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Portrait de ma mère en fuite
Portrait de ma mère en fuite
Portrait de ma mère en fuite
Livre électronique246 pages3 heures

Portrait de ma mère en fuite

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À propos de ce livre électronique

Quand la mer se retire, elle abandonne dans le creux des vagues ces murmures qui vous poursuivent à jamais…
J’ai eu deux mères, une en basse saison et l’autre en haute saison. Je suis le fruit multiple d’une fuite silencieuse et d’un désir violent d’enfant. En quelque sorte, l’une m’a poussé du haut de l’arbre afin de pouvoir s’envoler, et l’autre s’est précipitée avant que je m’écrase au sol. Je suis tombé, mais par amour, sans me faire mal apparemment…
Ce livre raconte l’histoire d’un vol à voile entre un abandon et une étreinte.


À PROPOS DE L'AUTEUR


L'auteur a passé son enfance à Nantes, France. Très tôt, il marque une orientation vers la littérature. Celle-ci se renforcera avec les années. Férue de lettres et d'écriture, auteure de poésies, sa mère le confortera dans cette voie. Après ses études, il part enseigner la langue française à Tokyo, puis en Belgique. Il vit aujourd'hui près de Bruxelles, où il travaille à l'écriture de ses romans
Manuel Verlange est membre de la [SACD]http://sacd.be et de la SCAM http://scam.be. Son profil complet figure dans BELA http://bela.be, organe de la Société des Auteurs.

LangueFrançais
ÉditeurEncre Rouge
Date de sortie14 avr. 2022
ISBN9782377898190
Portrait de ma mère en fuite

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    Aperçu du livre

    Portrait de ma mère en fuite - Manuel Verlange

    cover.jpg

    Éditions Encre Rouge

    img1.jpg ®

    174 avenue de la Libération – 20 600 BASTIA

    Mail : contact.encrerouge@gmail.com

    ISBN papier : 978-2-37789-697-4

    Dépôt légal : Mars 2022

    Manuel VERLANGE

    Portait de ma mère en fuite

    Du même auteur :

    Secrets de Minuit. Poésie.

    Éditions Saint-Germain-des-Prés. Épuisé.

    Pauvres de nous ! Roman.

    Éditions Encre Rouge. Mai 2019.

    Film en développement chez Happy Moon Productions.

    La Haine a de beaux jours devant elle. Roman.

    Éditions Encre Rouge. Décembre 2019.

    Demain n'est pas certain. Roman.

    Éditions Encre Rouge. Mai 2020.

    Prix de l'Évasion : Salon du Livre de Llupia.

    L'Abandon du ciel.

    Éditions Encre Rouge. Avril 2021.

    Portrait de ma mère en fuite.

    Réédition de Vue sur mère, paru en 2017. Éditions Encre Rouge. Mars 2022.

    À paraître :

    La Statue du Commandeur.

    Éditions Encre Rouge. Mai 2022.

    Préface.

    L’idée est originale : raconter sa vie d’avant sa vie, c’est-à-dire avant sa naissance et avant sa conception même, comme une sorte de préquelle biographique. Car la vie de Manuel commence au moment où naît le désir d’enfant chez Suzy, sa mère qui n’est pas encore sa mère, tout en l’étant déjà.

    Suzy est dévorée par le désir viscéral, presque obsessionnel, d’avoir un enfant. Elle est prête à tout pour « tomber enceinte », comme elle dit. Mais le projet se révèle plus compliqué que prévu. Soutenue par Théo, son ami de toujours, aidée par un gynécologue et un psychanalyste - dont l’auteur nous livre en filigrane des portraits très réussis- elle traverse avec une sorte d’héroïsme shakespearien des périodes de doutes, d’espoir, de joie et de dépression.

    Dans le tourbillon de Suzy, Manuel Verlange suit cette quête obsédante avec tendresse et nous emporte avec sa plume alerte dans un récit dense et passionné, poignant mais souvent drôle. Comme il l’aime, Suzy ! Comme il l’aime cette femme qui va devenir sa mère ! Et comme nous l’aimons aussi ! Plus qu’une ode à la maternité, Manuel Verlange nous offre un magnifique chant d’amour et d’humanité qui nous fait sacrément du bien.

    Jean-Paul von Shramm.

    Décembre 2021.

    Avant-propos pour cette réédition.

    Lors de sa parution en mai 2017, ce texte s'intitulait Vue sur mère. Il a fait ses premiers pas à la rencontre des lecteurs, ce qui m'a valu des retours émouvants. Mon éditeur, André Israel, directeur et fondateur des Éditions Encre Rouge, a souhaité rééditer ce texte.

    Si le titre a changé à sa demande, les pages n'ont pas été modifiées, elles ont simplement subi un amaigrissement souhaitable quand les années s'installent. La flamme du texte, son insolence et ses personnages socialement incorrects sont intacts. Ils font partie de cette recherche d'identité qui m'anime depuis que j'ai appris mon trou noir d'origine. Ces personnages m'ont fait, en quelque sorte. Je leur dois ce livre. Et tous les autres livres.

    Je ressens une tendresse pour ces personnages évadés de la réalité. Il y a en eux une belle dose d'amour, de folie, et cet humour sans lequel la vie serait invivable. Ils se débattent à coeur ouvert, ils n'existent pas, ils existent terriblement.

    Je tiens ici à remercier André Israel pour sa confiance et son engagement.

    Manuel Verlange

    Décembre 2021.

    À Suzy Verlange, qui aurait pu ne jamais devenir ma mère, mais qui savait  remettre la fatalité à sa place. Ces quelques pages écrites pour rire, avec les larmes aux yeux.

    *

    Pour Romain Gary, avec mon inépuisable admiration.

    *

    Mes remerciements chaleureux à Francis Dannemark, pour son soutien, ses conseils lumineux et francs, et sa confiance.

    Quand la mer se retire, elle abandonne dans le creux des vagues ces murmures qui vous poursuivent à jamais...

    J’ai eu deux mères, une en basse saison et l’autre en haute saison. Je suis le fruit multiple d’une fuite silencieuse et d’un désir violent d’enfant. En quelque sorte, l’une m’a poussé du haut de l’arbre afin de pouvoir s’envoler, et l’autre s’est précipitée avant que je m’écrase au sol. Je suis tombé, mais par amour, sans me faire mal apparemment...

    Ce livre raconte l’histoire d’un vol à voile entre un abandon et une étreinte.

    Danny s'est levé pour s'approcher de la fenêtre. Il a essuyé la vitre. Je lui avais tout raconté, il n'en restait qu'une mince pellicule de buée.

    Il a murmuré de sa voix chaude, blessée :

    ⸺ ... Tu n'étais encore qu'un bébé, et un bébé ne peut pas rester seul dans une chambre vide, entre une lettre d'abandon et une infirmière désemparée...

    Il a repris après un instant de silence :

    ⸺ Que s'est-il passé ?...

    Dehors, les nuages se craquelaient pour tenter de dire quelque chose. Il était bientôt midi. Je parlais à Danny depuis l'aube, pour en arriver à une chambre vide avec une reconnaissance d'abandon...

    Les choses ne se déroulent jamais comme elles devraient, le jeu du chat et de la souris, un exercice d'équilibriste... En principe, l'infirmière aurait dû remplir un formulaire pour me remettre aux objets perdus. Mais cela s'est passé autrement. Les enfants se passent toujours autrement...

    Danny a servi du café, avant de s'asseoir, dos à la fenêtre.

    ⸺ Que s'est-il passé quand tu t'es retrouvé seul dans cette chambre ?...

    Il m'a fallu du temps avant de répondre, même si la présence de Danny me rassurait. J'étais hanté par le bruit des pas de ma mère que je ne suis pas parvenu à retenir, ils ont fini par s'éloigner dans un couloir lointain... Je les entends toujours.

    Dans les frémissements tièdes de ce début d'après-midi, j'ai commencé à raconter :

    ⸺ ... Au départ, je n'étais pas prévu, et ensuite ça a continué...

    «Tomber enceinte, c’est ce qui peut arriver de plus beau à une femme».

    Ma mère en haute saison se répétait cette phrase dès le matin, dans le premier clignement de la lumière, puis vers dix heures, à midi, l’après-midi pour le goûter, et au moment de s’endormir. Ensuite, elle se la passait en boucle toute la nuit.

    ⸺ Mon Dieu, faites-moi tomber enceinte ! Mon Dieu, faites-moi tomber enceinte ! Mon Dieu, faites-moi tomber enceinte !

    À force d’empiler ces supplications en strates, Suzy Verlange édifiait un monument qui montait jusqu’au ciel. Là-haut, c’est le terminal des prières, le seul endroit où elles ont une chance d'être entendues.

    De nouveau, ma mère en haute saison a eu ce regard implorant. Elle priait l’au-delà de ne pas la prendre de haut.

    ⸺ Exaucez-moi, mon Dieu, faites-moi un bébé le plus rapidement possible, et je vous remercierai tous les jours de ma vie, promis !

    Le gynécologue s’est assis derrière son bureau. Il a poussé ce soupir de défaite qu’inflige la vie lorsqu’elle refuse d’ajouter un numéro...

    ⸺ ... Ah non, ne me dites pas  que  je  ne suis pas enceinte !

    Furieuse, ma mère s’est rhabillée à la vitesse de l'éclair. Son regard était dévasté de désespoir, de révolte.

    ⸺ J’ai deux semaines de retard ! J’ai mal au ventre tous les jours ! Je souffre de nausées abominables ! J'ai tout le temps envie de dormir ! Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?

    Bouclant la ceinture de son blue-jean, elle s’est penchée au-dessus du bureau, menaçante :

    ⸺ J’exige un bébé  ou je  vais consulter quelqu’un d’autre !

    Le médecin a  ôté ses lunettes, dans un soupir de lassitude :

    ⸺ Allez consulter qui vous voulez, je vous répète que vous n’êtes pas enceinte !

    Il a posé sur ma mère en haute saison un regard de compassion et d'agacement. Après plus de trente ans de femmes enceintes, il avait appris à les reconnaître.

    ⸺ Je suis désolé, c'est la vérité.

    ⸺ Vous êtes un raté de la gynécologie !

    La voix de ma mère en haute saison a claqué, puis c’est la porte qui a claqué. Elle a dévalé les escaliers. Elle savait très bien quand elle était enceinte et quand elle n'était pas enceinte, et là elle était enceinte !

    Pourtant, elle avait rencontré un homme comme il faut pour lui faire ce bébé. Grand, athlétique, équipé d'un matériel de reproduction performant, sans parler de sa ferveur. Elle l’avait épuisé. Six jours durant. Un acharnement de chercheuse d'or.

    ⸺ On est bien le 14, aujourd'hui ?

    L'athlète avait acquiescé dans un regard d'étonnement...

    L’heureux élu était entrepreneur de travaux publics. Ça avait tout de suite rassuré ma mère, un homme qui construisait des immeubles devait savoir comment fabriquer des bébés.

    Théo, son ami d'enfance, avait confirmé son choix.

    ⸺ Je suis sûr que cette fois ça va marcher, Suzy !

    Il l’avait serrée dans ses bras, dans un regard bourré à craquer d’espérance.

    Résultat du bon choix : un mois et quatre jours plus tard, ce salaud de gynéco lui refusait sa grossesse.

    *

    La rue représente une insoutenable source de provocations. A peine sortie du cabinet du gyné, ma mère a croisé cinq landaus, deux femmes scandaleuses de grossesse, et comme si ça ne suffisait pas, elle a subi une crèche municipale ainsi qu'un magasin d’articles pour bébés. Elle a serré les poings. Au bord du vide, son cœur tombait en copeaux.

    ⸺ La nature est vraiment une énorme salope !

    Le monde entier était enceinte alors que ma mère en haute saison était un terrain vague dans lequel rien ne poussait. Pourtant, elle se serait contentée de peu. Un seul bébé. Même un tout petit. Souvent, elle s’allongeait, les mains posées sur son ventre, les yeux brouillés de larmes.

    ⸺ Je souffre de désertification, un vrai Sahel...

    À bout de souffle, elle s'est affalée dans la cage d'escalier de son immeuble, désespérée au milieu des sacs de courses.

    *

    Le lendemain, Floralie Purgeot a tenu à lui remonter le moral :

    ⸺ Ce que tu peux être défaitiste ! Un peu de patience, ça t'arrivera à toi aussi, la nature est bien faite !

    Floralie se trouvait au salon de coiffure pour un balayage, en compagnie de ma mère en haute saison. La nature, dans le cas privé de Floralie Purgeot, c’était son mari Willy. Elle a repris, dans un soupir d'épuisement :

    ⸺ Elle est même tellement bien faite que je suis à nouveau enceinte !

    Elle a levé les yeux au ciel.

    ⸺ La cata. Ça sera mon sixième. Cette fois, on va devoir déménager et changer la bagnole.

    Ma mère en haute saison a jeté sur Floralie un regard de haine. Exclue par cette nature si bien faite qui s'acharnait à la considérer comme un terrain vague, elle a murmuré qu'elle refusait de continuer le ventre vide.

    ⸺ ... Vous m'avez parlé ? Je suis à vous, Madame Verlange.

    Irène, la coiffeuse, s'est approchée dans un sourire joyeux, brosse à la main.

    Ma mère en haute saison a soupiré. Floralie 6 — elle 0 ! Le score de l’injustice en matière de répartition des enfants était révoltant ! Avec deux ou trois gosses seulement, Floralie Purgeot aurait déjà profité d'une vraie source de joie quotidienne. Ma mère en haute saison aurait été heureuse avec un seul.

    Le miroir lui renvoyait le visage d’une femme aux traits creusés, d’une pâleur maladive, avec deux yeux éteints. Quand la vie s'entête à vous refuser l'enfantement légitime, ça se termine en traits creusés, en pâleur maladive et en yeux éteints.

    Floralie Purgeot était une femme abjecte, toujours prête à enfoncer la tête de ma mère dans l'eau pour lui rendre service. Elle se goinfrait alors que ma mère manquait du minimum. Avec une mauvaise foi de chamelle, elle a expliqué qu'à son corps défendant, elle jouissait d’un taux de fécondité particulièrement élevé. 6 sur l’échelle nationale qui stagne à 1,79. Ma mère en haute saison a eu ce sourire d'une pâleur douloureuse. La Purgeot a repris, les clientes du salon n'écoutaient qu'elle, quand vous êtes à 6, vous avez toutes les oreilles à vos pieds :

    ⸺ Mon mari navigue sur un porte-containers. Six escales en six ans !

    Elle a ajouté en  véritable cible de la fertilité :

    ⸺ Un marin d'élite, il ne rate jamais son coup.

    Tout le salon a éclaté de rire. Ma mère s'est résignée à rire elle aussi, en miettes.  Dans l'euphorie générale qui sévissait, elle a fermé les yeux, se voyant en mouette stérile emportée dans un tourbillon de succès maternel.

     Brusquement, elle a lâché :

    ⸺ Tu serais d’accord de me céder ton sixième ?

    Un silence a gelé le salon...

    L'instant suivant, ma mère enchaînait :

    ⸺ Je blague. Mais c'est vrai que tu vas te ruiner la santé, à une cadence pareille...

    Elle ne lâchait pas Floralie du regard, on ne sait jamais.

    L’hyper-mère a réagi dans un énorme éclat de rire :

    ⸺ ... T'es impayable, toi alors !

    Elle a levé les yeux au ciel.

    ⸺ Bébé à céder, je ne l’avais encore jamais entendue,      celle-là !

    L'assistance s’est esclaffée.

    Une permanente plus tard, ma mère en haute saison a quitté le salon. Un estuaire de larmes lui coulait à l’intérieur. Elle s’est arrêtée face à la Renault Scénic rutilante de Floralie Purgeot. Elle a saisi les clefs de son appartement, dans le but d'immortaliser l’instant. Elle a gravé S A L O P E sur la peinture métallisée.

    *

    Abîmée dans ses pensées, elle a erré plus d’une heure. Finalement, elle s’est arrêtée face au fronton d’une mairie. Trois mots étaient gravés en lettres dorées : Liberté. Égalité. Maternité.

    Elle lisait à haute voix.

    ⸺ Veuillez accepter mes excuses, chère madame, permettez-moi de rectifier : il n’est pas écrit Maternité, mais Fraternité.

    Le passant, un homme à l'âge auguste, d'une élégance d'avenue Montaigne, observait ma mère, pensant avoir affaire à une malvoyante ou à une touriste américaine.

    Il a repris avec emphase :

    Fraternité. Un mot merveilleux d'espoir. Un sommet de l’humanité !

    Il dressait l'index, les yeux brillant de fierté nationale.

    ⸺ De quoi je me mêle ? La fraternité, je m’en tape, c’est de maternité dont j’ai besoin !

    Chez ma mère en haute saison, le désir d’enfant était venu avec le désir tout court. Elle était née pour être mère, une vocation. Comme Mozart, Pasteur, Marie Curie, Cézanne ou Napoléon Bonaparte. Quand une femme veut devenir mère à ce point-là et que la nature s'acharne à faire barrage, ça s'appelle un crime contre l'humanité.

    Pourtant, elle avait respecté les étapes. Elle avait commencé par prendre des hommes, c’est ce qu’il y a de plus naturel pour faire un bébé. Il existe d’autres méthodes, mais l’homme c’est le bas de l’échelle. Elle n’avait sélectionné que des bons reproducteurs, la volonté de me lancer sous les meilleurs auspices. Motivée, elle avait couché avec un jardinier, un mécanicien, un pédiatre, un alpiniste et un éleveur du Limousin. Sans parler du dernier, le type des travaux publics. Malheureusement, elle n’avait pas rencontré le bon marin, comme Floralie Purgeot, et j’étais tombé à l’eau.

    Anéantie, elle a poussé la porte d'une brasserie. Besoin de boire quelque chose de fort. Elle s'est assise à une table, au fond de la salle. Un immense miroir courait le long de la cloison, un truc à voir toute sa vie défiler. Ça lui a déclenché une bouffée d'angoisse. Elle s'est placé le dos à la glace. Une larme coulait sur sa joue.

    Trois gorgées de cognac plus tard, un jeune homme timide s’est avancé vers elle, proposant des porte-clés pour les orphelins de la guerre en Syrie. Ma mère en haute saison a levé les yeux, son verre à la main, le dévisageant d’une manière troublante...

    ⸺ Je m'appelle Clémentin.

    Il bredouillait avec une tête à se balancer du toit d’un immeuble.

    ⸺ C'est pour S.O.S. Orphelins de la guerre en Syrie.

    Il a ajouté :

    ⸺ Vous aimez les enfants ?

    Le garçon souriait, gauche, bourré d'altermondialisme.

    Brusquement, ma mère a eu une révélation. Une sorte de lueur au bout du tunnel. Impossible de laisser passer un garçon doué d’un tel attachement pour les enfants dans le malheur. À son tour, elle a souri. Quand on a le cœur en ténèbres, avec désespoir et amour maternel en vrille, il n’y a que S.O.S. Orphelins de la guerre en Syrie.

    ⸺  Clémentin, il y a un hôtel de l'autre côté de la rue, suivez-moi, on va faire un bébé.

    Il y a eu un silence. Clémentin dévisageait ma mère, cramoisi comme un champ de coquelicots.

    Ça n’a pas marché avec ce garçon. Pour la Syrie, on avait droit à un bel élan, avec mobilisation des forces vives, mais dès qu'il s'agissait de ma mère, il n'y avait plus personne. Le jeune homme s’est enfui de la brasserie comme s'il y avait le feu. C’est toujours la même chose avec les causes humanitaires, dès qu’il faut passer à l’acte, les belles âmes foutent le camp.

    Ma mère a de nouveau plongé dans un puits de noirceur. L'absence de germination confine au désespoir. Elle a commandé un second cognac. Le serveur a déposé le verre, observant cette femme avant de retourner derrière son bar. Il demeurait silencieux. Ma mère a soupiré. Ce vide glacé dans son ventre n'était rien d'autre qu'une lame qui la déchirait...

    Vue de l’extérieur, elle semblait comme vous et moi. Seulement en dedans, elle broyait des ténèbres. Un vice de la gynécologie. Elle a vidé son verre d’un trait. La seconde suivante, le serveur déposait deux autres cognacs sur la table, avant de s'asseoir face à elle. Ma mère a battu des paupières :

    ⸺ ... C’est quoi, ce cognac, je n’ai pas commandé de cognac, pourquoi vous me servez un cognac ?

    Ce n’est pas parce qu’elle était seule et dans le désarroi qu’il fallait sombrer dans le MeToo ! Elle avait un teint de plâtre. À son tour, elle a fixé ce jeune homme, c'est à ce moment que c'est arrivé.

    Le serveur avait la beauté de l’inattendu... Il a déclaré dans un beau sourire :

    ⸺ Je suis d'accord pour vous faire un bébé.

    Il l'observait.

    ⸺ Je ne voulais pas surprendre votre conversation, mais on n'entend que vous.

    Sa voix était douce, un beau sourire illuminait son visage.

    Troublée, ma mère a demandé :

    ⸺ Comment vous appelez-vous ?

    ⸺ Pierrot.

    *

    Un mois et quatre jours plus tard, ma mère en haute saison et Pierrot sont entrés dans le cabinet du gynécologue David Rozensweig. Elle était éclatante. Elle

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