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S’armer de rhétorique: Une nouvelle liberté d’expression
S’armer de rhétorique: Une nouvelle liberté d’expression
S’armer de rhétorique: Une nouvelle liberté d’expression
Livre électronique221 pages2 heures

S’armer de rhétorique: Une nouvelle liberté d’expression

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À propos de ce livre électronique

Longtemps ignorée du grand public, la rhétorique captive chaque jour de nouveaux adeptes. Rendue accessible depuis l’essor d’Internet, on découvre son pouvoir de convaincre. C’est que la liberté d’expression qu’elle autorise donne un aplomb et une force d’affirmation autrement plus efficaces que la méthode enseignée à l’école de la République, à l’origine du pessimisme et du relativisme ambiants. Dans une France qui doute d’elle-même et dont l’unité chaque jour s’étiole et se fragilise, réhabiliter la rhétorique et l’enseigner au plus grand nombre est le moyen de retrouver enfin foi en nous-mêmes.



À PROPOS DE L'AUTEUR

David Jarousseau est formateur en rhétorique et en prise de parole en public. Il enseigne à l’École de guerre, à Sciences Po Executive Education, à l’UM6P de Rabat, au sein d’entreprises et d’établissements scolaires.
LangueFrançais
Date de sortie23 avr. 2024
ISBN9782745362902
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    Aperçu du livre

    S’armer de rhétorique - David Jarousseau

    Prologue

    La raison est le guide le plus sûr de la recherche de la vérité. Tel est le principe qui gouverne la pensée française depuis plus d’un siècle.

    En finir avec la croyance en un principe supérieur à l’homme, lui-même devenu la mesure de toute chose, a marqué une rupture anthropologique qui s’est traduite politiquement par la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. Désormais, à l’école de la République, des générations d’élèves sont rigoureusement préparées à penser de façon stricte, en suivant un cheminement de pensée particulier, la dialectique. Ce raisonnement matérialiste tripartite de type thèse, antithèse, synthèse, dont la raison, comme une huile, graisse les rouages de l’argumentation, est la seule et unique bonne manière de répondre à une problématique donnée, toutes disciplines confondues - Français, Histoire, Géographie, Philosophie, Droit, etc. Ce mode de raisonnement, où tout marqueur de subjectivité est proscrit, se prolonge au cours des études supérieures, quel que soit le cursus suivi par l’étudiant. Or, cela exerce une influence considérable sur le devenir du citoyen dans sa manière de penser Dieu, l’homme, le monde, la France et lui-même ⁠: il s’entraîne en classe à déconstruire ces concepts jusqu’à rendre vaine toute tentative de définition. Il peut même en venir, en toute logique, à nier leur existence. Et vivre ainsi, sans aucune certitude.

    En France, la pensée a donc cette forme étroite, bornée, hors de laquelle il n’y a rien. Elle est un système linéaire piloté par la raison, épuré de toute trace de personnalité.

    Dérivée du doute méthodique de René Descartes, l’incrédulité fut pourtant une force motrice de la pensée la française, de l’échelon individuel à l’échelon politique. C’est par elle que la France s’est libérée avant les autres nations de l’autoritarisme de l’Église catholique qui bridait le potentiel de l’individu, condamné par le déterminisme social. Mais la loi de séparation des Églises et de l’État nous a conduit à faire de l’incrédulité un absolu indépassable. Pis ⁠: l’incrédulité est devenue notre croyance. Ni Dieu ni maître ⁠: nous ne croyons en rien ni en personne. Même les valeurs trinitaires de la République, Liberté, Égalité, Fraternité, deviennent des concepts flous. C’est que le doute hyperbolique est devenu notre logiciel intérieur. Cette façon que nous autres, Français, avons de penser montre aujourd’hui de flagrantes limites.

    Peser le pour et le contre en toutes circonstances avant de délibérer est une action inopérante lorsqu’il s’agit d’improviser, de décider dans l’incertitude, de prendre des initiatives, de saisir des opportunités. À systématiquement réfléchir avant d’agir, on en vient à reléguer l’action à plus tard et à n’avoir raison qu’à rebours. La conviction d’avoir raison avant les autres sans parvenir pour autant à convaincre, à faire un choix à temps et à agir en conséquence, tel est le lourd handicap de la pensée française. Le matérialisme dialectique qui fonde notre façon de penser n’a pas seulement tué Dieu ⁠; il a également détruit ce qui fonde la pensée opérationnelle, à savoir l’optimisme, sans lequel aucune idée ne peut plus surgir. Cet optimisme, nous avons bel et bien cessé d’y croire, puisque l’école nous a appris à y renoncer.

    C’est dans une France rendue pessimiste à force d’avoir fait du doute hyperbolique l’alpha et l’oméga de la pensée critique que s’organise une résistance hostile à la démocratie, à la République, à la laïcité, mais églament aux libertés de conscience, de pensée et d’expression. Qu’ils soient politiques ou religieux, des mouvements travaillent à la manipulation de l’opinion par la force d’affirmation et le dirigisme de leur doctrine. Trop sûre de la supériorité de sa tradition universaliste et assimilationniste inspirée des Lumières ⁠; trop sûre de sa constitution de 1958 qui affirme dans son article premier ⁠: « ⁠La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ⁠» ⁠; trop sûre de l’évidente supériorité de la laïcité à la française, rationaliste et républicaine, la France ne sait plus comment créer les conditions d’un nécessaire rassemblement autour de principes communs.

    L’essor des réseaux sociaux a multiplié indéfiniment les canaux d’informations. Chacun s’informe comme il l’entend, au point que personne ne sait plus à quel saint se vouer. L’école croyait bien faire en nous enseignant à sans cesse douter de tout, à diversifier nos sources d’information pour forger notre esprit critique. Désormais, de plus en plus de Français cultivent une véritable défiance envers les médias traditionnels et préfèrent s’en remettre à des organes de presse alternatifs ou à des « ⁠influenceurs ⁠», jugés plus transparents. La force de ces nouveaux médias est de fournir à l’intéressé une explication satisfaisante de son incapacité à maîtriser son existence, découvrant avec soulagement qu’il n’est pas responsable de ses échecs. D’autres forces complotent à sa destruction et à la privation de sa liberté. Notre époque est un point de bascule qui laisse augurer une ère de post-vérité, où chaque individu vivrait dans une bulle communautaire, au seul contact de ceux qui partagent les mêmes croyances.

    *

    Mais un événement en apparence futile s’est produit en ce premier quart de XXIe siècle qui peut bouleverser la donne et redonner espoir. Avec l’essor d’Internet sont devenus accessibles une infinité de savoirs jadis réservés aux initiés, parmi lesquels la rhétorique. Cette méthode de persuasion théorisée par Aristote autorise une liberté d’expression autrement plus importante que la dialectique. Elle invite celui qui s’en sert à s’émouvoir et à mobiliser des émotions chez ses interlocuteurs pour convaincre, délibérer, décider, agir. Cet art vieux de plus de deux mille ans est donc aux antipodes de ce que l’on nous enseigne dès notre plus jeune âge. C’est pour cette raison qu’elle séduit chaque jour de nombreux adeptes, alors qu’elle était jusqu’alors réservée aux élites prédestinées à diriger et à commander.

    Avec la révolution numérique, la rhétorique s’est tout à coup démocratisée au point d’être devenue un « ⁠soft skill ⁠», une compétence efficace dans le cadre de la formation professionnelle. Quelques voix se font entendre pour suggérer que celle-ci soit enseignée non plus de façon théorique mais désormais de façon pratique dès le lycée afin de forger le citoyen engagé de demain. La rhétorique annoncerait alors le grand retour de l’irrationnel, c’est-à-dire de tout ce qui dépasse le cadre étroit de la raison, dans le champ de la pensée.

    Cette reviviscence de la rhétorique est donc un point d’inflexion de la pensée française, comme il s’en est produit d’autres dans le passé, dont il s’agit aujourd’hui de bien prendre la mesure. D’un côté, le fait qu’elle soit devenue accessible à tous interroge ⁠: une démocratie peut-elle se maintenir si chaque citoyen détient un pouvoir d’influence aussi puissant que la rhétorique ⁠? L’apprentissage de la rhétorique, selon le principe de libre-examen, ne risque-t-il pas de causer la défiance généralisée ⁠? En ce qu’elle libère la parole de sa rationalité, la rhétorique n’a-t-elle pas justement un lien avec l’inquiétante propagation des fake news, avec l’essor des mouvements religieux et politiques intégristes ⁠?

    D’un autre côté, l’intérêt croissant pour la rhétorique n’est-il pas aussi une opportunité de renouveler la pensée française, enfermée dans le carcan dialectique et privée de sa fonction principale ⁠: prendre des décisions dans un monde opaque, complexe et sans cesse changeant ⁠? Une conscience rhétorique ⁠: n’est-ce pas le meilleur rempart face aux fanatismes idéologiques et religieux, face au relativisme, face à l’absolutisme ⁠? La rhétorique peut-elle refaire dialoguer en France celui qui croyait au ciel et celui n’y croyait pas et œuvrer à leur salutaire réconciliation ⁠?

    *

    Ce livre se structure en trois parties.

    Le premier livre fait le constat que la pensée française exclut l’optimisme de son champ depuis l’effacement progressif de l’idée de Dieu et son remplacement par la raison la plus obtuse. Dès l’école, elle est devenue un système clos, appelé dialectique, où tout ce qui échappe à la raison pure et objective est discriminé. Cette façon d’apprendre à penser conduit à une philosophie relativiste et à l’incrédulité absolue au point d’empêcher l’indispensable esprit d’initiative d’éclore.

    Le deuxième livre traite de la soudaine popularité de la rhétorique. Définie depuis Aristote comme l’art de convaincre, la rhétorique est en réalité l’autre nom de la liberté d’expression. Jadis réservée aux seules élites politiques et religieuses, elle se démocratise depuis l’essor des réseaux sociaux. La rhétorique est un pouvoir désormais partagé, ce qui n’est pas sans poser question ⁠: employée sans discernement ou à des fins de manipulation, elle menace la cohésion de la nation.

    Le troisième livre se propose de montrer que la reviviscence de la rhétorique est une opportunité de restaurer la pensée française dans toute sa vitalité. S’armer de rhétorique est nécessaire pour créer une génération de citoyens capables de penser par eux-mêmes.  

    Livre premier ⁠:

    La grande illusion

    Introduction 

    Poser une question qui ne se pose pas est la meilleure façon de prouver qu’elle se pose.

    François Mitterrand

    Traditionnellement, la démocratie française se définit comme « ⁠le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ⁠». Tous les citoyens jouissent du droit d’exprimer le sens qu’ils entendent donner à la vie de la nation à travers la voix des femmes et des hommes politiques qu’ils ont élus et qui les représentent au Parlement. Lorsque la voie parlementaire ne suffit pas à servir la cause en laquelle ils croient, ils manifestent leur désapprobation par d’autres moyens fixés par la Constitution. Celle de la Ve République autorise le droit de grève à condition qu’il « ⁠s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent" (alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946). En règle générale, le débat parlementaire suffit quand même à contenir la tentation de la révolte dès lors qu’il est la traduction fidèle des différentes opinions qui traversent la société. Chaque citoyen a l’opportunité de se prononcer à titre individuel par le vote lors d’une élection ou d’un référendum. Ainsi prend-il part à la vie de la Cité et contribue-t-il à la stabilité du modèle démocratique.

    L’essor de la télévision a modifié en profondeur le rapport entre le politique et le citoyen. Le peuple ne savait rien ou si peu du débat parlementaire, hormis les comptes-rendus qu’en faisait la presse écrite. Désormais, il en découvre l’énergie particulière au cours d’émissions dédiées à la confrontation d’idées. A l’origine courtois et strictement encadrés, les débats s’échauffent au fil des années et font grimper l’audimat. C’est que les politiques apprennent et intègrent de nouveaux codes de communication indispensables pour convaincre et influencer les téléspectateurs sur le petit écran, très différents de ceux qui sont en vigueur au Parlement. Au fur et à mesure que les émissions se diversifient, le politique cherche moins à représenter le « ⁠peuple ⁠» - le terme donnant l’illusion d’une foule homogène - qu’à orienter une « opinion publique » mouvante et instable en se servant des fameux « ⁠éléments de langage ⁠», c’est-à-dire ces formules rhétoriques qui déjouent l’esprit critique de l’auditoire à des fins d’influence.

    La multiplication des chaînes de télévision et la révolution numérique ont relégué le rôle du Parlement au second plan. La communication publique est devenue une stratégie à part entière pour influencer l’opinion et engager un rapport de force avec les adversaires politiques. Celui qui parle plus fort, celui qui se montre disruptif, voire le plus délirant dans ses propos, parvient à retenir l’attention. La polémique par l’absurde ou par l’outrance assure à l’intéressé l’accès à tous les plateaux de télévision dans le but qu’il clarifie sa position, tandis qu’il en profite pour agir sur l’opinion.

    Voilà donc plusieurs années maintenant que le débat parlementaire n’est plus le temple privilégié de la confrontation des idées. Désormais, la bataille de l’opinion se joue dans l’espace médiatique et très singulièrement sur Internet. Les politiques ont pris d’assaut les réseaux sociaux sitôt qu’ils ont compris la force de frappe de ce nouveau canal de diffusion. En être absent est un suicide politique. C’est sur ces plateformes qu’on lance les hostilités, qu’on règle ses comptes, qu’on dégaine le premier. Les politiques rivalisent d’inventivité pour provoquer, diviser, choquer. La pondération n’a pas sa place dans cet espace de liberté. Un discours modéré ne fait pas réagir. Il faut être aimé ou être haï. Tout mais pas l’indifférence.

    A leur tour, les citoyens ont bien compris le pouvoir illimité que leur conféraient les réseaux sociaux. On y ose davantage. On teste, on tente des coups d’éclat. On essaie de se placer et de grignoter de l’espace pour gagner en visibilité. Exister, c’est communiquer. A tout prix. On en vient à prendre position sur des sujets d’importance mineure ou qui ne relèvent pas de ses compétences immédiates. Qu’importe. Je parle donc je suis. Depuis que tout le monde a voix au chapitre, que le politique n’a plus le monopole du débat démocratique, on en profite. Il faut parler ici et maintenant. Chacun peut vivre son quart d’heure de gloire warholien. Internet est thaumaturge ⁠: il a rendu la parole au peuple, lui qui avait appris à se taire quand il ne savait pas, lui qui avait délégué la défense de ses intérêts aux parlementaires. Désormais, chaque citoyen veut se représenter lui-même et en personne, donner de la voix et porter ses convictions. L’unité du peuple se disloque. Désormais, c’est chacun pour soi. La démocratisation du débat a débouché sur une dictature de l’opinion. Or, si chaque voix compte, au nom de quoi une voix compterait plus qu’une autre ⁠?

    L’illusion d’un peuple sûr de lui-même

    Une démocratie se distingue d’une dictature par la liberté dont jouissent les citoyens d’exprimer des avis différents de la doxa, c’est-à-dire de l’opinion de la majorité. Ainsi parle-t-on de « ⁠paradoxe ⁠» pour désigner un énoncé contraire à l’opinion commune. Dans un régime démocratique, le Gouvernement a pour vocation de convaincre une majorité de citoyens que les mesures qu’il veut adopter, les reformes qu’il veut engager, les projets qu’il veut mettre en œuvre sont conformes aux aspirations profondes du peuple. Il en va de même pour toute organisation hiérarchisée, de l’entreprise civile à l’institution militaire, avec d’évidentes spécificités pour cette dernière. Tout pouvoir en place doit convaincre que la direction qu’il souhaite prendre est identique à la volonté, consciente ou non, de ceux sur lequel ce pouvoir s’exerce.

    Convaincre quelqu’un suppose qu’il approuve la définition que l’on donne des termes du sujet en discussion. Pour le dire autrement, on ne peut pas obtenir l’assentiment d’un interlocuteur qui réfute les principes et définitions que l’on pose comme

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