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Le Spleen de Tokyo
Le Spleen de Tokyo
Le Spleen de Tokyo
Livre électronique232 pages3 heures

Le Spleen de Tokyo

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À propos de ce livre électronique

Compilation de textes en prose poétique, mélangeant allègrement les registres et remixant des thématiques liés au Japon :

- On dirait du chinois (un homme amnésique se réveille dans une forêt étrange)
- Filoména (un père retrouve sa fille qui a été kidnappée pendant des années)
- Filmographie (satire d'une carriériste de la nudité)
- Tanaka (vignettes sur la culture japonaise)
- La fin du luxe (tentative poétique de sonder la prostitution adolescente)
- Les téléportations de Giorno (pouvoir se téléporter mais ne pas savoir en contrôler les effets)
- L’étoile manquante (la rencontre de deux personnages improbables)
- Radiocène (trois monologues sur les conséquences de Fukushima)
- Sex Screen Sport (le quotidien au Japon vu par un esprit dérangé)
- Rituels malades (flashs surréalistes)
- Petites manières (textes courts plus classiques)

LangueFrançais
Date de sortie25 août 2017
ISBN9781370828067
Le Spleen de Tokyo
Auteur

Serge Cassini

Serge Cassini habite à Tokyo avec sa famille. Il n’a toujours pas été kidnappé par des extraterrestres, ce qui le réjouit et l’attriste à égalité. En attendant, il raconte des histoires bizarres pour le plaisir de tous.

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    Aperçu du livre

    Le Spleen de Tokyo - Serge Cassini

    On dirait du Chinois

    Quand je rentre à la maison, je suis tellement fait que je me couche sur mon fils, croyant que c’est mon lit J’y vais de tout mon poids et de toute ma fatigue, les os de mon fils craquent. Il se réveille, je lui dit : c’est un mauvais rêve J’ai envie de lui dire que je suis le docteur Maboul Pour rire La vie est un mauvais rêve, tu dois apprendre à faire des rêves lucides. Tiens, et je pose le petit gâteau d’anniversaire que j’ai acheté à côté de son lit Un ridicule petit gâteau au chocolat. Genre Forêt Noire J’ai rêvé que mon fils entrait dans ma chambre. Il avait un énorme instrument de chirurgie dans la main. Il commençait à palper mon torse. Je me suis réveillé Mon fils n’avait pas bougé, il était dans son salon, au-dessus de son carton de jeu. Attendant que je continue à rêver. Il paraît qu’on peut se réveiller dans d’autres rêves, sans s’en rendre compte. J’écris dans mon carnet : ne pas s’endormir. Je pense à la vie du patient du docteur Maboul La belle vie.

    Je regarde ma montre. On dirait qu’il est midi mais il est sept heures.J’ai soif.Est-ce qu’il ya eu untremblement de terre ? Ma jambe me fait mal. Il ne me reste que mes rêves et mes délires. Cette forêt a recouvert mon passé. Je sais que je suis allé dans un club. Il y avait une jolie Japonaise. Mais j’ai aussi fait un rêve. Est-ce qu’on peut rafistoler quelque chose de sa vie, avec un rêve ? Tous les scénarios me passent par la tête. Kidnapping. Fugue. Rave-party foireuse. J’ai même pensé qu’un Canadair m’avait pêché en pleine mer et largué dans cette épaisse forêt. Une mauvaise cuite suivie d’un trou noir. J’écris dans mon esprit tous les romans possibles. J’ai faim. Je vais mourir de faim. Dans le rêve que j’ai fait, je n’étais pas seul. Mon rêve s’estompe déjà mais il y avait une odeur d’encens ou de cigarette. Mon passé s’est retiré et cette forêt a une présence impudique. J’ai léché les feuilles qui se trouvaient autour de moi pour en boire la rosée. Il faut bouger. La douleur à ma jambe est atroce. Un peu plus tôt, les broussailles ont bougées. Un chien en est sorti. Un chien sauvage, tremblant et malingre. Il s’est approché, je lui ai tendu la main. J’étais bien décidé à l’amadouer pour le dévorer. Puis il a disparu. Comme dans un rêve, je me suis demandé comment on tue un chien. J’ai réussi à me relever, ma douleur à la jambe me donnait le vertige. J’ai fait quelques pas. Boire la rosée et penser à sortir de là. J’ai voulu crier mais je n’avais plus de voix. Cela m’a fait frissonné. Le soleil perce difficilement dans cette forêt. La nuit doit être lugubre et froide. Je me suis traîné avec cette idée que la forêt finissait bien quelque part. Je me suis traîné pitoyablement pendant deux heures. Puis je me suis effondré et j’ai dû m’endormir.

    Mon fils est comme la page d’un livre que l’on quitte des yeux un instant. En y revenant, elle n’est plus la même, plus jamais. La mère de mon fils est une femme que j’ai déjà rencontrée. Dans les rêves, les questions ont toujours des réponses. J’écris dans mon carnet : ne pas croire au premier amour. Je suis allé dans la chambre de mon fils et j’ai dit : tu dois arrêter de torturer ce patient. Tu dois parler à ton père. On a tapé à la porte. Un homme qui ressemble à mon voisin est entré Nous nous empoignons gentiment. Nous rions et nous nous empoignons sur le lit de mon fils. Mon voisin a mis le pied sur le gâteau. Genre Forêt Noire Nous étions tous gênés. Je voyais ce jour-là dans le regard de la mère de mon fils qu’elle voulait ma mort. Je n’ai rien dit Je n’ai pas dit que j’étais immortel. J’étais serein. Je m’amusais Je suis aux commandes. Cause toujours, ai- je pensé. Cause toujours. Tu es dans mon rêve, madame Maboul.

    Au réveil, j’ai vu le court de tennis. Au milieu, le filet affaissé ressemble à des algues. Sans réfléchir, je me suis traîné. C’était un vieux court de tennis. Sa surface avait pris des teintes rouille et une végétation dense avait envahi son centre. J’ai essayé de me rappeler mon rêve. Je voulais comprendre ce qui s’était passé avant mon trou noir. Nous étions trois ou quatre dans le taxi. Nous parlions laborieusement. Nous parlions comme des ivrognes. Le taxi avait une sale odeur de cigarette. J’ai revu aussi cette jolie Japonaise du club. Elle était dans le taxi. Dans mon rêve, j’essayais de lui dire que je voulais lui faire l’amour mais je ne trouvais pas mes mots. J’ai mis ma main sur son épaule, elle s’est retournée et j’ai poussé un cri. Son visage était défiguré, son visage n’était que bouillie de chair et d’os. Et cette matière répugnante s’agitait avec un bruit horrible. J’ai voulu sortir du taxi. Le chauffeur et les autres passagers m’ont regardé comme des parents grondent sans mot leur enfant. J’ai sauté du taxi et j’ai vu la voiture qui continuait avec les silhouettes immobiles à l’intérieur La peur m’a réveillé.

    On se réveille dans d’autres rêves Une femme avec une bouche dure et des lèvres violettes Une femme avec une bouche aigre, froide comme un rendez-vous. J’écris dans mon carnet : aller chez cette femme et se réveiller nu dans une baignoire vide. Mon fils et sa mère appartiennent à la même phrase d’un livre : Des insectes n’ayant plus d’estomac continuent à manger. Il n’y a jamais de point mort dans le rêve lucide. Des angles, oui. Je lui ai appris à faire des rêves, à cette femme Comme elle n’est pas bête, elle me dit que dans les rêves lucides elle fait toujours des petits boulots humiliants « Tous ces gens qui ont une double vie sans en avoir aucune. » Je lui explique : faire des rêves lucides c’est comme être RMIste et confectionner dans son garage des livres en vingt exemplaires pour des amis Les personnages dans les rêves lucides ont une liberté étrange qui dépend de moi, me suis-je dit en regardant mon fils dans le salon.

    Il paraît qu’un écureuil qui est né dans une cage rêve tout de même qu’il cueille et entrepose les noisettes qu’il n’a jamais vues. Des rires voletaient autour de moi. Dans le club. Dans mon esprit. Je ne sais pas quelles noisettes j’entrepose dans mes rêves, mais je sens comme un danger à vouloir savoir ce qui s’est passé. Ne peut- on pas vivre en aillant oublié une cuite entre amis ? Je vais sortir de cette forêt et je vais embrasser la première personne que je vais rencontrer. Mais avant, il faut que je dorme.

    L’important avec le rêve lucide, quand on est perdu, c’est de ne pas trop penser aux conséquences. Mon fils, dans le salon, a le visage parsemé de points d’ombre. Ce ne sont pas vraiment des grains de beauté. Puisque les points bougent. Il y a donc, dans les rêves lucides, une source de lumière et du feuillage qui s’agite. On découvre tous les jours de nouveaux insectes. J’écris dans mon carnet : solitude du pionnier. Lorsqu’on est dans un pays étranger, on se met à parler tout seul. Dans le rêve lucide, c’est le contraire. S’amuser à provoquer ses facultés d’adaptation dans les rêves lucides. À rebours des assassins d’Alamut Dans mon rêve lucide, je suis né pendant un tremblement de terre. J’ai voyagé dans le monde : Iran, Japon, Californie. Pour retrouver, ne serait-ce qu’un instant, ce doux craquement de la terre Je cherchais les catastrophes. D’abord naturelles, par principe. Je cherchais les ondes de Love. En tout cas, mon premier tremblement de terre avait une odeur de menthe.

    J’ai ouvert les yeux. Il faisait déjà nuit. J’entendais les bruits de la forêt. Mais la forêt était devenue une ombre Le court de tennis sous les rayons de la lune était bleuté. J’ai entendu des bruits de pas sur les branches mortes. Je me suis retourné et j’ai dit : « Là, s’il vous plaît, j’ai la jambe cassé. » On ne me répondait pas. On approchait. D’autres personnes sortaient de la forêt. J’entendais d’autres pas sur les branches mortes. Un homme dont je ne distinguais pas le visage s’avançait. J’ai dit : « J’ai faim. S’il vous plaît. » L’homme ne répondait pas. J’ai commencé à avoir peur. J’ai essayé de me traîner au centre du court de tennis. Des gens entouraient le court de tennis. Je distinguais des silhouettes d’enfants et de femmes. Immobiles. Je ne pouvais articuler un seul mot. J’ai essayé : « Vous voulez faire un match ? Ça fait longtemps que je n’ai pas joué. » J’entendais les frémissements de la forêt. Je voyais tous ces gens immobiles et silencieux autour du court et j’étais mort de peur. Je me suis dit : « Ils ne peuvent pas s’avancer sur le court, je suis en sécurité. » Je tremblais. Ils allaient sauter sur moi,et je ne pouvais pas distinguer les bouches qui allaient me dévorer. J’ai fermé les yeux.

    Peut-être n’y a-t-il pas tant de raisons que ça de se retrouver dans ce rêve Dans ma situation, est-ce que ne s’attacher à rien a encore un sens ? On confond souvent le flou Cette liberté de l’enfance lorsqu’on court dans une forêt Même si c’est la peur qui nous poursuit. Hier, mon voisin était devant la maison Il portait des bas en filet de pêche et un petit manteau en peau de bête. Il avait un petit gâteau au chocolat dans les mains. On dit dans le quartier que mon voisin passe son temps à étudier la vie des chats écrasés Il a confectionné un petit livre dans son garage. En vingt exemplaires. Sur les pages de droite du livre, il y a des photos de chats écrasés Sur les pages de gauche, les biographies de ces chats Ces points d’ombre sur le visage de mon fils dans le salon, n’est-ce pas la marque d’une frondaison entre le rêve et la réalité ? Les papillons vivent le temps de prendre une décision. Ils ont leur propre rêve lucide C’est surtout l’imposteur que je poursuis. Celui qui se fait passer pour moi. J’attends le bon moment pour le démasquer. Je laisse faire.

    Il est midi. J’ai encore rêvé. Ma montre marque sept heures mais il doit être midi. Le soleil perce difficilement dans cette forêt. Même en rêve, je cherche mes mots. La faim et la douleur pour seules compagnes. J’ai dû consommer une substance illicite dans ce club. C’est peut-être cette substance qui m’a rendu partiellement amnésique. Le soleil perce la forêt et fait un rond de lumière de taille d’une balle de tennis. Il paraît que les satellites espions peuvent voir une balle de tennis posée sur la table de votre cuisine. Je vois soudain dans ma tête une image satellite, je zoome, je me rapproche de la surface de la Terre, une tache noire, je zoome sur la forêt et c’est un rectangle gris et plus loin encore je vois un corps au centre du court de tennis. Immobile. J’ai les yeux grands ouverts. Je fais signe vers le ciel. Quelqu’un de la NSA ou un internaute préviendra ma famille : tout va bien. Ce sera la plus belle cuite de ma vie. Je ris et je tends mon majeur vers le ciel.

    Les femmes dans les rêves lucides sont moins belles que dans les revues. Elles sont moins cochonnes Elles sont sur le tarmac Elles manifestent En silence Si vous les aborder, l’une d’entre elle dit : « Pourquoi monsieur Hire est imbattable au bowling ? » Vous pensez à votre fils. « Parce qu’il en avait marre de toujours devoir prendre sa revanche. » Le jour où un astronaute rêve qu’il vole dans l’espace, il est temps pour lui de prendre sa retraite. Dans les rêves lucides, on comprend une chose : il est toujours plus beau de cacher sa tristesse Mais on ne comprend que ça. La mère de mon fils dans le salon, devant la télévision qu’elle a louée. Le fond doit être sain peu importe la tricherie Mon fils, j’aimerais l’aider. J’ai acheté un nouveau gâteau. Genre Forêt Noire Maintenant il y a deux gâteaux à côté de son lit. Un nouveau et un tout écrasé J’ai dit à mon fils il n’y a pas de cycle des morts et des renaissances, pas de Nirvana, sois une personne ordinaire sans rien à accomplir. C’est l’heure de sortir le chien Même dans les rêves lucides.

    Ça arrive ces choses. Plus qu’on ne le pense. Ça arrive Comme une comptine. D’on ne sait où J’ai regardé par la fenêtre du salon et j’ai vue l’autre docteur Maboul perché dans un arbre. On a tapé à la porte. Mon voisin entre et me montre un objet. Un étui pénien. Je lui dis : c’est finalement l’antithèse de l’exhibitionnisme classique. Nous dansons Tout a une odeur religieuse dans les rêves lucides. « Nous sommes tous des jeunes filles à stimuler », dit mon voisin. Tout participe de la même haine de l’illusion. Mon fils, dans le salon, penché sur son carton de jeu. Un sentiment parmi d’autres. Combien de livres qui n’existent pas ai- je lu dans mes rêves lucides ? « Si tu continues à vivre c’est que rien n’est anodin. » Tu vis comme quelqu’un qui est flou sur une photo d’enfance parce qu’il croit qu’il a bougé. Cette liberté de l’enfance lorsqu’on court dans une forêt même si c’est la peur qui nous poursuit.

    Quelle heure est-il ? Il faut, avant de m’endormir encore, que je me rappelle dans les moindres détails ce que j’ai fait avant de sombrer. Avant les longues jambes de la jolie Japonaise. Avant les rires autour de moi. Il faut, pour comprendre, que je me traîne là-bas, dans les souvenirs du club. Avant de sombrer, je les vois, les corps. Un rêve ? Comme une balle dans la tête. Et je vois une pancarte, on dirait du chinois :

    命は両親から頂いた大切なもの もう一度静かに両親や兄弟子供 の事を考えてみましょう 一人で悩まず相談して下さい.

    Filoména

    I Dialogue

    I felt the only way to stay alive was to stay in the room.

    Il me demande : combien d’ennemis faut-il pour faire une âme ?

    Est-ce que Filoména est un nom de fleur ? L’eau monte. Reste ce que le monde a de plus désert en nous.

    Solanum. Quand bien même on apprendrait de sa bouche ou de la mienne qu’il y a eu viol et mutilation et cannibalisme et amour.

    Sa mère n’a pas baissé les yeux lorsque je suis allé la voir.

    Il y a autant de façon d’aimer que de fleurs.

    Je sais ce que c’est que d’être foudroyé. J’ai été foudroyé par le retour de cette fille qui me ressemble de plus en plus.

    Sa grosse tête luisait comme une grosse pierre à côté de la télé.

    Les gens sont dans le jardin. Autour de Filoména. Ils ont un étrange culte autour de Filoména. Un culte de mépris et de silence.

    Ne plus être concerné par le monde c’est se perdre de vue. Mais perdre de vue le monde ?

    Pourquoi suis-je incapable de penser que Filoména a vécu une seule seconde de bonheur au cours de ces neuf ans et deux mois ?

    Je suis assise à une grande table très lourde, seule, j’ai neuf ans. Mon père est parti avec une danseuse brésilienne. Ma mère nage dans la piscine. Ma sœur s’est encore enfuie.

    Filoména est née pendant le Carnaval de Dolceaqua.

    Mon père est parti avec une danseuse brésilienne lorsque j’avais neuf ans. Mais il m’a laissé sa chambre qu’il avait achetée en travaillant comme un forçat.

    Perdre neuf ans et deux mois de ma vie n’est rien pour moi. C’est comme un mauvais rêve. Mais alors dans ce mauvais rêve que faire des souffrances de ma fille ?

    Je ne rêve jamais aux fleurs. Je photographie les fleurs parce je ne veux pas de fleurs animées. Je ne veux pas de brise sur les fleurs.

    Je me prends à douter de l’expéditeur de cette carte postale de Lençóis. Il n’y a rien d’écrit sur la carte postale. Pourquoi ma fille m’aurait envoyé une carte postale de Lençóis sans écrire un mot ? Est-ce qu’il y a une boîte aux lettres à Lençóis ?

    Un jour viendra où tout le monde parlera le langage des fleurs. Est-ce que ce sera un jour de guerre ?

    Dans la chambre plusieurs concepts se brisent. La porte de la chambre n’était pas fermée. Je ne lui ai pas dit que la porte de la chambre n’était pas fermée. L’intrigue : Une fleur coupée continue-t-elle à savoir vivre ?

    Les vêtements des garçons sont confortables. On portait les mêmes vêtements. Il me coupait les cheveux. Sa mère devait lui couper les siens. Un jour, c’était trois ans après le jour du sang sur mes cuisses, il m’a donné des vêtements de filles. Des sous-vêtements. C’était son premier cadeau. J’étais contente.

    Pour les gens, le silence de Filoména est étrange. Ils pensent que son silence est un mensonge. Pourquoi le malheur nous paraît si brillant ? Parce qu’il est la vérité. Et l’on sait que l’on ment en le vivant. Les gens ne veulent pas admettre le degré d’irréalité que Filoména leur présente.

    Aujourd’hui je suis avec les fleurs. Avant c’était l’œil sur la télé. Pendant qu’il me battait je regardais les dessins animés à la télé par-dessus son épaule. Il y avait des livres sur les fleurs dans sa bibliothèque. Et je pleurais parfois. Silence, c’est la règle. Dans les dessins animés les personnages se relèvent toujours.

    Le 28 janvier 2000 à Montréal, le premier accord sur les produits agricoles génétiquement modifiés est signé. Les exportateurs sont tenus d’indiquer sur leurs produits la mention : Susceptible de contenir des organismes vivants modifiés. Je crois que nous sommes les fantômes de ce qui lui est arrivé.

    Pour nettoyer ses lunettes il les léchait. Parfois il avait l’air d’un chat jouant avec une ombre. Electrifié par son jeu. Electrifié par mes seins qu’il n’osait regarder. Un jour on a tapé à la porte. Doucement. Je n’ai pas osé répondre. Il faut apprendre à écouter les fleurs sans les écouter. C’est son conseil à lui.

    Monet était à Dolceacqua lors du séisme de 1887. Le ponte vecchio qu’il peignait a été détruit. On l’a reconstruit mais on ne peut pas dire que c’est le même que celui qui est sur le tableau de Monet. Celui du tableau est plus proche de l’original, plus vrai. Le pont que l’on empreinte aujourd’hui, comparé à celui du tableau, a quelque chose de monstrueux.

    On n’a pas parlé souvent de moi à la télé. J’ai pensé pendant neuf ans et deux mois que c’était un mauvais rêve. Les filles sont jolies à la télé. J’utilisais le poing électrique pendant les pubs. J’utilisais le poing électrique sur mon bras et sur ma cuisse. Les pubs ne m’intéressaient pas. Les dessins animés c’était toujours bien. Ne pas oublier d’enregistrer les courses de chevaux. Ne pas oublier, c’est la règle. Je connais la date et l’heure, à chaque minute, et cela ne sert à rien.

    Pendant neuf ans et deux mois je n’ai pas connu son nom. Maintenant il a un visage (les journaux), une voix (le procès), une odeur (ma haine), et un nom, un seul : Celui qui n’a jamais enlevé ma fille et qui ne me l’a jamais rendue. Tuer, mourir ne serait rien. Vivre comme si l’on devait se résoudre à oublier ce que d’autres ont vécu.

    Pendant neuf ans et deux mois j’ai regardé la télé. Je connais tout le monde à la télé. Je n’ai plus besoin de regarder la télé. Je regarde les fleurs.

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