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Je, gosse de Nouzonville: Robert de Niro n'est plus un héros
Je, gosse de Nouzonville: Robert de Niro n'est plus un héros
Je, gosse de Nouzonville: Robert de Niro n'est plus un héros
Livre électronique223 pages3 heures

Je, gosse de Nouzonville: Robert de Niro n'est plus un héros

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À propos de ce livre électronique

Débuté en 2006 et achevé en 2019. 13 années pour raconter une histoire plus intime, plus terrifiante, plus lointaine aussi. J'ai appelé ça une pseudobiographie parce que ce roman intègre des éléments autobiographiques. Mais c'est très loin d'être une auto-fiction. Je dirais plutôt que c'est un roman sur les oubliés de l'Histoire mais aussi sur les déclassés que l'on utilise souvent pour se valoriser ou pour juger. Un roman sur un endroit et des vies en périphérie que l'on méprise ou que l'on efface de nos vies contemporaines hyper connectées. Un aller retour entre ce XXIe Siècle et une France du XXe siècle aux prises avec les premières crises post-Trente Glorieuses. Sans prétention et sans esprit prédictif, il y a un peu dans ce roman du ferment qui préparait aux gilets jaunes. C'est aussi l'histoire plus intime d'un homme qui se confronte à ses souvenirs, ses joies et ses souffrances durant l'enfance.

Extrait: "Ma vie est celle d'un adulte consentant mis en pièces comme on désosse une bagnole dans une casse. Ce pays est devenu une casse géante où tout n'est plus que déchets. Je clique sur Google Map, j'écris "Nouzonville" dans la case recherche et je zoome. J'arrive sur la place principale avec l'immense mairie. C'est là, dans cette seigneurie retirée dans la vallée de la Meuse que j'ai bâti ce château de cartes qu'est ma vie. Les usines ont fermé après avoir été absorbées par les ogres qu'on appelle fonds de pension américains après que d'autres ogres de la bourgeoisie industrielle française aient usé jusqu'à la couenne les paysans du coin, les immigrés venus de Pologne, d'Italie puis d'Afrique."


Ce qu'en dit Cristian Ronsmans - auteur - conférencier: "Chef d'oeuvre. Un livre capital à lire."

Le Prix ARTSCOPE 2020 a été décerné à ce roman.
LangueFrançais
Date de sortie23 oct. 2020
ISBN9782322241194
Je, gosse de Nouzonville: Robert de Niro n'est plus un héros
Auteur

Léonel Houssam

Né en 1973, Léonel Houssam est auteur de fictions, de biographies et de poésies urbaines. Connu sous le pseudonyme de"Andy Vérol" durant les années 2000/2010, il a connu plusieurs succès d'estime notamment avec ses romans "Les derniers cow-boys français", "DATACENTER" ou le "Manifeste de l'Acharniste". Après une année d'échanges avec Serge Teyssot-Gay, guitariste de Noir Désir, il a publié une biographie du groupe aux éditions du Camion Blanc en 2019.

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    Aperçu du livre

    Je, gosse de Nouzonville - Léonel Houssam

    Je, gosse de Nouzonville

    Je, Gosse de Nouzonville

    Chapitre I. Des souvenirs en vrac.

    Chapitre II. Ce pays a une tête d’assassin depuis ma naissance.

    Chapitre III. J’ai souvent pensé à toi.

    Chapitre IV. Les fantômes sont bien vivants.

    Chapitre V. Et là nous avons fait une promesse.

    Chapitre VI. Robert de Niro était bien mort.

    Page de copyright

    Je, Gosse de Nouzonville

    Robert de Niro n'est plus un héros

    Léonel Houssam

    Qu’y avait-il de pire que la mort ?

    Devenir adulte, bien sûr.

    « Le temps perdu ne se rattrape pas ! En fait, il vit au plus profond de nous, et seuls quelques-uns de ses fragments, anesthésiés ou embaumés par une mémoire conceptuelle et intéressée, vivent dans la conscience et forment notre autobiographie. »

    Les Anges distraits - Pier Paolo Pasolini

    Le jour de ma mort

    Dans une ville, Trieste ou Udine,

    le long d’une allée de tilleuls,

    au printemps quand les feuilles

    changent de couleur,

    je tomberai mort

    sous le soleil qui brûle

    blond et haut,

    et je fermerai les yeux,

    laissant le ciel à sa splendeur.

    Sous un tilleul tiède de verdure

    je tomberai dans le noir

    de ma mort qui dispersera

    les tilleuls et le soleil.

    Les beaux jeunes garçons

    courront dans cette lumière

    que je viendrai de perdre,

    essaimant des écoles,

    les boucles sur le front.

    Je serai encore jeune

    en chemise claire,

    les cheveux tendres en pluie

    sur la poussière amère.

    Je serai encore chaud,

    et courant sur l’asphalte

    tiède de l’allée,

    un enfant posera sa main

    sur mon ventre de cristal.

    Poèmes de jeunesse - Pier Paolo Pasolini

    Le beau se niche dans l’obscurité.

    Ça m’a pris d’un coup. En voyant ce chaos dans mon cagibi, je me suis mis en tête de ranger. Tout part de cette décision insignifiante, cet acte banal du quotidien. J’ai commencé à sortir les sacs et les valises vides, les vieilles paires de chaussures, le synthé tout poussiéreux, les milliers de pages noircies durant mon adolescence et qui jaunissent dans des cartons. Plus loin, j’ai retrouvé les vinyles, les CD, quelques livres de la collection « La Bibliothèque Verte », l’aspirateur en panne, des sacs à dos et de couchage, une paire de skis… C’est fou comme on accumule. Plus au fond, j’ai découvert des classeurs de cours du lycée et de la fac et des chemises colorées pleines à craquer de ces fanzines que je produisais à tour de bras durant ma jeunesse.

    Maintenant, je suis presque au fond du réduit. Sous une bâche bleue tachée de peinture, il y a ce petit carton sur lequel est écrit : « Ne plus ouvrir jusqu’à ma mort ». Je le regarde. Je sais ce qu’il contient. Je sais que je me dois de respecter ce que j’y ai écrit. Mais la tentation est trop forte. Les années ont passé et je pense qu’il est temps. J’ai fait du chemin. J’ai résolu des énigmes et j’ai nettoyé quelques idées noires. Le scotch cède sans difficulté. J’ouvre les battants. La lumière s’obscurcit. J’ai l’impression que l’ampoule du cagibi a explosé… Je m’écroule sur le sol.

    Le chemin du retour me pesait. L’excitation et l’hilarité causées par la dérouillée s’estompaient et laissaient place à la tristesse, à la peur et à l’angoisse. Je rebroussai chemin et me mis à courir à m’en éclater le cœur. Il faisait jour peut-être nuit, je n’avais plus la notion du temps. La Crèche se dessinait sur un ciel crépusculaire. La porte résista un peu, coincée par un monticule de terre. Il était là. Allongé. Ligoté. À même le sol. Le visage tuméfié, les yeux enflés, noircis, les narines remplies d’une émulsion de morve. La peur se mua en panique. Je m’approchai et le regardai sans le toucher. Mes yeux d’enfant sur son corps d’enfant inerte. C’était irréel, comme dans un film… En m’agenouillant, furtivement, je crus que tout n’était pas désespéré. La lueur très faible du jour déclinant m’induisit en erreur. J’étais persuadé de l’avoir vu respirer… Mais il n’en était rien, David ne respirait plus. Il était mort. C’était terrifiant et fascinant. C’était un univers nouveau qui s’ouvrait devant moi. Un monde. Je priai Dieu pour qu’il fasse un miracle, qu’il remettre son cœur en marche, pour qu’il efface cette journée, qu’il me téléporte la veille ou n’importe quand, mais qu’il me fasse disparaître de ce jour.

    C’était moins difficile à vivre que ce que j’avais pensé mais c’était beaucoup moins héroïque que ce que laissait croire les films à la télé. Je me relevai et je sortis… avant de fermer la porte de la Crèche.

    Ma cuillère crée un sifflement dans le fond de ma tasse.

    Ma main s’est figée. Mon cœur palpite. Ce carton ouvert avec ces objets d’enfance est une sorte de boîte de pandore. Quelques livres de coloriage, des porte-clefs, une montre Albator, des 45 tours de Pierre Perret et de Carlos, et des photos. Une à une, elles ont fait émerger l’enfer…

    Et la lumière (grise) fut…

    Je suis né en mars, un 21, en 1973. Je crois que c’était un mercredi et qu’il y avait un match de foot important. Je le crois parce que le père m’avait dit que je lui avais gâché le plaisir. Je ne connais pas l’heure, à peine l’endroit. Une maternité dans les Ardennes, dans les cris, les liquides. Je suis né comme n’importe qui. Je suis « venu au monde » selon la formule consacrée. Je dirais pour ma part que je suis venu prendre part au massacre.

    Quelques années plus tard, je faisais craquer mes doigts des dizaines de fois par jour comme pour conjurer le sort, me sentir vivant, faire de mes mains des fagots de bois qu’on brise avant de les jeter au feu. Personne ne m’approchait durant mon concerto de craquements.

    J’étais enfin tranquille, tenant à l’écart la cohorte de gosses merdeux qui me voulaient du mal.

    Chapitre I. Des souvenirs en vrac.

    1980

    Robert de Niro, c’est plus un héros…

    À l’époque, tu avais « de Niro ». C’était une star. En 1980, je n’avais jamais vu un seul de ses films mais lorsque je suis allé chez le dentiste pour me faire soigner une carie, sur la pile de magazines posés sur la table basse de la salle d’attente, il y avait un vieux numéro corné de Newsweek (il s’agissait du seul en langue anglaise) qui dévoilait en couverture la photo d’un homme tenant un saxophone, arborant une cravate à rayures, parfaitement peigné, raie au milieu, cheveux plaqués sur les côtés. Je demandai à tata, chez qui je vivais depuis presque deux ans :

    – C’est qui, le Monsieur ?

    – Chut, y’a du monde. Tu nous casses les pieds avec tes questions. Excusez-le, hein !

    Elle jeta un œil aux trois pelés plongés dans la lecture de magazines qui attendaient leur tour sur le fauteuil de torture du dentiste.

    – Pourquoi tu veux pas me dire qui c’est ?

    – Rhoo ! Son nom, c’est Robert de Niro.

    – Et c’est qui ?

    – Un acteur américain et maintenant tu te tais !

    La pichenette qu’elle me donna derrière la nuque fit bourdonner mes oreilles. Mais ce n’était pas grave. Je me sentais mieux en voyant ce monsieur qui avait l’air de n’avoir peur de rien.

    Des souvenirs, j’en ai tellement. En ce temps-là, Tata me disait tout le temps, très souvent : « Tu manges pas la peau du saucisson ». Moi je mangeais la peau du saucisson et je regardais mes héros à la télévision. Je ne pensais pas à l’Afrique (à cette époque-là) et je trouvais ça bien la démocratie, les urnes et les discours de l’Abbé Pierre, les chansons de Pierre Perret et les petites tresses des filles.

    Plus tard, durant l’adolescence, j’ai vu mon premier film de Scorsese. Tu avais Robert de Niro dans le taxi, qui va dans la foule avec la crête, il déchirait, il te retournait la tête. « Quand je serai plus grand, j’irai tuer des députés et je mangerai la peau du saucisson. »

    Avec un copain, Franck, on allait au Maroc, c’était une colline couverte d’une forêt dense derrière chez tata.

    Là, on torturait toujours un autre copain. On l’attachait à un arbre, on lui donnait des gros coups de pieds dans les testicules et on lui arrachait les cheveux en l’insultant. C’était comme si on était des héros, qu’on avait du pouvoir. Parce que le torturé, c’était un plus petit et plus maigre que nous, mais nous, on savait que c’était un salaud, un qui travaillait pour l’URSS qui était une saloperie de communiste des pays de l’Est, un Polonais ou un Hongrois, un truc comme ça. J’étais toujours de Niro, et l’autre c’était Hutch. Il voulait que je m’appelle Starsky mais ça faisait trop Polonais ou un truc comme ça, alors je m’appelais Robert de Niro.

    J’avais du savon, je faisais la crête. Robert, ça faisait vieux Français qui picole, mais avec de Niro derrière, ça faisait caïd, chef de bande, ça faisait mec qui maîtrise le flingue et qui fait sauter un déchet de bouffe entre les dents d’un coup de langue.

    Avec mon pote, on lui baissait aussi le froc au méchant attaché à l’arbre. Des fois on lui donnait tellement de coups qu’il allait à l’hosto avec ses parents après. Il ne disait rien parce qu’on lui avait dit qu’on le tuerait sinon. Moi le de Niro et Hutch, on aimait qu’il pleure bien pendant qu’on bouffait de la peau de saucisson…

    « Oh le pauv’URSS de communiste il a pleuré oh ! Il fait l’bébé le méchant. »

    On aimait bien les États-Unis, les séries télévisées et leur armée qui nous avait libérés des Allemands. On aimait bien aussi les États-Unis parce qu’à l’époque il s’agissait du pays où ils avaient inventé la chirurgie esthétique pour devenir beaux. Les Américains, ils faisaient l’amour à nos femmes alors que les Russes rouges et les nazis, ils les violaient. C’était un peu ça qu’on comprenait des cours d’Histoire. Le pénis USA était une crème douce et vanillée. Celui des cocos et des boches était une lame de rasoir. Hutch et moi on rigolait bien devant le méchant ligoté/bâillonné. Ensuite on descendait de la colline le Maroc avec le méchant plein de sang. On allait chez tata qui disait, faussement sévère : « Mais vous êtes allés traîner où les garnements ? Vous êtes tout cradingues… » Nous on lui disait qu’on avait chassé du communiste et ça la faisait rire parce que tonton était communiste…

    C’était bien cette époque-là… et Robert de Niro, ben c’était moi…

    Années 2010

    Banlieue-Nord de l’extra-périph’ francilien.

    La ville est devenue mégapole et les friches industrielles sont des repères à bourgeois ou à êtres mécaniques issus de la classe moyenne. On n’y entre pas si l’on n’a pas le sou. Ce monde met du temps à m’engloutir. À quoi bon une espérance de vie de quatre-vingts ans si c’est pour croiser un nouveau millénaire tellement mal embouché. Il n’y a plus de « Mur », il n’y a plus deux blocs, le monde est multiforme, multimilliardaire en mode extinction.

    1981

    Quand j’étais petit, j’étais déjà gentil.

    « Essuyez vos chaussures avant d’entrer », disait tata lorsque nous rentrions bien crottés de là-haut.

    Louis, c’était un autre copain, il avait un prénom de vieux alors il se faisait appeler Vince. On se donnait des prénoms américains parce qu’on se sentait les meilleurs. Nos parents roulaient dans des Peugeot ou Renault en ferraille alors que nous rêvions des berlines Ford ou Chrysler ou Cadillac avec le design et les suspensions toutes molles. On était des héros de L’Homme qui valait les trois milliards avec Louis.

    Notre version à nous. Ça consistait à se mettre aux abords d’une fourmilière, l’asperger d’essence à Zippo et allumer. Pfrroouuuu ça cramait. Les fourmis qui se recroquevillaient et les autres qui se sauvaient en boitant. D’autres qui venaient récupérer les cadavres de leurs copains et copines. On riait. On avait huit ans. On crapotait des Peter Stuyvesant en se regardant la quéquette dans les cabanes en bois. On se disait que si on avait été Américains, on aurait arraché les tee-shirts des femmes pour voir leurs seins. Comme tous les enfants, on trouve tout nouveau tout le temps, et en même temps, on a l’impression que tout ça a déjà dû exister bien avant nous.

    Son père était chasseur. Moi, je l’appelais le « sale Rital », mais Vince me disait de ne pas dire ça. Alors je le murmurais seulement. « Il est rital, il est rital, il est pas Français. »

    Mes yeux tournaient dans les orbites et je revenais à la normale.

    Donc on prenait le fusil de son père, et dans le couloir long de sa maison, le pavillon de cité ouvrière en faillite, et on faisait mine de tirer sur des fantômes, des boches et des communistes, même sur des Arabes. Je n’en parlais jamais à Malik de ça, parce que lui m’aurait zigouillé. Malik, c’était un autre meilleur ami, mais interdit par les gens de la ville parce qu’il était Arabe. Alors avec Louis le Vince, une fois, c’est affreux, j’ai voulu le mettre en joue… Il était assez loin, mais la chevrotine, pan dans son visage, la moitié du cuir chevelu arraché et l’oreille criblée…

    Des mois plus tard, quand il est sorti refait ni fait ni à faire tellement on aurait dit Freddy d’un côté de la face, on le chambrait dans la cour : « Eh Vince le moche ! Vince-Louis la face de rat. »

    On rigolait bien dans la cour… Ensuite, en le laissant planté dans ses larmes de défiguré, on repartait mimer les avions de chasse comme dans les Têtes brûlées avec Bruno qui faisait Papy Boyington. C’était le meilleur. Moi je restais Robert de Niro même s’ils disaient que ça n’avait rien à voir et qu’ils n’avaient pas idée de qui ça pouvait être.

    Années 2010

    Banlieue-Nord de l’extra-périph’ francilien.

    Ma vie est celle d’un adulte consentant mis en pièces comme on désosse une bagnole dans une casse.

    Ce pays est devenu une casse géante où tout n’est plus que déchets. L’espoir réside dans une forme de nostalgie crasseuse et déviante. On a des ampoules économiques, des rayons bio, on a la possibilité de pousser le caddie comme on partait à la guerre la fleur au fusil. Des fuites chez le voisin cage à lapins du dessus s’écoulent dans mon salon cage à lapin.

    L’écran me bousille les yeux. Je clique sur Google Maps, j’écris « Nouzonville » dans la case recherche et je zoome. J’arrive sur la place principale avec l’immense mairie. C’est là, dans cette seigneurie retirée dans la vallée de la Meuse que j’ai bâti ce château de cartes qu’est ma vie. Les usines ont fermé après avoir été absorbées par les ogres qu’on appelle fonds de pension américains après que d’autres ogres de la bourgeoisie industrielle française aient usé jusqu’à la couenne les paysans du coin, les immigrés venus de Pologne, d’Italie puis d’Afrique.

    1983

     Je mangeais des chips en regardant Chips, pas toi ?

    La triste récession des voisins. Mon pote Léni, dans le quartier, c’était le champion de foot. Il était pupille et remportait toutes les victoires avec l’équipe de Bogny parce qu’il était le meilleur buteur. Quand on allait vers Gespunsart à vélo à quelques kilomètres de la frontière belge, c’était seulement l’été. Léni ne m’aimait pas. Moi je l’admirais parce qu’il était le premier à avoir roulé une pelle à une fille.

    Je ne savais pas trop ce que ça pouvait signifier de rouler des pelles à des filles sinon qu’ils nettoyaient peut-être les dents avec la langue et la glotte.

    C’était un deal. Il arrêtait de me donner des coups derrière la nuque pendant qu’on se rangeait devant l’école, et moi je faisais ce qu’il voulait à Gespunsart.

    C’était un village qui sentait le sous-bois et la bouse de vache. Un peu le chômage aussi comme un peu partout dans les Ardennes.

    Elle habitait dans une grosse maison en pierre des carrières de Dom, un peu jaunâtre avec des encadrements de fenêtres sublimes façon dorures d’un château de roi… Léni me disait qu’il fallait faire le guet. Ce que je faisais… Comme si j’étais dans Mission Impossible… Puis il est sorti avec la belle. Elle était un peu obèse, mais ce qui comptait, c’est qu’elle avait des gros nichons, du haut de ses douze ans, avec un soutif de la Redoute de sa mère, qui dépassait, en pseudo-dentelle coton blanc. J’avais du mal à savoir à quoi servait les érections, mais j’y arrivais très bien quand même. On n’a pas repris les vélos après. On les a laissés devant chez la fille. Elle était trop belle avec ses vergetures de femme de trente ans, alors qu’elle en avait que douze !

    Après, on a traversé Gespunsart, et j’avais encore un épisode de Starsky et Hutch et une chanson de Franky goes to Hollywood dans la tête. Je dansais dans mon imaginaire. Il fallait que je sois rentré chez ma tante avant la nuit, mais c’était l’été, c’était bien, avec les mouches, les moustiques et Léni qui gueulait : « Oh ! T’es pas venu là pour être mon copain ». Léni, c’était son vrai prénom à ce « rital-là » du quartier. Les ouvriers étaient tous syndiqués, communistes, écoutaient du rock’n roll et adoraient les grands espaces américains, les chewing-gums et le confort venu des « US » .

    « Ben allez ! »

    Fallait que je creuse une tranchée dans un champ d’orties pour qu’ils puissent se rouler des patins (danseuses sur glace j’avais en tête) et se toucher le pissou sans autorisation de mater. Alors j’ai fait ça en short avec un bâton. Les jambes giflées par les irritations brûlantes dues aux orties récalcitrantes qui s’accrochaient à mes mollets. Il faisait chaud comme la pierre sur l’île déserte d’un peuple mort. Léni gueulait :

    « Magne-toi ou t’auras pas ta médaille chez Nono

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