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Prisonnière d'amour 01
Prisonnière d'amour 01
Prisonnière d'amour 01
Livre électronique469 pages7 heures

Prisonnière d'amour 01

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À propos de ce livre électronique

Automne 1540, près de Toulouse. La jeune Mondyne Boysrie, fille d’artisan, vient à peine de découvrir l’amour lorsqu’elle est éprouvée par une série de malheurs qui font basculer sa vie. Au même moment, elle se voit offrir l’opportunité de s’embarquer vers le Nouveau Monde. Le roi François vient en effet de mandater le sieur de Roberval afin qu’il fonde la première colonie française d’Amérique. Mondyne accepte ainsi de devenir une prisonnière d’amour et de partir à l’aventure jusqu’au Cap-Rouge. Comme elle, nobles, roturiers, artisans et prisonniers qui rêvent d’une vie meilleure se retrouvent ainsi mêlés au coeur d’une traversée épique. Dans ce premier tome, l’auteure nous transporte au coeur d’une odyssée jusqu’à tout récemment méconnue. L’histoire débute en France, sur les routes de Toulouse, et nous conduit jusqu’à Québec, où s’installera la colonie. Le récit, basé sur des faits historiques, est d’autant plus fascinant qu’il fait reculer d’un demi-siècle l’histoire du Québec.
LangueFrançais
Date de sortie3 juin 2014
ISBN9782894856529
Prisonnière d'amour 01

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    Aperçu du livre

    Prisonnière d'amour 01 - Gagnon Karine

    5, rue Sainte-Ursule

    Québec (Québec)

    G1R 4C7

    Téléphone : 418 692-0377

    Télécopieur : 418 692-0605

    www.michelbrule.com

    Distribution : Prologue

    1650, boul. Lionel-Bertrand

    Boisbriand (Québec)

    J7H 1N7

    Téléphone : 450 434-0306 / 1 800 363-2864

    Télécopieur : 450 434-2627 / 1 800 361-8088

    Impression : Imprimerie Lebonfon inc.

    Conception graphique : Paul Brunet

    Mise en page : Paul Brunet

    Révision : Karen Dorion-Coupal

    Correction : Marie-Claude Masse

    Illustration de la couverture : Rielle Lévesque

    Les éditions Michel Brûlé bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.

    © Karine Gagnon, Les éditions Michel Brûlé, 2014

    Tous droits réservés pour tous pays

    Dépôt légal — 2014

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    ISBN : 978-2-89485-651-2

    978-2-89485-652-9 (ePUB)

    Pour Heidi, petite merveille

    « Les plus courtes folies sont toujours les meilleures. »

    Marguerite de Navarre

    « La moitié du monde ne sait comment l’autre vit. »

    François Rabelais

    Ce roman se base sur les faits historiques qui ont entouré l’expédition Roberval. La plupart des personnages, dont monsieur de Roberval évidemment, mais aussi Mondyne Boysrie et François Guay, Antoinette Paradis et Renaud de Frapestel, et Paul d’Ausillon, ont réellement existé. Toutefois, comme il ne subsiste que peu de documents les concernant, j’ai pris la liberté d’inventer leur personnalité et les raisons qui les ont conduits dans cette aventure extraordinaire.

    Un grand merci à Bernard Allaire, historien et auteur de La Rumeur dorée (Éditions La Presse), une biographie de Jean-François de La Rocque de Roberval. Son œuvre a levé le voile sur une multitude de faits concernant cette expédition historique. Je tiens également à remercier Denis Angers, historien. Merci à toute l’équipe des éditions Michel Brûlé, à Michel en particulier pour sa confiance, ainsi qu’à Érika Fixot, éditrice, pour ses judicieux commentaires et conseils.

    Enfin, un remerciement spécial à mon grand complice et amoureux, Jean LaRoche, pour sa patience et ses conseils ; à ma mère, Lise Beaumont, qui a toujours su m’encourager, à ma fille Heidi, source d’inspiration, ainsi qu’à ma sœur Audrey, qui a révisé mon ouvrage depuis son Australie d’adoption. Sans votre soutien et votre amour, ce grand rêve ne serait jamais devenu réalité.

    L’imagination de Mondyne lui jouait encore une fois des tours. Elle n’avait pas rencontré François Guay que déjà, elle se représentait un homme au visage hideux et labouré par la gale, encadré par des cheveux crasseux où sautillaient des poux. Au fur et à mesure qu’elle progressait vers la sinistre prison de Toulouse, l’image du détenu se précisait et se faisait de plus en plus effrayante. Mondyne devenait si nerveuse par bouts qu’elle tirait sur la bride de Victoire, son cheval, et descendait de sa monture pour faire quelques pas et reprendre ses esprits. Son chien Flourig, dont le nom d’origine bretonne comme sa grand-mère paternelle signifiait caresse, l’attendait alors en relevant le museau au ciel. Il restait bien assis sur son arrière-train, les yeux fermés. Malgré cette pause obligée, l’air restait bloqué dans sa gorge, comme s’il était trop lourd pour pénétrer dans sa poitrine. Elle tentait de se raisonner en se disant que ces traits abominables qu’elle avait en tête n’étaient rien d’autre qu’une pure fabulation, fondée sur des commérages stupides. Le tourbillon de ses pensées prenait le dessus sur sa raison.

    Lorsque Mondyne s’emballait de la sorte, sa mère, Alix, était une championne pour la ramener sur terre. Elle l’apostrophait alors en prononçant bien chaque syllabe de son nom.

    — Mon-dy-ne-Boys-rie, approche, j’ai à te causer, articulait-elle lorsqu’elle l’interpellait pour lui faire la morale, avec les lèvres qui bougeaient de façon exagérée, comme si elle s’adressait à une sourde.

    Alix n’était pas très sévère, mais quand elle grondait Mondyne, elle requérait toute son attention, tel un maître face à un apprenti récalcitrant. Bien que cette manie l’ait souvent agacée, Mondyne regrettait à cet instant ses bons conseils et l’effet rassurant qu’ils avaient sur elle. Sa mère absente, elle allait devoir désormais puiser en elle-même les moyens pour se réconforter. La tâche était pénible aujourd’hui parce qu’elle s’inquiétait pour elle. Orgueilleuse et têtue, Alix avait convaincu Mondyne de ne pas cesser ses visites à la prison. L’œuvre de charité était l’initiative de l’oncle Adrien, qu’Alix avait toujours beaucoup apprécié, d’autant plus depuis le décès de son mari. Pour Alix, il y avait un peu de son mari disparu chez son beau-frère. Une partie de celui qu’elle avait tant chéri continuait de vivre à travers lui.

    Alix avait donc encouragé Mondyne à la laisser seule malgré son état en lui disant que Jeanne et Marie passeraient la voir et lui donner à manger. Comme s’il pouvait sentir le désarroi qui habitait Mondyne, Flourig se tourna vers elle. Il la regarda béatement de ses grands yeux noirs jusqu'à ce qu’elle s’accroupisse devant lui et plonge son nez dans son pelage fourni, dont le mélange chaud et duveteux de blanc, noir et caramel l’apaisait de façon si efficace depuis qu’elle était toute petite. Le bouvier bernois l’accompagnait dans tous ses déplacements. Il aboyait dès qu’il repérait une présence. Avant d’apprendre à monter à cheval, Mondyne se cachait dans les fourrés et le serrait contre sa poitrine en attendant que la présence suspecte se manifeste. Elle pouvait ainsi prendre quelques secondes pour évaluer la situation et décider de la meilleure réaction à adopter.

    Il était très imprudent, pour une fille, de s’aventurer seule sur cette route où les villageois de Pujaudran avaient rapporté de nombreuses attaques. Les condamnés en cavale s’y cachaient dans l’espoir de faire main basse sur la sacoche et les vivres des voyageurs. Mondyne gardait à sa ceinture un canif bien effilé. Son père, Eudes, lui avait appris à s’en servir de façon efficace, en cas d’assaut. Jusqu’à maintenant, elle n’avait jamais eu besoin d’y avoir recours et en était soulagée. Peureuse de nature, ses parents lui avaient appris à se défendre avec la conviction d’une bête sauvage si elle se sentait menacée. Elle savait par contre qu’il lui serait très difficile de vivre avec un meurtre sur la conscience. La seule pensée d’enfoncer une lame dans la chair de quelqu’un, de sentir le métal déchiqueter la peau et les entrailles de cet homme ou de cette femme, lui donnait la nausée. Elle n’osait même pas songer aux émotions qui l’anéantiraient si cette personne devait en plus s’effondrer sans vie.

    Malgré sa pudeur, Mondyne avait un courage qui se manifestait, en situation de danger, de façon aussi violente qu’un orage crachant des torrents de pluie. Chaque bourrasque de peur exacerbait sa force. L’acuité de ses réflexes avait été mise à l’épreuve à plus d’une reprise, ces dernières années. Car les pauvres et les truands s’étaient multipliés sous la succession des mauvaises récoltes. La première fois qu’elle avait été la cible d’un malfaiteur, elle se rendait chez sa tante Jeanne avec sa mère. Comme à l’habitude, elle montait Victoire, plutôt docile, alors que sa mère préférait Merlin, cheval plus entêté dont le caractère rebelle l’avait séduite. Le truand s’était caché dans les buissons et en était sorti brusquement à leur passage. Flourig s’était chargé de bondir sur l’indésirable permettant aux deux femmes de l’assommer à l’aide d’un gros bout de bois. La fois suivante, alors qu’elle recueillait à pied les pièges posés le matin, une femme aux dents pourries et aux yeux croches l’avait assaillie par-derrière. Flourig avait aboyé, mais trop tard. Elle avait dû se débattre avec avidité avant de parvenir à se défaire de l’emprise des grosses mains sales de la vieille qui lui avait enserré le cou. Son chien avait planté ses crocs dans les chevilles de la vieille qui n’avait pas résisté longtemps à la douleur. Libérée, Mondyne s’était empressée de lui administrer un solide coup de poing à la mâchoire. La femme s’était écroulée comme une poche de farine. Mondyne avait couru sur une très longue distance, précédée de Flourig, avant de s’arrêter pour reprendre des forces.

    Émergeant de ses pensées, Mondyne se releva puis gratifia son chien de caresses sur la tête. Elle fit de même auprès de Victoire avant de reprendre la route. Par-dessus sa robe de laine doublée d’un escot qui ne suffisait pas à la tenir au chaud dans les grands vents d’automne, elle portait la vieille cape de laine d’Alix. Celle-ci présentait l’immense avantage de la réconforter, mais en contrepartie la gênait dans ses mouvements. Comme le vêtement était trop grand, il finissait toujours par glisser sur ses épaules. Elle le retenait tant bien que mal d’une main, l’autre guidant son cheval. La pluie parfois forte la contraignait à dissimuler son visage sous son capuchon, sinon, ses épais cheveux marron, qui lui arrivaient aux coudes et menaçaient de déborder de tous côtés, seraient détrempés. De quoi attraper son coup de mort.

    Les grands arbres de la forêt de Bouconne s’élevaient de toutes parts devant Mondyne. Ils avaient commencé à se dénuder, signe que l’hiver approchait. Les feuilles des saules et des peupliers bordant les rives de la Save changeaient de couleur, délaissant peu à peu leur manteau vert éclatant. Les massifs de chênes, d’acacias et de bouleaux colorant les vallées qu’il lui fallait traverser devenaient moins fournis. Un mince tapis de feuilles avait commencé à se former, égayé par des taches rouges, orange et jaunes qui viraient au brun à mesure qu’elles s’engorgeaient de pluie. Les bourrasques transportaient des odeurs terreuses et chargées d’humidité qui rappelaient à Mondyne les parties de chasse avec son père.

    La prison de Toulouse se trouvait à un peu plus de six lieues de son village. La route qui menait à l’établissement lui paraissait interminable depuis qu’elle la parcourait sans sa mère. Sur cette même route, elles se racontaient avant des histoires, se rappelaient des souvenirs et fredonnaient des airs qui leur redonnaient des forces. Maintenant qu’elle l’empruntait seule, il lui arrivait parfois de chantonner, mais aujourd’hui le temps maussade ne lui inspirait guère la joie. Depuis des mois, sa mère était assaillie par un mal que personne n’avait pu identifier. La fièvre la terrassait et une toux horrible la secouait, surtout le soir et la nuit, ce qui l’empêchait de l’accompagner. Cet autre coup du destin qui menaçait d’emporter sa grande complice de toujours anéantissait Mondyne juste à y penser. Depuis le décès de son père et de Mathieu, elle s’était habituée à vivre malgré le poids du chagrin. Elle n’osait prédire l’effet qu’aurait la perte de sa mère, qui avait toujours veillé sur elle avec dévotion et sans condition. La vie aurait-elle toujours un sens sans Alix, sans sa seule présence, ses conseils précieux, son soutien indéfectible qu’elle ne pourrait plus jamais trouver chez personne d’autre ? En fait, elle n’arrivait même pas à croire que sa mère pût un jour ne plus être là. La simple idée lui était insupportable, comme si sa seule évocation s’enfonçait dans sa poitrine comme un pieu de métal qui l’aurait transpercée. Elle s’empressa de chasser ces idées noires de son esprit, balayant l’air d’une main dans un geste ferme, comme pour appuyer ses intentions.

    Le prisonnier que Mondyne allait visiter pour la première fois aujourd’hui avait été repoussé par toutes les autres dames de charité. L’intervention des frères appartenant à l’ordre d’oncle Adrien n’y avait rien changé. Les dames trouvaient le prisonnier dégoûtant et craignaient que les plaques qui recouvraient sa peau pussent être contagieuses. Mondyne se sentait comme l’enfant qui court se jeter droit dans la gueule du loup. Devant l’insistance de sa mère, jamais elle n’aurait osé lui dire qu’elle abandonnait. Les prisonniers qui n’avaient plus de parents, ou qui avaient été délaissés par leur famille, étaient la plupart du temps condamnés à mourir de faim à petit feu au fond de leur trou. Une réalité pour le moins cruelle qui avait incité l’oncle Adrien à imaginer un moyen de leur venir en aide. Adrien vivait loin, en Picardie, mais son ordre comptait des frères répartis dans plusieurs régions, dont celle de Toulouse. Aussi, l’œuvre avait des tentacules sur un vaste territoire.

    — Ce n’est pas parce que je suis malade que tu dois cesser de vivre, ma fille. Tu dois forger ton caractère, il en va de ton avenir, lui répétait sa mère lorsqu’elle la sentait découragée.

    La façon qu’avait sa mère de l’envelopper de son regard aimant aurait pu convaincre Mondyne de se rendre au bout du monde à sa demande. Mondyne savait aussi qu’elle pouvait tout lui demander et que sa mère acquiescerait.

    Mondyne ne savait plus trop bien ce que pouvait signifier le mot « avenir » dans son cas. Une jeune orpheline ne trouvait pas un mari sans peine — quand elle en trouvait un —et elle ne voulait pour rien au monde se retrouver avec une brute comme celle qu’avait eu le malheur d’épouser sa tante Françoise, la sœur aînée de sa mère, qui avait pris la relève au décès de sa grand-mère. Elle était morte à son tour en tentant de mettre au monde un enfant qui n’avait pas non plus survécu. On soupçonnait que les coups administrés par son mari avaient provoqué l’accouchement avant terme, et qu’ils avaient probablement tué le bébé. Sa mère rageait chaque fois qu’elle évoquait la triste vie de sa sœur et Mondyne l’avait vue maintes fois pleurer, bien qu’Alix s’efforçât de cacher ses larmes pour ne pas l’effrayer.

    Alix ne refusait jamais de candidat parmi les prisonniers à nourrir. Elle disait que personne ne méritait de mourir affamé et seul au monde, et que c’était le devoir des dames de charité de s’en occuper sans distinction. Dussent-elles mourir de frayeur en apercevant un prisonnier rongé par la gale ou avoir envie de vomir devant un autre couvert d’excréments et rongé par les poux.

    Poussée à d’intenses réflexions par la solitude, sur la route, Mondyne réalisait plus que jamais la générosité sans borne dont sa mère faisait preuve. Sa résilience avait été mise à rude épreuve, à s’occuper du vieux Marcus. Ce dernier leur avait été attribué, à sa mère et elle, quelques mois avant qu’il ne décède, à la fin de l’été. Vieux grincheux qui devenait de plus en plus désagréable, il se permettait même de critiquer la nourriture qu’elles lui apportaient, réclamant plus de viande et de fromage. Mondyne était convaincue que sans la patience légendaire de sa mère, Marcus aurait séché dans son trou et serait mort de faim, abandonné de tous. Nul n’aurait versé une seule larme, tant il pouvait être désagréable. Comment pouvait-on vivre en sachant qu’aucun autre homme ou femme ne se préoccupe de notre sort ? C’était impensable. Mais voilà, il était aussi impensable de tolérer autant d’impolitesse et d’ingratitude. Sauf pour sa mère Alix, qui parvenait à effacer ce côté sombre du personnage, comme si elle était chargée d’une mission. Mondyne devinait qu’Alix n’aurait pu tolérer de le voir mourir de faim parce qu’elles l’auraient abandonné à son sort.

    Lorsque Mondyne faisait part à sa mère de ses réticences quant à Marcus, celle-ci répliquait, de sa voix douce et sur un ton conciliant, que Dieu ne faisait pas de distinction basée sur la personnalité des gens lorsqu’il était question de survie.

    — As-tu déjà songé que cet homme a déjà été bébé, sans défense, avec un joli minois et le même besoin d’amour et d’attention que nous tous ? avait fini par lui demander sa mère.

    La question avait fait beaucoup réfléchir Mondyne, qui depuis ne pouvait s’empêcher d’imaginer chaque personne qu’elle rencontrait comme un bébé en couche qui réclamait son boire. La démarche faisait en sorte à tout coup de la rendre moins intransigeante, d’éprouver plus de compassion pour les autres. Certaines personnes étaient plus difficiles à imaginer petits et mignons. C’était le cas de Marcus, mais Mondyne avait fini par y parvenir. Elle n’avait pas le choix, car autrement, le simple fait d’accompagner sa mère pour apporter de la nourriture à cet être ignoble serait devenu un véritable calvaire.

    Dans le cas de François Guay, Mondyne se proposait de d’abord le rencontrer pour être en mesure de se le représenter. Il lui faudrait avoir le cœur solide pour l’observer, si elle en croyait les commérages. Lors d’une récente visite de courtoisie, madame Anna, qui habitait à cinq maisons de chez Mondyne et qui était reconnue comme la commère de Pujaudran, lui avait recommandé d’éviter de regarder le prisonnier.

    — Ne va surtout pas échanger un mot avec lui et ne t’en approche pas. Il a des trous plein le visage et sa peau suinte et saigne, avait-elle soufflé tout bas pour que seule Mondyne puisse l’entendre, en faisant cligner ses petits yeux plissés déformés par les rides comme des fleurs fanées par les pluies d’automne.

    — Ne prends aucun risque, jeune fille, ou le mal pourrait t’assaillir à ton tour, lui avait encore dit la voisine, dont la voix avait grimpé d’un ton, comme si elle voulait se donner davantage de contenance. Le Diable n’a de pitié pour personne, souviens-toi bien de ça.

    Pour appuyer la gravité de ses dires, la vieille avait penché vers elle son petit visage plissé. L’haleine sure qui s’échappait de sa bouche édentée l’avait saisie autant que ses propos.

    — La mère de Mondyne, alitée dans sa chambre, avait trouvé la force de protester, malgré qu’elle toussât à fendre l’âme.

    — Madame Anna, Mondyne a beau… Mondyne a beaucoup de… tra… vail, avait-elle bégayé de sa voix chargée de souffrance.

    Si elle avait été plus en forme, sa mère aurait remis la voisine à sa place et aurait même poussé l’audace jusqu’à lui demander de partir. Elle ne pouvait tolérer les commérages et encore moins les mises en garde de madame Anna, qu’elle qualifiait de stupides et d’indécents.

    — Sacrée Alix Turet, tu ne changeras jamais, ma chère ! Et le pire, c’est que tu es en train de parvenir à entrer ces idées saugrenues dans la tête de ta fille ! avait gloussé madame Anna. Si Eudes… Si… Si ton défunt époux était là, il prendrait mon parti, assurément, avait-elle ajouté avant de tourner les talons pour rentrer chez elle, l’air insulté.

    Plantée devant la fenêtre, Mondyne avait tout juste eu le temps d’observer la voisine qui s’éloignait en se dandinant, marmonnant pour elle-même, le visage empourpré. Sa mère l’avait aussitôt appelée. Au moment d’entrer dans sa chambre, sa mère était appuyée sur ses coudes, le bec pincé, les yeux plissés par la colère. Elle avait soulevé le menton pour lui faire signe de s’approcher.

    — C’est une vieille arriérée qui a peur de son ombre, avait-elle lancé.

    Lorsque sa mère souhaitait s’assurer que Mondyne l’écoutait bien, elle prenait soin non seulement de bien articuler, mais aussi de planter ses grands yeux verts dans les siens. Ses iris semblables à des groseilles au printemps constituaient l’un des seuls traits dont Mondyne avait hérité de la famille Turet. Les longs cheveux roux foncé et raides comme des fils de cuivre de sa mère, qui encadraient ses traits délicats, contrastaient beaucoup avec les siens. La chevelure de Mondyne était en effet très bouclée, sombre et sculpturale, comme les Boysrie, famille de son père. On disait parfois à Mondyne qu’elle était jolie, mais pour s’être déjà observée dans un miroir, elle ne se trouvait ni plus belle ni plus laide que les autres filles de son âge. Elle appréciait son teint laiteux et la vivacité de son regard. Elle dégageait la joie de vivre, et c’était sans doute ce qui faisait son charme, avait-elle conclu. Sa mère, comme toutes les filles de la famille Turet, avait la taille d’une échalote, alors que Mondyne était plutôt de taille moyenne, en plus d’être flanquée d’une poitrine un peu trop généreuse à son goût. Elle avait trouvé embarrassant de constater qu’elle prenait de l’ampleur et serait volontiers demeurée avec une poitrine plate comme celle de sa mère, qui ne l’aurait jamais encombrée. Lorsqu’elle se plaignait des douleurs qui la tenaillaient, sur les pointes devenues semblables à des boutons de camélias, sa mère souriait. Elle lui disait qu’un jour elle en remercierait la nature.

    De son vivant, le père de Mondyne, Eudes Boysrie, était un grand gaillard aux traits sévères comme ceux d’un guerrier. Sa tonsure était aussi fournie et ébouriffée que la sienne. Comme quoi il ne fallait pas se fier aux apparences, car il était doux comme un agneau. Il s’était imposé comme le plus grand conteur du village. Il attirait tant les adultes que les enfants, pour qui il inventait des fables et des légendes de tout acabit. Le père réservait à Mondyne les plus belles, disait-il, et gardait ses récits pour l’heure du coucher. Il s’assoyait alors sur un coin au bout de son petit lit de bois, dans sa chambre à coucher à l’étage, et prenait différentes voix pour donner vie aux personnages. De ses bras aux muscles bien découpés, il mimait les gestes qui se profilaient sur les murs autour, projetés par les flammes des chandelles.

    Chaque fois, Mondyne était transportée. Elle oubliait où elle se trouvait et les images décrites par son père semblaient défiler réellement devant ses yeux redevenus ceux d’une petite fille. Elle se surprenait à crier lorsqu’un vilain faisait partie de l’histoire, et à pleurer quand le récit prenait une tournure triste. Eudes terminait toujours le conte par des gestes rassurants : il replaçait sa couverture et déposait un baiser humide sur son front, de ses lèvres charnues comme celles d’une fille, disait-il parfois en riant. Elle s’était promis de perpétuer cette merveilleuse tradition si un jour elle avait des enfants à son tour.

    La chambre de Mondyne, refuge par excellence pour s’évader dans les histoires inventées qu’elle prenait plaisir à réciter, était située à l’étage de la maison de ses parents. La chaumière avait été construite un siècle auparavant par son arrière-grand-père puis restaurée par son père, Eudes. Ses dimensions plutôt généreuses étonnaient en comparaison avec les maisons que possédaient d’autres paysans. Les talents de menuisier, mais aussi de charpentier des ancêtres Boysrie permettaient à Mondyne et à ses parents ce grand luxe que représentait le fait d’occuper autant d’espace.

    Le bâtiment aurait été suffisamment grand pour accueillir plusieurs autres enfants. Deux chambres demeuraient inoccupées à l’étage, entre celles de Mondyne et de ses parents. C’était là que dormaient tante Jeanne et cousine Catherine, lorsqu’elles leur rendaient visite.

    Faite en majeure partie d’argile et de bois, la demeure se trouvait dans une clairière ceinturée de hauts arbres qui la plaçaient à l’abri des grands vents. La cuisine était la pièce centrale et aussi la préférée de Mondyne. C’était l’endroit où sa mère et elle partageaient leurs réflexions et leurs souvenirs. La pièce couvrait presque tout le rez-de-chaussée, et ses murs en torchis étaient recouverts de chaux, dont le blanc immaculé contrastait avec le brun foncé des poutres massives et des solives qui les surmontaient. Les petites fenêtres étaient bouchées avec du papier huilé afin d’empêcher les insectes de pénétrer à l’intérieur, en plus de protéger du froid en hiver.

    La pièce était séparée de l’écurie par une lourde porte en bois, qui était très épaisse dans le but de contenir les odeurs qui en émanaient. Les parents de Mondyne y gardaient aussi quelques poules, un cochon, un mouton et, à la belle époque, un cheval qui aidait pour les travaux. Le coq les réveillait dès l’aube. Tous les matins, Mondyne était chargée de nourrir les bêtes. Elle remplissait un seau de grains que sa mère gardait dans la réserve, puis assurait la distribution. Les animaux se ruaient vers elle dès qu’elle mettait le nez dans l’écurie. Chaque fois, ils se comportaient comme s’ils n’avaient pas mangé depuis des semaines. Amusée, elle leur disait qu’ils étaient de petits gloutons et que bien des gens n’avaient pas la chance de manger autant qu’eux. Elle aimait parler aux animaux, même si elle savait qu’ils ne comprenaient pas un traître mot de ce qu’elle leur disait. Elle aimait qu’ils la reconnaissent et réclament ses caresses lorsqu’elle les visitait.

    Son cheval, Victoire, était plutôt court sur pattes et très musclé. Il fallait brosser et laver chaque jour son pelage caramel, qui dégageait une forte odeur puisqu’il devait travailler fort. Son père l’utilisait pour les semences et les récoltes, attachant derrière lui l’artillerie qui servait à labourer la terre et à arracher le foin. Mondyne s’occupait aussi de Merlin, qui était plus âgé et de moins en moins agile.

    Après avoir prodigué ces soins aux bêtes, Mondyne filait vers l’atelier de son père. Les coups de marteau et le va-et-vient du rabot résonnaient tel un bruit sourd dès le chant du coq. Mondyne s’approchait à pas de loup puis se jetait dans les bras de son père. Il lui caressait les cheveux et la déposait sur un vieux tabouret grinçant d’où elle pouvait l’observer et lui poser mille et une questions. Elle attendait toujours avec impatience le moment où il déposerait ses instruments en s’épongeant le front pour reprendre ses récits et donner vie à ses personnages, avec le même talent dont il faisait preuve pour modeler ses meubles, mais avec une conviction qui alors l’habitait tout entier, s’emparait de ses traits et la transportait. Son visage prenait une expression différente et il ramenait ses mains devant puis recourbait le dos comme un chat prêt à bondir. Elle gloussait d’excitation, frappant des mains pour l’acclamer.

    Parfois, la mère de Mondyne venait les rejoindre, l’air heureux de les voir partager de tels instants de complicité. La plupart du temps, tirée du sommeil par leur babillage conjugué au concert des outils, elle se levait à pas de souris et filait vers la cuisine. De bonnes odeurs leur parvenaient alors jusqu’à l’atelier, chatouillant leurs narines jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus résister à leur charme. Mondyne et son père retrouvaient Alix devant le poêle, les cheveux tressés en une longue natte qui courait dans son dos, parcourant sa robe de nuit telle une liane enduite de cuivre étincelant sous le soleil qui pénétrait dans la pièce. Alix se retournait et les accueillait de son plus beau sourire. Tous trois se retrouvaient alors devant le poêle et se serraient quelques secondes dans leurs bras. Puis, ils se dirigeaient vers la table autour de laquelle ils prenaient place, sur les chaises grinçantes, pour se régaler et se raconter leurs vies.

    N’ayant pas eu de garçon, le père de Mondyne l’emmenait dans toutes les activités susceptibles d’intéresser davantage la gent masculine. Elle l’accompagnait à la chasse au loup, et Eudes lui avait appris la trappe. Elle détestait retrouver de si mignons lapins de garenne égorgés dans un piège, mais n’aurait jamais osé l’avouer à son père. Leurs petits yeux figés dans le néant lui donnaient la chair de poule, tout comme l’amas de poils rougis et visqueux là où la blessure fatale s’était produite. Son père lui montrait des trucs qu’il qualifiait d’infaillibles et que son propre père lui avait appris alors qu’il avait son âge, lui répétait-il. Le droit de chasser constituait un grand privilège qui n’était réservé qu’à quelques heureux élus au village. Il était accordé par le seigneur en échange d’une partie des prises. Le père de Mondyne y avait droit puisque depuis trois générations, les Boysrie avaient été choisis pour fabriquer les meubles de la maison du seigneur, ainsi que ceux qui se trouvaient dans l’église de Pujaudran. Ces bons services étaient appréciés du seigneur, qui renouvelait volontiers le privilège afin de les remercier. Puis, son père était réputé pour être un bon chasseur. Il ramenait de belles prises et le seigneur savait qu’il pouvait s’y fier.

    Si Mondyne abhorrait certains de ces épisodes barbares, la joie de lire sur le visage de son père tant de fierté à son égard suffisait à la consoler. Les yeux écarquillés, la poitrine gonflée d’orgueil, il la regardait installer les pièges, au petit matin, puis ôter les prises avec habileté. Il lui donnait une petite tape dans le dos en signe d’approbation de sa technique. Lui s’occupait d’abattre les plus grosses bêtes avec des flèches. Il fallait vraiment être habile pour maîtriser cet art. Mondyne avait commencé l’apprentissage, mais la mise en pratique sur de véritables bêtes viendrait plus tard, lui avait signifié son père. Elle n’était pas pressée. Elle n’avait réalisé que lorsque son père était mort toutes les richesses qu’il lui avait enseignées. Lorsque sa mère et elle manquaient de nourriture, elle s’aventurait dans les bois, Flourig dans son sillage, et disposait çà et là quelques pièges qui leur permettraient de se nourrir pendant des jours. Elle espérait ne pas se faire prendre, car le droit de chasser n’était pas transférable aux héritiers, à moins d’une permission spéciale qu’elle n’avait jamais obtenue. Elle se disait que le seigneur, un grand homme à la peau et aux cheveux foncés, aurait sans doute un peu de compassion envers elle. Il appréciait son père, aussi risquait-il de la traiter avec humanité.

    Tirée de ses pensées par Flourig qui avait détalé dans le boisé, Mondyne l’appela puis réalisa qu’ils étaient presque arrivés chez dame Fayard. Son chien avait sans doute flairé un blaireau ou un renard qu’il n’avait pas réussi à attraper. Il revenait en haletant reprendre sa place aux côtés de Victoire. Il s’élançait toujours d’un pas très rapide, mais s’empressait tout autant de revenir vers sa maîtresse, l’air content d’avoir effrayé sa proie. Ils avaient maintenant parcouru plus de la moitié du chemin pour parvenir à destination. Profitant d’une accalmie de la pluie, elle choisit cette fois de s’arrêter chez dame Juliette Fayard, une femme costaude et rieuse dont elle appréciait la bonne humeur. Sa mère et elle étaient devenues des amies avec le temps, et elle savait qu’elle pouvait compter sur sa bonté.

    Dame Fayard habitait la première chaumière à l’orée des bois, avec son mari le garde forestier. Ce dernier passait le plus clair de sa journée dans la forêt de Bouconne, en compagnie de leur fils aîné, Henri. Mondyne n’avait aperçu le garçon qu’une seule fois, mais elle se rappelait fort bien ses larges épaules musclées et son visage sculptural qui l’avaient impressionnée. Il ressemblait sans doute à son père, puisque ses traits sombres et ténébreux étaient à l’opposé de ceux de sa mère. Le couple avait aussi trois filles, Emma, Colombe et la plus jeune, Aurore, qui ne s’approchait jamais de Mondyne. Elle s’agrippait avec obstination aux jupes de sa mère. Les deux autres, dotées de la même chevelure gorgée de soleil que leur mère et des mêmes joues dodues et roses, s’assoyaient toujours autour de Mondyne pendant qu’elle puisait l’eau. Elles la regardaient tel un objet de fascination, sans jamais dire un mot. Lorsque des gouttelettes les éclaboussaient, elles gloussaient comme des petites poules puis s’éloignaient en riant.

    — Alors, votre mère ne se porte pas trop mal ma petite demoiselle ? lui demanda dame Fayard de sa voix sifflante, s’approchant à petits pas.

    La queue branlante, Flourig fila vers dame Fayard. Le chien fut aussitôt assailli par Emma et Colombe. Mondyne descendit de cheval et, dans une des sacoches de la monture, s’empara d’une poignée de grains qu’elle offrit à Victoire. Elle releva la tête et vit dame Fayard qui s’amenait dans sa direction. La grosse femme frotta ses mains noircies par la terre dans ses jupes couvertes de boue et caressa la tête du chien qui s’assied comme pour mieux en profiter. Puis fouillant dans sa poche, elle en tira deux pommes rouge et verte. Elle en tendit une à Mondyne, qui l’accepta en la remerciant, puis mordit à belles dents dans l’autre. Des gouttelettes de jus lui giclèrent au visage, mais elle ne sembla pas le remarquer puisqu’elle mordit de nouveau avec empressement dans le fruit mûr. Mondyne caressa le fruit de ses deux mains, envahie par la tristesse.

    — Oh, vous savez, ma mère est une femme très forte, elle se remettra, répondit-elle, espérant qu’elle ne laissait rien paraître de son manque de conviction. Flourig revint vers elle en bon compagnon fidèle puis se laissa choir sur son arrière-train comme s’il voulait suivre la conversation.

    Dame Fayard lui jeta un regard complice, voilé à son tour par la peine. Elle se mit alors à parler d’Emma et de Colombe, qui apprenaient à lire et à écrire.

    — Et puis mon Aurore a commencé à apprendre à compter, déclara-t-elle en se gonflant la poitrine de fierté.

    Aurore, qui était aussi la plus boulotte, s’avança un peu à l’évocation de ses prouesses, lâchant les jupes de sa mère pendant quelques secondes.

    — Allez, compte, ma belle Aurore, compte pour mademoiselle Mondyne, l’encouragea dame Fayard, la poussant un peu plus en avant.

    La petite Aurore retourna aussitôt se fourrer le nez dans les jupes de sa mère, qui posa une main sur la tête de l’enfant. Elle éclata de rire, rejeta la tête en arrière et sa grosse poitrine manqua de faire exploser son corsage.

    Mondyne s’approcha du puits, Flourig sur ses talons. Elle fit descendre le sceau dans l’eau avant de le remonter doucement.

    — Je vous suis vraiment reconnaissante de me permettre de me rafraîchir ainsi chez vous, madame Fayard, dit-elle à la gentille dame, qui retournait déjà à ses jardins et la saluait, sa cadette sous le bras. Les deux autres couraient et babillaient pour rejoindre leur mère.

    — Quand vous voulez, mademoiselle, quand vous voulez. Pardonnez-moi, mais je dois retourner au boulot avant que cette maudite pluie ne se remette à tomber comme des cordes. Au revoir, mademoiselle Mondyne, lança-t-elle en balayant le ciel de sa grosse main noircie.

    Flourig aboya à ses côtés. Mondyne la salua et versa de l’eau dans sa main. Elle se pencha pour permettre à son chien de s’abreuver. Il avala le tout à grands coups de langue. Elle versa à nouveau de l’eau qu’il engloutit tout aussi goulûment. Elle répéta le même geste, mais cette fois à l’intention de Victoire.

    — Bon cheval, va ! lui dit-elle en se penchant pour déposer un baiser sur son front poilu.

    Mondyne se releva et but à son tour quelques gorgées. Elle remplit une bouteille qu’elle portait dans son sac et en repoussa bien soigneusement le bouchon afin d’éviter toute fuite. Elle détestait ces questions à propos de sa mère, qui ne tournaient à rien et que les gens lançaient davantage par curiosité que par compassion. Le pire, c’est qu’elle savait que les larmes lui piqueraient encore les yeux au détour parce qu’elle songerait à tout cela.

    Mondyne était rassurée de savoir qu’elle pourrait toujours se servir de son canif, si le besoin se faisait sentir. Son imagination s’emballait sans cesse. Elle voyait alors bondir un monstre sur elle au détour d’une clairière. Ou encore, elle sursautait devant une sorcière hideuse et édentée qui lui souriait d’un air mauvais au tournant d’une colline.

    — Tu tiens ça de ta grand-mère Iseult, lui disait souvent sa mère. Elle s’imaginait toujours les pires atrocités, comme si la mort nous attendait sans relâche au détour. Elle était convaincue que des désaxés couraient dans les bois par centaines et qu’ils n’attendaient que notre passage, à mes sœurs et à moi, pour nous sauter dessus et s’attaquer à notre vertu. Elle ne cessait de nous mettre en garde, comme si la malchance et la mort nous guettaient tel un loup devant sa proie. Il faut être prudent, j’en conviens, et ce, particulièrement

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