre où Vichy était souverain. Il y a vingt-cinq ans, Serge a édifié une stèle pour les victimes juives, et d’autres stèles ont suivi pour les autres catégories de victimes de ce camp. Manquait encore une stèle pour les PG allemands. Elle a été installée le 25 mai 2018 en présence de l’ambassadeur d’Allemagne en France et Serge a déclaré dans son allocution :

    « Quand on recherche la vérité historique, il faut être intransigeant et ne pas écarter les événements qui peuvent vous paraître embarrassants ou allant à l’encontre de l’opinion publique. Force était de constater que ces PG avaient été victimes, de la part de ceux qui avaient la responsabilité de ce camp, de la même inhumanité que les internés qui les avaient précédés. La grande masse de ces prisonniers de guerre étaient des militaires et il n’y avait pas à engager de représailles contre eux, sinon de les faire travailler en appliquant les conventions de Genève que les autorités militaires allemandes avaient généralement appliquées aux prisonniers de guerre français.

    « Beaucoup de nos familles juives ont été victimes de l’inhumanité ; mais nous n’avons pas le droit d’en faire état et de fermer les yeux quand cette inhumanité s’est abattue sur d’autres, même s’ils portaient l’uniforme allemand.

    « Nous n’avons jamais cessé de lutter contre l’impunité des criminels nazis, mais nous n’avons jamais demandé ou accepté que l’on persécutât des Allemands parce qu’ils étaient allemands. C’est pourquoi nous avons pris l’initiative de cette stèle ; en toute humanité. »

    Je recommande chaleureusement ce livre, très attachant, de Christine Schneider, qui coïncide ainsi avec le rôle de notre association, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

    Beate Klarsfeld

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    AVANT-PROPOS

    Les Allemands de ma génération ne sont pas tous des criminels de guerre…

    Lorsque j’ai raconté mon parcours de « prisonnier de guerre en France après 1945 », ici comme en Allemagne on m’a regardé pratiquement comme un affabulateur. Il y a même certains membres de ma famille française qui ne croyaient pas qu’un Allemand ait pu subir autant de mauvais traitements. Il faut dire qu’on ne parlait jamais de ces événements-là dans les films ou les journaux.

    Le livre écrit par ma fille Christine est mon témoignage, c’est ce que j’ai vécu personnellement. Avant que mes souvenirs ne soient moins bons, et vu que mes camarades sont sans doute pour la plupart décédés, il fallait témoigner pour que les jeunes et moins jeunes générations sachent. Que chacun puisse se forger une opinion personnelle de ce qui s’est alors passé, car l’Histoire n’est pas seulement celle des vainqueurs.

    Werner Schneider, été 2018, 95 ans

    Dans la gueule du loup !

    Malgré tout et jusqu’ici, Werner avait pensé qu’il était né sous une bonne étoile, que seule la chance l’avait protégé des mille et une morts qu’il avait frôlées de près pendant tous ces mois de guerre. Il s’estimait heureux d’être toujours de ce monde, tant de ses camarades ne répondaient plus à l’appel… Mais là, à ce moment présent, un grand doute envahit son esprit. Au fur et à mesure de l’escalade laborieuse des parois du wagon pour se hisser à l’air frais, le doute s’installa. Un wagon-tombereau…

    Le train finit de s’immobiliser à grand bruit de ferraille dans une petite gare rudimentaire, près de Bretzenheim, au sud de Mainz. La lumière le fit cligner des yeux en même temps qu’il ressentit la fraîcheur douce de l’air. Werner avait eu tant de mal à apprivoiser l’infinie froidure de la Norvège, à faire en sorte qu’elle ne soit plus un ennemi permanent mais juste un élément dont il fallait tenir compte… Alors, plus on descendait vers le sud, plus il sentait une agréable chaleur l’envahir. Pourtant, un frisson le parcourut à cet instant précis.

    Dans son uniforme, Werner ne se différenciait pas des milliers d’autres militaires allemands qui peuplaient ce train fantomatique. Seule la bande argentée qui entourait le col de son manteau permettait de savoir qu’il était sergent, le grade le plus bas de sa catégorie. Mais là, et pour cause, on ne distinguait même plus la couleur qui ornait le vêtement de chacun. Malgré les événements, il avait réussi à sauver sa casquette militaire, ce dont il se félicitait souvent. Voyageant debout, la tête arrivant à peine à hauteur des bords supérieurs du wagon, ou affalés par terre, ces sous-officiers étaient en piteux état. Outre la crasse qui s’accumulait, ils étaient tous plus ou moins barbouillés de la poussière noire de charbon qui s’envolait du fond de ce wagon où ils avaient été embarqués comme du bétail, une quarantaine de têtes par wagon. Mais pour des animaux, on aurait mis une bâche de protection, pensait Werner à chaque fois…

    Au moindre mouvement des pieds ou du corps, au moindre souffle de vent un peu virulent, un nuage noir plus ou moins épais s’étalait dans l’air comme un brouillard farceur, gênant la vue, s’insinuant dans le moindre orifice – bouche, narines, yeux, oreilles… – pour retomber ensuite, et obscurcir un peu plus les vêtements tristes de l’armée allemande en déroute. Et les visages inquiets et amaigris des soldats plus rasés.

    Chacun gardait précieusement contre lui son barda dans lequel il y avait un équipement militaire de rechange sale. Pour les plus chanceux une couverture, et une gamelle, mais plus d’arme. Les objets personnels avaient déjà été récupérés à Elverum près du port d’Oslo, ce qui avait quelque peu diminué la valeur affective de ce sac, et contribuait à ce sentiment général partagé, d’être eux-mêmes diminués. Des hommes à l’avenir plus qu’incertain. Quarante à cinquante par wagon, âgés de dix-huit à plus de cinquante ans.

    Depuis trois jours, ils occupaient leur temps à somnoler lorsque le train ne les secouait pas trop, qu’il ne pleuvait pas, qu’il ne ventait pas. Qu’on n’était pas arrêté dans l’une des multiples gares où se précipiter pour aller boire quelques gorgées d’eau, avant qu’un autre ne prenne la place devant le malheureux robinet du quai. Ou pour faire ses besoins à la va-vite dans un lieu improbable…

    Werner avait hâte d’arriver, d’être enfin nourri, car il avait senti ses forces le quitter progressivement au fil de cette longue journée d’une dizaine d’heures sans aucun repas. À vingt-deux ans, grand, les cheveux fins et châtain clair, il s’était habitué aux dimensions de son corps un peu trop anguleux, tout en jambes. Si souple qu’il pouvait compter sur lui dans n’importe quelles conditions. Son visage était assez beau malgré des traits peu réguliers, mais il exprimait rarement ce qui était le fond de sa pensée. Sauf que, parfois, ses yeux bleu clair pouvaient attraper le regard de son interlocuteur et il l’amenait alors dans l’objet de ses élucubrations intellectuelles sans que l’autre s’en soit seulement aperçu.

    Lorsque le crissement des ferrailles ferroviaires se fut totalement calmé, Werner se leva en titubant. Et comme tout le monde dans le wagon avait agi de même, les corps des uns tinrent debout les corps des autres. Il grimpa à son tour ; caler les pieds encharbonnés sur les longerons métalliques, attendre que ceux d’au-dessus aient sauté, et y aller enfin. Chancelant sur le quai brutal, au milieu d’autres affaiblis comme lui.

    Avec stupeur, Werner s’aperçut que oui, il avait bien vu du haut du wagon, juste avant de sauter ; un seul regard circulaire avait suffi… Plein de soldats en uniforme marocain patrouillaient le long du train, le fusil à la main ! Il les reconnut tout de suite à leur tenue spécifique et à leur teint mat. Le frisson avait eu lieu à ce moment précis, juste quand Werner comprit que sa chance habituelle était sans doute en train de lui tourner le dos.

    Certes, depuis la Norvège, il s’était passé des choses très inhabituelles dans sa vie réglée de personnel volant de la Luftwaffe – pour autant que la vie en temps de guerre soit réglée. C’est aussi depuis tout ce temps-là qu’il pensait vraiment être pris en charge par les Américains pour rentrer chez lui ! C’est d’ailleurs ce que leur avait dit le commandant US au camp de Wilhelmshaven, où avaient été réunis tous les militaires allemands, affectés comme lui en Norvège pendant la fin de la guerre : « Les gars du coin, vous prenez vos bardas et vous rentrez chez vous. Les autres, vous serez acheminés à Bretzenheim où vous serez démobilisés. Puis vous recevrez des papiers et de l’argent, et vous pourrez aussi rentrer chez vous ! » En voyant lesdits gars prendre leur sac et simplement partir, en observant que seuls trois soldats américains déambulaient nonchalamment autour d’eux, Werner n’avait pas mis en doute leurs déclarations. C’est également là qu’il avait vu pour la première fois de sa vie un être humain noir de peau, en chair et en os à proximité de lui. Et ça l’avait beaucoup impressionné.

    Depuis qu’ils avaient quitté le camp où on leur avait pris tout ce qui représentait une quelconque valeur marchande, l’idée de fuir ne lui était pas venue à l’esprit une seule seconde. Ni à ses camarades de voyage d’ailleurs ! Alors pourquoi étaient-ils gardés maintenant ?

    Décontenancé, debout sur le quai, Werner, le premier, lança d’une voix cassée qui couvrait difficilement les bruits, avec son accent berlinois si caractéristique :

    — Eh, les gars, vous avez vu tous ces soldats marocains qui gardent le train ? Vous avez vu ça ?

    Avant que ne retentisse une réponse, les regards se portèrent un peu plus loin sur le quai, où étaient arrivés en groupe une dizaine d’hommes allemands, des civils loqueteux. Ils tendaient des mains avides vers eux en attirant leur attention d’une manière ou d’une autre. Werner se laissa accoster par le plus proche. La cinquantaine fatiguée, le gars, qui portait un vêtement aux manches trop courtes, lui dit près de l’oreille en soufflant :

    — Vous allez à Bretzenheim ?

    — C’est ce qu’on a cru comprendre…

    — Mais là-bas on va vous enlever tout ce que vous avez encore. Donne-moi ta montre ! ajouta-t-il avec un regard oblique sur la poche de Werner. Vous êtes prisonniers de guerre¹ !

    Werner était resté sans voix quelques instants, le regard vide. Puis il avait détaché, sans plus y réfléchir, la chaîne de sa montre de gousset et l’avait contemplée une dernière fois. Celle de son papa parti trop tôt, lui aussi à cause de la guerre contre les Français. Tout ce qui restait de lui et dont Werner avait hérité du fait de son rang dans la fratrie au moment de partir au régiment, une grosse belle montre un peu désuète. Foutu pour foutu, il la tendit à ce pauvre homme. D’autres comme lui se défaisaient avec difficulté d’un bracelet, d’une alliance… quand déjà la locomotive siffla et le train s’ébranla.

    Course pour se hisser. Ce qu’il venait de comprendre fut vite partagé par tous les soldats du wagon : on ne les ramenait pas chez eux, on leur avait menti ! Ce qui semblait impensable dans la mentalité très droite de Werner. Des militaires – certes américains – leur avaient menti ! Pas de retour à la maison, non ! Ces Américains n’étaient pas là pour donner un coup de main au rapatriement des soldats allemands, non, ils étaient là en tant que vainqueurs, et les amenaient comme de dociles agneaux se faire croquer… dans un camp où ils seraient livrés aux ennemis ! Dans la gueule du loup… Mais ils étaient trop estourbis pour essayer de lutter d’une manière ou d’une autre avant l’arrivée. Ils retombèrent dans de grandes volutes de magma noir.

    Werner se disait que, cette fois, il était du mauvais côté de la barrière, du très mauvais côté même, prisonnier de guerre de ses anciens ennemis. Il se sentit infiniment las. Et fâché contre lui-même ! Werner s’en voulait de ne pas avoir compris la situation plus tôt. Mais oui, il aurait pu trouver étrange que ce soit des Américains qui les acheminent d’un point à un autre. Ou s’étonner qu’on les amène à Bretzenheim, centre-ouest de l’Allemagne, alors que tant d’autres comme lui habitaient au nord-est… Dire qu’il aurait pu se sauver à chaque gare où ils descendaient tous systématiquement, et remontaient également de manière mécanique dans cet horrible wagon, quand ils ne couraient pas derrière pour le rattraper ! Avec trois soldats américains qui déambulaient sans conviction aux alentours.

    Il réalisa aussi que, sans nouvelles de sa famille, il était peu enclin à envisager de se sauver. Wanda, sa mère, Max, son frère, et Charlotte, sa grande sœur, étaient restés à Berlin. Il savait également que la ville avait été bombardée. À quoi ressemblait la maison maintenant ? Ce qui expliquait peut-être qu’il n’avait plus aucune nouvelle depuis six mois… Se sauver pour aller où ? Depuis la fin de la guerre, pour lui le 9 mai 1945, il s’était juste donné comme mission de ramener sa peau dans le meilleur état possible quelque part en Allemagne…

    Le train s’immobilisa de nouveau à Bretzenheim, dix minutes après le coup de matraque au

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