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Appartement 103: Un roman à la frontière du réel
Appartement 103: Un roman à la frontière du réel
Appartement 103: Un roman à la frontière du réel
Livre électronique805 pages10 heures

Appartement 103: Un roman à la frontière du réel

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À propos de ce livre électronique

Dans un immeuble peuplé de courants d’airs et de souvenirs, Alexandra, Cédric et Valentin entament une colocation dans l’appartement 103.

Peu à peu, le quotidien s’installe dans le foyer. Alex a son job de factrice, Cédric boit des bières et tombe amoureux des filles, et Valentin navigue entre ses problèmes.
Cependant, une présence nocive les entoure, les empêche de dormir, et fait naître des pensées noires. Le temps passe et l’ombre grandit. Elle prend de plus en plus de place dans l’appartement et dans leurs vies.

Ce récit fantastique plonge le lecteur dans l'univers frissonnant des maisons hantées !

EXTRAIT

Les fenêtres de la pièce où il dormait étaient ouvertes ; les volets en bois à moitié rabattus, plongeant le décor dans une légère pénombre. Dehors, les feuilles de peuplier bruissaient dans le vent, se mouvant lentement, presque de façon hypnotique. Tout était calme. Silencieux.
Valentin avait une indicible bouche pâteuse. Il parcourut la pièce du regard, à la recherche d’une bouteille d’eau, dut se résigner à devoir se lever, et renonça dans la seconde qui suivit. Plus tard.
Le frigo n’était pas loin, mais le trajet paraissait long. Question de relativité. À peine cinq heures de sommeil ; gâchées par des cauchemars. Mmm… D’ailleurs, de quoi est-ce qu’il était question, dans ces cauchemars ?
… un endroit, peut-être une maison, en train de brûler… avec des gens dedans.
… une sensation d’être poursuivi… par quoi ?
… l’impossibilité de bouger la tête… comme si le cou était paralysé.
Inutile de continuer l’exercice de mémoire plus longtemps. À chaque fois que je tape, j’ai ce genre de délires. Il repoussa le drap qui recouvrait son dos nu. Après une longue expiration, il changea le côté de la tête sur lequel il se reposait, et s’en tint là… Pas assez de motivation pour bouger.
… une pensée lui traversa l’esprit…
Merde ! On est samedi.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Stéphane Lavenère est né le 2 avril 1986 à Toulouse. L’écriture l’accompagne depuis son enfance puis la musique deviendra une part essentielle de son travail artistique, tout comme le théâtre et la danse. Toujours en quête de la musicalité dans l’écriture, Stéphane Lavenère crée une combinaison originale des différents modes d’expressions artistiques pour aboutir à des projets où les sensations s’entrechoquent.
Dans une histoire à la frontière du réel et du métaphysique, Appartement 103 parvient à toucher aux sensations, à l’organique, à travers les lignes.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie13 juil. 2017
ISBN9791023605754
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    Aperçu du livre

    Appartement 103 - Stéphane Lavenère

    ÉPISODE 1

    « Tu es sûre de toi ? »

    Alex leva machinalement sa tasse. Elle but une gorgée du café insipide qu’on lui avait servi. Elle l’avait trop sucré. Ça n’avait pas amélioré le goût.

    Autour d’eux, le centre commercial suivait sa vie. Sons et lumières. Grincements de chariots, discussions de famille, annonces préenregistrées passées en boucle dans les haut-parleurs pour annoncer telle ou telle promotion, ou vanter les mérites de tel ou tel produit… Le samedi après-midi, aux alentours des 15 heures. Chiant, par excellence.

    Le serveur passait le balai derrière son comptoir ; il restait encore quatre croissants froissés en vitrine.

    Alex soupira.

    « Écoute, Alexandra… »

    Ah ! Le signe de référence de la conversation sérieuse : appeler quelqu’un par son prénom en entier. Elle n’avait vraiment pas l’habitude de l’entendre…

    Son père la regardait avec un air grave, derrière ses lunettes. Alex nota des petites taches sur le verre des montures. N’importe quel détail arrivait à détourner son attention.

    « Je sais que c’est ton ami, mais…

    –Mais ?

    –Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi individualiste. Et tu le dis toi-même…

    –Je sais.

    –Tu penses vraiment que c’est une bonne idée ?

    –De toute façon, on sera trois.

    –Oui… Mais bon…

    –Mais bon quoi ?

    –Vivre avec quelqu’un, c’est particulier.

    –Je sais.

    –Oui… Je sais que tu sais… En plus, la localisation de l’appartement…

    –Il nous convient.

    –Et est-ce qu’il te convient à toi ?

    –Évidemment.

    –Parce que… c’est important de… choisir… Prendre son temps…

    –Tu n’as rien d’autre que des banalités à me dire ? »

    La playlist en fond sonore était toujours un truc entre la lounge, l’acid jazz et le funk. À l’instar du reste du magasin : aseptisé. Il n’y avait que le père d’Alex pour fixer des rendez-vous dans des endroits aussi anémiés.

    Ils ne se voyaient qu’une fois par mois (et encore). Et Alex avait besoin d’un garant. Les agences immobilières sont le fléau de la société contemporaine. Des garanties, des garanties… Franchement, à quoi ça servait à Alex de gagner 1 700 € brut par mois, s’il lui fallait quand même un garant ? Complètement aberrant.

    Elle repassa une de ses mèches brunes derrière l’oreille. Son crâne la lançait. Elle fouilla dans son sac, à la recherche d’un Doliprane, et aperçut (un détail oublié…) un tas de mouchoirs usés, dans le fond. Certains étaient tachés de sang.

    Alex referma le sac avant que son père n’y jette un coup d’œil. Il était inquiet pour tout, et tout le temps. L’anxiété, ça se soigne.

    « Écoute, Papa. Ça ne sert à rien d’avoir cette conversation maintenant, tu vois ? Je veux dire, ce n’est pas comme si j’avais pris cette décision sur un coup de tête. Ça fait des semaines qu’il en est question. Et on a trouvé un truc qui nous convient. Ce que je te demande, c’est de m’emmener quelques papiers. Il me faut un avis d’imposition et…

    –J’ai peur que ça se passe mal. »

    Alex soupira exagérément en levant les yeux au plafond. Putain… Pourquoi est-ce que je dois me farcir ça aujourd’hui ?

    Depuis l’intérieur du sac d’Alex, on entendit Jim Morrison chanter Alabama Song. Sonnerie de portable.

    Sur l’écran de l’iPhone : la photo de Cédric, une bière à la main et les yeux vitreux ; avec la possibilité de lui répondre. Alex remit le portable dans son sac. Pas maintenant.

    Son père n’arrêtait pas de dandiner sur sa chaise ; passant d’une fesse sur l’autre. Il regardait les gens aller et venir à côté du café de la galerie commerçante où ils s’étaient installés.

    Alex savait qu’elle n’allait pas y couper. Il fallait qu’elle ait la conversation rassurante avec lui. Qu’elle lui répète les mêmes inepties, le même bla-bla creux, la même mélodie usée. La berceuse des angoissés. Il ne lâcherait pas l’affaire.

    Ç’aurait été tellement plus simple si sa mère n’avait pas été au chômage… On ne choisit pas toujours.

    « Papa, regarde. J’ai besoin d’un nouveau départ. Cédric a besoin d’un nouveau départ. Valentin a besoin d’un nouveau départ. Et, tous les trois ensemble, ça sera plus simple. On pourra compter les uns sur les autres.

    –Cédric est un gentil garçon…

    –Oui. Et Valentin n’est pas mauvais non plus ; contrairement à ce que tu crois.

    –Ce n’est pas ce que j’ai dit.

    –C’est ce que ça suggère. Tu l’as vu, quoi, deux… trois fois ? Tu t’es fait une opinion arrêtée en si peu de temps ?

    –Non… Je ne… Tu déformes ce que je dis.

    –Ce serait mieux si je vivais toujours avec Lionel ? Qu’il me frappe encore ? »

    Le père d’Alex eut un hoquet d’effroi. Ses yeux balayèrent les tables voisines, histoire de s’assurer que personne ne les avait entendus.

    Oui… Alex avait choisi la facilité.

    Cette histoire de « violence conjugale » mettait fin à tous les débats.

    Elle en parlait avec énormément de froideur. Plus facile… maintenant que Lionel était collé en prison. Et pourtant, dans le coffre aux souvenirs, la serrure n’était pas systématiquement bien mise. Des fois (… souvent, en fait), ils s’invitaient dans les cauchemars. Les images frappaient avec la violence qu’avaient eue les poings lorsque… lorsqu’il…

    Le moment était mal choisi pour se repasser la séquence en tête.

    Le père d’Alex n’avait pris qu’un café allongé. Qu’il n’avait pas touché. Qui avait refroidi. Qui finirait dans l’évier sans profiter à personne… De toute façon, leur café est dégueulasse.

    Après leur inventaire le long des tables désertes, les yeux du père d’Alex revinrent vers ceux de sa fille, et jonglèrent du droit au gauche. Sa langue humectait ses lèvres, mais aucun mot n’en sortait.

    « Papa, cette histoire est vraiment arrivée, d’accord ? Mais ce sera la seule et unique fois. Je ne veux pas me remettre en concubinage. C’est une colocation que je veux. Un truc sympa. Épanouissant. »

    À nouveau, Alabama Song. Alex ne vérifia même pas qui était le destinateur. C’était le moment crucial de la discussion avec le paternel.

    « On doit apprendre des erreurs qu’on commet. C’est le principe de l’expérience. Toi, par exemple, tu as dû te séparer de Maman. »

    La plus grosse connerie de ta vie.

    « Vous n’étiez pas faits pour vivre ensemble. Et maintenant, tu es là où tu as décidé d’être. Tu t’es fait confiance. Tu as fait confiance à l’avenir.

    –Je… Oui. En quelque sorte.

    –Je suis célibataire depuis plus de six mois. Ça m’a laissé le temps de réfléchir. De voir ce que je voulais. Ce qui est bon pour moi. Et ça s’accorde avec ce que veulent deux des personnes qui me sont chères.

    –Oui. »

    Alex fixa intensément son père.

    « Ce que je te demande, là, dans l’immédiat, c’est une formalité administrative. Mais ce que je veux vraiment, c’est ton approbation. Sens-toi concerné. Rentre dans le jeu. C’est ça qui est important pour moi, Papa. »

    On pouvait entendre des clients passer leur commande au serveur. Ça avait l’air de se dérouler très loin de la table. De cette intimité. Un huis clos imaginaire, sous la lumière des néons de grande surface.

    « Tu as toujours soutenu mes décisions. J’en ai besoin.

    –Je soutiens tes décisions, Alex. Je soutiens celle-là. Et je te fais confiance. Mais c’est normal pour un père de s’inquiéter.

    –Donc, tu es d’accord ?

    –Oui.

    –Parfait ! »

    Un petit sourire s’autorisa à franchir la bouche du père d’Alex. Toute une poésie (oui… enfin…).

    « Il y a une réunion, vendredi. Avec les types de l’agence. Signer des papiers, tout ça… Ils demandent que les garants soient là. Tu seras disponible ? »

    Le reste de la discussion se perdit en détails techniques d’horaires et d’adresses. Les tables à côté ne se remplirent pas. Le serveur avait l’air de s’ennuyer ferme.

    Le père d’Alex consulta sa montre. Réflexe qui se manifestait toutes les quatre minutes. Régularité métronomique. À croire qu’en vieillissant, c’est le temps qui gère les gens, et non pas l’inverse.

    « Alex, je vais devoir y aller. J’ai un rendez-vous qui m’attend. Et c’est de l’autre côté de la ville. Alors, je…

    –Oui, pas de problème. Tu penseras aux papiers que je t’ai demandés ? Ils sont notés sur une liste. L’agence me l’a filée. »

    Alex ouvrit son sac. Il y avait un bordel sans nom à l’intérieur. Elle repoussa vers le fond les mouchoirs sanglants et en profita pour attraper une boîte de Tic-Tac à la menthe. Ça n’enlèvera pas la gueule de bois, mais au moins, ça compensera ce café infect. Elle donna la liste à son père, qui la rangea distraitement dans son attaché-case.

    Ils se levèrent en même temps ; synchrones.

    Alex s’approcha de son père pour l’embrasser. Il sentait l’après-rasage. Tu cumules les clichés, Papa. Un commercial en costard-cravate-lunettes-oreillette-mains-libres-after-shave. C’est du rêve que tu vends.

    « Tu n’as pas touché à ton allongé.

    –Hein ? Ah, oui… En effet. Tant pis. »

    Léger blanc.

    « Ça m’a fait plaisir de te voir.

    –À moi aussi, Papa.

    –Et, je voulais te dire…

    –Oui ?

    –J’aime bien Valentin. Il est un peu… Comment dire… Sauvage ?

    –Un peu sauvage ? Ouais, ça lui correspond bien.

    –Et, en fait, je suis sûr que ça se passera bien entre vous trois. La colocation, ça a des avantages. Et… Enfin bon, bref, il faut que je file !

    –T’oublieras pas, pour l’agence ?

    –Je m’occupe de tout ça très vite. Promis ! »

    Ils s’éloignèrent chacun dans leur direction. Le serveur vint ramasser leurs tasses, et en profita pour loucher sur le cul d’Alex, alors qu’elle allait vers la sortie ouest du centre commercial.

    Les spots promotionnels sur les barbecues étaient scandés par une voix de femme nasillarde. Insupportable… Il n’aurait pas fallu que l’entrevue père/fille dure plus longtemps.

    Le mal de tête d’Alex prenait de grosses proportions. Si son début de migraine s’était déclenché quand elle s’était trouvée avec son père, elle n’aurait jamais eu la patience d’écouter tout le laïus qu’il lui avait débité. Il avait besoin de s’épancher sur ses problèmes devant témoins. Qu’on sache que sa vie était pénible. Qu’on compatisse avec lui.

    Le père d’Alex était un homme de sa génération. Quelqu’un de chiant et de prévisible.

    Alex quitta l’enceinte du magasin, et troqua la fraîcheur de la climatisation pour la chaleur du bitume sur le parking. Choc thermique.

    Elle sortit des lunettes de soleil de son sac et chercha son paquet de Dunhill lorsque Jim Morrison fit son troisième rappel.

    Elle regarda l’écran. Cédric. Encore.

    Elle décrocha.

    « Ah ! Quand même ! Tu te fais désirer ! »

    Des parasites urbains se faisaient entendre en arrière-plan.

    « Tu fous quoi ? T’es où ?

    –Au centre co’. Il fallait que je voie mon père. »

    Alex essaya péniblement de s’allumer une cigarette en rejoignant sa voiture. Le parking était rempli. Difficile de se souvenir à quel endroit sa monture l’attendait.

    « Putain, ouais ! Pour la paperasse ! C’est ton père qui se porte garant ? Ta mère, elle est au chômage en ce moment, non ?

    –Ouais.

    –Alors ? Il est d’accord ?

    –Il est d’accord.

    –Même si on se parque à Flamencourt ?

    –Ça ne l’enchante pas, mais, oui.

    –Okay ! Tant mieux ! Je pensais que ton père… »

    … quelques cahots dans la transmission téléphonique…

    « J’ai pas compris ce que tu viens de dire.

    –C’est pas grave ! On s’en branle ! Hé, tu fous quoi après, Chica ?

    –Sieste.

    –Quel programme…

    –Ouais… »

    Alex renonça à sa cigarette. Elle ne trouvait pas de briquet. Elle attendrait d’être assise derrière le volant pour utiliser l’allume-cigare.

    « T’es encore saoul, toi, non ?

    –Je veux, ouais ! Je vais à la laverie, là. Me débarrasser des restes d’alcool que j’ai dans les fringues. Hé ! Tu sais quoi ? Il me tarde un truc.

    –C’est quoi ?

    –La pendaison de crémaillère ! »

    Migraine et voiture en vue. Alex eut un petit rire.

    « Après la soirée d’hier, tu penses encore à picoler ?

    –Absolument ! Un emménagement ça se fête ! Surtout quand c’est le sien !

    –C’est bon pour toi, les garants ?

    –Tu parles ! Mes darons sont trop contents que je me casse du studio. Ils préfèrent n’importe quoi à ça. Mais bon… Hé ! C’est uniquement pour vous faire plaisir à tous les deux que je vous accompagne. Et puis… Ouais ! Ça réduit bien mes dépenses, quand même…

    –Et on dit que c’est les filles qui sont vénales…

    –Bah ! »

    Alex mit la clé dans la serrure de la 307 cabossée que sa mère lui avait confiée. Sa mère qui avait perdu son permis. Pour la seconde fois.

    « Cédric, je vais conduire, là. Donc…

    –Ouais, j’ai compris. Je te laisse ! Rappelle après ta sieste !

    –Je n’y manquerai pas.

    –À tout à l’heure. »

    Alex raccrocha.

    Avant de ranger son portable, elle vérifia s’il n’y avait pas de nouveaux messages. Il n’y en avait pas. Valentin n’avait répondu à aucun de ses deux textos. Il ne répond jamais, en même temps. Mais hier, il s’est encore tiré en solitaire, sans prévenir personne. Et c’était à cause de ce genre de comportement qu’elle le trouvait égoïste. Et qu’elle avait eu le malheur d’en parler à son père. Lui, évidemment, n’avait retenu que les défauts de Valentin.

    Oh, et puis, après tout, peu importe la façon dont son père voyait ses deux futurs colocataires. Elle avait obtenu la garantie dont elle avait besoin. Maintenant, elle comptait bien récupérer une ou deux heures de sommeil.

    Elle mit le contact, et pressa l’allume-cigare.

    *

    Cédric envoya un message à Camille pour savoir s’il n’avait pas oublié sa veste Burton chez elle. Il n’arrivait pas à se rappeler ce qu’il en avait fait… En tout cas, elle n’était pas avec les vêtements qu’il avait emportés avec lui, et qui tournaient dans le tambour du lave-linge qu’il avait dans le dos.

    Les vibrations de la machine lui massaient les lombaires. Plutôt cool comme sensation !

    Mais, bordel, impossible de rester plus longtemps à l’intérieur. L’atmosphère de la laverie était saturée de la chaleur faite par les moteurs des lave-linge ; par les odeurs de lessives et adoucissants bon marché ; par le boucan des sèche-linge vrombissants.

    Ce cocktail de propreté ne se mélangeait pas bien avec les vapeurs d’alcool. Fait chier, j’ai pas envie de cramer au soleil… Y a pas un café dans les parages ?

    Cédric se rendait dans une laverie pour la deuxième fois de sa vie. D’habitude, c’étaient ses vieux qui s’occupaient de son linge (plus exactement : Noémie, la gouvernante, s’occupait de son linge). Mais ils étaient partis à Saragosse, pour le week-end. Cédric recevait un cours express d’autonomie ménagère.

    Il sortit de la fournaise et aperçut un bar-tabac un peu plus loin dans la rue. Dedans, trois types d’un âge indéfinissable étaient assis autour d’une table, à côté de la vitre, buvant des Ricard tellement épais que la couleur du liquide donnait envie de vomir. Les mecs avaient la gueule de ceux qui ont grillé vingt ans de leur vie dans l’anis. Pas question que je foute un pied là-dedans !

    De dépit, Cédric s’assit sur un banc, à l’ombre d’un mûrier, et commença à jouer sur son iPhone. Une bonne activité d’autiste. Mais ça aidait à faire passer le temps plus vite.

    Au bout de la dixième partie, il fut interrompu par un message de Camille : « Non, il n’y a pas ta veste chez moi » et un second, pour la précision : « Si tu veux passer me voir ce soir, préviens-moi avant, que je dise à mon mec de ne pas se ramener ».

    Fille de petite vertu… Dire qu’ils n’avaient même pas encore couché ensemble, et qu’elle lui faisait déjà ce genre de plan. À combien d’autres tu proposes la même chose ? Non, pas moyen que j’y aille.

    Genre, il pouvait se permettre de faire le difficile. Une fille mignonne qui proposait un plan-cul, et il trouvait à y redire. Pas étonnant qu’il ait passé autant de nuits en solo. À regarder les opportunités s’envoler par la fenêtre.

    Bon… Maintenant qu’elle l’avait décroché de sa partie, Cédric avait envie d’un truc frais à boire. Un Coca, ou un Sprite… un truc gazeux. Frais et gazeux.

    Il y avait un distributeur de boissons sur le trottoir d’en face. Mais Cédric avait dépensé toute sa monnaie pour la lessive. Fait chier ! Il s’avachit sur le banc et laissa ses pensées s’envoler.

    Il se dit que dans deux semaines, il allait vivre dans un nouvel appart’. En colocation.

    Qu’il allait quitter le confort douillet de son studio en bordel.

    Qu’il allait partager une salle de bains et des chiottes avec sa meilleure amie et un bon pote.

    Qu’il ne pourrait pas laisser traîner sa vaisselle indéfiniment dans l’évier (et que ça… ça faisait chier !)

    Que l’appart’ avait franchement de la gueule ; même s’il était à Flamencourt, et qu’il y avait plus joyeux comme quartier.

    Qu’il faudrait qu’il invite Émilie, pour la crémaillère. Ou sa sœur… Ou les deux… Ouais, plutôt les deux.

    Qu’il ne se rappelait toujours pas où était sa putain de veste.

    Qu’il avait soif.

    Et tout un tas d’autres choses.

    Pendant un moment, il se repassa en mémoire la pièce qui allait devenir sa chambre. Il imagina la disposition de son mobilier à l’intérieur. Là où il y aurait le lit. Le bureau avec le Mac. Le dressing. La table de mixage. La guitare et son ampli. La télé avec la Xbox 360.

    … les images se débridèrent un peu pour laisser passer les scènes de sexe. À deux… À trois… À cinq… Ouais, ça sera bien.

    C’était drôle, d’ailleurs. Pendant la visite, on leur avait présenté les trois chambres et, à part au niveau des orientations, elles étaient pareilles. Mais chacun avait choisi la sienne, sans consulter les deux autres, et personne n’avait voulu la même.

    Comme s’ils étaient faits pour s’entendre. Comme si les pièces leur avaient été attribuées.

    Ils avaient visité peu d’endroits, avant celui-là. Juste, cet appart’ leur avait tapé dans l’œil. Même à Valentin. Lui qui était plutôt difficile sur tout. Quand un endroit parle, c’est pas la peine d’aller chercher plus loin.

    Transpiration.

    Cédric supportait assez mal la chaleur de la mi-Mai, un lendemain de cuite. En plus, là, il était obligé d’être actif. Au lieu de s’envoyer des séries sur l’écran de son Mac, en attendant que les effluves d’alcool se dissipent (et de les remplacer par de nouvelles). En rentrant, je me collerai à la gratte. Avec un petit bédo… J’espère que Chica voudra sortir, ce soir. Juste l’affaire de quelques pintes au Storm… Même si on a bien chargé hier. Et c’était flippant quand elle s’est mise à saigner du nez. À cause de la fatigue ? Ça me paraît bizarre. Enfin, elle est assez grande pour se gérer.

    Son tee-shirt blanc Levi’s était taché d’auréoles de sueur sous les aisselles, et il sentait des perles couler dans son dos. Il faisait vraiment chaud.

    Dans deux semaines, le 1er juin : date d’entrée fixée pour le bail.

    La simple perspective de devoir faire les cartons déprima Cédric. Encore qu’il pouvait demander un coup de main à son oncle… puisqu’il s’était proposé de le faire. C’était lui qui avait géré le déménagement précédent. Celui où Cédric s’était installé dans son studio ; qu’il avait mentalement rebaptisé « Le Baisodrome » (les exploits n’avaient pas été à la hauteur du nom, malgré un score honorable). Son oncle pourrait l’aider, ouais. S’il traînait dans les parages dans les jours à venir. Il faudrait qu’il pense à l’appeler.

    Cédric songea vaguement à répondre à Camille. Elle n’était pas mal, après tout. Même si les cheveux courts ne lui revenaient pas trop… Sur elle, ça avait un côté sévère, dominatrice ; ça faisait envie. Et ça devait être un bon coup… Putain, faut que j’arrête de changer d’avis toutes les cinq minutes !

    Il retira sa casquette Billabong couleur rouille et se ventila le visage avec. Ses cheveux gouttaient, eux aussi. Une vraie fontaine.

    La température était élevée, d’accord… mais quand même ! Il dégoulinait à chaque fois qu’il buvait trop. Ce soir, je la fais détox, peut-être ? Et puis, non… Il y aura toute une vie à se faire chier avec un boulot, des obligations et des contraintes. Alors, qu’on laisse la stupidité irresponsable de la jeunesse dorée à ceux qui la veulent.

    Des fils à papa entretenus par des revenus familiaux bien rodés, qui venaient donner la bectée à l’enfant unique en format boulimique.

    Cédric n’était pas un ingrat. Mais il savait jouir des avantages de sa situation.

    Il fit quelques autres parties, mais le cœur n’y était plus. Il regarda passer quelques filles, mais il était distrait.

    Sans arrêt lui revenaient les images de sa future chambre. Il lui tardait d’y être. Il s’y sentait déjà, par anticipation.

    Finies les soirées en mode solo, planté devant les médiocrités des programmations télé, une pizza molle et débordante d’huile dans une main ; les cartons des précédentes s’empilant par-dessous… Trop de soirées avaient ressemblé à ce tableau.

    Contrairement à ce qu’il racontait à tout le monde. Contrairement à ce dont il essayait de se convaincre lui-même. Les apparences ne remplissaient pas le vide auquel il était trop souvent confronté.

    Donc, cet appart’…

    Pas vraiment vieux, mais pas neuf… Pas le genre de truc résidentiel fabriqué en série par les promoteurs. Des voisins en dessous (peut-être des voisines ?) quelques autres en face et sur les côtés, séparés par une cour intérieure. Petite copropriété.

    Lorsqu’ils avaient fait la visite, ils n’avaient croisé personne. Tous les volets étaient fermés. Valentin avait demandé si le voisinage était habité ; l’agent immobilier avait répondu que oui.

    Des contacts à établir ; des apéros en perspective…

    Cédric reçut un message. De Jérémy. « Alors, mec, pas trop la gueule de bois ? Si tu veux passer récupérer ta veste, hésite pas, je bouge pas de chez moi. » Hein ? C’est lui qui l’a ? Je me rappelle même pas lui avoir prêtée… Quelques moments de la soirée avaient disparu dans les méandres de l’oubli… ce qui était gage de qualité !

    Pourquoi est-ce qu’il n’existait pas un dicton dans le genre : « Pas de bonne soirée sans trous noirs » ? Il y en avait pour tout un tas de conneries. Ah, la culture populaire

    Avant d’aller récupérer sa veste, Cédric en était quitte à repasser par son studio pour aller prendre une douche. Reprendre la ligne 5 du métro, et franchir un cap de petites rues.

    Il était si peu habitué à se prendre en charge pour les tâches domestiques qu’il était retourné à la seule laverie dans laquelle il avait déjà été. Alors qu’il y en avait au moins une dizaine entre chez lui et le banc sur lequel il était assis. Il se demandait si elles avaient toutes le même système de fonctionnement.

    Oui…

    Toutes les laveries fonctionnaient pareil.

    Cédric fouilla dans les poches arrière de son jean Diesel à la recherche de sa carte bleue. Il prévoyait d’acheter un pack de Red Bull avant d’aller chez Jérémy. Ils auraient le temps de bosser sur la piste électro qui devait clôturer leur E.P. Jérémy ne décrochait jamais de la musique. Parfois, c’était lourd. Mais il y avait du résultat.

    Depuis qu’il avait commencé à mixer du dubstep, il composait presque un morceau tous les deux jours. Ce mec avait du talent, et c’était un putain de passionné. Plus ça allait, moins Cédric apportait sa contribution. Il ne faisait plus que quelques arrangements.

    Heureusement, il avait son projet solo… Le problème, c’est qu’il n’avançait pas des masses. Après le déménagement, je m’y consacrerai plus. Trop de choses en tête en ce moment.

    L’appart’, d’ailleurs, lui avait insufflé de l’inspiration.

    Après qu’ils l’eussent choisi, Cédric avait passé la moitié de la nuit suivante penché sur son clavier à aligner des samples, des patterns rythmiques et des effets dissonants. Il en était ressorti une piste assez courte, mais efficace. Dans un style breakcore torturé (à la Venetian Snares), sombre à souhait, angoissant. Il ne composait jamais dans ce registre, pourtant. Peut-être une nouvelle voie d’exploration ?

    En tout cas, même si la séquence devait être retravaillée, il y avait une base. Il y avait quelque chose. Affaire à suivre.

    De divergences en digressions, la lessive finit par arriver à son terme.

    Cédric dut affronter à nouveau l’air étouffant de la laverie (pire qu’un sauna) pour récupérer ses fringues tièdes et humides, et les fourrer dans son sac. Il ne pensa même pas à les passer au sèche-linge, alors qu’il n’avait rien pour les étendre, chez lui. Trop pressé de se débarrasser de cette corvée (qu’en réalité il était en train de rallonger, puisqu’il devrait organiser son bordel pour réussir à étendre ses affaires dans le Baisodrome).

    Il entra dans la bouche de métro « Avigny », descendit des marches, passa sa carte forfaitaire aux tourniquets, descendit des marches, attendit, entra dans un wagon, se posta aussi loin que possible de l’amas de foule nauséabond qui empruntait la rame avec lui, compta quatre stations, sortit lorsque le métro s’arrêta à « Dux », monta des marches, passa devant un agent de sécurité en conversation animée avec quelqu’un qui avait essayé de frauder, monta des marches, sortit à l’air libre, et emprunta la voie piétonne qui le ramenait au dédale de ruelles de la vieille ville dans lequel se trouvait son studio.

    Le commerce de proximité était ouvert, et il y avait la caissière mignonne, en train de lire le quotidien gratuit distribué un peu partout, en mâchant un chewing-gum. Cédric choisit de faire ses emplettes avant de rentrer (la présence de la caissière avait une certaine influence dans sa décision).

    Après quelques hésitations, il déposa sur le tapis automatisé un pack de Red Bull, trois paquets de chips, un de cacahuètes, deux bouteilles de Coca, et un Mars (qu’il avait dans l’idée de manger tout de suite). Une fois qu’il eut échangé un sourire et un ticket de carte bleue avec la caissière, il repartit, chargé comme une mule, pour retrouver la quiétude de son chez-lui.

    Une odeur d’urine avait envahi un renfoncement à quelques pas de la porte d’entrée. Putain, c’est pas des chiottes, ici ! Tous les week-ends, ce recoin puait. Et avec les beaux jours, c’était pire.

    Voilà ! Ça, c’était un détail qui ne manquerait plus à Cédric une fois qu’il partirait d’ici.

    … enfin, il se plaignait, mais c’était peut-être lui qui avait arrosé de pisse son entrée.

    *

    Valentin fut tiré d’un cauchemar par son portable. L’appareil était par terre, à quelques centimètres de son oreille. Comme le matelas sur lequel il dormait était posé à même le sol, il sentait les vibrations directement dans son crâne.

    Valentin tendit la main et attrapa le téléphone.

    Un message d’Alex. « Je suis désolée pour le dernier SMS. Mon père est d’accord pour la caution. Fais-moi signe. »

    Il faisait suite aux deux précédents envoyés pendant la nuit. « Où est-ce que tu es ? On te cherche partout ! J’espère que tu t’es pas barré… je suis inquiète. » reçu à 4 h 48 ; et celui contenant le simple mot : « Connard ! » reçu à 5 h 23.

    Il était 15 h 21.

    Les fenêtres de la pièce où il dormait étaient ouvertes ; les volets en bois à moitié rabattus, plongeant le décor dans une légère pénombre. Dehors, les feuilles de peuplier bruissaient dans le vent, se mouvant lentement, presque de façon hypnotique. Tout était calme. Silencieux.

    Valentin avait une indicible bouche pâteuse. Il parcourut la pièce du regard, à la recherche d’une bouteille d’eau, dut se résigner à devoir se lever, et renonça dans la seconde qui suivit. Plus tard.

    Le frigo n’était pas loin, mais le trajet paraissait long. Question de relativité. À peine cinq heures de sommeil ; gâchées par des cauchemars. Mmm… D’ailleurs, de quoi est-ce qu’il était question, dans ces cauchemars ?

    … un endroit, peut-être une maison, en train de brûler… avec des gens dedans.

    … une sensation d’être poursuivi… par quoi ?

    … l’impossibilité de bouger la tête… comme si le cou était paralysé.

    Inutile de continuer l’exercice de mémoire plus longtemps. À chaque fois que je tape, j’ai ce genre de délires. Il repoussa le drap qui recouvrait son dos nu. Après une longue expiration, il changea le côté de la tête sur lequel il se reposait, et s’en tint là… Pas assez de motivation pour bouger.

    … une pensée lui traversa l’esprit…

    Merde ! On est samedi.

    Valentin se rendit compte qu’il avait un rendez-vous dans moins de quarante minutes. Pour du taf. Une petite prestation pour poser dans un projet photographique contemporain. Une idée sur « le mélange des matières et de l’environnement ». Encore un concept qui se voulait « intellectuel et dépouillé ». La grande marotte des « artistes en vogue »…

    Le type qui lui avait proposé ça avait un discours intéressant, pourtant… Vu les délais impartis, il devrait se passer des services de Valentin (et Valentin d’une enveloppe pour arrondir la fin du mois).

    Le silence se tenait toujours aussi sage.

    Valentin sentait ses muscles courbatus. Il avait mal au ventre (faim ? ou autre chose, peut-être ?) Aucune envie. Végéter… Et encore. Pourquoi est-ce qu’il a fallu que je finisse le sachet ? J’en avais déjà assez avant de me tirer… Il se gratta la tête et laissa défiler une vingtaine de secondes sans que ses pensées n’interfèrent.

    Par une (étonnante) prise de conscience, il envoya un message (mensonger) au photographe pour lui dire qu’il était malade et devait ajourner la séance. La simple lueur de l’écran du téléphone était agressive. Sitôt que ses doigts eurent fini d’inscrire les mots, il jeta le portable à ses pieds, et se laissa tomber de tout son poids sur le matelas.

    Un courant d’air assez fort franchit le seuil de la fenêtre et s’engouffra à l’intérieur. Il lécha la peau à découvert de Valentin, dont les poils se hérissèrent. Un peu de frais était le bienvenu.

    La bouche pâteuse finit par l’emporter sur sa non-volonté. Il se leva et marcha lourdement jusqu’à son frigo.

    L’endroit dans lequel vivait Valentin était composé de deux pièces. Une comme salle d’eau (douche et toilettes), l’autre pour le reste (manger et dormir, essentiellement). Il ouvrit la porte de son réfrigérateur par le joint ; la poignée était cassée depuis longtemps. Il se pencha pour faire l’inventaire du contenu : deux yaourts, un pot de moutarde entamé et une bouteille d’eau presque vide. Il but le fond d’eau froide à grandes gorgées, puis la remplit au robinet.

    Sa respiration était précipitée. Il accusait mal le contrecoup de la soirée.

    Valentin repensa au dernier message d’Alex. Celui où elle disait que son père acceptait d’être garant. MmmMoi aussi, il faut que j’en trouve. Le décompte était simple : une semaine avant la signature des papiers, et une autre semaine avant de récupérer les clés et de commencer un nouveau quotidien. Il avait certifié à Alex et Cédric qu’il avait quelqu’un pour ça, mais il avait menti. Et la situation commençait à avoir l’allure détestable de l’urgence.

    Le ventre de Valentin se mit à grogner. Il sentit ses intestins se contracter et la douleur enfla brusquement. Il se rua aux toilettes, descendit en trombe pantalon et caleçon, et laissa la diarrhée exploser. La traction était tellement forte qu’il la sentit jusque dans la plante des pieds. Il ne put retenir un gémissement alors qu’une odeur épouvantable envahit la minuscule salle de bains. La torture se prolongea pendant quelques minutes ; le temps pour le corps de Valentin de se « purifier ». Je ne devrais pas lui faire subir ça. Je ne devrais pas me faire subir ça. Je ne sais même plus pourquoi j’ai besoin de pousser l’excès à ce point-là.

    Il ne respira plus que par la bouche, finit de se nettoyer, et aéra la salle d’eau comme il put.

    Il pensa qu’il devait manger quelque chose, mais qu’il n’en avait absolument pas envie. Le café fut la seule alimentation qu’il envisagea.

    Il remplit le réservoir d’eau, installa un filtre, versa des grains de café moulus (beaucoup), referma le tout, et appuya sur le bouton de mise en route. L’odeur qui en sortit remplaça peu à peu celle de la merde.

    Valentin s’était à nouveau installé sur son matelas. Complètement hébété. Les yeux fixant le vide. Il entrait en stase… Et les idées sombres s’invitèrent dans son cerveau.

    Intermittence

    Il manquait tellement de cachets pour qu’il obtienne le statut.

    Dettes

    Il avait emprunté pas mal d’argent, ces derniers temps. La perspective du déménagement l’avait obligé à anticiper.

    Responsabilités

    … là, il fit carrément l’autruche. Même dans son inconscient.

    Le café coulait.

    Valentin savait que, s’il passait la journée immobile à regarder ses pieds, il broierait du noir. Les mauvaises pensées se chassent physiquement. Avec le nombre de descentes qu’il avait dû traverser, il avait au moins compris ça. Qu’il ait envie ou pas de sortir, il n’avait pas le choix.

    Valentin alla prendre un mug propre, et se servit à ras bord. Il se laissa distraire quelques secondes par les volutes de fumée s’échappant du liquide bouillant. La caféine lui donna un peu de baume au cœur.

    Il n’avait pas la possibilité de se lobotomiser devant les émissions débilitantes de la télé : il n’avait pas de télé. Même tarif pour internet : son (faux) abonnement avait été coupé depuis des semaines. Il jeta un coup d’œil autour de lui et vit son vieux lecteur MP3. Une trentaine d’albums qu’il n’avait jamais pris la peine de changer sommeillaient à l’intérieur. Ça sera mon compagnon de route.

    Un autre mug de café fut vidé avant qu’il n’enfile un tee-shirt (évitant de remettre celui de la veille), une paire de chaussettes et de chaussures.

    Il hésita à retourner dans la salle de bains. « Prends une douche et brosse-toi les dents ; ça ira mieux après » lui souffla d’une voix faible sa bonne conscience. Il ne l’écouta pas.

    Il hésita à prendre les pièces de monnaie qui traînaient par terre. « Va chez le primeur et achète-toi quelques fruits ; ça ira mieux après » lui souffla d’une voix faible sa bonne conscience. Il ne l’écouta pas (mais prit l’argent).

    Valentin ferma à clé la porte de son appartement. Il enclencha son lecteur MP3 tout en descendant l’escalier. Il choisit l’album The Fragile de Nine Inch Nails. Idéal pour l’état dans lequel je suis.

    Alors que la chaleur extérieure l’accablait, il se régalait (… essayait) des lignes de basse qui démarraient le premier morceau. Le son était poussé très fort, pour qu’il n’entende pas les voitures, les gamins hurler, (ou pire) les gens l’interpeller. Non pas que ça arrive souvent, mais aujourd’hui, il fallait que ça n’arrive pas du tout.

    Valentin habitait près des berges de la ville. Une promenade avait été aménagée tout le long, bordée de grands peupliers. C’était un moment de la journée avec exceptionnellement peu de circulation. Si l’on oubliait la température trop conséquente, la balade serait agréable.

    Errer. Errances erratiques. Marcher, marcher. Voguer au vent. Avancer sans cesse. Sans cesser de sentir. Les sensations sensibles. Se sentir soi. Danser en son sein.

    Valentin croisa un couple de quinquagénaires. Ils se tenaient par la main, se souriant, l’air heureux. Et, sans raison particulière, Valentin eut le cafard.

    Il s’arrêta et se retourna pour regarder le couple qui s’éloignait, dos à lui. Les larmes lui montèrent aux yeux… Il resta planté au milieu de la promenade jusqu’à ce qu’ils disparaissent de son champ de vision. Sa mâchoire continua de trembler pendant un moment.

    Valentin changea de cadre. Il marchait dans les rues du centre-ville ; le lieu était beaucoup plus vivant. L’anonymat de sa présence l’aiderait à s’oublier.

    Les terrasses de café étaient pleines. Les coins d’herbe et les coins ombragés l’étaient aussi. Il régnait une bonne humeur générale. Qui laissait Valentin froid.

    Il aperçut des groupes de gens entamer leur première bière de la journée. Jouer de la guitare sèche. Lire. Ne rien faire… Il n’avait pas envie de se mêler à eux. On ne se sent jamais aussi seul que lorsque l’on est entouré par le monde.

    Une fille rousse le frôla. La couleur orange de sa chevelure rendue brillante par le soleil. Les yeux clairs éclatants. Elle adressa un « Pardon ! » à Valentin, qu’il n’entendit pas, et repartit d’une démarche légère. Il n’esquissa pas un sourire, ni un mouvement.

    Le débordement de joie superficielle ne lui convenait pas. Mmm… Je ne suis pas loin de Flamencourt. Je pourrais aller jeter un coup d’œil à l’appartement. Voir s’il y a quelqu’un… en espérant que ce ne soit pas le cas.

    Valentin marcha en direction de son futur logement. Il évalua le temps qu’il mettrait pour y aller… un bon quart d’heure (plutôt vingt-cinq minutes, vu son état de forme).

    L’architecture du centre-ville était un mélange de patrimoine historique et d’aménagement moderne ; que ce soit du point de vue de l’agencement, ou des matériaux utilisés. Les urbanistes qui avaient travaillé sur la rénovation du centre avaient raté leur coup. Ils avaient voulu faire des voies plus accessibles et plus aérées ; mais le mélange entre les nécessités actuelles et l’aspect de « village » de l’époque ne fonctionnaient pas. Ça se voulait esthétique et pratique. Ce n’était ni l’un, ni l’autre.

    Les travaux pour faire la ligne 4 du métro avaient salopé les rues. Et, bien que la ligne 5 soit déjà en activité, toutes les transformations de l’artère urbaine principale n’étaient pas terminées. Le métro avait régulièrement des problèmes. Valentin l’évitait, le plus souvent. Quoi de pire que d’être bloqué dans les transports en commun pendant une durée indéterminée ? L’expérience approchait de la claustrophobie.

    Il marcha à travers des rues qu’il avait empruntées des milliers de fois ; passant à côté de l’école des Beaux-Arts, ce qui fit surgir des regrets. « Il n’est pas trop tard pour reprendre, il suffit de se plonger dedans ; ça ira mieux après » lui souffla d’une voix faible sa bonne conscience. Il ne l’écouta pas.

    Valentin avait rangé ses crayons et ses pinceaux depuis bientôt deux ans. Il avait complètement arrêté ce qui tournait autour du dessin. Avorté sa série de bandes dessinées. Avorté les illustrations qu’il faisait pour les groupes de musique et pour les compagnies.

    Un matin, il avait perdu la foi. Il ne l’avait toujours pas retrouvée.

    Le problème : ces souvenirs le hantaient. Ouais… Et ? Avec quel argent est-ce que j’aurais pu faire ça ? J’en ai marre de ressasser les mêmes conneries. Le trip « artiste maudit » lui donnait envie de vomir.

    Valentin traversa le pont qui amenait de l’autre côté du fleuve ; là où finissaient les beaux quartiers, et où s’ouvrait Flamencourt.

    Flamencourt était la porte d’entrée d’un amoncellement de ghettos. Plus on s’éloignait du centre, pire ça devenait. Étrange de voir à quel point l’eau divisait les catégories sociales… Sauf que, ça valait aussi pour le prix des loyers…

    S’il avait pu s’en passer, Valentin ne se serait pas mis en colocation. C’était un choix pratique. Enfin… non… c’était une obligation (entre ça, ou la rue).

    Combien y avait-il eu de mois de retard ? (… trop)

    Et de menaces d’expulsion ? (… pas assez)

    Heureusement qu’Alex et Cédric étaient des gens faciles à vivre et compréhensifs. Et puis, après ce qui était arrivé à Alex… Sans compter que Cédric l’avait dépanné de nombreuses fois quand il était dans le besoin… Non, vraiment, ça pourrait être bien pire.

    La liste de ses problèmes financiers n’arrêtait pas de s’allonger. Cet appartement pouvait être la solution.

    D’ailleurs, en parlant de l’appartement… Il était arrivé.

    Une porte massive et difficile à ouvrir donnait accès à un couloir qui emmenait dans une cour, où une série de logements mitoyens se répartissaient sur deux étages, formant un grand rectangle avec l’espace ouvert au ciel au milieu. Quelqu’un pensait avoir eu une bonne idée en plantant un érable au centre de la cour, et en emménageant deux bacs en pierre remplis de fleurs colorées (et fanées). Aussi inutile que moche.

    Un autre couloir continuait dans le prolongement du premier, conduisant à une autre cour, où il y avait d’autres logements. Chaque partie de la copropriété comprenait quatre appartements par façade ; répartis sur deux étages et collés les uns aux autres. Un aggloméré de boîtes prêtes-à-vivre.

    L’appartement qu’avaient visité Alex, Cédric et Valentin était dans la première cour, à l’étage. Un petit escalier en pierre emmenait à une porte marquée du numéro 103. Chez moi… Non. Chez nous.

    À côté de la porte, une grande fenêtre ; elle donnait directement sur le salon. Valentin ne pouvait pas voir à l’intérieur, puisque les volets roulants étaient complètement baissés. Une autre fenêtre fermée par les volets ; celle qui donnait sur l’une des chambres. D’ailleurs (il jeta un regard circulaire), c’était la même chose dans tous les appartements voisins. Portes et volets fermés. Partout.

    Pas de bruit. Pas de voix. Pas de son de télé ou de musique. Pas d’eau circulant dans les canalisations. Juste le silence.

    Lorsqu’ils étaient venus, la copropriété était exactement pareille. L’endroit paraissait inhabité. L’agent immobilier avait affirmé que les logements étaient occupés. Valentin avait du mal à y croire. La seule présence qu’il y avait ici (outre la sienne) était celle du vent. Le vent se précipitant dans la cour ouverte au ciel, aux rayons du soleil, à la solitude.

    Valentin avait envie d’aller plaquer son oreille aux portes des autres logements, mais il ne le fit pas. D’ici deux semaines, il aurait tout le temps de découvrir son voisinage. Et ce n’était pas qu’il avait envie de rencontrer des gens ; mais plutôt de savoir à quoi s’attendre avec eux.

    La peinture blanche appliquée sur la porte avait l’air récente. Elle camouflait les dégâts qu’avait subis le bois. Il fixa le numéro 103 marqué au-dessus du judas. Des chiffres en acier. Avec une typographie géométrique et très droite. Il se focalisa dessus.

    L’oxydation avait attaqué les chiffres. La rouille avait une teinte étrange ; on y voyait les marques du temps. Ça ressemblait à du sang coagulé. Séché. Depuis si longtemps qu’il aurait gravé la matière. De minuscules éclats d’hémoglobine… qui hypnotisèrent Valentin. Alors que dans son dos…

    Le vent souffla plus fort. Et plus fort. Et plus fort. Qu’est-ce que… ?

    Valentin avait l’impression que, plus il regardait le numéro, plus le vent s’agitait.

    Il finit par détourner les yeux… et reconnut que son imagination lui jouait des tours.

    Le vent n’était pas si fort que ça. Juste… normal. À chaque fois que je prends des produits, je deviens parano.

    Rien de plus à voir, ici. Valentin fit demi-tour pour rejoindre la rue. Son lecteur MP3 s’était éteint depuis un bon moment. Il le ralluma, et décida de changer d’ambiance musicale pour le trajet jusqu’à son propre appartement. Il pensa à aller acheter des cigarettes en chemin, avec la monnaie qu’il avait ramassée à côté de son matelas.

    Valentin ne put s’empêcher de remarquer que, lorsqu’il repassa le couloir d’entrée, et arriva sur le trottoir, le vent ne soufflait plus du tout.

    *

    Le père d’Alex embrassa sa fille sur les joues, et consulta sa montre. Toujours cette odeur d’après-rasage… Il fit un sourire bref et un salut de la main à l’assemblée. Cédric et ses parents lui répondirent chaleureusement. Valentin leva sa main et le type qui accompagnait Valentin, son parrain, ne réagit pas.

    « Je dois filer, Alex. Tu me téléphones dans le week-end ?

    –Oui, sans problème. Merci encore, Papa. »

    Elle regarda son père s’éloigner quelques instants et sentit une inspiration monter.

    « Merde pour ton rendez-vous ! »

    Le père d’Alex eut un petit sursaut, sourit à nouveau à sa fille et repartit rapidement.

    Voilà. Les papiers étaient signés.

    Ils venaient de sortir de l’agence. Tout était officiel.

    Alex avait rangé son dossier dans une chemise cartonnée qu’elle fit péniblement rentrer dans son sac. Elle en ressortit un paquet de Dunhill, s’en alluma une et s’approcha du groupe formé par Cédric et ses parents.

    « Alors, Chica, heureuse ? »

    Cédric mima un boxeur ; faisant semblant de lui envoyer des directs et des crochets dans l’épaule… aucune crédibilité.

    « Je suis contente que vous habitiez ensemble. Tu prendras soin de lui, Alex ?

    –J’espère plutôt que ce sera lui qui s’occupera d’elle !

    –Tu plaisantes ? Il est incapable de se prendre en charge tout seul ! Il fait toujours faire sa lessive par Noémie.

    –Oui, et je parie qu’il n’a toujours pas touché un fer à repasser ?

    –Oh ! Ça va aller avec les vannes ? Si je suis comme ça, c’est peut-être qu’il y a eu un problème dans mon éducation ? »

    Ils rirent ensemble.

    Les parents de Cédric étaient beaux. Autant elle que lui.

    Ils étaient dans la fleur de l’âge, respiraient la santé (malgré leurs métiers difficiles dans le domaine médical), continuaient à chambrer leur fils avec espièglerie. Cette famille exhalait l’amour.

    Bien que ce soit Noémie qui ait majoritairement élevé Cédric, il n’y avait aucune rancune ou ressentiment entre eux. Ils avaient simplement l’air heureux. Tout à fait le genre de portrait de famille que la société aime se représenter. Sauf que là, c’était sincère.

    Alex avait passé beaucoup de temps chez eux. Ils la considéraient comme leur propre fille. Des gens aussi généreux, ça ne court pas les rues.

    Elle jeta un coup d’œil à Valentin, qui s’était écarté du groupe pour parler avec son parrain. Les deux échangeaient à voix basse et leurs mains s’agitaient beaucoup.

    « Comment se passe le travail, Alex ?

    –Oh… Les journées se ressemblent beaucoup, finalement. Je fais la même tournée depuis un moment, alors il n’y a pas de grands bouleversements.

    –D’accord. Hé, ce n’est pas Cédric qui se lèverait aussi tôt pour distribuer du courrier ! »

    La mère de Cédric lui glissa un clin d’œil. Cédric fit semblant d’être vexé, et son père surenchérit en riant.

    Alex continuait de regarder Valentin. La discussion qu’il avait donnait l’impression de s’emballer de plus en plus. Il finit par faire un signe à son parrain, pour lui dire de se calmer. Il se tourna vers le groupe de Cédric et de ses parents, et surprit le regard d’Alex. Celle-ci détourna brusquement les yeux, pendant que Valentin s’avançait vers eux.

    Les parents de Cédric offrirent leur plus beau sourire à Valentin en le voyant les rejoindre. Le père engagea la conversation.

    « Alors, Valentin, on n’a pas eu le plaisir de discuter ensemble.

    –Non, et je suis désolé, mais il faudra reporter ça à une prochaine fois. Il faut que je parte tout de suite. »

    Alex eut envie de lui demander où il allait, mais elle se retint.

    Valentin serra la main des parents de Cédric. Alex nota que le père de Cédric voulut lui faire une accolade, qu’il arrêta maladroitement. Puis il fit un signe de tête à Alex et Cédric.

    « Yo, Valentin ! Ce soir on va au Storm. Tu nous retrouves là-bas.

    –Je verrai ça. Je vous appelle. Enchanté d’avoir fait votre connaissance. »

    Il partit avec son parrain, qui lui, ne fit pas le moindre signe ni ne dit rien à personne. Il n’avait pas dit bonjour en arrivant non plus.

    Des questions fusèrent dans la tête d’Alex, mais elle les écarta pour reprendre la conversation avec le groupe.

    « Tu continues à aller au Storm, Cédric ? Je pensais qu’un jour, tu finirais par changer de bar !

    –Tu vas voir qu’à force de boire autant de bière, il va avoir un ventre énorme !

    –Ça a déjà commencé, hein ?… La petite brioche !

    –Mais les filles disent qu’elles préfèrent les mecs confortables.

    –Je suis sûre qu’il y va pour une serveuse…

    –Et bla-bla-bla…

    –Tu n’as pas de copines à lui présenter, Alex ? Ça peut être gentil garçon, quand il s’en donne la peine.

    –Bon, ça va, ça suffit ! Vous m’avez assez mis la honte pour aujourd’hui. Je veux plus vous voir. Merci beaucoup et bonne journée !

    –Oh, Cédric, tu es susceptible… Allez, va. Venez. On vous paye un café.

    –Bon, d’accord, je veux bien faire un effort, puisque vous en faites un… mais je ne veux plus vous entendre ! »

    Et ils continuèrent à se charrier en s’éloignant de la devanture de l’agence immobilière.

    Après la deuxième tournée de café, les parents de Cédric partirent et laissèrent Alex et Cédric en tête-à-tête à une table en terrasse. La journée était radieuse, et les tables voisines se vidaient et se remplissaient alternativement. Ils s’étaient installés sur l’esplanade de l’Opéra. Les boissons étaient chères, mais les parents de Cédric avaient les moyens. La vue était splendide.

    Cédric buvait un Coca à la paille ; son regard était focalisé sur une fille blonde à l’autre bout de la terrasse. Alex capta son attention en lui claquant des doigts devant le visage.

    « Tu sais que t’as les meilleurs parents du monde ?

    –Il paraît…

    –Joue pas à celui qui est blasé derrière une façade heureuse.

    –Mais non, Chica, carrément pas. J’adore mes vieux, sincèrement. Ils me font confiance, et ça c’est cool… Tu me payes une Dunhill ?

    –Pourquoi ? T’as pas de clopes ?

    –Non, j’ai pas de clopes.

    –T’es vraiment un assisté… »

    Elle attrapa son paquet de cigarettes et lui en tendit une.

    « La famille de Valentin n’a pas l’air aussi agréable. »

    Cédric expira bruyamment par le nez.

    « Tu m’étonnes ! Le chauve, là, son parrain ; ni bonjour, ni merde, ni que dalle. Ils font bande à part et se cassent sans rien dire.

    –Il avait l’air bizarre, ce type.

    –Il avait l’air con, oui !

    –Attends… On se permet de juger alors qu’on ne connaît pas…

    –Et après ? S’il a l’air con, il a l’air con. C’est pas notre faute !

    –Cédric…

    –Quoi ? Tu sais, Chica, j’aime beaucoup Valentin, sérieusement. Mais le côté mystérieux-secret, c’est chiant.

    –T’es au courant qu’on va vivre ensemble ?

    –Je sais, ouais. Et je m’en accommoderai. Parce qu’il est comme ça, et puis c’est tout. Mais bon, son parrain, ça a l’air d’être un connard. Moi, je le vois comme ça. Et, peut-être que je me trompe, je dis pas. Mais ça l’aurait pas tué de dire bonjour. »

    Alex était d’accord. Cédric n’y mettait pas les formes, mais il avait raison.

    Il finit son verre de Coca, retira la paille et fit tomber les glaçons restants dans sa bouche. Il les croqua.

    « Mon oncle va nous filer un coup de main pour le déménagement. Il a un camion.

    –C’est vrai ? C’est pratique.

    –Et… »

    Cédric parut gêné, tout à coup.

    « Quoi ?

    –Euh… Tu vas faire quoi des affaires de Lionel ? »

    Ah…

    Alex en avait rendu la majorité aux parents de Lionel. Le reste était parti à la poubelle depuis longtemps.

    « Je m’en suis occupée.

    –Ah, bon, c’est… d’accord.

    –C’est bon, Cédric. Cette histoire n’est pas taboue. Y a pas de ça entre nous.

    –Euh… ouais. »

    Cédric avait l’air de plus en plus gêné, pourtant.

    « J’aurais… J’aurais aimé pouvoir faire quelque chose… pour que ça n’arrive pas. Tu vois ?

    –Bon, okay. Arrête de suite la culpabilité. Tu n’y es pour rien. Personne n’y est pour rien. Lionel avait un passif. Un passif que je connaissais. Donc… »

    Alex ne voulait pas revenir sur cette histoire. Il y avait un temps pour l’utiliser, et un temps pour l’éluder.

    « Regarde. Un : je n’ai plus aucune marque. Deux : il est en prison. Trois : on déménage. Tout est bien qui finit bien, quoi. Y a une nouvelle vie qui s’offre à nous. On ne va pas la gâcher avec le passé. »

    … Alex jouait l’assurance, mais combien de fois s’était-elle réveillée dans la nuit, en pleurs ? Terrifiée d’être seule dans l’appartement où elle avait vécu avec l’homme qu’elle avait aimé et qui l’avait envoyée à l’hôpital… Elle s’était juré que ces crises nocturnes n’arriveraient pas dans le nouveau logement.

    Elle fit un grand sourire à Cédric, et trinqua sa tasse de café contre le verre de Coca vide.

    « Bon, on invite qui à la crémaillère ? »

    *

    Valentin était accoudé à la fenêtre ouverte d’une voiture noire. À l’intérieur, celui qu’il avait présenté comme étant son parrain était installé sur le siège conducteur et notait l’adresse du nouvel appartement de son « filleul ». Ils étaient installés sur un parking à une centaine de mètres de l’agence.

    « Et le numéro de l’appartement, c’est le…

    –Le 103.

    –… 103. »

    Il griffonna quelques informations supplémentaires sur la feuille, puis la plia et la rangea dans la boîte à gants. Ils se regardèrent. Aucun des deux ne souriait. L’animosité qu’il y avait était presque palpable.

    « Tu sais ce que tu devras faire pour moi, Valentin.

    –Oui.

    –Que je n’aie pas à te le répéter.

    –Non. »

    Le « parrain » de Valentin mit le contact de la voiture, remonta la fenêtre et démarra. Valentin détourna immédiatement les yeux. Son poing se serra. Ses mâchoires se serrèrent. Il s’éloigna d’un pas lent, pendant que son « parrain » manœuvrait pour sortir du parking.

    Pour avoir un garant, Valentin avait dû lui aussi donner des garanties. Pas exactement les mêmes que celles que l’agence demandait. Non… pas exactement…

    Dans sa tête, il dessina le numéro 103, qui était inscrit sur la porte du nouveau logement. Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Il garda l’image du numéro bien définie dans ses pensées. Il visionna les détails avec le plus de précision possible. Il se concentra dessus, et essaya de se calmer. Et il sentit le vent se lever.

    *

    Après des mois de silence et d’obscurité, quelqu’un avait ouvert la porte.

    L’air de dehors était venu dedans. Souffle, souffle…

    Des gens étaient entrés. Ils avaient pénétré dedans. Marché sur le plancher. Examiné les murs avec leurs yeux. Touché… oui, touché… ce qu’il y avait dans les pièces.

    Mais maintenant, c’était désaffecté.

    Vidé.

    Purifié.

    En surface, bien sûr. En surface, seulement… Impossible d’en chasser le fond. Impossible de chasser quelque chose que l’on ne peut pas voir, que l’on ne peut pas entendre, que l’on ne peut pas toucher.

    … toucher, toucher…

    Y’en a qui peuvent le sentir. Pas le comprendre. Non. Juste le sentir… Et, de toute façon, on ne peut pas le chasser, alors… Ils ne peuvent rien mettre dehors. Ils peuvent aller se faire foutre. Hé, hé, hé…

    Ils avaient dit « oui ». Comme on se dit « oui » devant l’autel. « Oui » pour prendre une décision. Ou « oui » comme dans « oui, on prend cet appartement. Il nous plaît. On se sent bien dedans. » On se sent bien dedans ? On en reparlera…

    Et l’autre gros con ; il déblatérait son discours de gros con.

    Sur l’isolation.

    Sur l’orientation.

    Sur les charges.

    Sur l’espace.

    Il faisait des gestes avec ses grosses mains de gros con. Mais il n’avait pas parlé du passé. Non, ça… Chut !

    T’as pas l’impression d’oublier quelque chose dans ta présentation, gros con ?

    Passer pièce par pièce, inspecter sol, plafond, murs, canalisations, radiateurs, et tout ça. L’état des lieux avant l’état des lieux. Pas l’historique, hein ? Non ! L’historique, on fait pas !

    L’air circulait à

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