La métamorphose: D’Angoulême au Sénégal
Par Jacques Respaud
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après avoir vécu plusieurs années à la cité Bel-Air à Angoulême, Jacques Respaud s’est ancré à Bordeaux pour ses études supérieures et sa profession. Responsable syndical puis élu politique local pendant un quart de siècle, il a pu observer les comportements et les évolutions de ses collègues. Délégué aux affaires internationales du département de la Gironde, il connaît bien le Sénégal dont il s’est épris. Autant d’éléments qui sont à la base de nouvelles non publiées et de ce premier roman.
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Aperçu du livre
La métamorphose - Jacques Respaud
1
Chaque mercredi, de 16 à 18 heures, je reçois dans mon bureau tous les citoyens qui le souhaitent. Il s’agit d’une activité importante à mes yeux car elle me permet de connaître les préoccupations des personnes et leurs difficultés à obtenir, pour des raisons diverses, une écoute attentive des administrations et des institutions…
Ce 22 mai 2013, l’horloge marque 15 h 30. J’arrive rarement autant en avance. Je me suis installé au bout de la longue table, principal meuble présent dans la pièce, le téléphone à proximité. Le journal local, Charente Libre, a bien publié l’annonce de ma permanence. Je dois donc m’attendre à recevoir trois à quatre personnes. Comme à chaque fois, leurs demandes porteront sur deux thématiques : le logement et l’emploi. L’écoute des administrés et la compréhension exacte des problèmes qu’ils évoquent avec moi représentent souvent leur dernier recours. Le lendemain, j’interviendrai sous une forme ou une autre, à partir des difficultés abordées, auprès des administrations. Mais toutes les demandes n’aboutiront pas. Les personnes le savent et ne m’en voudront pas car elles tiennent surtout à me faire partager leurs préoccupations : on ne sait jamais !
Je me plais bien dans ce lieu qui commence à avoir une histoire et a vu défiler des hommes politiques locaux et nationaux, voire des ministres, à l’occasion de diverses manifestations. Ce local permet de recevoir du monde parce que contigu à une cour qui peut contenir jusqu’à une vingtaine de personnes, cour dans laquelle un escalier se rendant à l’étage se trouve transformé en « estrade » chaque fois que des opportunités se présentent. Juste en face de ce bureau, un adorable petit square, souvent désert, le parc des Sourires, abrité par une dizaine de grands platanes, peut accueillir des réunions plus importantes.
Je me revois faire campagne, ma première campagne, dans cette ville d’Angoulême, que je connaissais en fait assez peu en mars 1989, pour les élections municipales. Une très belle ville, au-delà des deux points forts que chacun connaît : sa magnifique cathédrale Saint-Pierre, joyau de l’art roman qui figure dans tous les manuels d’Histoire de France en classe de 5e, et le festival annuel de la bande dessinée qui constitue une référence au plan national, voire international. Victor Hugo lui-même, lors de son Voyage vers les Pyrénées, en 1843, avait noté « le spectacle fabuleux de la ville perchée ».
Cette campagne électorale ne fut pas facile à mener car j’exerçais mes fonctions de principal de collège à quarante-cinq kilomètres de là, et j’y avais bien entendu mon logement de fonction. Une fois validée mon élection comme élu d’opposition, je me mis donc aussitôt en quête d’un local qui me servirait de base dans la ville même où je devenais conseiller municipal, un pied-à-terre dans un secteur de la ville où j’avais la possibilité et la prétention de devenir conseiller général. Le secteur d’Angoulême 2, au niveau des résidences Grand-Fond et Bel-Air, avait toutes les qualités requises.
Un vieux militant socialiste, ancien pharmacien mais également bien connu comme propriétaire immobilier, me proposa ce petit espace, vétuste et à retaper, situé dans un ensemble de quatre logements occupés par des locataires en souffrance psychologique et suivis par des associations. Ce local magnifiquement situé se dresse non loin de la gare de chemin de fer, dans une rue qui donne beaucoup d’espoir puisqu’elle se nomme « Belle Étoile ». Une petite rue tranquille, qui en relie deux plus importantes : l’une porte le nom d’un maire d’Angoulême de la fin du XIXe siècle ; l’autre, celle d’un militant syndicaliste cheminot fusillé par les Allemands en 1942.
Une kitchenette-toilettes créée dans une pièce contiguë au bureau, un beau panonceau posé à l’extérieur, des affiches de campagne sur les murs… Je ressens une certaine fierté à pouvoir disposer de ce local, et de l’autonomie que cela me confère dans l’action politique.
Depuis 1989, année de ma première élection, j’ai assis ma notoriété dans cette ville, et dans la communauté de communes dont elle fait partie. Je suis désormais connu comme un homme de dossiers, tenace et opiniâtre dans ses convictions, souvent tatillon, et mes interventions sont écoutées de plus en plus attentivement par mes adversaires politiques, d’autant que les citoyens m’ont élu plus récemment conseiller général.
La sonnerie, désagréable, stridente, horripilante, me sort de cette douce rêverie. Pour la énième fois, je m’en veux d’avoir encore oublié de demander à un militant de la régler… Je me lève, prends le couloir qui mène à la rue et ouvre la porte.
« Bonjour, Jacques ! tu me reconnais ? »
2
Comme il s’avance vers moi les bras ouverts, et après un léger réflexe de recul dû à la surprise, je réponds à ses avances en l’enserrant dans mes bras et je l’accueille par un tonitruant :
« Mais c’est mon ami Georges ! »
Sa présence me fait réellement plaisir et me ramène vingt ans en arrière.
« Eh oui, vingt ans déjà ! »
Plutôt que de l’inviter à entrer, je lui propose de venir prendre un verre à la brasserie située à dix mètres de ma permanence pour arroser nos retrouvailles. Une bonne occasion de déguster la spécialité du lieu : l’halbi, une sorte de cidre composé à partir de pommes et de poires fermentées, qui reflète les origines normandes du patron.
Autour de nous, une dizaine de personnes derrière deux billards et un babyfoot animent la pièce que jouxte une terrasse, plus tranquille, où nous nous installons.
Georges Lalanne n’a pas changé, bien qu’il m’affirme avoir soixante et un ans : les cheveux toujours longs, un peu blanchis et noués derrière par un catogan, le visage marqué par une barbiche, un pull à col roulé et un costume en velours côtelé sorti de la nuit des temps. À l’époque, on le surnommait « le Couettou ».
J’ai eu le plaisir de le connaître en tant que responsable d’un syndicat rattaché à la CFDT qui s’occupe de la défense des intérêts des enseignants : le SGEN-CFDT. Lui, il travaillait dans un CFA (centre de formation des apprentis), spécialisé dans la pâtisserie. Je me rappelle que son cursus imposait le respect. Il avait commencé lui-même comme apprenti. Il avait suivi ensuite les cours du CNED (centre national d’enseignement à distance), cet organisme créé par le Front populaire en 1939 et localisé aujourd’hui pas loin d’ici, au Futuroscope de Poitiers. Cela lui a permis de franchir les échelons successifs jusqu’à l’enseignement et de diffuser sa passion à la fois pour les études et pour la pâtisserie à plusieurs générations d’adolescents. Nous avons collaboré pendant près de six ans pour le fonctionnement du syndicat. Toute l’équipe aimait son sourire paisible, serein, qui évoquait quelque chose de beaucoup plus profond : la bienveillance, la bonté, un cœur généreux. Homme affable, enjoué, légèrement madré, formé au syndicalisme en raison de sa participation aux mouvements de jeunesse chrétienne, il attire tout de suite la sympathie de ses interlocuteurs. Sur ce plan-là aussi, il demeure le même.
Après que nous avons pris des nouvelles l’un de l’autre, discuté de nos anciens amis, il prend un air grave et me déclare :
« Jacques, j’ai un problème et j’ai besoin de tes conseils. »
Il me livre alors le récit suivant, que je peux reconstituer à partir des notes que j’ai prises.
« J’ai un ami que je connais depuis près de trente ans. Il s’appelle Claude Morel. Tu ne dois pas le connaître. Depuis que j’ai fait valoir mes droits à la retraite, huit mois environ, on se voit quotidiennement. En fait, c’est moi qui chaque jour me rends chez lui. Il vit seul. On parle de choses et d’autres en prenant le café, et on commente chaque jour l’actualité. Je me suis vite rendu compte de la fortune qu’il possédait, même si elle ne se voit pas. On lui donnerait cent sous si on le croisait dans la rue. Retraité aujourd’hui, il dirigeait auparavant le lycée Marguerite de Valois, en tant que proviseur. Il possède surtout le domaine viticole Amelia dans les Graves, dont il ne s’occupe pas, ou peu, mais dont il a hérité il y a plus de vingt ans. Sa richesse lui permet de sponsoriser divers spectacles. Et sans lui, à Angoulême, le Circuit des remparts ou le Festival du film francophone ne seraient pas ce qu’ils sont devenus. Jamais marié, il n’a aucune descendance directe. La femme de son frère a donné naissance à trois enfants, deux garçons et une fille, avant de décéder. Quelques années plus tard, il y a environ dix ans, son frère lui-même disparaissait à la suite d’une maladie cardio-vasculaire. En conséquence, les trois enfants sont devenus les futurs héritiers de Claude Morel. Écoute-moi. Le plus jeune des garçons, Paul, qui avait environ 60 ans, est mort en janvier dernier. Il voyageait au Pérou où il est tombé sur une arête rocheuse en visitant le Machu Picchu. Le second, Daniel, a disparu en Inde fin mars. Il est entré dans un temple de Madurai en Inde et on ne l’a plus revu depuis. La troisième héritière, Violette, vit encore dans une maison isolée en banlieue bordelaise. Il semblerait qu’elle ne sorte plus de chez elle depuis plusieurs semaines, et elle