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La danse du temps 2 : L'intrépide
La danse du temps 2 : L'intrépide
La danse du temps 2 : L'intrépide
Livre électronique402 pages5 heures

La danse du temps 2 : L'intrépide

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À propos de ce livre électronique

France, Québécoise du XXIe siècle et Mariana, Andalouse du XVIIe siècle sont deux femmes qui n'ont pas froid aux yeux. Elles savent ce qu'elles veulent et nous feront vivre une histoire pleine de rebondissements, en se rendant au bout de leurs rêves et ce, malgré les difficultés.Le destin sépare Mariana et Paco le Gitan, son amoureux. De son côté, France retrouve Calixto, son amour de jeunesse. Comment ces quatre vies sont-elles imbriquées l'une dans l'autre? À quoi devront faire face France et Calixto pour aider à réunir Mariana et Paco? Ils seront entraînés dans une suite d'aventures invraisemblables dormit le but est de sauver Mariana de la mort et de la ramener saine et sauve vers Paco.Réussiront-ils cet exploit alors que des centaines d'années les séparent du jeune couple?La danse du temps, c'est le récit d'une histoire d'amour passionnante, vibrante d'émotions, dans un rythme soutenu, pimenté d'ésotérisme. Est-il possible de s'affranchir d'un karma vieux de 350 ans? C'est ce que vous découvrirez tout au long de cette lecture.
LangueFrançais
ÉditeurClermont
Date de sortie6 août 2013
ISBN9782923899107
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    Aperçu du livre

    La danse du temps 2 - Solice Lila

    Éditeur :

    Clermont Éditeur

    230 Elizabeth, Rosemère (Québec) Canada J7A 2L4

    Téléphone : 514 802-7710

    Courriel : info@clermontediteur.ca

    www.clermontediteur.ca

    Dépôt légal : 3e trimestre 2013

    Bibliothèque nationale du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Distribué au Canada par Distribution Prologue

    www.prologue.ca

    ISBN : 978-2-923899-10-7

    Photo de l’auteur : Bertrand Thibeault ©

    Photo couverture : Photographed by Milton H Greene ©2011 Joshua Greene

    www.archiveimages.com

    The Marilyn Monroe photograph by Milton H. Greene and is previously registered with the Library of Congress and are protected by United States copyright laws, international treaty provisions and other applicable laws. It not part of the Copyrights the publisher has within the registration of this book. All rights are reserved by Joshua Greene. They require separate written permission to be reproduced by any other publisher. Contact The Archives, LLC, 2610 Kingwood Street Suite #3, Florence, Oregon 97439 T # 541-997-5331

    www.archiveimages.com

    office-mgr@archiveimages.com

    Conception et mise en page : Temiscom, temiscom.com

    Conversion au format ePub : Studio C1C4

    © Clermont Éditeur 2013

    Toute reproduction de quelque nature que ce soit est interdite sans le consentement écrit de l’auteur et de l’éditeur.

    Lila Solice

    LA DANSE DU TEMPS

    L'intrépide**

    À la mémoire de mes parents, Marie et Jean. Mon père m’a appris l’amour de ma langue et ma mère y a ajouté une note musicale.

    Vint un temps où le risque de rester à l’étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d’éclore.

    Anaïs Nin

    Ce roman ne serait pas ce qu’il est sans la participation de mes lectrices, Denise Chalifoux, Michèle Lebrun et Marina Paquet. Merci à vous trois de m’avoir si bien conseillée. Merci aussi à mon nouvel éditeur, Denis Clermont, pour avoir cru en moi et avoir respecté mon écriture. Tout auteur rêve d’un contexte aussi prévenant et courtois.

    1

    Andalousie, février 1640.

    Un cri vigoureux transperça la pièce sombre. Malgré la fraîcheur des lieux, Mariana Moreno-Estrella, dégoulinait de sueur. Sa chemise de lin lui collait à la peau, sa chevelure abondante pendait de chaque côté de son visage, et ses doigts fins étaient cramponnés aux draps rêches du lit. Quelques chandelles brûlaient sur la table de chevet, leurs flammes vacillant dans l’obscurité de la nuit. Deux nonnes s’affairaient autour d’elle mais elle ne les voyait plus ; toute son attention était portée vers ce cri, celui du bébé qu’elle était en train de mettre au monde.

    Depuis un peu moins de neuf mois, Mariana portait le bébé de Paco, conçu sans doute lors de leur nuit de noces. Cette nuit merveilleuse où l’amour du corps avait fusionné avec l’amour du cœur, dans l’extase la plus totale.

    Paco lui manquait tellement !

    Mais cette nuit, elle se devait entièrement à ce bébé qui n’attendait plus qu’un dernier effort de sa part.

    Dans une ultime poussée, le petit corps glissa hors de celui de sa mère.

    — C’est une fille ! annonça la plus jeune des religieuses en prenant le bébé pendant que sa consœur supérieure coupait le cordon.

    Mariana retrouva d’un seul coup cette ardeur féroce qui la caractérisait depuis son enfance.

    — Donnez-la-moi !

    La jeune nonne, sœur Cecilia de la Trinidad, demanda, d’un regard, la permission à sa directrice.

    — D’accord, sœur Cecilia, passez-la-lui, répondit la vieille sœur avant de se tourner vers Mariana.

    Puis, se tournant vers la jeune mère, elle ajouta d’un ton sec :

    — Ne vous attachez pas, sœur Mariana, elle sera placée dans une crèche dès ce soir ! Vous savez qu’une religieuse ne peut en aucun cas garder un enfant.

    Mariana s’agrippa à son bébé. On lui avait déjà tellement pris, on ne pouvait pas lui arracher sa fille ! Le nez dans le cou du bébé, elle s’efforça de calmer sa respiration et les tremblements de ses mains pour ne pas l’effrayer. Avec un regard de complicité, les sœurs sortirent de la chambre et Mariana eut enfin le loisir d’admirer son enfant. Ce visage si menu, ces yeux dans lesquels elle revit Paco, ce petit nez fin, héritage de Paco également, et cette bouche aux lèvres pleines, comme la sienne. Elle y déposa de délicats baisers puis, avec des gestes d’une grande tendresse, elle ouvrit un pan de la couverture pour en sortir les bras du nourrisson et compter un à un ses doigts.

    Dix. Ils y étaient tous.

    Et dix orteils. Son bébé était parfait. Parfait !

    Elle ramena sur son cœur sa fille pour la serrer très fort et un sanglot lui noua la gorge. Nooooon ! On ne pouvait pas la lui enlever. Elle n’y survivrait pas ! Elle la serra si fort que, comme si elle sentait l’angoisse de sa mère, la petite se mit à pleurer. Aussitôt, Mariana souleva sa chemise de nuit, et présenta un sein au bébé qui, d’instinct, referma sa bouche sur le mamelon de sa mère. Ses hoquets s’espacèrent, et elle se mit à téter avidement.

    — Voilà… c’est mieux. Je te nomme Carmen. Comme la jeune sœur de Paco qui pleurait tellement son départ. Je ne sais pas quel nom ton papa aurait voulu te donner, mais je crois bien qu’il aurait été d’accord.

    Mariana éclata en sanglots. Qu’était-il arrivé à Paco ? Qu’arriverait-t-il de sa fille ?

    — Te souviendras-tu du son de ma voix ? Moi, je me souviendrai de chaque parcelle de toi. Jamais, tu m’entends ? Jamais je n’oublierai à quoi tu ressembles ! Je te jure que je n’aurai de cesse de te retrouver, où que tu sois. Je te le promets !

    La gorge de Mariana se contracta. Mon Dieu, faites que ma fille ne soit pas adoptée. Si elle reste à la crèche, je retrouverai plus facilement sa trace.

    Carmen finit par s’endormir et Mariana se mit à la bercer en chantonnant les airs que sa mère lui avait chantés dans son enfance.

    Au même moment, on cogna à la porte.

    — C’est l’heure de vous séparer du bébé, sœur Mariana, décréta la sœur supérieure en entrant dans la chambre.

    Mariana s’accrocha désespérément à son bébé en sachant que la partie était perdue d’avance. Elle le savait depuis longtemps, mais n’avait jamais voulu faire face à cette réalité trop dure à supporter.

    — Non, pas déjà ! Carmen ! Vous ne pouvez pas me l’enlever !

    La sœur s’avança vers le lit et ôta fermement le bébé des bras de sa mère. Mariana, en voulant la retenir, tira sur la couverture qui enveloppait la petite Carmen. Elle vit alors une tache sur l’épaule de sa fille. Une tache de naissance… de la forme d’un grand oiseau mythique qu’elle avait découvert grâce à l’un de ses précepteurs : un phénix.

    * * *

    Dès qu’on lui eut ravi sa fille, on enferma à nouveau Mariana. Elle frappa dans la porte jusqu’à ce que ses poings saignent, planta ses ongles dans le bois jusqu’à ce qu’ils se cassent, et hurla jusqu’à en perdre la voix…

    Puis, ce fut le noir total.

    Comme si le néant avait pris possession de son existence.

    * * *

    Elle se réveilla en se débattant, les bras pris dans des sangles qui la retenaient au lit. Son corps fiévreux tremblait violemment.

    Dans son délire, Mariana avait revu la diseuse de bonne aventure gitane lui prédisant des épreuves difficiles. Elle l’avait prévenue qu’elle devait absolument garder la foi pour y survivre. Mais voilà ! Depuis qu’on lui avait enlevé son bébé, le fruit de son amour avec Paco, son grand amour, la vie n’avait plus aucun sens. Sans Paco, sans Carmen, pourquoi continuer à vivre ?

    Malgré tout, au fil des semaines, combattue par les herbes et l’attention bienveillante de sœur Cécilia de la Trinité, sa fièvre finit par s’apaiser pour faire place à l’indolence. La jeune nonne avait peut-être empêché Mariana de mourir, mais la mort de l’âme, elle, ne se guérit pas.

    2

    Aux gémissements de son protégé, Zara accourut et passa sur son visage une serviette humide.

    — Là, là, Paco. Calme-toi, mon enfant… tout va bien. Tu faisais un mauvais rêve.

    Paco, les traits tendus, était bien loin du jeune homme qui avait épousé Mariana, un an plus tôt. À cause du statut d’étrangère de la jeune épouse, les jeunes mariés avaient enfreint toutes les lois des clans et des classes sociales. Ils en payaient maintenant le prix. Quelle tristesse ! L’amour ne devrait pourtant avoir aucune limite.

    Tout en passant délicatement le linge frais sur le visage de Paco, dans son cou et sur ses bras, elle continua à parler doucement, jusqu’à le sentir s’apaisé.

    À peine Zara avait-elle quitté son chevet, Paco, fiévreux, replongea en plein cauchemar.

    * * *

    Des images effroyables hantaient le délire de Paco. Des souvenirs du pire jour de sa vie.

    Réveillé en sursaut par une douleur fulgurante Paco avait eu tout juste le temps de voir Basilio penché sur lui avant de recevoir un second coup de couteau. Mariana avait alors voulu s’interposer, mais Paco l’avait repoussée juste à temps. Un autre coup de poignard lui avait transpercé les côtes. Il avait perdu conscience et n’avait ouvert les yeux qu’à la levée du jour. Malgré sa vue embrouillée, les contours d’un navire accosté au quai s’étaient dessinés devant lui. Aussitôt, le souvenir de l’attaque lui était revenu en mémoire.

    — Mariana ! ! !

    Sentant que seul un filet de voix traversait ses lèvres sèches, il s’était mis à genoux, avait essayé de se relever, mais était lourdement retombé au sol. Il saignait abondamment, mais peu lui importait.

    Il devait immédiatement partir à la recherche de sa femme. Il n’avait pas une minute à perdre !

    Déterminé à retrouver Mariana, Paco s’était dirigé vers la forêt, où son cheval, miraculeusement, l’attendait, attaché à un arbre. Certain d’avoir tué son ennemi, Basilio n’avait pas pris la peine de le libérer. Par contre, la monture de sa bien-aimée n’y était plus. Pourquoi ? Parce que Basilio avait ramené Mariana avec lui, bien sûr !

    Il avait immédiatement voulu partir à la recherche de son épouse, mais son corps meurtri refusait de coopérer. Il s’était rendu tant bien que mal jusqu’à Sol, son étalon, l’avait détaché, s’était agrippé à une des jambes du cheval pour se relever et avait réussi, par un miracle de volonté, à se hisser sur son dos. Son intention était de retourner aux Stes-Maries-de-la-Mer pour chercher de l’aide.

    On dit chez les Gitans que les chevaux savent toujours reconnaître le chemin pour rentrer chez eux et Paco en eut la preuve ce jour-là. Incapable de diriger sa monture, il n’avait plus que la force nécessaire pour rester accroché à son cou.

    Enfin, à demi conscient, il s’était laissé transporter jusque chez Zara, la guérisseuse, puis s’était évanoui pour de bon.

    À son arrivée, Zara avait examiné le jeune homme. Deux de ses plaies pouvaient être guéries avec des cataplasmes d’herbes. Il suffisait de contrer l’inflammation et de faire tomber la fièvre. Pour elle qui connaissait si bien les plantes, ce serait un jeu d’enfant. La troisième blessure, par contre, s’avérait beaucoup plus grave. Les bulles d’air dans le sang qui s’en écoulait et la respiration difficile de Paco lui indiquaient que le poumon gauche avait été perforé. Sa médecine ne suffirait pas ! D’un pas rapide elle était allée chercher la femme sage du clan, Félicia la Phuri Daï.

    — Ce garçon aura de la chance s’il s’en sort, Zara… même en comptant sur ma magie. Continue de t’en occuper, moi je vais entrer en contact avec Sainte Sara-la-Kali et lui demander son aide. Nous devons aussi retrouver la trace de son épouse. Quelque chose de très grave s’est passé… Ceux que Mariana fuyait ont dû la retrouver. Cette femme, de par ses choix et son mariage, appartient désormais à notre peuple. Si elle est encore en vie, ce que je pressens, elle doit nous revenir.

    * * *

    En sortant de la tente où elle s’occupait des malades, Zara ne fut pas surprise de voir le clan de Paco installer son campement. On était en mai, et tous les clans se réunissaient aux Saintes-Maries-de-la-Mer pour leur fête annuelle. Elle s’efforça à respirer calmement et essaya de trouver les mots justes pour apprendre aux parents l’état de leur fils ainé.

    En voyant approcher Zara de leur roulotte, Esméralda, la sœur de Paco, la salua avec le respect qui lui était dû. Elle appela ensuite sa mère, occupée à l’intérieur.

    Zara nota les changements évidents sur le corps de cette jeune fille qui serait bientôt prête à marier : elle devait bien avoir dans les seize ans avec ses seins ronds, ses hanches plus larges que l’année précédente, et même son regard plus sérieux, digne d’une nouvelle maturité. Zara se prit à souhaiter de tout cœur qu’Esméralda s’éprenne d’un jeune homme de leur sang, un Rom. La vie lui serait tellement plus facile !

    J’espère que l’exemple de son frère ainé l’incitera à rester parmi les siens.

    Mercedes descendit les trois marches de sa verdine et s’inclina devant Zara.

    — Que me vaut ta visite, Drabarni¹ ?

    Zara se tourna vers Esméralda.

    — Tu peux t’occuper de ton frère ? Je dois parler à ta mère.

    Elle posa son regard sur Mercedes.

    — Va chercher ton homme et suivez-moi tous les deux.

    Consternés, Mercedes et Émilio ne pouvaient quitter des yeux leur fils étendu sur une paillasse, délirant dans son sommeil. La mère passait et repassait dans ses doigts les longues mèches de cheveux noirs de son premier-né. Ils étaient emmêlés et humides de transpiration. Dans son autre main, elle tenait celle de Paco, brûlante, frémissante.

    — Félicia et moi nous battons depuis onze mois pour le maintenir en vie. J’aimerais pouvoir vous affirmer qu’il va se rétablir, mais je vous mentirais. Son état s’améliore très peu.

    Mercedes s’exclama :

    — Mi Dios! Tout ceci ne serait pas arrivé s’il avait choisi l’une des nôtres !

    Zara hocha la tête.

    — Mais il a choisi Mariana. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à essayer de le sauver.

    3

    Tout au long de sa grossesse, Mariana s’était promenée dans l’immense jardin du couvent. Déambulant dans les allées de terre battue, elle s’était rendue à plusieurs reprises jusqu’à l’immense mur de pierres encerclant la propriété des sœurs dans l’espoir d’y découvrir une brèche pour s’évader.

    Elle n’avait formé aucun plan précis, mais elle savait qu’elle voulait à tout prix retrouver Paco.

    Toutefois, elle rentrait chaque jour de plus en plus accablée sans trouver le moyen de sortir de cette prison.

    Maintenant qu’elle avait aussi perdu leur enfant, Mariana passait de plus en plus de temps assise à la fontaine, à broder des vêtements de nourrisson que les sœurs donnaient aux familles pauvres, perdue dans ses pensées :

    Si j’avais su que j’étais enceinte au moment où mon père m’a retrouvée j’aurais accepté de marier cette crapule de Basilio, malgré mon union secrète avec Paco.

    J’aurais fait ce sacrifice pour pouvoir garder Carmen.

    Je ne sais pas comment j’aurais fait pour vivre avec ce monstre, pour supporter ses assauts sexuels. J’aurais toujours eu l’impression de trahir mon véritable mari, celui de l’amour. Au moins, ma petite fille près de moi. Basilio n’aurait jamais su qu’elle n’était pas de lui. J’aurais précieusement gardé ce secret. Et peut-être qu’un jour Paco…

    La seule évocation de Paco la bouleversait. Elle se rappelait leur première rencontre, alors qu’il dansait sur une estrade improvisée lors d’un séjour des Gitans à Séville. Son amour instantané pour lui. Son regard sombre et d’une telle intensité posé sur elle ! Ils s’étaient revus pendant trois ans à chacun des passages du cirque, puis s’étaient enfuis vers le royaume de France l’année précédente, suite aux fiançailles forcées de Mariana avec Basilio Crespo-Olivera, qu’elle détestait viscéralement.

    Elle frissonna. Un goût amer emplit sa bouche, comme à chaque fois que cet homme s’immisçait dans ses pensées. Comme à chaque fois aussi qu’elle se remémorait les mains dégoûtantes de Basilio sur son corps, sa façon de lui empoigner les seins, de fouiller sous sa jupe avant d’essayer de la pénétrer de ses doigts vigoureux. Elle frissonna de nouveau en songeant à ce qui aurait pu arriver si elle ne lui avait mordu l’épaule à pleines dents…

    Il lui avait alors lancé une gifle en plein visage.

    Rouge de colère, il lui avait crié qu’elle ne perdait rien pour attendre et qu’il la prendrait, de force s’il le fallait. Heureusement, la journée même, ils avaient rencontré son père qui suivait aussi la route du nord après la confession d’Alicia et qui les ramena tous les deux sous bonne garde jusqu’à Séville.

    Perdue dans ses souvenirs, elle fit un nœud dans son fil à broder et coupa l’excédent. Elle choisit une autre teinte, un jaune crème, pour agrémenter les fleurs d’un rose pâle qui décoraient déjà le haut de la robe sur laquelle elle travaillait. Elle enfila l’aiguille et reprit sa broderie tout en fulminant contre cet homme qui avait brisé sa vie et celle de Paco.

    Impossible pour elle de détester quelqu’un plus qu’elle détestait Basilio. Elle savait que si la haine pouvait tuer, il serait mort depuis longtemps.

    Ce diable ne méritait pas de vivre, alors que Paco…

    Distraite de son ouvrage de broderie, Mariana se piqua le doigt et regarda la goutte de sang grossir, puis couler sur sa jupe…

    Lors de la cérémonie de leur mariage, Paco et elle, conformément à la tradition gitane, avaient laissé couler leur sang chacun sur un morceau de pain qu’ils s’étaient ensuite échangé en formulant cet engagement :

    Je te donne ma vie.

    * * *

    Après les avoir poursuivis, puis retrouvés à Marseille la nuit avant leur départ pour le Nouveau-Monde, Basilio avait blessé ou pire, tué Paco, celui à qui elle avait donné sa vie.

    Il les avait pris par surprise alors qu’ils dormaient près du port, étroitement enlacés, à la veille de leur nouvelle vie et de leur nouvelle liberté.

    Dix mois, maintenant !

    Dix mois sans aucune nouvelle de Paco !

    Elle ne saurait jamais s’il vivait encore. Et lui ne saurait jamais qu’ils avaient conçu une magnifique petite fille prénommée Carmen qui avait ses yeux et son nez.

    Enfermée dans ce couvent de sœurs, elle n’avait même pas droit à la visite de Luisa, sa propre mère.

    Son père, Alvaro, lui avait donné le choix. Elle entendait encore ses paroles glaciales.

    « Ma fille, je te donne un dernier choix. Ou tu maries Basilio Crespo-Olivera, ou tu entres chez les sœurs. Décide maintenant ! »

    Sans savoir qu’un petit être grandissait en elle, elle avait choisi le couvent. Mais après, quand elle avait compris qu’elle portait l’enfant de Paco, il avait été trop tard pour revenir sur sa décision. Son père avait interdit formellement tout contact entre elle et les siens. Lui seul se rendait occasionnellement au couvent qu’il parrainait financièrement depuis de nombreuses années. Les religieuses lui obéissaient.

    * * *

    Avant de conduire sa fille au couvent, Alvaro lui avait ordonné de lui remettre le médaillon qu’elle portait au cou. Mariana, déjà bouleversée, avait accroché ses deux mains sur le médaillon en suppliant son père de lui permettre de garder ce cadeau de son amour. En vain. Jamais il ne l'aurait laissé chérir un souvenir de ce Gitan !

    Avec un rictus sarcastique, il avait longuement contemplé l’image du jeune homme insérée à l’intérieur du bijou.

    — Ainsi, la milice saura qui rechercher s’il a le culot de revenir dans la région.

    Alvaro ne cherchait pas à comprendre les émotions contradictoires qui luttaient en lui. L’insubordination de sa fille devait être punie. Point.

    Lorsqu’il apprit la grossesse de sa fille, quelques mois plus tard, il s’efforça de contenir sa fureur. Les doigts crispés sur le pommeau de son bâton de marche qu’il serrait rageusement, il prit à ce moment une profonde respiration et décréta d’un ton sec :

    — Vous enverrez ce bébé à l’orphelinat !

    * * *

    Mariana examina le motif de broderie qu’elle venait de terminer, plia délicatement la robe et la déposa dans son panier de fils. Elle ne pouvait plus rester assise à attendre le retour de Paco.

    Elle avait eu un regain d’espoir quand le cirque des Gitans était entré dans Séville une semaine plus tôt. Mais le temps passait sans lui ramener son mari.

    Elle décida donc qu’il était temps d’agir avant que sa belle-famille quitte la ville. Si Paco n’y était pas, sa famille savait peut-être où il se trouvait. Le lendemain, elle se cacherait dans la charrette d’un livreur et s’enfuirait. Elle se demanda pourquoi elle n’y avait pas pensé plus tôt et se rendit compte que sa douleur extrême l’avait engourdie. Elle devait maintenant se secouer !

    4

    Mariana déjeuna seule, comme souvent. Les deuils successifs avaient créé en elle une muraille impénétrable. Seules quelques religieuses, parmi les plus sensibles, avaient réussi à entrevoir son âme. Ce matin-là, Cécilia et Ramona, ses meilleures amies, remarquèrent le regard brillant mais lointain de leur consœur, et préférèrent la laisser seule.

    Déterminée à concrétiser son projet dans la journée, elle avait revêtu, en se levant, sa robe de voyage munie d’argent et de bijoux camouflés dans l’ourlet. Elle avait réuni ses cheveux en une longue natte qu’elle avait enroulée autour de sa tête avant de se couvrir d’un bonnet, puis avait chaussé sa meilleure paire de souliers en prévision d’une longue marche.

    Assise à la table la plus éloignée, elle dissimula dans ses grandes poches quelques quignons de pain ainsi qu’un morceau de fromage. Ensuite, elle partit à la recherche d’une gourde. Tous les voyageurs en possédaient une, mais les religieuses, qui sortaient rarement du couvent, n’en avaient pas besoin. Mariana réfléchit. La seule religieuse à sortir régulièrement pour les affaires de la communauté était la sœur directrice. Où rangeait-elle sa gourde ?

    L’endroit le plus facile à fouiller était sans conteste la cuisine. Elle attendit que les sœurs affectées aux repas et à la vaisselle finissent leur travail et se faufila silencieusement au travers des étagères couvertes de casseroles et d’ustensiles de toutes sortes, fouillant armoires et tiroirs. Elle devait faire vite avant que la religieuse en charge de la collation matinale ne revienne à ses fourneaux. Finalement, elle trouva.

    Eurêka !

    Elle glissa la gourde à sa ceinture et sortit de la cuisine. Après s’être assuré que personne ne la suivait, elle se rendit à la fontaine pour la remplir d’eau. Ironique, elle remercia le ciel qu’aucun évènement ne soit venu perturber son plan.

    Il ne lui restait plus qu’à guetter l’arrivée d’un marchand. Aujourd’hui, demain, après-demain… elle partirait, pour ne plus jamais revenir. Son attente dura toute la journée. Mariana, assise près de la fontaine à broder, commençait à perdre courage lorsque le marchand d’huile d’olive entra enfin dans l’enceinte de l’institution.

    Elle était prête ! Elle laissa son panier à broder sur le banc et s’approcha de l’endroit où l’homme avait immobilisé sa charrette. Elle le regarda décharger ses cruches et refermer la bâche, avant d’entrer dans le couvent pour se faire payer. Elle profita de ce moment pour s’introduire dans la carriole. Son cœur battait à tout rompre. Elle avait réussi ! Dans quelques instants, elle serait sur la route de la liberté, en chemin vers sa belle-famille. Elle sourit pour la première fois depuis la naissance de son enfant.

    Tapie sous la bâche, recroquevillée sur le plancher de bois, entre des jarres d’huile d’olive, Mariana entendit le marchand remonter sur son siège et donner un coup de fouet aux chevaux en s’écriant « Hue, mes jolies ! ». La charrette s’ébranla et ne prit de la vitesse qu’une fois les portes du couvent franchies.

    Mariana n’en revenait pas ! Son plan avait fonctionné !

    Un rire qu’elle s’efforça de garder silencieux éclata dans son cœur tel un feu d’artifice. Elle posa ses mains sur son cœur pour contenir toute cette ivresse de nouvelle liberté et d’espoirs les plus fous.

    Un rude cahot l’obligea à s’accrocher aux montants de la charrette et elle faillit gémir quand une douleur subite frappa sa main. Heureusement, son long périple vers le Royaume de France, lors de sa fuite avec Paco, l’avait endurcie et elle étouffa son cri. Une longue écharde de bois gris avait pénétré dans sa paume et Mariana se dit qu’elle devrait y voir rapidement avant que l’inflammation gagne sa main. Elle la secoua comme si, avec ce geste, elle pouvait extirper la douleur puis, comme sa mère le faisait quand elle était petite, elle y déposa un baiser. Tu verras, tout ira bien ! Réfléchis maintenant !

    La première partie de son plan fonctionnait à merveille, au-delà même de ses espérances. Mais la partie n’était pas gagnée pour autant ! Non seulement Mariana n’avait aucune idée de l’itinéraire du marchand d’huile, mais elle ignorait comment sortir de sa cachette à l’insu de l’homme. Une chose était certaine : elle voulait s’éloigner le plus possible de ce couvent détesté. Concernant la suite, elle verrait bien quelle opportunité se présenterait à elle.

    À peine Mariana avait-elle imaginé quelques scénarios possibles que la charrette ralentit.

    — Holà, mes mignonnes ! s’écria le conducteur.

    Non ! Il ne pouvait s’arrêter si vite ! Mariana était certaine qu’ils n’étaient pas encore arrivés à destination. Pourquoi s’arrêtait-il donc ? Elle osait à peine respirer, tant elle avait peur de dévoiler sa présence. Puis, elle entendit l’homme uriner sur le bord de la route. Ce n’était que ça ! Qu’il se soulage, le pauvre ! Ouf ! Un rire silencieux la gagna, bien malgré elle.

    Mais, quand il eut terminé, au lieu de remonter sur le banc, le marchand se dirigea vers l’arrière du véhicule. Aux aguets, Mariana s’accroupit et se tint prête à bondir dans l’éventualité où l’homme soulèverait la bâche. C’est ce qui se produisit.

    5

    Montréal, de nous jours.

    À l’aéroport de Montréal-Trudeau, France Carpentier faisait nerveusement les cent pas.

    Tout allait pourtant pour le mieux, aucun retard n’était prévu et, en cette belle journée de septembre, le temps était ensoleillé. Cependant, France continuait ses allers-retours impatients devant la porte d’arrivée des voyageurs d’Air Canada en provenance de Mexico.

    Et s’il avait changé d’idée à la dernière minute ? Et si l’avion de Santiago n’était pas arrivé à temps pour le transfert ? Ou encore si l’appareil s’était écrasé ?

    Elle se força à respirer calmement.

    Rien de tout ça ne s’est produit, bien sûr !… mais comment ne pas s’inquiéter quand même ? La vie est si imprévisible…

    Depuis un an, son existence ressemblait davantage à des montagnes russes qu’à un enchaînement cohérent de trois cent soixante-cinq journées.

    Elle repensait au jour où tout avait commencé lors d’une visite anodine dans une boutique ésotérique.

    Elle avait découvert et acheté un médaillon ancien renfermant le portrait d’un jeune homme, dessiné à la main. Quelques mois plus tard, alors qu’elle dansait dans un bar gitan de Montréal, le médaillon au cou, elle avait fait, à sa grande stupéfaction, une sorte de voyage dans le temps. Comme si une partie d’elle-même avait volé hors de son corps et s’était retrouvée suspendue au plafond. Abasourdie, elle avait contemplé la piste de danse où elle se trouvait un instant plus tôt. L’endroit n’était plus tout à fait le même, il paraissait d’une autre époque. Étrangement, une jeune fille y pleurait à chaudes larmes et France avait eu l’impression de la connaître. Soudain, à sa grande surprise, elle s’était aperçu que la jeune femme en question était Mariana, son amie d’enfance imaginaire. Mariana semblait l’appeler à l’aide.

    La voyante que France avait consultée suite à cette incroyable expérience lui avait expliqué qu’à l’instar des tourneurs derviches, qui sortent de leur corps en dansant, elle avait été happée par un vortex. Ensuite, cette sorte de tourbillon d’énergie l’avait transportée dans un autre temps. Huguette lui avait aussi appris qu’elle était la réincarnation de cette jeune femme prénommée Mariana. Dans cette vie, France devait l’aider à changer son passé et ainsi se libérer elle-même d’un karma commun. Enfin, la voyante lui avait annoncé l’arrivée prochaine de son amoureux. Cet homme s’avérait la réincarnation du jeune homme représenté dans le médaillon, celui-là même que Mariana avait perdu. Cela ressemblait à un vrai conte de fées !

    Sans compter la présence invisible, mais palpable, de celui que sa meilleure amie Michelle surnommait « L’homme de l’ombre ». D’après Huguette, cet homme mystérieux faisait partie de ce fameux karma.

    Tout en continuant à marcher près de la porte des arrivées, France repensait à la lettre ancienne, probablement écrite de la main de Mariana, découverte chez Marta, à Séville. Grâce à cette lettre et aux révélations d’Huguette, elle s’était envolée vers l’Espagne, un pays dont elle avait toujours rêvé, puis aux Saintes-Maries-de-la-Mer, dans le sud de la France, où elle avait rencontré par hasard Calixto, le père de sa fille, qu’elle n’avait pas revu depuis vingt-quatre ans. À cette époque, elle lui avait annoncé sa grossesse, quelques mois

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