Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Toutes les fois où j'ai failli mourir
Toutes les fois où j'ai failli mourir
Toutes les fois où j'ai failli mourir
Livre électronique131 pages1 heure

Toutes les fois où j'ai failli mourir

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un enfant des Trente Glorieuses. Un quartier populaire de Genève : Vieusseux. Une époque : les années 1950-1960. Une quête : devenir grand !
Le récit se développe autour du parcours de ce môme qui veut appréhender un monde plein de promesses et y trouver sa place. Il va même jusqu’à se mettre en danger pour tester ses capacités, défier les éléments et combattre ses faiblesses.  

Onze épisodes, onze moments de sa vie où, dans l’adversité́, il va apprendre à se forger une belle confiance en lui pour devenir adulte.
« Risquer sa vie pour une vieille boîte de conserve, est-ce que ça a un sens ? ... » L’auteur y répond avec sagacité et humour.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Pierre-André Sand est né à Genève en 1951. Comédien, musicien, auteur et producteur de spectacles d’humour, il a écrit de nombreux textes pour le théâtre, notamment pour la Revue genevoise qu’il a dirigée de 1996 à 2002. Toutes les fois où̀ j’ai failli mourir est son premier ouvrage.

LangueFrançais
Date de sortie8 sept. 2023
ISBN9782970163282
Toutes les fois où j'ai failli mourir

Lié à Toutes les fois où j'ai failli mourir

Livres électroniques liés

Fictions initiatiques pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Toutes les fois où j'ai failli mourir

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Toutes les fois où j'ai failli mourir - Pierre-André Sand

    1

    Six semaines

    «Merci, monsieur Fleming!»

    1951, l’hiver est rude. Le pétrole manque et les radiateurs sont presque froids dans ce petit appartement de la cité Vieusseux, l’un des premiers quartiers périphériques de Genève. Je suis né cette année-là, fin octobre, six ans après mon frère qui allait déjà à ce qu’on appelait «l’école enfantine». Mon père, technicien dans une usine de compteurs électriques, et ma mère au foyer, artiste dans l’âme, ne s’attendaient pas à la surprise que je fus pour eux. C’est avec joie et application qu’ils veillaient sur ce fruit d’automne de trois kilos huit cents aux grands yeux noirs qui prenait bien, comme on dit. Heureusement!

    À l’âge de six semaines, après une nuit agitée comme souvent chez les enfants qui ont des coliques ou des otites ou autre chose qu’on ne comprend pas toujours, bref, qui ne font pas leurs nuits, l’inquiétude de mes parents grandit lorsque la fièvre s’en mêla. Mon frère dormait encore. Puis, tôt le matin, toux sèche et respiration difficile. Il n’en fallut pas plus pour que ma mère décide d’appeler le médecin alors que mon père venait de partir au travail la boule au ventre et que l’aîné, qui ne se doutait de rien, était sur le chemin de l’école après un rapide petit-déjeuner – mes parents ont souvent évoqué cet épisode traumatisant.

    Au bas de l’immeuble, la boucherie de M. Patry tenait lieu de cabine téléphonique. Il était le seul de tout le quartier à avoir un abonnement aux PTT, ou peut-être pas, mais en tout cas le seul qui autorisait les clients à s’en servir et qui transmettait les messages urgents aux habitants. Un vrai commerçant. Ma mère y appela le médecin. Puis, elle demanda à des amis voisins, les Ackermann du 34, de prendre mon frère pour le déjeuner. Ils le gardèrent jusqu’au soir vu la situation.

    Vers 11h, le pédiatre arriva dans sa voiture Hillman Minx verte décapotable de 1950 et, au grand dam des gens de l’immeuble, la gara n’importe comment sur le trottoir du cordonnier d’en face. Ça ne se faisait pas! Derrière le pare-brise un carton «Urgence, Dr Vogt pédiatre» découragea toute rouspétance. À cette heure, les enfants du quartier qui sortaient de l’école commencèrent à se regrouper autour de cet engin mal parqué, une curiosité pour les gamins, dont certains se demandaient si une capote de toile pouvait supporter en plein hiver le poids de la neige sans s’effondrer sur les sièges et, en en parlant, mettaient le doute aux autres sur la solidité de ce toit de tissu.

    Dans ce quartier populaire, les automobiles étaient rares et provoquaient toujours intérêt et fascination. Mes parents n’avaient pas de voiture, comme la plupart des habitants, et quand les Magnin du 36 firent l’acquisition d’une Renault 4CV le bruit courut que la famille, et surtout leurs marmots, n’avait pas mangé de viande pendant deux ans et qu’elle ne se nourrissait que de pâtes pour se la payer… La jalousie est un vilain défaut!

    Après une rapide, mais experte auscultation dans ma chambre d’enfant, suspicion d’infection des bronches et des poumons. Le Dr Vogt n’hésita pas une seconde et nous prit dans sa voiture, ma mère et moi, direction l’hôpital cantonal. Je fus admis immédiatement et les examens confirmèrent une bronchopneumonie et un début de pleurésie. Le pronostic vital était engagé vu mon très jeune âge.

    Dans la voiture qui traversait la ville direction l’hôpital, le Dr Vogt roulait vite et ne disait pas un mot. Il brûla même deux des rares feux rouges de la ville, certes avec prudence, mais aussi avec la détermination de celui qui doit honorer son serment, de celui qui, dans ce cas, est le seul à prendre les décisions salutaires pour le petit patient que j’étais. Le statut du médecin était respecté à l’époque, et il le savait.

    Assise à l’arrière sur la banquette de cuir brun, ma mère suffoquait d’angoisse au rythme de mes gémissements et de ma bruyante et courte respiration. Elle me tenait emmitouflé dans une couverture patchwork qu’elle avait tricotée avec des restes de laine.

    Elle tricotait souvent, assise sur une chaise devant la table du salon, se tenant bien droite, calme et concentrée. Ses doigts, en revanche, s’agitaient dans une sorte de chorégraphie bien réglée et vertigineuse. Ses aiguilles plongeaient dans les boucles, son index tournoyait autour de leur pointe, et poussé par l’autre doigt, le fil se dégageait créant les mailles qui s’alignaient à toute vitesse comme par magie. Les boules aux extrémités des aiguilles fouettaient presque ses flans. On aurait dit un essaim d’abeilles agité autour de sa taille, le tout dans un petit concert de cliquetis.

    Donc, sous cette chaude couverture de laine, je n’allais pas bien du tout. Les mères s’en font toujours pour leurs bambins, mais là, elle ne savait plus comment s’en faire. Elle n’entendait que le bruit du moteur assourdi par l’anxiété, envahir l’habitacle et brouiller sa raison. Elle ne comprenait pas. Comment cela a-t-il pu arriver? Elle avait pourtant fait bien attention de me protéger de la fraîcheur de l’appartement, de bien me couvrir avant d’ouvrir les fenêtres pour aérer; une minute ou peut-être deux… Était-ce trop? Il faut bien aérer un peu, bon sang! Ne pas aérer, c’est mauvais pour la santé! Alors quoi, aérer c’est pire? Maudit hiver, maudit pétrole!

    Sur les indications presque machinales de ma mère, l’hôpital fit appeler la direction de l’entreprise où travaillait mon père, lui demandant de venir rapidement sans autre explication. Il se doutait bien qu’il s’agissait de mon état de santé, mais l’hôpital…? Le pédiatre n’a donc rien pu faire? C’est donc grave? Les questions se bousculaient dans sa tête! L’entreprise lui commanda un taxi, ce qu’il n’avait jamais pris, mais le paternalisme bienveillant se devait de bien traiter les employés. Un taxi: ça devait être effectivement très grave. Il ne profita pas du privilège que lui offrait la course.

    On m’avait pris en charge et dirigé vers le service des urgences pédiatriques. Ma mère était hagarde, assise seule dans un petit bureau d’infirmière. Mon père arriverait sous peu, mais même l’idée qu’il soit là ne la rassurait pas.

    On l’avait séparée de moi, elle n’y pouvait plus rien, le mal était fait. Une mère doit toujours savoir quoi faire pour son nourrisson. Ne rien pouvoir faire: le pire pour une mère. On l’avait amputée de la partie d’elle-même qui grouillait de vie et d’espoir. La culpabilité se mêlait à la souffrance viscérale de perdre encore un enfant. Elle avait déjà subi deux fausses couches, je l’ai appris bien plus tard, et je ne peux qu’imaginer l’état dans lequel elle se trouvait à cet instant.

    – Mon Dieu, mais qu’est-ce qui se passe? demanda mon père essoufflé par l’inquiétude et les interminables couloirs de l’hôpital.

    Peu enclin aux effusions, il ne dévoilait que rarement ses émotions. Ma mère ne l’avait jamais vu comme ça. Elle ne put que hausser les épaules et fondre en larmes. Il la prit dans ses bras tremblants et la serra fort pour se rassurer lui aussi. Les deux, seuls dans cette petite pièce, restèrent silencieux pendant de longues secondes. Puis, essayant de se calmer, mon père demanda ce que les médecins lui avaient dit. Ma mère, en pleurs, ne put que secouer la tête.

    Un étourdissement fit reculer mon père. Ses joues brûlaient et deux petits mots lui sortirent de la bouche.

    – Il est…?

    Voyant sa tête, ma mère comprit la terrible issue qu’il envisageait. Elle trouva là l’occasion de reprendre le dessus, de se sentir à nouveau utile, d’assumer son rôle de mère. Un «NON» catégorique et presque outré résonna dans la pièce. Mon père:

    – Alors quoi?

    Presque furieux de se faire enlever ses prérogatives de mâle protecteur. Son métier était de trouver des solutions, mais il lui fallait des éléments concrets:

    – Qu’est-ce qu’il a, dis-moi?

    Ma mère voulut lui dire le peu qu’elle savait, mais les sanglots obstruaient encore sa gorge.

    Trois coups frappés vinrent à son secours, et la porte s’ouvrit. Le médecin-chef des urgences se tenait là, calme, sans expression particulière, insupportable de sérénité. Il portait une longue blouse blanche jusqu’à mi-mollet s’attachant à l’arrière par des lacets le long du dos tous les vingt centimètres, avec un petit col serré faisant le tour du cou, un col romain, oui c’est ça! On aurait dit un curé dans une soutane blanche, un stéthoscope lui servant d’étole.

    Les médecins et les curés étaient respectés à l’époque… et ils le savaient. Il referma la porte calmement, trop calmement. Les secondes qui s’écoulèrent entre cet instant et sa première phrase semblèrent une éternité à mes parents qui n’osèrent pas interrompre ce quasi-rituel par leur anxiété. Le verdict était clair. Une infection gravissime des voies respiratoires ne me laissait que peu de chances de m’en sortir malgré les fortes doses de pénicilline préconisées.

    Pourtant, la découverte du Dr Alexander Fleming, due à son inattention et au désordre dans ses boîtes de Pétri laissées en vrac dans son laboratoire pendant un mois de vacances, était devenue, dans les années quarante, le médicament miracle pour la médecine de l’époque. La pénicilline agit encore aujourd’hui sur la plupart des infections, contre la méningite, la gonorrhée, contre la diphtérie, le tétanos, la syphilis et la pneumonie précisément.

    Les médecins, longtemps décriés par les pamphlétaires des siècles passés pour leur pédantisme – on connaît le célèbre M. Diafoirus –, pouvaient dès lors se revendiquer pédants sans subir les railleries, grâce à la science et surtout, chose curieuse, au hasard et à la sérendipité (un peu de pédantisme ne fait pas de mal).

    Plus sérieusement, cette découverte changea radicalement le rapport qu’entretenaient

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1