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Les 22 MARCHES: Roman initiatique et gourmand
Les 22 MARCHES: Roman initiatique et gourmand
Les 22 MARCHES: Roman initiatique et gourmand
Livre électronique345 pages5 heures

Les 22 MARCHES: Roman initiatique et gourmand

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À propos de ce livre électronique

Ce livre est un roman initiatique et « gourmand » lié aux 22 Arcanes du Tarot
de Marseille représentant chacune une étape dans notre évolution spirituelle.
À l’occasion de ses 40 ans, Elie, reçoit une magnifique canne créée par l’artiste
belge Pierre Vanherck. Sur le pommeau, se trouve une roue astrologique, un
peu plus bas, sur la trompette, on y voit, l’étoile du Berger, la Grande et la Petite
Ourse, une pluie d’étoiles filantes ainsi qu’un quartier de lune. Il s’agit d’une
canne à système qui permet de l’ouvrir pour dévoiler un parchemin enroulé sur
lequel est inscrite cette phrase « Quand l’élève est prêt, le Maître apparaît »
Elie vit de grands bouleversements dans sa vie. Il quitte sa femme, sa fille et
son commerce. Il est comme le MAT en pleine transition et face à l’inconnu. Il
n’a plus rien. Au lieu de sombrer dans la dépression et l’angoisse, Élie décide
d’être attentif et de s’émerveiller à tous les petits plaisirs de la vie.
L’auteur explique chacune des 22 Arcanes du Tarot qui sont imbriquées au sein
même du quotidien du héros ce qui en facilite la compréhension. Élie vit, une à
une, toutes sortes d’expériences dans chaque étape du Tarot, qui ne sont rien
d’autre que celles de la vie à laquelle il reprend goût, petit à petit.
Une histoire touchante qui nous fait saliver de plaisir en découvrant des vins,
des mets, des échanges amoureux, mais aussi des réflexions spirituelles du
héros traversant les épreuves et développant sa conscience au fil des pages
que vous dévorerez. Une belle façon d’entrevoir la vie même dans les moments
les plus difficiles.
Nous sommes les artisans de notre bonheur en étant attentifs aux signes et
ouverts aux coïncidences et hasards de la vie…
LangueFrançais
Date de sortie15 févr. 2017
ISBN9782897262662
Les 22 MARCHES: Roman initiatique et gourmand
Auteur

Jean Bouchat

Biographie d’un gourmand de la vie. Si vivre peut s’exprimer de différentes façons, il semble évident que Jean Bouchat soit l’incarnation même de la diversité. Cuisinier, spécialiste en vin, professeur oenophile, écrivain, poète, voyant et surtout gourmand de la vie, c’est aussi un grand philosophe qui nous emmène en balade à travers l’inconscient et la diversité des êtres humains. Auteur de plusieurs ouvrages.

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    Aperçu du livre

    Les 22 MARCHES - Jean Bouchat

    vie

    LE MAT

    Pour Élie, tout avait commencé quelques semaines plus tôt alors qu’il avait reçu, en cadeau, une magnifique canne à système dont le fût ¹, constitué de bois de palissandre des Indes, était terminé par une férule en argent reliée à la trompette ² par un anneau, lui-même en argent, sur lequel était gravé le nom de son créateur Pierre Vanherck.

    « J’ai trouvé que c’était le moment de t’offrir une canne ! Maintenant que tu approches la cinquantaine, il est peut-être temps de comprendre que tu commences à faire partie des monuments historiques… », lui avait dit en le serrant dans ses bras, son ami Luc.

    Sous le pommeau, la trompette de la canne était réalisée en palissandre du Mexique cette fois (cocobolo), et une incrustation d’argent représentait la constellation de la Grande Ourse et celle de la Petite Ourse, figurées par un sertissage de cylindres d’or et d’argent. Un peu plus loin, une multitude d’étoiles filantes brillaient, alors qu’au centre de la trompette, un quartier de lune l’illuminait, la rendant tout simplement éblouissante. Juste au-dessus d’elle, un éclat de diamant matérialisait l’étincelante étoile polaire.

    Enfin le pommeau, constitué pour moitié de noix de banksia, sertie d’un alliage à base d’argent pour la partie inférieure et d’un débit d’ébène de Zambie (Afrikan Blackwood) pour la partie supérieure, était couronné d’une pastille en argent massif de 36 millimètres de diamètre, sur laquelle était gravée une « Roue Astrologique ».

    Une chaînette en cotte de mailles reliait curieusement la base du pommeau à la trompette de la canne.

    Cette œuvre d’exception signée Pierre Vanherck – un orfèvre belge de renommée internationale – était légère, douce au toucher et Élie s’amusa à la faire tourner entre ses mains agiles. Ce cadeau d’anniversaire l’avait particulièrement touché ; ses rêves d’enfance, admirant les danses de Fred Astaire ou Gene Kelly, revivaient grâce cet étrange instrument.

    Élie venait de fêter ses 40 ans. C’était un homme de grande taille à l’allure sportive. Ses cheveux mi-longs, de couleur châtain clair, laissaient deux mèches de cheveux retomber avec désinvolture de chaque côté du visage.

    Une barbe et une moustache d’un jour lui donnaient un air rebelle, contrastant étrangement avec la douceur de ses yeux d’un brun noisette.

    Ses pommettes commençaient à laisser paraître quelques notes sel et poivre, imprimant une sorte de touche de sagesse dans ce grand corps constamment en mouvement. Il portait un costume en cuir noir et des mocassins Louis Vuitton ; sous sa veste, une chemise en soie « col Mao » laissait entrevoir son torse d’une rare élégance. Tout en lui reflétait l’image que l’on peut se faire d’un homme d’affaires branché, comme le rappelait à son poignet une magnifique montre Breguet 5117 classique à chronomètre.

    Ses mains, grandes et larges lui conféraient une certaine élégance. À son annulaire, une alliance en or indiquait clairement qu’il était marié. Élie paraissait avoir tout pour lui : beauté, élégance, prestance… une pleine maturité semblait émerger de tout son être.

    Tout à coup, il remarqua que cette canne possédait un mécanisme particulier qu’il décida d’explorer  et entreprit de l’ouvrir. Tirant sur la chaînette, il dévissa le pommeau. Un ingénieux système, sorte de petit ascenseur, libéra une fiole à l’intérieur de laquelle se trouvait un parchemin roulé sur lui-même et apparemment désireux d’explorer la vie... Élie le sortit avec précaution. Un minuscule cachet de cire rouge le maintenait fermé. À son ouverture, une phrase était inscrite, comme une invitation à l’approfondissement du message apparu :

    « Quand l’élève est prêt le Maître apparaît »

    Perplexe, Élie décacheta le message et une liste lui apparut…

    C’était une liste de mots qu’il connaissait car il s’intéressait depuis longtemps au Tarot, mais sans vraiment l’avoir approfondi. Or, cette liste représentait les vingt-deux Arcanes Majeurs du Tarot de Marseille…

    Une sorte de titre, presque une invitation, la présentait : 

    « Toute vie ne peut commencer que par une renaissance… »

    Le Mat

    1 Le Bateleur

    2 La Papesse

    3 L’Impératrice

    4 L’Empereur

    5 Le Pape

    6 L’Amoureux

    7 Le Chariot

    8 La Justice

    9 L’Hermite

    10 La Roue de la Fortune

    11 La Force

    12 Le Pendu

    13 L’Arcane sans nom

    14 La Tempérance

    15 Le Diable

    16 La Maison Dieu

    17 Les Étoiles

    18 La Lune

    19 Le Soleil

    20 Le Jugement

    21 Le Monde

    Durant quelques instants, Élie resta perplexe, se demandant la raison d’être de ce mystérieux message tombant précisément à un moment charnière de son existence.

    ***

    Marié à Sylvie, père d’une jeune adolescente d’une douzaine d’années prénommée Aurore, il était à la tête d’une série de magasins d’alimentation et de vaisselle, répartis dans toutes les provinces belges. Les affaires marchaient plutôt bien et son épouse Sylvie, âgée d’une bonne dizaine d’années de plus que lui le secondait, s’occupant de la partie comptable de la société. C’était une femme de taille moyenne, beaucoup plus petite qu’Élie. Elle était vive et nerveuse, toujours sur la défensive et prête à exploser au moindre tracas. Le temps, peu à peu, avait marqué son visage tout autant que ses cheveux d’un noir cendré qui la rendaient encore plus triste et semblaient approfondir ses cernes. Elle paraissait subir la vie de toute part, se repliant sur elle-même tout en laissant une forme de colère intérieure la survolter. Au cours de son existence, elle s’était perdue, s’associant à Élie alors que son ancien travail ne lui donnait plus satisfaction, comme par dépit, sans avoir pris le temps de chercher ce qu’elle voulait vraiment faire de sa vie.

    Sylvie était une femme peu encline aux contacts et aux obligations relationnelles qu’un commerce entraîne inévitablement. C’était une femme n’aimant pas vraiment sortir, prétextant mille raisons pour rester dans l’univers cloîtré de son bureau. Son côté casanier contrastait étrangement avec la personnalité extravertie d’Élie. La différence d’âge intervenait moins dans l’éloignement de leur relation que la passion de chacun à aimer ce qu’il faisait. Autant lui aimait recevoir, autant l’avarice croissante de Sylvie et son besoin de solitude devenaient chaque jour plus lourds à supporter. Ses propres amis riaient d’elle, disant que pour avoir un verre d’eau chez elle, il fallait prendre son verre et attendre qu’il pleuve à l’extérieur… Elle ne comprenait pas les mots : don de soi, générosité, partage, invitation, offrande. Sa vie, elle l’avait enfermée dans sa solitude, dans son manque de désir d’aller à la rencontre des autres. Elle n’avait quasiment aucune amie et ne les recherchait pas non plus.

    Les soirées en sa compagnie étaient devenues longues, suffocantes. Élie ne savait que faire pour s’évader de cette prison infernale. Par bonheur, sa nature lui permettait d’avoir une véritable vie sociale qui, peu à peu, prit davantage de place ; petit à petit, il rentrait de plus en plus tard.

    Il se sentait sur le point d’exploser ou pire peut-être, d’imploser, tant un mal-être grandissant l’envahissait depuis quelques mois, lui donnant la nausée. Était-ce la crise de la quarantaine ?… Pourtant il avait tout, du moins ce que tout le monde pense indispensable au bonheur : un travail, une belle voiture, de l’argent, une femme fidèle et travailleuse et même une petite fille, belle comme un rayon de soleil. Mais alors pourquoi cette envie de vomir, pourquoi ce mal-être, ce doute, cette sensation d’être à côté de sa vie ? La vie ne l’avait certes pas toujours épargné, mais pas plus qu’elle n’épargne les autres. Chaque histoire connaît ses hauts et ses bas, chaque vie a son lot de bonheur et de tristesse. Souvent il s’était posé les grandes questions existentielles, la raison de la vie, le sens du divin…

    Il comprit soudain que Sylvie et lui ne pouvaient plus cheminer ensemble, qu’elle avait le droit d’avoir une vision de la vie différente de la sienne ; et même s’il supposait qu’une crise dans un couple constituait peut-être une opportunité d’avancement, il n’avait plus envie d’un renouveau avec elle.

    Était-ce un échec ? Non, sans doute pas ; une leçon probablement. Mais avait-il envie d’aller plus loin dans cette existence ?… Eh bien non ! Absolument pas ! Car ce qui lui manquait était tout simplement l’envie d’avoir envie.

    « Tout commence par une renaissance »… Mais qui dit renaissance dit mort, destruction, au moins pour une part. S’être tant battu… mais pourquoi, vers quelles chimères, vers quels moulins courait-il donc ? Faut-il vraiment en arriver à un tel découragement, une telle extrémité au point d’avoir envie de tout détruire, de changer de vie ? Et pour aller où, vers quoi et pourquoi ? Alors qu’apparemment il atteignait enfin un semblant de stabilité, le monde s’écroulait sous ses pieds. La fin des certitudes le bousculait.

    N’est-ce pas seulement au bord du précipice que l’homme grandit ?

    Ses yeux reprirent la lecture de la liste des Arcanes. Elle commençait par « Le Mat » le fou disait-on souvent ; mais qu’avait-il de fou ? Élie lui trouvait plutôt généralement un air décidé, du moins dans certains jeux qu’il avait pris le temps de vraiment regarder. Sa préférence était pour celui d’Alejandro Jodorowsky et Camoin. Le Mat C’était étrange qu’au moment où lui-même se questionnait sur le sens de sa vie, ce Mat vienne le titiller… un peu comme une invitation au déraisonnable, comme un renoncement au politiquement correct. Ce Mat, n’était-ce pas justement lui qui bouillonnait intérieurement, n’était-ce pas lui qui lui disait : « Mais bon Dieu mon ami réveille-toi ! Sauve-toi ! et quand je te dis sauve-toi ce n’est pas enfuis-toi mais sauve ton âme, sauve ta vie, arrête de marcher à côté de ton corps… reprends ta vie en main et bouge tes fesses… »

    Oui, il ressentait ce Mat comme une nouvelle aventure, comme une forme de libération salvatrice. Une bouffée d’oxygène, presque un bouche à bouche indispensable.

    Pourtant, plus il entrait dans l’intimité secrète de ce personnage voguant à contrecourant, plus il se demandait pourquoi cela venait maintenant, alors qu’il lui semblait s’être enfin réalisé.

    Élie regarda à nouveau la liste des Arcanes. C’était étrange que cette liste fût cachée, cachetée même avec ce message : « Quand l’élève est prêt le Maître apparaît ». Son ami Luc, un grand gaillard solide comme un roc avec des allures à la « Vin Diesel », lui avait-il fait une blague en lui écrivant ce message placé ensuite dans le pommeau de la canne ? Pour en avoir le cœur net, sans plus attendre il lui téléphona.

    — Dis-moi mon grand, est-ce toi qui a mis le message dans la canne ? 

    — Quel message, de quoi parles-tu ? 

    — Arrête, tu le sais bien, la liste des Arcanes du Tarot… 

    — La liste des Arcanes du Tarot ? Mais elle était où ? 

    — Dans le pommeau de la canne que tu m’as offerte.

    — Écoute, franchement je ne suis pas au courant. 

    — Ok, d’accord, je te crois. Bon, allez à plus. Je te rappelle pour la suite.

    Élie, une fois de plus, resta un moment perplexe, tout en remettant la fiole maintenant vide à sa place puis en refermant le couvercle du pommeau. Décidément, cette canne lui apportait bien des surprises ; il pressentait en la manipulant, les prémices déjà palpables d’aventures en devenir.

    Étrange… oui étrange cette histoire sans queue ni tête qui semblait débuter par cet Arcane du Mat, seul « Arcane Majeur » à être dans « l’entre-Vie » et, contrairement aux autres, ne portant pas de numéro ; mais comment en porter un lorsque la Vie est hors de la vie, dans une autre dimension, dans ce que les Tibétains appellent le « bardo », tranche de vie entre deux mondes : entre la Vie et la mort… Deux mondes qui, en réalité ne sont qu’un, fruit de l’impermanence.

    Ce Mat, personnage atypique que beaucoup secrètement envient car libre de toute contrainte, de toute limitation. Ce Mat était le précurseur d’un état volcanique, d’une éruption inéluctable car salvatrice, signe d’un renouveau printanier, nécessaire à un nouveau départ. Et cette situation, cette vie de Mat, n’était-ce pas justement la sienne ? Celle vers laquelle il tendait fermement dans sa folle évasion, dans sa marche vers un avenir en devenir ?

    Prendre le temps de réfléchir. Une folle envie d’évasion envahissait en effet Élie. Nous étions au printemps 2012 et l’air frais du matin sentait bon. Quelques notes de Chopin accentuaient l’effet de cette brise, presque à fleur de peau. On sentait, dans la lenteur et la douce tristesse de ce Nocturne N°1, une sorte de nostalgie, un besoin de renaissance, un désir d’évasion, un appel vers ce qui lui semblait être la source de tout, les origines de tout. Un véritable appel à la vie, l’urgence de retrouvailles. Et ces convulsions qui vous nouent et vous retournent jusqu’au vomissement… Élie le sait : derrière l’homme « à l’aise partout » sommeille une âme à la fragilité d’une ballerine.

    « Pourquoi tout cela ? songea-t-il. Pourquoi tant de souffrances, tant d’incompréhensions, tant d’épreuves ? »

    C’est alors qu’il fut saisi par un désir incommensurable d’évasion, une véritable nécessité de partir, de tout quitter, de faire le point hors des sentiers battus, de toutes certitudes.

    Le Mat, en cet instant, faisait son travail ; il tourmentait les chairs, renversait les âmes, amenait de nouveaux horizons, alors que la brume du quotidien l’avait submergé. Le Mat est le messager du renouveau, l’instigateur de cette prise de conscience salvatrice, de la raison même de notre existence.

    « Cette vie de certitudes que j’ai vécue, se dit Élie, que m’a-t-elle apporté, où m’a-t-elle conduit ? Soudain une autre question sugit : mais qu’ai-je apporté à la Vie, que restera-t-il de moi ? Lorsque tout sera fini, le seul juge qui restera sera Dieu, et il ne peut être qu’amour et compassion. Alors il ne restera que moi-même face à mes actes, ce que j’ai été et ce que j’ai fait.

    Et ce Mat, pourquoi vient-il me gifler aujourd’hui, pourquoi, en cette belle matinée de printemps et non en une triste journée d’hiver ; un de ces jours ténébreux où le froid et la solitude nous encerclent ? Non c’est une journée de printemps, une belle journée où le soleil est de la partie, où fleurs et arbres reprennent vie, où, dans un ciel libre de nuages, les oiseaux s’égosillent à en perdre tête. 

    Élie reprit sa canne, la regarda avec suspicion puis, d’un geste de la main droite, la caressa, comme on palpe le corps d’une femme dans un mélange de passion, de découvertes et d’incertitudes. Cette canne qu’il découvrait, possédait en elle une féminité toute personnelle, un peu comme l’étrange intimité qui peut lier un homme à une pipe de prestige, une Chacom en fleur de bruyère. On sent en elle l’alchimie intime du feu et du bois, de l’arbre et des mystères, du végétal rencontrant l’animal… l’approche invisible de l’impalpable, poids du regard, de la chaleur et des effluves à la fois lourdes et enivrantes du tabac. Caresser une Chacom, c’est un peu faire l’amour avec l’invisible, l’impalpable, l’irréel, comme si une main se posait sur une croupe, comme un baiser peut se perdre au bord d’une oreille. Douce caresse, tendre complicité. Élie aimait ces plaisirs par lesquels les sens en émoi se réveillent ; et cette canne qu’il tenait dans ses mains, qu’il aimait sentir glisser entre ses doigts le perturbait, lui rappelant cette intimité difficilement avouable. Il n’a jamais fait une ennemie de cette extrême sensibilité, juste comme une autre peau, un autre lui-même, un aspect intangible de sa personne, une part d’un autre dont la féminité émulsive dérange sa masculinité envahissante. Cette forme d’intuition depuis longtemps l’intrigue car elle semble à contrecourant de la vision que la société lui a imposée.

    Que sommes-nous vraiment ? Le savons-nous, nous-mêmes ? Le découvrirons-nous un jour ou resterons-nous en perpétuelle recherche ?

    Élie se posait toutes ces questions ; et plus il manipulait cette canne, plus il sentait en lui poindre l’émergence d’une explosion.

    « Mais que m’arrive-t-il ? » se demandait-il.

    C’est à cet instant qu’une phrase s’imprima en lettres de feu dans son esprit, tel un jet de lumière :

    « Élie, fais le point ; prends le temps de te retrouver, trouve ta voie et pars te ressourcer, pars à la rencontre de toi-même ; fais fi de tes convictions, de toutes tes certitudes. Prends le temps, car c’est dans la solitude que tu te trouveras »

    Pourquoi cette canne entrait-elle aujourd’hui dans sa vie ; sur quel chemin l’emmenait-elle ?

    Une bouffée d’air frais envahit sa gorge ; un festival d’effluves printanières, un jaillissement, l’aube d’une renaissance…

    Cette canne qui, depuis quelques heures perturbait sa vie, il la regarda à nouveau… Juste pour le plaisir d’une nouvelle caresse.

    « Pourquoi, songea-t-il, faut-il qu’un tel objet, a priori sans importance, prenne tant de place en cet instant ? Quel sens donner à tout cela ? »

    Alors, telle une émulsion, un bouleversement intérieur, une phrase sembla émerger des brumes de son inconscient…

    « Que dois-je comprendre, où en suis-je ? »

    Les cycles de la vie rappellent ceux du vin et même si l’époque était printanière, il lui semblait que le moment des vendanges était arrivé. Le moment des bilans d’une longue saison de travail, de fatigue et de doutes.

    Ce long et pénible travail de la terre, toujours hasardeux, ne se conclut qu’en ce jour béni des vendanges. Tout le travail d’une longue année de labeur se voit résumé en ce jour où le vigneron fait place au Maître de Chai, où la vie se transforme, où l’alchimie miraculeuse s’opère dans le secret des cuveries et des caves profondes.

    Élie se mit à marcher ou plutôt presque à courir tant il débordait soudainement d’énergie. Dans cette course folle, il serrait sa canne dans sa main droite et lui faisait subir une sorte de balancement frénétique. Plus il marchait vite et plus ses pensées se bousculaient ; plus il pensait et plus il allait vite. Jusqu’à se voir courir sans but précis, juste dans l’urgence de cette montée de lave qui avait pris naissance dans le creux de son ventre. Tout bouillonnait en lui et soudain, telle une éruption contenue depuis trop longtemps, la tête prête à exploser, il s’arrêta complètement essoufflé, sur le point de vomir ; vomir cette vie qu’il ne supportait plus, vomir ses habitudes qu’il croyait sécurisantes. À trop vouloir la sécurité, il en oubliait d’être lui-même.

    « L’équilibre ne se trouve-t-il pas dans le déséquilibre qui n’est en réalité qu’une autre forme, qu’un autre nom de l’équilibre ? »

    Il le sentait : il était grand temps de tout remettre en question, de récolter ce qui avait été semé, de vendanger toute une tranche de vie.

    Partir au moins quelques jours, loin de tout, surtout de ses habitudes, de cette femme qui est sienne, de cet enfant qui le regarde de ses yeux de braises. Pour où ? L’Alsace l’attirait ou peut être la Provence et pourquoi pas les deux ? Trouver une excuse n’est pas difficile ; lorsque l’amour n’est plus, l’autre est trop heureux que vous lui laissiez l’occasion d’être seul. Ce sera donc l’Alsace, du moins pour commencer.

    L’Hôtel du Collet est en réalité un énorme châlet de bois au sommet d’une butte menant de Gérardmer à Colmar. C’est un hôtel chaleureux et convivial, à la cuisine régionale et goûteuse. Plusieurs fois déjà il y avait logé ; c’est donc en toute confiance qu’il y réserva sa chambre. Et cette fois, il ne dormirait pas avec son ami Philippe, bûcheron de profession… préférant travailler la nuit juste pour remplir l’air des bruits de sa scie infernale... Le calme serait probablement au rendez-vous… du moins l’espérait-t-il.

    Tôt, à l’aube, il ramassa quelques vêtements, prit sa valise en toile monogrammée de couleur marron, une Louis Vuitton bien sûr, dont la poignée en cuir naturel contrastait par son ton uniforme. Elle avait déjà quelques printemps cette valise, mais il y tenait ; elle l’avait toujours accompagné lors de ses déplacements. Il retira le compartiment en bois amovible séparant la valise en deux parties distinctes. Deux sangles permettaient de maintenir la lingerie parfaitement protégée et séparée de la seconde partie. Délicatement et conscieusement, il déposa deux pantalons, un jean Lee Cooper, deux T-shirts, quatre slips et quatre paires de chaussettes dans la première. La seconde partie se vit attribuer quatre chemises plutôt classiques et une autre en jean. Les sangles refermées, les vêtements ainsi protégés, il boucla gentiment sa valise. Ses chaussures prirent place dans un grand sac en cuir brun aux côtés de son matériel de toilette, de quelques magazines et d’une bouteille de « Calvados Lecompte 12 ans d’âge ». Il n’était ni radin ni alcoolique mais aimait, le soir, déguster cet excellent « Calva » qu’il trouvait rarement en voyage. Il avait toujours une bouteille avec lui et puis… qui sait ? Un soir peut-être pourra-t-il en partager un verre en agréable compagnie ?…

    Il s’empara de sa canne qui désormais, ne le quitterait plus.

    Dans un tiroir, il retrouva son Tarot et le glissa dans son sac. Il ne lui restait plus qu’à mettre le tout dans sa voiture sans oublier son téléphone portable. Juste le temps d’un café et il serait parti.

    L’air frais du matin le surprit, la voiture était givrée. Une mince pellicule la recouvrait complètement ; il attendit que le souffle chaud du chauffage la fasse fondre. Étranges dessins que ceux formés sur le pare-brise par cette glace fondante... Du bout de l’index il alluma la radio, « Classique 21 », sa préférée depuis toujours. Le moteur de la Ford Galaxy ronronna doucement, réveillant ses chevaux alors que Fleetwood–Mach l’accompagnait dans son odyssée matinale avec un de ses immuables tubes « Dream ».

    Depuis un peu plus d’une bonne heure déjà, il roulait à vive allure en direction du Luxembourg, sur cette Nationale 4 qu’il connaissait si bien pour l’avoir beaucoup parcourue. Un premier arrêt pour faire le plein, avaler un autre café et il fila vers la France et les Vosges. Thionville, Metz, Nancy, Lunéville, Gérardmer… Une dernière ascension lui permit d’arriver à proximité du col de la Schlucht.

    Il était presque midi, l’heure idéale pour une pose régénératrice. Le temps de remplir, à l’accueil, quelques documents d’usage et il gagna rapidement le premier étage du châlet où se trouvait sa chambre. Dans l’escalier il croisa un couple de sexagénaires qui l’interpellèrent gaiement :

    — Humm… Jolie votre canne…

    — Merci, c’est gentil, bonne journée ! 

    Amusé, Élie porta ses yeux sur cette canne qui semblait susciter de l’admiration et lui réserverait sans doute bien des surprises. 

    Après une courte pause bien méritée dans sa chambre, Élie, ragaillardi, dévala quatre à quatre les escaliers le ramenant au rez-de-chaussée. Il tenait la canne dans sa main ; elle semblait être devenue partie intégrante de son être.

    — Excusez-moi, est-il possible de déjeuner ? 

    — Oui monsieur bien sûr, lui répond une charmante serveuse. Vous voulez bien me suivre s’il vous plaît ?

    La salle était presque vide ; seule une table de quatre personnes et nos deux sexagénaires admiratifs de la canne qui papotaient en sirotant un apéritif.

    Lui était plutôt petit, presque chauve, arborant une bonne bedaine qui semblait le pousser vers l’avant. Elle en revanche, était plus grande et relativement sèche. Autant il paraissait rieur, autant elle semblait réservée, presque timide.

    — Décidément vous ne vous en séparez pas ! lui dit le monsieur, montrant la canne du doigt. Permettez-vous que je la regarde de plus près car elle m’intrigue ? Je disais justement à mon épouse que c’est la première fois que j’en vois une avec une trompette aussi jolie. Cette lune et ces étoiles la rendent magique. Oh ! Mais ce sont les signes du Zodiaque gravés dessus ? Jolie, jolie… continua-t-il. Mais si vous le voulez, joignez-vous à nous, à moins que la présence de deux vieux retraités ne vous importune. Vous aimez le Muscat d’Alsace ? enchaîna-t-il brusquement.

    — Oui beaucoup, j’aime cette fraîcheur incomparable, ce goût de Muscat sec aux notes poivrées, répondit Élie.

    — Vous savez monsieur, il y a des moments dans la vie où rien ne remplace un verre de Muscat d’Alsace ; si ce n’est ma femme évidemment. dit-il, la regardant avec complicité.

    — Et bien pourquoi pas ? Va pour le Muscat d’Alsace.

    — Et bien ! Cette journée s’annonce magnifique et je prends toujours beaucoup de plaisir aux rencontres que le hasard, que la vie, place sur ma route… Avec le temps j’ai constaté une chose surprenante que je refusais lorsque j’étais jeune :

    « Le hasard n’existe pas, seuls les rencontres et les rendez-vous existent ; tout a un sens, même s’il nous faut bien souvent du temps pour nous en rendre compte… »

    Et reprenant brusquement :

    — Alors cette canne, vous me la montrez ? 

    — Oui bien sûr ; excusez-moi, je réfléchissais à ce que vous me disiez, lança Élie un peu surpris par le côté quelque peu autoritaire du bonhomme.

    — Jolie cette Roue Astrologique, vraiment jolie.

    — Je trouve aussi ; j’ai reçu cette canne en cadeau et je la découvre seulement. Un message est caché dans son pommeau…  Attendez, je vais vous le montrer, dit Élie d’un air décidé.

    Reprenant la canne en main, il retira la chaînette, puis d’un geste délicat, fit pivoter le mécanisme et libéra le petit chapeau en laiton contenant le papyrus. Il le tendit, non sans une certaine appréhension, à l’homme qui déjà s’impatientait sur sa chaise.

    « Quand l’élève est prêt le Maître apparaît »

    Il lut l’adage à haute voix, prenant le temps de peser chaque mot.

    — Mais oui ! s’exclama le monsieur. C’est une évidence, au même titre que ce hasard, dont nous parlions justement il y a deux minutes et que les cartésiens emprisonnent dans leur limitation mentale. 

    « Toute vie ne peut commencer que par une renaissance »

    Alors là, s’exclama-t-il, s’il y a quelque chose de vrai, c’est bien cette évidence Vous savez, cher monsieur, dit-il d’un regard profond en observant Élie, rien n’est plus vrai que cela et je sens bien que si vous êtes là aujourd’hui, c’est parce que vous avez justement besoin de remettre vos idées en place et de faire un bilan de votre vie. C’est amusant cette liste, car avec votre canne, vous êtes comme ce Mat, vivant, mais hors de sa propre vie.

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