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Les sept larmes d'Obéron 1 : Nayr
Les sept larmes d'Obéron 1 : Nayr
Les sept larmes d'Obéron 1 : Nayr
Livre électronique421 pages5 heures

Les sept larmes d'Obéron 1 : Nayr

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À propos de ce livre électronique

Le plus grand magicien de tous les temps, Obéron régnait sur le peuple féérique. Un jour que son royaume fut menacé de destruction, il entreprit de sauver ce qu'il restait en façonnant un miroir de pierre noire. Il y fit traverser ses sujets vers une autre dimension et pour que nul ne les suive, il brisa le miroir. La magie disparut alors de la Terre.Resté seul derrière, Obéron eût tôt fait d'être capturé, torturé puis dépecé. On brûla ses restes que l'on dispersa au-delà des mers. Avant de succomber, Obéron avait versé sept larmes qui se cristallisèrent en autant de métaux différents. Selon la légende, ces larmes auraient des vertus magiques et permettraient le passage entre les mondes.De nos jours, plus personne ne parle d'Obéron. Et tout serait resté ainsi si ce n'est d'une escapade improvisée par un jeune couple sur l'îlot où était caché le coeur d'Obéron. L'un d'eux y disparut subitement pour ressurgir dans l'autre monde. La magie d'Obéron ne s'était donc pas entièrement dissipée.Propulsés bien malgré aux au pays de Nayr, Judith et Brent, deux humains du monde réel, tentent de se retrouver dans cette vaste contrée presque détruite. Dotés de pouvoirs magiques mais séparés l'un de l'autre, il feront la rencontre de créatures étranges et de personnages hauts en couleurs. Echapperont-ils aux noirs desseins que leur réservent Aloysius et monseigneur Da Hora?
LangueFrançais
Date de sortie8 déc. 2011
ISBN9782894855348
Les sept larmes d'Obéron 1 : Nayr

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    Aperçu du livre

    Les sept larmes d'Obéron 1 - Davidts Jean-Pierre

    Note de l'éditeur

    Tous les éléments (texte, logos, images, mise en pages et autres) contenus dans ce livrel sont protégés par la loi sur les droits d'auteurs et de la propriété intellectuelle. Ces éléments restent la propriété exclusive des éditions Michel Brûlé et de l'auteur.

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    Les sept larmes d’Obéron

    PREMIER CHANT

    Nayr

    Si Barbe-Bleue ne tuait pas ses femmes,

    l’histoire en serait moins jolie.

    Anatole France

    Jean-Pierre Davidts

    1. Nayr

    Geste du roi des fées (extrait)

    Pour m’abattre, ils ont usé d’armes tranchantes,

    m’ont arraché la langue avec des tenailles ardentes.

    Avec du plomb fondu,

    des instruments pointus,

    ils m’ont ravi le chant des oiseaux,

    le murmure des ruisseaux,

    le parfum des fleurs,

    de l’arc-en-ciel, les couleurs.

    Pour me priver de la caresse de ta peau,

    ils ont dépecé la mienne, l’ont mise en lambeaux.

    Mes pieds et mes mains ont coupés

    pour que devant eux je demeure prostré.

    Ils ont vidé mon sang

    dans les mers, dans les champs.

    Mes os ont moulus

    puis sur le sol répandus.

    Et ce qu’il restait

    couvert de quolibets.

    Ils croyaient me vaincre en éparpillant mes cendres,

    être les plus forts, pouvoir tout comprendre.

    Alors, ils se sont reposés, savourant le silence.

    Ce qu’ils ignoraient : toujours le jeu recommence.

    I. Du danger que les intentions, même secrètes, finissent par se réaliser

    Cela faisait une bonne demi-heure qu’ils longeaient le mur.

    Haut de quatre mètres, il semblait infranchissable. Le domaine qu’il ceinturait était immense et perdu au milieu de nulle part.

    Judith aurait aimé faire la grasse matinée, prendre un petit-déjeuner en amoureux, peut-être se payer un film au cinéma ou se balader en ville. Au lieu de cela, Brent avait décrété qu’ils passeraient la fin de semaine dans la nature, lui qui avait pourtant le camping en horreur. Elle avait eu beau lui dire qu’ils allaient le regretter, il avait balayé ses objections d’un geste de la main. Et comme toujours, elle avait cédé. Elle n’apprendrait jamais.

    — Tu es sûr qu’il y a moyen de passer ?

    — Pascal est catégorique.

    Pascal ! Elle était là, l’explication. Pascal avait dû lui raconter ses dernières frasques et Brent s’était mis en tête de l’imiter. Moralité, ils piétinaient les feuilles mortes en godasses au lieu de s’enlacer sous l’édredon. Quelle misère !

    Enfin, dans le pire des cas, ils seraient quittes pour une belle promenade. Au moins, il ne pleuvait pas. La météo prévoyait même un temps superbe pour le dernier long week-end de l’automne. Tout le monde ou presque, d’ailleurs, avait pris la route, fui la ville vers un coin paisible où faire le plein de soleil et de grand air avant que le froid s’installe pour figer la terre et ceux qui la foulaient dans la léthargie de l’hiver.

    Jusqu’à présent, les indications de Pascal s’étaient avérées. Ils avaient trouvé sans peine la route secondaire qui aboutissait à la grille principale du domaine, puis le chemin de terre battue et la trouée dans la futaie où garer la voiture.

    Une centaine de mètres plus loin se dressait le mur.

    Chacun muni d’un sac à dos — équipement gracieusement fourni par Pascal —, ils avaient entrepris de longer l’enceinte en direction ouest, jusqu’à la brèche présumée par laquelle ils se glisseraient dans le périmètre interdit.

    Autour, la forêt rutilait : or et vermeil avec des touches d’améthyste et d’émeraude. Leurs chaussures froissaient le tapis végétal d’où montait une agréable odeur d’humus. Les pépiements des oiseaux et les jacassements des écureuils accompagnaient leur randonnée muette.

    — La voilà.

    Éreinté par la maladie et le poids des ans, un arbre plus que centenaire s’était abattu sur le mur. Son tronc avait entaillé la paroi qu’on pouvait ainsi franchir en escaladant branches et gravats.

    — T’es sûr qu’on ne risque rien ? douta Judith, intimidée par la muraille.

    — Le risque, c’est ça le thrill de l’aventure. T’es trop froussarde.

    Judith serra les dents. Elle l’aurait bien envoyé promener, mais ensuite… ? Elle préféra se taire et accepta la main que Brent lui tendait afin de lui faciliter le passage.

    De l’autre côté, la forêt était en tout point semblable à celle qu’ils venaient de quitter. Taillis et fourrés entravaient la marche et le sol était jonché de bois mort.

    — Et maintenant ?

    — Par là.

    Ils bifurquèrent au sud-ouest.

    Une vingtaine de minutes s’écoulèrent tandis qu’ils se frayaient un chemin dans les broussailles. La végétation s’accrochait à eux comme pour les retenir. Puis, l’espace se dégagea et apparut un lac de taille modeste. De forme approximativement circulaire, un îlot couronné d’un chêne majestueux en occupait le centre.

    Elle dut avouer que l’endroit était magnifique.

    — Pas mal, hein ? Un vrai petit coin de paradis.

    Ils déposèrent leur fourbi, s’assirent pour contempler le spectacle. Brent en profita pour sortir deux pommes et en offrit une à Judith. Ils mangèrent en silence, jouissant du paysage : la ramure des arbres, le friselis de l’eau, le ciel azur moutonné de blanc.

    Brent se leva le premier. Il déballa le dinghy et la pompe, qu’il actionna avec l’énergie d’un coureur de fond voyant approcher la ligne d’arrivée. Le canot pneumatique gonflé, ils s’y installèrent et mirent le cap sur leur île au trésor.

    — Hardi, moussaillons !

    Brent débordait d’un enthousiasme juvénile. En fait, ce qualificatif le résumait tout entier. C’était aussi une des raisons majeures pour lesquelles Judith voulait le quitter. Au début, cette gaîté naïve l’avait séduite. À travers elle, son quotidien retrouvait une fraîcheur qu’il semblait avoir perdue depuis longtemps. Avec Brent, manger un hot dog, par exemple, devenait une véritable épopée. Un trait de moutarde et il se transformait en un Auguste irrésistible qui la faisait s’éclater de rire. Malheureusement, au clown qu’il était s’associait une immaturité qui commençait à lui peser. Judith voyait poindre la trentaine et lui venaient des envies de bercer un enfant dans ses bras. Elle lui en avait parlé à plusieurs reprises, mais le seul nouveau-né que Brent envisageait voir entrer dans sa vie était la console de jeu vidéo de la prochaine génération. Pas moyen de le faire changer d’avis. Depuis, Judith remettait en question leur relation.

    Une dizaine de minutes suffirent pour traverser le bras d’eau. Toujours suivant les instructions de Pascal, ils contournèrent l’îlot en longeant sa rive rocailleuse jusqu’à un minuscule banc de sable où ils accostèrent. Les vestiges d’un feu témoignaient que quelqu’un d’autre — sûrement Pascal — avait visité l’endroit. Judith en eut la confirmation en découvrant des mégots de cigarette et la pochette vide d’un condom à proximité. Le manque de respect de Pascal pour l’environnement l’avait toujours agacée. Elle recueillit les restes du bout des doigts pendant que Brent tirait le canot pneumatique à l’écart.

    — Génial ! Robinson pour trois jours. On peut même se promener à poil. C’est Pascal qui me l’a dit.

    — Très peu pour moi.

    — T’as peur des bestioles ?

    — Disons que je préfère qu’on ne me surprenne pas en tenue d’Ève.

    — Aucun danger. Y a plus que trois ou quatre moines à l’abbaye et ils ne viennent jamais par ici. Au pire, t’en feras mourir un d’apoplexie. En te voyant, il croira déjà être au paradis.

    Elle le laissa dire et se fit la réflexion que ce week-end serait le dernier qu’ils passeraient ensemble. Après cinq années de vie commune, la séparation serait douloureuse. Elle imagina la scène : les protestations, les accusations réciproques, les pleurs, les promesses extravagantes… Rien que d’y penser, elle en avait la nausée. Ah ! s’il pouvait simplement disparaître. Tout serait si simple. Cependant, cela ne pouvait plus durer. Il était temps de passer à autre chose. Non qu’elle ne l’aimât plus. Il lui suffisait de le regarder pour que son cœur batte et que lui vienne l’envie de le prendre dans ses bras pour le couvrir de baisers et se joindre à lui au plus intime de leurs corps. Seulement, leurs voies divergeaient : il tenait à rester dans l’adolescence ; elle aspirait à la plénitude de la vie adulte.

    L’après-midi commençait à peine. Ils dressèrent la tente un rien en retrait pour échapper à d’éventuels regards, sans toutefois se priver du spectacle de l’eau qui miroitait au soleil. Ensuite, ils se préparèrent un en-cas. Derrière eux, le chêne paraissait monter la garde tel un paladin attendant l’ennemi.

    Absorbée par les conséquences inévitables de sa décision, Judith n’avait pas vraiment la tête au bavardage. À la bagatelle non plus, mais, quand Brent multiplia les avances, elle se laissa convaincre. Ce serait son cadeau d’adieu. Elle satisferait ses envies puis, quand ils prendraient la route du retour, elle lui ferait part de ses projets.

    L’acte consommé, ils s’allongèrent côte à côte dans le plus simple appareil, laissant le soleil d’octobre les réchauffer de ses rayons anémiés. L’esprit de Judith partit en roue libre. Elle perdit le cours du temps, s’endormit. Quand la brise la réveilla d’un frisson, près d’une heure plus tard, Brent n’était plus là.

    Elle se rhabilla sans s’inquiéter. Il avait dû partir à la découverte de leur minuscule royaume et reviendrait bientôt, bras s’agitant tels des sémaphores, œil pétillant de malice et rire dans la voix pour lui raconter les trésors qu’il avait découverts.

    Mais quand la nuit tomba, Brent n’avait toujours pas donné signe de vie.

    Judith n’attendit pas que le soleil se couche pour s’alarmer. On s’éloignait de l’équinoxe et les jours raccourcissaient vite. D’abord, elle crut à une plaisanterie. Cet idiot adorait lui faire peur, même si elle détestait ça. Elle le lui avait pourtant répété mille fois. La colère monta, renforçant son intention de le quitter pour de bon.

    — Brent Stillman, cria-t-elle. Si c’est une autre de tes maudites farces plates, je ne la trouve pas drôle.

    L’appel demeura sans écho.

    Son intuition féminine se mit en branle. Il était arrivé quelque chose.

    Le jour déclinait et avec lui fuyait la chaleur du soleil. Elle ramassa les vêtements de Brent — l’abruti avait quitté le campement nu comme un ver —, s’empara d’une torche électrique et partit à sa recherche. L’îlot n’était pas grand, elle n’aurait aucune peine à le retrouver. Sa colère s’était éteinte, remplacée par une inquiétude naissante. De sombres pensées polluèrent son esprit. Et s’il avait glissé ? S’il s’était blessé ? Elle avait crié assez fort, il aurait dû l’entendre. Pourquoi n’avait-il pas répondu ? Était-il inconscient ? L’angoisse grandissant, une nouvelle hypothèse germa dans sa tête. Et si une bête féroce avait élu domicile sur l’îlot ?

    Cette perspective la fit revenir sur ses pas. Elle chercha une arme, n’en trouva pas puis songea au canot pneumatique et se demanda si Brent ne l’avait pas plantée là pour aller se balader sur le lac. Mais non, l’embarcation n’avait pas bougé. Elle s’empara d’un aviron. Avec ça, elle pourrait toujours se défendre. À présent, les vêtements étaient de trop. Elle noua le chandail de Brent par les manches à sa taille et abandonna le reste. Tant pis. Il rentrerait la queue à l’air. Cela lui apprendrait.

    Judith décida d’agir avec méthode. Elle explorerait l’îlot en cercles concentriques de plus en plus petits en commençant par la rive. Ainsi, le périmètre à couvrir serait plus restreint lorsque viendrait l’obscurité.

    Du côté opposé à la plage où ils avaient accosté, la berge comprenait de nombreuses dénivellations qui rendaient la progression difficile. Quelqu’un escaladant les rochers pieds nus aurait pu glisser et tomber à l’eau. Remonter sur la terre ferme aurait été malaisé avec ces pans verticaux et lisses. Judith resta plus longtemps à cet endroit, fouillant les alentours et scrutant l’eau noire à la recherche d’un corps que le courant, heureusement faible, aurait pu emporter. Rien.

    Le cercle suivant prit moins de temps. Le terrain était plus égal et envahi par des plantes de petite taille. Elle porta une attention particulière au sol, au cas où le passage de Brent aurait laissé des traces, cependant la terre n’en gardait aucune. La troisième zone se composait surtout de broussailles qui la ralentirent. Sa méticulosité fut cependant récompensée, car elle repéra des branches fraîchement brisées et d’autres qu’on avait désenchevêtrées afin d’ouvrir un passage. L’étroit couloir foré dans la végétation conduisait au chêne.

    Elle se traita d’idiote. Elle aurait dû y songer plus tôt. Curieux comme il était, la première chose qu’avait faite Brent était d’aller examiner l’énorme arbre de plus près. Le chêne poussait sur un promontoire qui dominait l’île. Ses monstrueuses racines avaient pris possession du cône rocheux, s’appropriant la moindre parcelle de terre qui affleurait entre la pierre. On eût dit les bras d’un poulpe cherchant à ouvrir la coquille d’un énorme mollusque.

    La piste s’arrêtait là. Il y avait ce tunnel dans la végétation et le chêne qui fouettait le ciel de ses branches. La scène aurait pu évoquer l’orgueil, la provocation, le blasphème. En réalité, elle traduisait la résistance de la nature aux éléments, la ténacité de la vie devant l’adversité, la victoire de la beauté sur la désolation.

    Brent n’était nulle part.

    Judith fit le tour du fût, prenant garde aux racines qui couraient à ses pieds comme autant de chausse-trapes. Adossée au tronc, elle chercha à s’orienter. Sa situation surélevée et l’absence d’autres arbres de taille conséquente lui facilitèrent la tâche. À travers les taillis, elle vit un bout de sable blond, le faîte de leur tente. Retourner au campement ne lui prendrait que quelques minutes en ligne droite.

    Les ombres s’allongeaient de plus en plus. Les mains en porte-voix, elle appela Brent à plusieurs reprises, pivotant chaque fois sur ses talons jusqu’à accomplir un tour complet d’horizon.

    Aucun rire, aucun « bouh ! », aucun cri de détresse ne répondit à ses appels.

    Au loin, de l’autre côté du lac, elle aperçut les murs massifs de l’abbaye à qui appartenait le domaine. Des rectangles de lumière ponctuaient la façade du bâtiment. Désemparée, elle regarda les ombres grandir encore, le ciel virer de l’écarlate à l’indigo, la lune et les étoiles percer le dais de velours au-dessus de sa tête. Puis elle se ressaisit. Brent devait l’attendre au chaud dans la tente, riant de la plaisanterie qu’il lui avait jouée. Sans doute l’avait-il épiée, tapi dans un coin, main sur la bouche pour ne pas pouffer avant de retourner au campement. C’était du Brent tout craché.

    Elle s’orienta une dernière fois et coupa au plus court à travers la futaie. Ah ! elle lui dirait sa façon de penser. Aucune excuse, aucune explication ne réussirait à l’amadouer. Jamais elle ne lui pardonnerait la frayeur qu’il venait de lui causer et, s’il cherchait à se rapprocher pour faire la paix durant la nuit, il pourrait bien se branler !

    Son ire s’évanouit sitôt la tente en vue. « Mon Dieu, faites qu’il soit là, qu’il ne lui soit rien arrivé », pria-t-elle. Elle préférait encore la moquerie à l’alternative, qu’elle n’osait seulement pas évoquer, de crainte qu’elle ne se réalise.

    Ses espoirs furent de courte durée.

    Le campement était aussi désert qu’à son départ. Aucun rire ne l’accueillit.

    La nuit fut atroce. Le moindre bruit — craquement, froissement, crissement — ravivait une seconde l’espérance que Brent revienne de son inexplicable disparition avant que le silence la replonge dans l’angoisse. L’anxiété lui coupait la respiration.

    Si seulement ils avaient apporté leurs cellulaires, elle aurait pu appeler, avertir la police. Mais non. Cet idiot n’avait rien voulu savoir. Ils camperaient à la dure.

    Incapable de fermer l’œil, elle dressa des plans pour le lendemain. Elle referait le tour de l’îlot et, si Brent restait introuvable, traverserait le lac pour aller chercher de l’aide à l’abbaye. Ils y avaient certainement le téléphone. Alors, les secours viendraient. Des sauveteurs d’expérience qui sauraient comment procéder et trouveraient Brent avant qu’il ne soit trop tard.

    L’aube rosissait à peine l’horizon qu’elle s’activa. Chaque minute comptait. Elle fila droit au chêne, nota la direction de l’abbaye puis refit son parcours de la veille en sens inverse. En pure perte. Pour se donner des forces, elle avala un jus d’orange et croqua une tablette nutritive. Ensuite, elle poussa le canot à l’eau et pagaya avec l’énergie du désespoir jusqu’à la rive opposée.

    Elle avait bien repéré l’endroit où accoster d’après l’emplacement de l’abbaye. En marchant le plus droit possible, elle tomberait fatalement sur le bâtiment, là où la forêt perdait son aspect sauvage pour prendre celui d’un bois domestiqué. Elle estimait en avoir pour une demi-heure environ.

    En fait, il lui en fallut près du double. Quand elle arriva à destination, ses jambes ne la supportaient plus. La fatigue, la faim, l’angoisse s’étaient liguées pour ralentir sa progression. Judith soupira de soulagement quand elle vit les arbres s’espacer et l’herbe remplacer l’humus de la forêt. Accélérant le pas, elle se retrouva bientôt sur le gravillon qui menait à l’édifice et à ses dépendances.

    L’endroit avait connu des jours meilleurs. L’allée était labourée d’ornières, la rouille rongeait le métal, les pelouses s’en allaient en foin et, çà et là, des pierres descellées attestaient la vétusté du bâtiment et le peu de cas qu’on faisait de son entretien.

    Aucune âme en vue.

    Judith se rendit au lourd vantail dans lequel était pratiqué un guichet, comme dans les prisons. Elle s’empara de l’anneau de bronze qui pendait à la porte et cogna avec frénésie avant de remarquer le bouton de sonnette sur le chambranle. Elle l’actionna jusqu’à ce qu’un bruit de pas filtre à travers le battant en bois massif.

    La caricature d’un moine lui ouvrit la porte : petit, rond, chauve, vêtu d’une bure et chaussé de sandales.

    Les yeux de l’homme s’agrandirent.

    — Comment êtes-vous arrivée ici ? fit une voix chaude et paternelle. La grille…

    — Mon père… un accident…

    — Un accident ? Où cela ? Sur la route ?

    — Le lac.

    — Entrez, entrez, mon enfant. Ne restez pas dehors. Vous allez prendre froid.

    Il la fit pénétrer à l’intérieur.

    — Vous avez le téléphone ? Il faut appeler des secours.

    — Oui, oui, bien sûr. Suivez-moi. Il y en a un dans le bureau de l’abbé.

    — Merci, mon père.

    — Frère Mellitus, c’est mon nom, rectifia-t-il machinalement.

    Le moine trottinait sur ses courtes pattes. À chaque pas, la frange de cheveux blancs qui auréolait le sommet dénudé de son crâne battait le cou trapu aux bourrelets rosâtres.

    Ils empruntèrent un couloir, puis un second où les fenêtres donnaient sur une espèce de cour intérieure dont le péristyle encerclait une margelle. Seuls le glissement des sandales du moine et le claquement mouillé des espadrilles de Judith troublaient la quiétude des lieux. Un troisième couloir les conduisit à une porte à laquelle frappa le frère Mellitus. Une voix leur intima d’entrer.

    — Père Herménégilde, excusez-moi de vous déranger, mais c’est cette jeune femme. Elle dit… Elle prétend qu’il y a eu un accident… Sur le lac.

    — Le lac ?

    L’abbé était grand et sec. Il leva le nez du registre dans lequel il écrivait pour les toiser d’un œil sévère.

    Judith poussa le moine qui obstruait son passage.

    — Mon ami a disparu. Il faut faire venir des secours immédiatement.

    — Calmez-vous. Expliquez-moi d’abord ce qui s’est passé, fit le père Herménégilde en l’invitant à s’asseoir.

    Le moment n’était pourtant pas aux politesses. Les minutes, les secondes comptaient. Judith fit un effort pour se maîtriser. Agir en hystérique ne résoudrait rien. Au contraire. Elle accepta donc le siège qu’on lui proposait.

    — Vous avez l’air de mourir de faim. Frère Mellitus, allez chercher quelque chose à la cuisine. Et demandez au frère Romuald de lui préparer une tasse de tisane. Ma tisane.

    — Vous ne croyez pas plutôt qu’un café…

    — J’ai dit ma tisane, le coupa l’abbé.

    Le frère Mellitus partit sans ajouter un mot.

    — À présent, racontez-moi.

    Judith s’exécuta.

    Elle lui narra la brèche dans l’enceinte, la randonnée, la traversée jusqu’à l’îlot et ce qui avait suivi. Elle n’omit qu’un détail : que cette intrusion dans le domaine n’était pas la première — elle ne voulait pas causer d’ennui à Pascal. Elle passa aussi sous silence le fait que Brent était nu. Il serait toujours temps de fournir des explications quand on l’aurait retrouvé.

    Elle terminait son histoire quand revint le frère Mellitus. Sur le plateau qu’il apportait, il y avait des biscottes beurrées, de la confiture et une tasse d’une boisson fumante.

    — Tenez, mon enfant, dit-il en posant le tout devant elle. Voilà qui vous réconfortera.

    L’abbé lui fit signe de se retirer.

    — Je vous en supplie, mon père. Avertissez les autorités, qu’on fasse venir des secours. Je crains le pire.

    — Je m’en occupe sur-le-champ. Buvez tant que c’est chaud.

    Judith prit la tasse et avala une gorgée sans perdre des yeux le père Herménégilde qui décrocha le téléphone et composa un numéro. Le breuvage était amer, mais sa chaleur lui fit du bien. Elle se demanda pourquoi l’abbé avait insisté pour qu’on lui serve une tisane, mais peut-être le café était-il un luxe ici. L’abbé restait muet, combiné collé à l’oreille. Pourquoi mettait-on tant de temps à répondre ? Ils n’avaient pas le 911 par ici ? Puis une grande lassitude l’envahit, ses paupières s’alourdirent et elle sombra malgré elle dans l’inconscience.

    Le père Herménégilde regarda sans réagir la tasse glisser des mains de la jeune femme pour répandre le reste de son contenu sur le sol. La potion était toujours aussi efficace. Une bénédiction pour les insomniaques. Ensuite, il reposa le combiné sur sa fourche tandis que, dans l’écouteur, une voix répétait inlassablement l’heure locale. Cela fait, il alla à la grande armoire contre le mur. En s’ouvrant, les portes découvrirent un compartiment central encadré d’étagères qui supportaient des livres. Un second téléphone reposait sur une tablette coulissante. Vert celui-là. Sans cadran ni clavier. Le père Herménégilde le décrocha. En trente ans, il ne s’en était encore jamais servi. Une série de déclics lui apprirent que la communication s’établissait. Une sonnerie lointaine retentit. Il n’eut pas à patienter longtemps. Au deuxième coup, quelqu’un répondit.

    — C’est arrivé, déclara-t-il, laconique.

    Il écouta silencieusement les instructions puis raccrocha, referma l’armoire et revint s’asseoir à son bureau.

    Alors, seulement, prit-il le téléphone ordinaire pour appeler la police.

    Quand le téléphone sonna sur son bureau, monseigneur Francisco Da Hora le contempla un instant sans comprendre. Un instant seulement.

    Ce téléphone était là bien avant qu’il arrive. Depuis qu’un câble avait été posé au fond de l’Atlantique pour assurer la transmission entre l’Amérique et l’Europe. Jamais encore il ne s’était fait entendre. Monseigneur Da Hora le décrocha et porta le combiné à son oreille.

    — Oui ?

    Deux mots lui firent comprendre la situation.

    Ainsi donc, ce serait lui. Ses prédécesseurs avaient passé d’interminables années dans l’ennui à attendre une improbable sonnerie. Il en avait fait autant jusqu’à ce jour. Maintenant, c’est à lui qu’il revenait d’agir.

    Il donna ses instructions à l’homme auquel le rattachait un simple fil de cuivre, de l’autre côté de l’océan. Elles étaient simples : parer à l’essentiel et attendre. Il arriverait dans les plus brefs délais.

    Des consignes claires avaient été formulées advenant le cas où une telle situation se présenterait. Monseigneur Da Hora les connaissait par cœur. À présent, il devait composer d’autres numéros, parler à des gens qui, comme lui, avaient un téléphone vert sur leur bureau. Un téléphone qui ne sonnait jamais lui non plus.

    Il réfléchit longuement avant de décider de ne pas suivre ces consignes. Pas tout de suite en tout cas. Pas avant de s’être rendu compte par lui-même de la situation et de voir s’il ne pouvait y remédier par ses propres moyens. Car les hommes au téléphone vert se réuniraient et palabreraient longtemps de ce qu’il convenait de faire afin que l’incident ne se reproduise plus. Peut-être proposeraient-ils des solutions, mais il doutait qu’elles se concrétisent. Car ces gens n’étaient pas des hommes d’action. Ils n’étaient plus que des vieillards, faibles et timorés. Ils avaient peur. Ils n’avaient pas, comme lui, été endurcis en suivant les militaires, de champ de bataille en champ de bataille, leur instillant du courage, les aidant à supporter les horreurs de la guerre, réconfortant les blessés et recueillant les ultimes paroles des mourants. Ils n’avaient jamais enlevé la vie d’un païen quand les circonstances l’exigeaient, pour la plus grande gloire de Dieu. Monseigneur Da Hora avait failli être excommunié pour cela. Mais les hommes au téléphone vert étaient venus le trouver et lui avaient déclaré que ceux de sa trempe étaient rares aujourd’hui dans l’Église. Puis, ils lui avaient expliqué ce qu’il devrait faire pour demeurer au sein de la sainte Église catholique, apostolique et romaine. Ce n’était guère compliqué. Il n’avait qu’à rester comme il était. Un croisé des temps modernes. On lui apprendrait même des choses qu’il ignorait et qui le rendraient plus fort.

    Monseigneur Da Hora avait accepté, car servir Dieu et faire grandir Son royaume était l’unique raison de sa vie.

    Encastré dans le mur se trouvait un coffre. Il en sortit un écrin de velours mauve. L’intérieur de la boîte rectangulaire comportait sept loges. Trois seulement étaient occupées. Sur les sept pierres qui auraient dû s’y trouver, deux avaient été perdues, une volée et la quatrième pendait au cou du Saint-Père.

    Il avait la garde du coffret, qui ne devait jamais le quitter. C’était la règle. Monseigneur Da Hora l’emporta donc et partit boucler ses valises. Une voiture d’office le conduirait à l’aéroport où un avion l’emporterait au Canada.

    Dieu seul savait quand il arpenterait de nouveau les couloirs du Vatican.

    II. Qui montre que se promener nu, pour agréable que cela soit, peut présenter des inconvénients

    À l’inverse de Judith, Brent ne s’était pas assoupi après qu’ils eurent fait l’amour. Il était resté étendu un moment à côté d’elle, laissant le soleil lui chauffer la couenne. Puis il avait eu envie d’aller voir le chêne. L’idée de se balader dans le plus simple appareil sur ce lopin de terre perdu entre le ciel et l’eau avait quelque chose d’excitant ; transgresser un interdit l’était encore plus. Il s’enfonça dans les taillis derrière la tente, prenant soin de retenir les branches pour qu’elles ne le fouettent pas, s’habituant vite à l’air qui courait sur sa peau, à la caresse des feuilles et au ballottement de ses organes que plus rien ne comprimait.

    Dix minutes suffirent pour qu’il parvienne à destination.

    Plus techno qu’écolo, Brent savait néanmoins apprécier un bel arbre quand il en voyait un, et celui-ci était magnifique.

    Son tronc montait très droit et ses branches robustes s’étalaient en dôme, tel un parasol. Sur son éminence, cet arbre-là était le roi de la montagne, l’empereur de tous les arbres.

    Brent escalada la butte. Du sommet, on avait vue sur le lac et la forêt. Au loin, on distinguait même le mur d’enceinte interdisant l’accès au domaine et le bâtiment à l’aspect un peu médiéval de l’abbaye. Si quelqu’un regardait dans sa direction pourrait-il le voir ? Il se campa sur ses jambes et tambourina sur sa poitrine avec ses poings, en Tarzan impudique. Puis il se colla au tronc et tenta d’en mesurer la circonférence de ses bras. Impossible. Ses doigts ne se rejoignaient même pas. Le contact de l’écorce chaude et rugueuse contre la peau lui plaisait. Il se demanda s’il ne se convertirait pas au naturisme avant de renoncer à l’idée. La première paire de fesses ou de nichons qui croiserait sa route risquait d’engendrer une réaction sur laquelle il n’exerçait aucun contrôle. Judith lui arracherait la tête, elle qui faisait une jaunisse dès que ses yeux avaient le malheur de s’égarer sur une autre fille qu’elle.

    Il allait repartir quand un renflement de l’écorce attira son attention. Un peu au-dessus de sa tête, la verrue demeurait néanmoins aisément accessible. Il tâta l’étrange boursouflure des doigts, en palpa l’intérieur et rencontra le corps à l’origine de la difformité. Arrondi du bas, pointu du haut, il semblait soudé au bois. Brent essaya de le détacher, mais l’objet tenait bon. À force d’entêtement, il parvint à glisser un ongle entre l’excroissance et l’aubier, ce qui lui procura un point d’appui. Il exerça une traction de plus en plus forte jusqu’à ce qu’il sente le corps céder. Cette fois, ça y était ! Un coup et l’objet se désolidarisa du bois. La pointe se cassa en même temps, lui perforant le doigt. Brent jura. Une goutte écarlate perlait à l’extrémité de son index. Il suça le sang pour mieux se rendre compte. Une écharde. Il essaya d’extraire le point gris, mais ne réussit qu’à l’enfoncer davantage. Tant pis. Il demanderait à Judith de la lui enlever quand il retournerait au campement.

    L’objet était tombé par terre. Il en avait entendu le son. Brent le chercha des yeux, sans succès. Il devait pourtant se trouver quelque part. Il s’accroupit pour mieux voir. Avec les racines qui couraient sur le roc, les recoins étaient si nombreux que la journée n’y suffirait pas. Son quota de patience s’épuisait. Il était temps de rentrer. Le soleil entamait sa descente vers l’ouest. S’il tardait davantage, Judith s’inquiéterait.

    Quand il redressa la tête, il ne comprit pas immédiatement ce qui lui arrivait. Quelque chose clochait, mais quoi ? Puis le déclic se fit.

    Le lac !

    Il n’était plus là. Le lac avait disparu.

    Brent se frotta les yeux. Il avait sûrement la berlue. Un lac entier ne s’évanouissait pas ainsi, le temps qu’on se baisse et se relève. Quoi qu’il en soit, il était bien contraint de se rendre à l’évidence. Là où il aurait dû y avoir de l’eau, on ne voyait à présent que de l’herbe. Qui plus est, passé la prairie, la forêt paraissait différente. Elle n’était plus aussi dense. Le mur et l’abbaye avaient disparu eux aussi.

    Il fit volte-face. Même constatation. Ce n’était plus de l’eau mais des prés qui encerclaient l’îlot.

    Une horrible pensée lui vint : le campement… Judith !

    Il rebroussa chemin à toute vitesse sans se préoccuper des branches qui lui cinglaient le ventre, les cuisses, les fesses. Quand il déboucha, hors d’haleine, là où auraient dû l’attendre Judith, la

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