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La-dame-a-la-ventoline et les autres
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La-dame-a-la-ventoline et les autres
Livre électronique179 pages2 heures

La-dame-a-la-ventoline et les autres

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À propos de ce livre électronique

L’histoire de gens ordinaires se dévoile, par touches, dans ces pages. Qu’ils s’appellent Eve, La-Femme-Aux-Foulards, La-Jeune-Femme-Fleur-Bleue ou L’Homme-Sensible, ils sont attachants par leur banalité même d’être humain aux prises avec sa douleur d’exister. Chacun s’en débrouille à sa façon. Si communs et fondamentalement singuliers, ils nous ressemblent comme des frères. Ce qui est mis en relief dans ces histoires d’humains, est la façon propre à chacun d’y faire avec ce qui cloche pour lui, sa manière de sortir de « cette chienlit » dirait L’Homme-Sensible en citant le général de Gaulle, ce sont les solutions singulières. L’auteur dévoile avec tendresse leur faiblesse, leur force, leurs trouvailles, leurs rires.




À PROPOS DE L'AUTRICE

Pour Eugénie Lerouge, l’écriture est très tôt une évidence. Pourtant, à 18 ans, elle fait un choix qui la conduit à y renoncer. Les années filent, les projets s’enchaînent, la vie se construit, mais le désir d’écrire est toujours là. Il s’exprime dans de courtes histoires, des poèmes parsemés dans le temps. A son retour en France, après de nombreuses années passées à l’étranger, encouragée par son mari, elle reprend plus assidument la plume et se lance dans l’écriture de " La-Dame-A-La-Ventoline et les autres". Elle y manie avec jubilation cette langue qu’elle aime tant, recherche le mot juste, le rythme, l’harmonie, nous offre des envolées poétiques et prend un malin plaisir à faire vivre des personnages singuliers.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie28 mars 2024
ISBN9782384548057
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    Aperçu du livre

    La-dame-a-la-ventoline et les autres - Eugénie Lerouge

    Avant-propos

    L’histoire de gens ordinaires se dévoile, par touches, dans les pages qui suivent. Si communs et fondamentalement singuliers, attachants par leur banalité même d’être humain aux prises avec sa douleur d’exister, ils nous ressemblent comme des frères. Ce qui les relie est La Grande Maison. Ils s’y sont tous rencontrés. Jamais il n’est précisé ce qu’est cette Grande Maison. Au lecteur de se l’imaginer.

    Ces « parlêtres », pour reprendre le mot que nous a légué Lacan, sont marqués par le langage. La parole et la jouissance du corps sont incluses dans ce signifiant lacanien. En effet, le parlêtre a un corps. Il n’est pas un organisme. Rien n’est simple pour l’être humain. A l’inverse des animaux, il n’est pas régulé par l’instinct qui impose sa loi à ceux qu’il régit. Par exemple, il leur indique les périodes de rut, celles d’hibernation, leur dicte ce que doit être leur nourriture, où et quand la trouver, comment élever leurs petits, la manière de s’y prendre avec l’autre sexe. Nés dans un bain de langage, les êtres parlants sont sujets de l’inconscient et sous l’emprise de la pulsion.

    Nous faisons au mieux avec tout cela. « Au mieux » ne veut pas dire que l’on soit parfaitement heureux. « Au mieux » est toujours bancal. Si pour quelques-uns cette instabilité oscille vers le plus, pour d’autres, elle penche vers le moins. Certains souffrent considérablement d’être ce qu’ils sont.

    Nous naissons à une époque donnée, dans une certaine culture, tel ou tel milieu. Nos parents ont leur personnalité, leurs problèmes, leurs symptômes. Il en est de même pour tous ceux qui nous élèvent, ceux qui comptent pour nous. Nous donnons du sens à ce qui nous entoure : les comportements, les mots, les silences, les gestes. Nous interprétons ce qu’est un homme, ce qu’est une femme, ce que nous devons être ou ne pas être afin que l’on nous aime. Nous nous identifions à notre père, à notre mère, à quelqu’un d’autre ; nous faisons le contraire. Nous prenons certaines paroles au pied de la lettre. La pulsion se fixe sur un objet. Nous construisons ce que nous devenons. Puis, nous répétons. C’est plus fort que nous. Nous ne tirons pas les leçons de l’expérience. En tout cela, chacun est singulier et trouve les autres bizarres. Ces autres n’ont pas les mêmes goûts, le même humour, les mêmes aspirations, le même style.

    Il arrive que chez tel parlêtre, un seul trait nous surprenne, une bizarrerie plus ou moins petite, plus ou moins grosse. C’est une question de plus ou de moins. Nous sommes tous bizarres, plus ou moins, à notre façon propre ; tous fous, plus ou moins, pas de la même manière.

    Eve n’est-elle pas bizarre dans ses envolées lyriques ? N’est-ce pas étrange qu’elle soit également émue par la montre de l’amant que par sa peau ? Le-Dindon-D’la-Farce, n’est-elle pas bizarre de se comparer à un rôti ? L’Homme-Au-Foyer d’avoir voulu être une fille ? Et le philosophe dans sa façon de considérer les femmes, sa manière d’y faire avec l’autre féminin, lui si brillant, si intelligent, si ouvert ? D’autres inventent des mots ou n’utilisent pas à bon escient ceux du dictionnaire. Il arrive qu’ils construisent leurs phrases d’une façon peu orthodoxe. Ne sont-ils pas étranges ?

    Ce qui est mis en relief dans ces histoires d’humains est la façon propre à chacun d’y faire avec ce qui cloche pour lui, sa manière de sortir de « cette chienlit » dirait L’Homme-Sensible en citant le général de Gaulle, ce sont les solutions singulières.

    Ceux qui vivent dans ce livre passent de bons moments ensemble. Avec leur bizarrerie propre, ils font avec celles des autres. Parfois, ils s’en étonnent. Elles peuvent les fâcher. Souvent, elles les attendrissent. Ils les respectent. Le philosophe saisit la sensibilité aux mots de L’Homme-Sensible. Il en tient compte. Il perçoit le flou de ses limites corporelles, de la différence entre l’intérieur et l’extérieur, dirait L’homme-Sensible. Il en tient compte. Le chercheur tourmenté accueille l’étrangeté de son ami. Il se laisse surprendre par celui dont la singularité l’interpelle et le touche.

    Chacun a ses regrets, ses feuilles mortes. Mais par son inventivité, ses solutions originales, l’arbre de sa vie est recouvert de feuilles. Les bourgeons éclatent, le feuillage s’ouvre, les fruits se préparent, les graines semées germent, les jeunes pousses n’en finissent pas de s’épanouir.

    EVE

    Eve se promène dans les couloirs propres, jusqu’au bord du jardin. Parfois, elle s’assoit sur un banc de pierre qu’ils ont mis près de la porte. C’est mieux pour regarder les arbres. Car Eve aime les arbres, leurs troncs rugueux de pachyderme, leur lumière et leurs ombres.

    –Eve, tu es encore dans la lune !

    Comment pourraient-ils comprendre, encombrés par ce qui est vrai, ce qu’il faut, ce qui est convenable ? Comment pourraient-ils entrouvrir les yeux sur ce qui s’épanouit au creux des siens ? Alors, son regard s’égare vers ces lieux que personne, ni elle-même, n’atteint.

    Dans la grande chambre, Eve écrit souvent jusqu’au matin. Ils entrent, crient en levant les bras. Prenant la sienne, une main l’éloigne alors de son ouvrage et l’accompagne jusqu’au fauteuil qui se balance devant la fenêtre d’où l’on voit les arbres.

    Un jour, les cris ont éclaté à cause de la dame élégante arrivée la veille au bras de son mari, avec sa jolie valise rouge. La dame élégante était un peu tendue. Eve l’avait remarqué à ses lèvres qui se crispaient d’un seul côté, bien qu’elle tentât de les forcer à sourire de l’autre. Cela entraînait un drôle de mouvement sautant. Elle s’attendait à la rencontrer, un jour ou l’autre, au détour d’une allée du parc, mais l’inconnue semblait avoir disparu. A sa grande surprise, un matin, elle l’entendit. Ce fut le jour de la dispute. Tout d’abord, une voix qu’elle n’avait pas reconnue, très forte, très en colère, cria qu’il y en avait partout. Puis, il y eut des bruits de pas pressés, des cris qui s’emmêlaient, s’escaladaient, s’encourageaient. La voix en colère s’égosillait :

    –Est-ce que vous trouvez normal de faire pipi par terre, Madame ?

    Une voix très aigüe, qui ne semblait pas être celle de la femme élégante aperçue quelques jours plus tôt et pourtant c’était bien elle qui parlait d’un ton si strident qu’il perçait les oreilles hurla. Un oui sonore, suraigu, long et victorieux, un oui de défi heureux. Alors, l’autre voix s’était éraillée de colère : 

    –Vous n’êtes pas chez vous ici, Madame ! Si vous recommencez, je vous tiendrai pour folle ! 

    La voix en colère et la voix aigüe ne se firent plus entendre. Eve en était bien contente, car elle n’aimait pas les cris et n’aurait pas voulu que la dame si posée, malgré la petite crispation qui l’empêchait de sourire de façon harmonieuse, soit considérée comme folle par la voix en colère.

    Eve n’a pas toujours vécu dans La Grande Maison. Parfois, lorsque son regard se perd, elle se souvient d’autres lieux, d’autres temps, comme autant d’autres vies.

    La longue silhouette d’Eve s’envolait, retombait en robe gonflée, vidée, rondes asymétriques. Ses cheveux ivres poursuivaient le vent dans ses tumultueuses errances. La-Femme-Aux-Foulards la regardait. Elle aimait la robe rouge qui dessinait le corps gracile d’un soyeux cachemire garance. A l’abri d’un rocher, telle une voile en déroute au large du Cap Horn, le boléro qui l’accompagnait claquait. La-Femme-Aux-Foulards poussa un petit cri rieur : l’étoffe flottait déjà dans le noroît. Ballottée et bourlinguée, saisie par l’écume vive, happée par les hautes houles sauges, elle disparut dans l’océan terrible. Les jeux de sable des enfants, suffisamment lourds pour résister aux assauts hurlants, n’avaient pas suffi à la retenir.

    Eve aimait le goût du sel sur ses lèvres. Elle pensa à tous les soirs d’été dans les îles. Il y en eut tant ! Ils fondaient doux et bleus quand montaient les étoiles. Elégants et légers, les vêtements glissaient sur les peaux encore chaudes malgré la douche froide. Elles étaient de soie, d’abricot, de muscs et de roses. Il y eut tant de nuits embaumées de jasmins et de lilas de nuit ! Dans les clubs où la musique faisait vibrer les corps, ils partageaient pourtant avec passion leurs idées sur la vie, cette vie commencée il y avait si peu ; du moins, c’est ainsi que cela lui semblait maintenant. Et les senteurs sauvages de la falaise lorsqu’ils rentraient à l’aube ! A peine fatigués et assoiffés encore, non plus de Dry Martini, ni de champagne, ni de rythmes tour à tour langoureux et électriques, ni de conversations, regards sans lendemain, caresses suspendues, mais de corps-à-corps aux arabesques rondes, aussi chauds et mouillés que les vagues dans le soleil, aussi caressants et violents que les éclairs, les profondeurs océanes, les arcs-en-ciel et les aurores boréales qui, jaillissant du plus profond de lui-même par ses prunelles brunes, l’enlevaient en une tourmente éperdue à laquelle elle s’abandonnait.

    Il y eut les matins, nonchalants, de cigales et de libellules, à la bouche paresseuse et gourmande, à l’odeur de figuier et d’origan.

    Le jour était de sable et de lumière, nudité, poudre d’or. Il avait la couleur de sa peau. Pour que cet ambre blond fonde contre la sienne, il lui fallait attendre l’effloraison de l’aube. Le jour était de corps. Etirements souples fendant la mer, arabesques de dauphins, ils plongeaient, cherchant l’extase, jouaient au frisbee en de longs sauts qui jaillissaient de l’onde en rires mouillés, s’étiraient au-dessus des flots, interminable mouvement ascendant d’où s’élançait avec précision le disque scintillant ; puis, avec une élégance animale, ils retombaient pour s’abîmer dans la mouvance liquide, en ressurgir encore et encore, brandissant le disque, solaires, peau lisse et lumineuse, ruissellement de perles.

    Eve s’émerveillait de ces souvenirs. Par bonheur, à l’époque de cette jeunesse insolente, elle n’avait pas pris la mesure de sa beauté, ni de sa grâce ni de celle, exacte, de ceux qu’elle aimait. Ce fut bien ainsi. Les photos en attestaient. Curieusement, elle en avait peu. Quel intérêt ? Il leur avait simplement importé de vivre.

    Elle avait pensé aux Dry Martini. Cela revenait de si loin ! Les soirs d’été, ils laissaient présager que les nuits en auraient la saveur. Dans l’esprit d’Eve, ils lui étaient liés, à lui, à sa peau dorée, à ses vêtements qu’elle avait toujours trouvés en accord avec cette peau même, au cuir clair de son bracelet de montre, à l’or pâle du cadran, à ses cheveux blonds. Parfois, lorsqu’elle lui caressait le bras et la montre qui le ceignait, elle les regardait tous deux et ne savait si elle était plus émue par le cuir du bracelet, l’or de la montre ou par la peau de l’amant, tant ils allaient ensemble. Tout en lui était harmonie. Le son de sa voix, son parfait accent, en avaient les couleurs.

    Il y eut aussi les enfants. Elle leur avait transmis l’ivresse des zéphyrs, des embruns et des vagues. L’air perdait sa clarté. Estompant les nuances, le soir flânait. Les trois enfants couraient en riant sur le sable mouillé. Leur proximité rendait audible l’ivresse de leurs mots giclant en rafales cinglantes. Ils arrivaient stridents, puis étouffés. Vite arrachés au gré des bourrasques, les sons dissonaient. Eve était la lutte même de son corps contre la tourmente, l’écoute même de la furie qui l’étourdissait. Elle était la peau que les embruns aspergeaient et giflaient tour à tour. Elle était la jouissance élevée à la joie. Des enfants, loin de nouveau, ne subsistaient que des formes légères et colorées qui enflaient, défaillaient, dansaient peut-être. Elle voulut courir pour s’en approcher. La bourrasque s’y opposa avec force. Renonçant à crier vainement leur nom, elle choisit de s’asseoir à l’abri d’une cabine de bain tiède encore de la chaleur de l’été et d’attendre, qu’effrayés et ravis de leur aventurière audace goulue, ils ne reviennent, cerfs-volants têtus, dans une gerbe de cris, d’essoufflements, de claquements de tissus. Enivrée de vent et de bruit, Eve sentait la fatigue de sa lutte contre la tempête. Vacillant sur son assise, son buste chavirait, entraînant les bras dans un doux quadrille. Eve cédait à la force de l’aquilon. Elle éprouvait cet abandon dans le muscle qui lâche, la chair indolente, l’apaisement du rythme régulier du cœur, dans la pure expansion de l’être. Une joie sereine l’habitait. La voluptueuse savourait d’un plaisir intense autant que paisible l’étrange légèreté effluant dans sa tête. Elle ne lui était pas étrangère. Un souvenir sensoriel lui revenait de très loin, d’un temps que sa pensée ne pouvait atteindre.

    Le gris du ciel, effilé par le vent, fouillé par le soleil, se stria un instant de jaune sale. Ils étaient là, pure jouissance, s’écroulaient dans le sable en rires et longs soupirs. Plus tard, leur équipée deviendrait un roman de Jules Verne, une aventure de Stevenson, ils seraient les rescapés du Bateau tempête, chercheurs de Trésor sur la plage, Robinson Crusoé, ils seraient Sinbad le marin. Ces épopées océanes les avaient tenus en haleine bien souvent, lues en cachette sous les draps avant qu’ils ne s’endorment épuisés, ou écoutées, la bouche ébahie, les yeux grands ouverts, comme autant de grottes où les profondeurs marines viendraient se perdre.

    La joie et la nostalgie pèsent sur la poitrine d’Eve. La jeunesse, la grâce et l’aisance rendaient alors toutes choses légères, portaient les rires et l’insouciance. Il y eut tant de lumière ! Des larmes embuent son regard posé sur les arbres du parc. Elle se récite doucement ces mots écrits la veille :

    Il y a des matins dont la peau est si douce

    Que le regard glissant dans une longue course

    S’accroche à quelques arbres plus touffus et plus denses

    Pour ne pas s’affoler de cette indifférence

    Du temps.

    Le temps,

    Toujours là, immobile et pourtant si mouvant, qui nous suit, nous précède et qui nous accompagne,

    Le temps,

    Si rassurant,

    Le temps menace, un jour, à un moment, dans un certain espace,

    De ne plus être.

    Plus de souffle dansant sur la beauté du monde.

    Je, soudainement, chavire

    Tandis que le lombric jouit de la vie qui le dévore.

    Un toussotement cru écorche le silence. Eve tressaille.

    –Je vous ai dérangée ! Vous sembliez si absorbée

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