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L'entreprise délibérée: Refonder le management par le dialogue
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Livre électronique295 pages3 heures

L'entreprise délibérée: Refonder le management par le dialogue

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À propos de ce livre électronique

Un regard neuf sur l'entreprise et ses mutations contemporaines.

Le monde de l’entreprise est en pleine mutation. Le sentiment que l’on arrive au bout d’un modèle d’organisation et de management est désormais très largement partagé. Les tourments de la perte de sens montrent qu’il est grand temps de changer de modèle. Cette aspiration au changement est reprise avec enthousiasme par les cadres et dirigeants eux-mêmes qui proposent de « libérer l’entreprise ». Ils promeuvent alors l’autonomie, la liberté, la responsabilité, la suppression des hiérarchies… Pourtant, et aussi séduisante soit- elle, cette approche souffre d’un défaut originel : les entreprises ne peuvent être le monde de l’autonomie et de la liberté ! Elles sont au contraire le monde des dépendances assumées dans lequel chaque participant renonce à déterminer seul son action pour la définir de façon coopérative avec les autres… et faire mieux ensemble ! En tant que lieu de l’interdépendance choisie et de la coopération volontaire, l’entreprise est nécessairement le lieu du dialogue au travers duquel se tissent et se retissent en permanence les fils de l’action commune. Cette pratique du dialogue ne suppose pas la suppression des règles ou de l’autorité mais leur refondation. C’est un défi pour le management que de savoir soutenir, animer et organiser le dialogue. Ce sont les voies d’un management par le dialogue que L’entreprise délibérée entend explorer.

En dépassant le concept d'entreprise libérée, l'auteur aborde la vie en entreprise de manière fondamentalement nouvelle et moderne en s'inspirant de son expérience et de ses recherches.

EXTRAIT

De façon symétrique, les employeurs se retrouvent aujourd’hui autour d’un discours valorisant non plus l’exécution docile des prescriptions organisationnelles mais l’engagement, l’initiative, l’innovation. Dès lors, tous interrogent directement la question des modes d’organisation et de management dans leur capacité à produire de la reconnaissance des personnes au travail, en tant que personnes précisément, c’est-à-dire des êtres rationnels (dotés d’intelligence sur laquelle l’organisation peut parier), créateurs (capables de prendre l’initiative et de façonner l’organisation, pas uniquement de la subir) et doués de parole (susceptibles de prendre voix dans le projet commun).
Il faut donc produire un nouvel accord non plus avant tout, ou non plus seulement autour de la redistribution des richesses mais aussi autour des modes d’organisation et de management susceptibles de garantir de la reconnaissance. De même que le vieil accord redistributif (l’accord fordien) a été le ressort des performances de la deuxième partie du XXe siècle, le dynamisme économique et social du XXIe siècle reposera certainement sur la capacité à produire un nouvel accord qui prenne en ligne de compte la question de la reconnaissance. C’est de ce nouvel accord productif autour de la qualité du travail et pas seulement de la qualité de l’emploi que dépendront les possibilités de performance et de développement de demain.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Mathieu Detchessahar est professeur de Management à l’Université de Nantes et auteur de Le marché n’a pas de morale (ed. du Cerf).
LangueFrançais
Date de sortie27 mars 2019
ISBN9782375820704
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    Aperçu du livre

    L'entreprise délibérée - Mathieu Detchessahar

    Préface

    Dialoguer pour faire autorité

    Yves Clot

    Il existe des moments de grâce dans la vie universitaire. J’ai eu le sentiment d’en vivre un en découvrant le titre de cet ouvrage d’abord, et son contenu ensuite, lorsque Mathieu Detchessahar m’a proposé d’en écrire la préface. L’entreprise délibérée, c’est déjà ainsi que j’avais cru possible de désigner le pas de côté à faire devant l’ainsi nommée « entreprise libérée ». Mais l’essentiel m’est vite apparu : la convergence entre des disciplines habituellement aussi éloignées que les sciences de gestion et la psychologie du travail. On y verra sûrement un signe des temps.

    Le livre collectif qu’on va lire ne contourne pas l’obstacle. C’est tout un monde qui vacille, celui de l’entreprise organisée autour du vieil accord redistributif. Le fordisme n’a plus la force propulsive qui a permis à des générations de travailleurs d’accéder à une dignité sociale en dehors de l’entreprise en courant le risque de renoncer à la dignité de leur activité à l’intérieur de celle-ci. Au bout du compte la redistribution salariale ne compense même plus le sacrifice de la fierté professionnelle dans le travail subordonné. L’existence s’en est trouvée raréfiée dans une expérience avortée de la politique. Le constat est déjà important. Mais ce livre est bien plus qu’un constat. Il est la trace laissée par l’expérimentation d’une issue possible. Il avance sur le chemin de l’action pour un nouvel accord – productif cette fois – autour de la qualité du travail en cherchant à lever les obstacles qui s’y présentent.

    On connaissait l’engagement de M. Detchessahar dans la tradition sociale-chrétienne (2014) en écho à cette réflexion glaçante de S. Weil en 1935 : « Il faut que la vie sociale soit corrompue jusqu’en son centre lorsque les ouvriers se sentent chez eux dans l’usine quand ils font grève, étrangers quand ils y travaillent. Le contraire devrait être vrai » (2002, p. 341). Avec l’intransigeance que procure l’expérience vécue, elle décrivait le déchirement politique du travail qui conduit certains – pour parler comme J. Dewey – à « s’occuper de la conception et de la planification des affaires tandis que les autres demeurent les instruments dociles, quoique gênants, de l’exécution des tâches ». Dewey ajoutait que « tant que ce schème ne sera pas transformé, la réalisation de la démocratie restera vouée à être systématiquement pervertie » (1922, p. 73).

    Visiblement M. Detchessahar et ses collègues cherchent à s’attaquer à ce schème chapitre après chapitre. Une chose est sûre : si l’on peut parler de démocratie, comme le fait Dewey, comme d’autres l’ont fait après lui (par exemple, Sailly, 2017) et comme le font parfois ici les auteurs, c’est aux antipodes de la démocratie d’assemblée, et bien loin de toute « consultation ». C’est au sens que donnait à ce mot J. Lacroix, cet autre philosophe chrétien, qui y voyait « la lutte contre toute élite qui voudrait s’attribuer l’autorité sur autrui en vertu de sa puissance propre, que ce soit l’élite de la naissance, de l’argent ou même de l’intelligence » (1935, p. 882). Et on comprend alors que la « libération de la parole » et son « écoute » n’y suffisent pas. Le processus de décision est une question centrale. Ph. Bernoux le rappelle : c’est une injustice que d’être empêché de participer aux décisions concernant son propre travail (2015, p. 182). Il n’est donc pas question ici, pour reprendre une formule qu’on trouvera dans le premier chapitre, de « discuter pour discuter » mais pour décider de la ré-orientation de l’action commune et de ses règles.

    Du coup ce livre cherche l’espace pour la fonction politique de la discussion. Il n’est pas une critique théorique de plus du management. Certes il permet de comprendre les limites ou les illusions de l’« entreprise libérée ». Et on y trouvera l’une des premières analyses systématiques de ce genre de faux dialogue auquel il est prescrit d’adhérer pour se « libérer » mais qui peut aller jusqu’au « contrôle de tous par tous ». Mais, si cette critique est possible c’est justement au regard des expériences dialogiques faites par les auteurs confrontés aux obstacles récurrents du dialogue authentique. Il est coûteux quand il est vrai car il comporte des risques – j’y ajouterais des épreuves affectives – que seul un cadre dialogique fait pour résoudre des problèmes concrets peut permettre de conjurer.

    Insistons sur quelques propriétés singulières du genre de discussion proposé. Le dialogue est défini ici – M. Detchessahar y insiste en utilisant le travail de Bakhtine – comme structurellement hétérogène. Il n’est qu’en apparence le dialogue actuel entre des interlocuteurs repérables, de personne à personne. S’il a bien lieu évidemment entre les destinataires du moment, il est aussi le dialogue intérieur beaucoup moins repérable, où se mêlent les voix des autres, qui oppose chacun à lui-même pendant et après la discussion. Et on peut parier sur lui. Car il est durable et rend potentiellement disponible pour un dialogue ultérieur. Les effets résiduels et différés de ce dialogue en mal de développement, méritent à eux seuls des institutions pérennes. Ce qui n’est pas dit – et qui dépend de la dose de vérité que l’échange présent tolère – continue d’agir.

    Mais la polyphonie dialogique n’a pas que des frontières intérieures. Elle convoque régulièrement, surtout dans les moments difficiles du dialogue en cours, ce que Bakhtine a appelé un « destinataire de secours ». Ce sur-destinataire à qui l’on s’adresse comme un étalon auquel se mesurer, on voudrait que tout le monde s’en sente comptable. Car il s’agit de rien moins que des règles de l’art de l’activité, des critères du travail bien fait. Il est convoqué comme un troisième participant vivant au dialogue. C’est alors « le métier qui parle » mais à qui aussi, en retour, on parle et surtout de qui on parle à plusieurs voix.

    Les voix différentes de la controverse permettent de découvrir ses « angles morts » à mesure que les objections repoussent les limites du connu grâce aux conflits de critères – pour parler à ma manière – qu’on peut instruire ensemble. Institués, ces conflits de critères sont la force motrice du développement organisationnel, ils permettent de civiliser le réel de l’activité quotidienne, de faire reculer ce que les hommes détestent le plus, les efforts inutiles et l’absurdité des gaspillages (Veblen, 1918). Le livre en donne de beaux exemples.

    Un point ici mérite attention. Un dialogue de qualité n’est pas le consensus factice du juste milieu, obtenu entre des points de vue déjà « faits ». Il ne sort de là qu’un sentiment mélangé de soulagement et de tristesse. Et surtout le pressentiment des complications à venir. C’est déjà ce que notait, à sa manière, M. P. Follett (1924, p. 164 ; Mousli, 2005). La performance dialogique se signale plutôt par la vérité ou la fausseté de l’échange qui sonne juste ou faux. Une discussion est plus ou moins « vraie ». Non pas au sens de sa référence à la réalité mais plutôt quand elle sonne « juste », quand l’expérience est faite de la bonne surprise de l’idée neuve, au-delà de la doxa, grâce aux plaisirs et déplaisirs du libre examen du travail sous toutes ses coutures.

    Ce genre d’événements tisse de nouveaux liens qui augmentent la puissance d’agir de concert. Je me suis demandé si ce n’était pas à l’existence de cet affect que M. Detchessahar reconnaissait une fonction politique à la discussion. Et j’ai alors pensé à Spinoza qui présente la délibération comme le seul destin heureux possible pour nos faiblesses. On croit souvent perdre du temps « mais en revanche, lorsqu’un petit nombre décide de tout en fonction de ses seules passions, c’est la liberté qui périt et le bien commun. Car les dispositions intellectuelles des hommes sont trop faibles pour pouvoir tout pénétrer d’un coup. Mais elles s’aiguisent en délibérant, en écoutant et en discutant ; c’est en examinant toutes les solutions qu’on finit par trouver celles qu’on cherche, sur lesquelles se fait l’unanimité, et auxquelles nul n’avait songé auparavant » (1979, IX, 14.). La possibilité de découvrir ce que personne ne soupçonnait jusque-là, où se niche finalement le secret de la performance durable, dépend de la dose de vérité qu’une organisation est capable de supporter ; du temps qu’elle investit aussi pour produire cet oxygène dialogique dont dépend de plus en plus la performance.

    Car, qu’on le veuille ou non, soutient l’ouvrage, il y a toujours du dialogue dans une organisation, même asphyxié ou vicié. Le dialogue est insupprimable. Il peut mal tourner. Mais il peut aussi rendre civil l’espace politique de production des règles de l’action (Hervet, 2007). Toute morale de la communication est donc bien fragile du moment que le dialogue n’est ni un idéal ni un devoir. Toujours déjà là, il peut s’arrêter sur les idées fixes des conversations quotidiennes ressassées. C’est un monologue en mal de développement, s’il n’est pas cultivé en délibération publique sur l’action professionnelle, ouvert sur des contextes neufs, vivants et discutables. Aucune polyphonie de la réconciliation – pour consolante qu’elle soit – ne remplacera donc jamais l’éthique de la transformation. Celle qu’appelle la civilisation des conflits de critères à l’œuvre dans tout travail (Barthe & Linhardt, 2009 ; Clot, 2018).

    C’est peut-être pourquoi le livre est prudent sur la liberté possible dans l’entreprise et lucide sur le travail subordonné. Méfions-nous, là aussi, d’un royaume de la liberté affranchi du royaume de la nécessité, disent, en substance, M. Detchessahar et ses collègues. S. Weil, qu’on ne peut guère soupçonner de complaisance à l’égard du travail servile, l’avait déjà noté en 1936, « l’organisation du travail est la combinaison de l’ordre et de la liberté » (2002, p. 257). On mesure alors la distance qui sépare cet ouvrage, par exemple, des réflexions récentes de T. Coutrot sur la libération du travail (2018). L’entreprise délibérée ne fait pas le pari libertaire d’une absence d’autorité hiérarchique et n’a guère d’indulgence pour le patron-gourou. Et même, pour les auteurs, elle ne va pas sans l’éloge d’un encadrement renouvelé.

    Tous les chapitres de ce livre sont sans ambiguïté : le manager doit exercer et assumer un « agir politique » dans l’organisation. Il faut prendre le mot ingénierie à la lettre. Elle doit rester sous pilotage managérial. Si la discussion veut peser sur le cadre politique de l’action elle doit se dérouler en présence de l’autorité. C’est une perspective toute autre que celle qui croit pouvoir parier sur des « espaces autonomes d’expression » prenant en charge la qualité du travail par une autre voie que la ligne hiérarchique, en équipant les représentants du personnel (Davezies, 2014, p. 5). Au contraire, pour les auteurs, mieux vaut éviter d’entretenir des espaces politiques de délibération en marge de l’autorité managériale. Ils font long feu au contact des réalités de l’organisation.

    On sait tout ce qui relie M. Detchessahar à la tradition sociale chrétienne et c’est clairement du côté de la subsidiarité que le livre préfère nous orienter : la subsidiarité promeut « la dignité et la liberté du niveau inférieur tout en consolidant l’autorité du niveau supérieur », pour reprendre l’argument d’un cercle de dirigeants chrétiens (2013, p. 19). Cette consolidation est peut-être – avec le dialogue – le projet même de ce livre. Car elle ne confond pas autorité et pouvoir.

    À la différence du pouvoir qui délimite le périmètre où l’ascendant est pris sur l’autre, l’autorité excède toute procédure. Elle suppose d’être « reconnue comme telle sans avoir besoin de s’affirmer par la contrainte mais aussi sans provoquer de discussion » dit Revault d’Allonnes (2006, p. 68). Elle est comme le prédicat du pouvoir auquel elle confère sa légitimité. Aucun statut ne la garantit¹. Pour H. Arendt, « l’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté » (1961, p. 140). Dans cet esprit, les espaces de discussion viennent en renfort de l’autorité managériale.

    L’obéissance volontaire est privilégiée par M. Detchessahar car elle augmente, à la différence de l’exercice discrétionnaire du pouvoir, la capacité d’action. Et la force de liaison de l’autorité acquise dans la discussion sur le travail réel permet de miser sur le renversement de la délégation : chaque niveau inférieur peut actionner le niveau supérieur pour faire reculer les limites de son activité propre. C’est la collégialité de l’Église catholique qui sert ici de référence : la décision passe par l’autorité du chef et l’égale dignité dans la délibération.

    M. Revault d’Allonnes a fait de la capacité d’initiative une force instituante de l’autorité, un « pouvoir des commencements » (2006, pp. 72-73). Le livre qu’on va lire l’illustre de façon singulière : c’est la force liante de l’autorité managériale qui permet de structurer les espaces de discussion. On comprend alors que cette discussion doive se faire en présence de l’autorité².

    C’est sur ce point crucial que cet ouvrage devrait ouvrir – et ce n’est pas le moindre de ses mérites – une belle réflexion collective. On voudrait juste la nourrir. Un point semble acquis et chacun des chapitres le montre avec force : l’efficacité durable du travail d’organisation ne peut être l’affaire du seul collectif pas plus que l’apanage d’un intervenant extérieur. Toute transformation pérenne suppose la prise en charge par l’organisation de la performance dialogique que nous avons évoquée plus haut.

    Ajoutons que toute discussion, si elle veut être opérationnelle pour ne pas décevoir les attentes qu’elle a suscitées nécessite une organisation et un management dédiés. Elle a aussi besoin d’institutions. On ne peut pas miser, pour reprendre les mots de M. Detchessahar, sur les figures mythifiées d’un collectif auto-régulé. Le métier se nécrose s’il est ramené à l’activité collective des professionnels entre eux, fermé au « grand dialogue » de l’organisation. La prescription fait partie du métier et l’autonomie est vite subalterne si elle ne développe pas l’hétéronomie en agissant sur les règles prescrites. Le métier n’est vivant qu’équipé par l’espace politique de production des règles dans l’organisation tout entière. Et du coup, la « coopération conflictuelle » (Trentin, 2012) entre les collectifs professionnels et la ligne hiérarchique autour de la qualité du travail est bien vitale pour la santé et la performance.

    Pourtant on sait qu’elle n’a rien d’irénique. Elle se heurte à des obstacles récurrents présents dans chaque chapitre de ce livre. Et l’un d’entre eux mérite peut-être la plus grande lucidité, une fois admis, bien sûr, qu’on mesure les résultats durables d’une intervention après le départ de l’intervenant. L’expérience déjà ancienne des lois Auroux a, dans un contexte très différent, éclairé cet obstacle. À peine dix ans après la promulgation de ces lois, constatant la désaffection progressive de l’exercice du droit d’expression, M. Coffineau note dans son rapport pour le premier ministre de l’époque : « L’animation par la hiérarchie directe, cause de beaucoup d’échecs, mérite réflexion » (1993, p. 95).

    Mais il n’impute pas la difficulté seulement à la hiérarchie : « Faute de temps et des moyens nécessaires, les salariés ne peuvent préparer les réunions. Il est donc difficile au groupe de résoudre ses conflits latents avant la réunion d’expression. Les participants préfèrent donc se censurer plutôt que de mettre en péril, pour un résultat aléatoire, la cohésion du collectif de travail » (1993, p. 29). Il en résulte un « consensus de façade ». Mais ce qui n’est pas dit continue d’agir. Et surtout, sans solutions à leurs problèmes dans un délai raisonnable « les salariés vivent mal ce décalage entre les discours et la réalité » (p. 30).

    Comparaison n’est pas raison et l’ouvrage ne montre pas ce décalage, bien au contraire. Mais il hésite : construire « l’opinion de l’équipe » hors de la présence managériale est jugé parfois utile. Mais, même quand c’est le cas, ce n’est pas encore l’espace de discussion « au sens fort ». La réticence est bien là qui veut légitimement éviter l’empêchement des managers. On comprend d’ailleurs sa logique, bien dans l’esprit de la théorie proposée ici : l’art managérial du chef doit doter le collectif d’une habileté dialogique nouvelle où l’explicitation du travail est encadrée par la hiérarchie³.

    Pourtant, une fois déliée du simple pouvoir sur les hommes, une fois réindexée au pouvoir d’agir entre eux, l’autorité peut-elle rester un privilège ? Le professionnalisme délibéré (Clot, 2012 ; Clot & Gollac, 2014)⁴ qui construit la fierté du travail « bien fait » au fil des jours et entre collègues peut faire aussi autorité (Bonnemain, 2015 ; Bonnefond, sous presse). Il est également une force liante possible qui confère au métier institué un devenir instituant pour l’organisation. Il donne des libertés si on en prend avec lui. La capacité d’initiative peut-elle être exposée au péril de l’asymétrie et le « pouvoir des commencements » courir le risque de l’exclusivité ?

    On pourra sûrement se retrouver dans cette affirmation de F. Hubault : « C’est le métier qui donne de l’autorité dans l’activité, et c’est aussi par l’activité que l’on acquiert de l’autorité dans le métier » (2010, p.106). Il faudrait donc rendre justice à l’activité. Peut-être même mérite-t-elle des droits (Wolmark, 2016). En tout cas un collectif doit s’en sentir comptable s’il veut avoir le crédit suffisant pour mesurer son autorité à celle des organisateurs qu’il faut mettre au travail dans la boucle de décision.

    Cette responsabilité de l’acte, il faut alors

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