Le Journal du dimanche

Exit Bérénice, exit Rodrigue

le tour des magazines people : les aspirantes Miss France assises sur des bancs d’écolières, toutes en robe rouge (Dieu sait pourquoi), en train de passer un examen de culture générale. Les trente beautés blondes et brunes, la tête penchée, le stylo à la main, répondaient à des dizaines de questions : pourquoi et pour, qui était l’auteur de l’appel du 18 juin, sur quelle île était mort Napoléon… Ces questions ne seront probablement plus posées à nos futurs hauts fonctionnaires ; la commission constituée pour à l’avenir de l’ENA et des grandes écoles doit remettre ces jours-ci son rapport ; il lui est demandé de favoriser la diversité des candidats par l’introduction de quotas ou la fin de l’épreuve de culture générale. Par un réflexe – honte à moi – conservateur, la première et unique fois où j’eus l’occasion de parler à notre Président, je lui demandai si abolir l’ENA était vraiment une bonne idée ; je lui fis part de l’émoi de nombreux amis étrangers qui avaient passé leur vie à vanter cette institution dans leurs pays respectifs et qui ne comprenaient pas cette décision. Il me répondit, sans agacement mais avec fermeté, que l’institution devait pour s’adapter aux changements de société. C’était donc pour le bien des citoyens qu’on ne citerait plus Bérénice et Rodrigue, Vivaldi et Haendel, saint Augustin et Thomas d’Aquin, Toulouse-Lautrec et Manet, Richelieu et Louis XIII dans les lieux où l’on formait les dirigeants de la nation. La culture générale est complice de la reproduction des élites : Bourdieu nous l’avait bien expliqué, mais il n’avait pas été jusqu’à préconiser son élimination. On a avancé dans le progrès ; on évite les frivolités discriminantes et onvse concentre sur les choses utiles, comme les subtilités de la retraite par répartition, l’impôt à la source ou les TVA comparées. C’est comme cela que des bataillons de jeunes gens, formés par un savoir pré-mastiqué, comprendront le monde et feront culturels et politiques. La culture générale provoque des troubles sociaux, elle est à la fois trop individualiste et trop classieuse. Que les littéraires étudient la littérature, les musiciens la musique, les élèves des Beaux-Arts la peinture, pourquoi pas ? Mais, soyons sérieux, il est inutile d’ouvrir ces connaissances à ceux qui n’en feront que des ornements de salon, ça risque de créer du désordre. À un esprit un peu trop conformiste, ces idées paraissent incompréhensibles : si la culture générale est une culture de classe, il faudrait au contraire faire en sorte de la rendre accessible à tous. La soustraire à tout le monde pour éviter les discriminations revient à discriminer tout le monde. Mais bon, ayons confiance, il se trouvera bien des membres de la commission Thiriez pour faire valoir ces arguments si simplets. Quant au comité Miss France, il est décidément ringard et à contre-courant ; sa directrice déclare que et on apprend que c’est bien la gagnante de l’épreuve culturelle – Miss Guadeloupe – qui a aussi remporté haut la main le concours de beauté. Aux dernières nouvelles, elle retire sa candidature à l’ENA.

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