Ronit- Carnets de neige
Par Christophe Jean
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À propos de ce livre électronique
Il se passe toi.
Parce que la disparition de son fils lui est insupportable, Ronit part. Seule. À la recherche de cet être chéri qui doit bien l’attendre ailleurs, à travers les forêts et les mondes engloutis, pour un voyage onirique, sauvage et lumineux.
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Aperçu du livre
Ronit- Carnets de neige - Christophe Jean
RONIT
Christophe Jean
RONIT
Carnets de neige
Logo-Faute-de-FrappeChristophe Jean a grandi et vit toujours dans le nord de la France. Après avoir été rockeur, clown, comédien et metteur en scène, il s'occupe aujourd'hui d'enfants en situation de handicap. La littérature chevillée au corps depuis l'adolescence, il fait de l'écriture son terrain d'exploration de l'intime. Le bruit des mots et les questions qu'ils soulèvent, notamment autour de l'absence et de la folie, font partie de son obsession : mêler la poésie à la vie.
Ronit, Carnets de neige est son premier roman.
ISBN : 978-2-491750-47-3
Dépôt légal octobre 2019
© Editions Faute de frappe
Tous droits réservés.
Dorénavant, nous serons nulle part.
Non pas dans l'immensité mais
dans l'étroit tourment d'un nouveau paysage.
Amos WITEMAN, La moisson de l'ombre
À mon frère.
À ma mère.
CARNET # 1
Dans quel sommeil as-tu disparu ?
J'ai beau retourner tous les sommiers, tous les matelas, je ne te trouve pas. Aucune trace de toi. Aucune trace de toi dans les conversations des autres. Dans les draps des autres. À croire que tu n'as jamais existé. Où donc as-tu disparu, dis-moi ?
Tu n'es plus là. Tu n'es plus à moi. J'aurais aimé écrire Voilà je l'ai retrouvé mais non. Je t'ai perdu.
À jamais.
Je te cherche. Des silhouettes m'entourent. Le silence des enfants. Quelque chose se passe. Dans chacun d'eux je crois te trouver. Ceux que j'aperçois lorsque je ferme les paupières rampent et disparaissent dans une forêt de jambes immobiles. Ils font semblant de ne pas me voir. Peut-être ne me voient-ils plus. Un fantôme moi aussi.
Et puis.
Je reconstruis des décors. Des souvenirs. Sans relief. Des trottoirs que je remplis selon mes longs moments d'inconscience. Je te dépose. Partout. Sans y réfléchir. Une obsession accrochée à ma tristesse. Mon exil. Puisque tu n'es nulle part, en tout cas pas chez nous ni chez les autres, je te recrée pour t'aimer à nouveau. Les femmes et les hommes qui surgissent au-dessus de mes maquettes bancales referment la porte. Souvent. Leur désarroi comme un souffle dans le vaste champ qu'est devenue ma vie. Quête déraisonnable. Parfois des mots s'échappent de leur bouche et s’abattent en pluie violente sur l'étendue inerte. Je ne t'en veux pas encore. Pas tout de suite en tout cas. Tu es sûrement quelque part, j'en suis persuadée. Je n'ai aucun indice, voilà tout. Les visions de toi que je convoque disparaissent aussitôt comme le sang lors d'une opération. J'ai beau scruter chaque bouche, chaque geste, chaque mot que je perçois, engourdi, peu précis, hésitant et qui, à peine projeté s'écroule, il faut me rendre à l'évidence. Tu as bel et bien disparu.
J'organise des rendez-vous. Avec toi. Mais tu ne le sais pas. Tu n'es jamais là. Ou alors à peine. Une ombre. Un trait. Confus. Vide de sens. Inerte dans la palpitation de ma petite vie. Je fais semblant. Tout le temps. Une mère ne devient pas folle. Les villes se plient et se couchent en hurlant dans l'indifférence des forêts. Je ne suis pas folle. Je le sais. C'est tout. Tu es né et tu as disparu. Une phrase qui t'avale sans te recracher. J'arpente lourde et fatiguée les couloirs de la maison. Je te cherche. Sait-on jamais. Hier tu étais là, debout devant moi. Dans la pénombre de ton âge. Debout et maigre. Tu m'as regardée. Longuement. Je le sais. Tu étais là n'est-ce pas ? Puis j'ai fermé les yeux. Je les ai ouverts à nouveau, tu n'étais plus là. Le temps qu'un corps s'effondre, qu'une nuit se dépose comme la rosée sur le jardin désert. Le couloir où nous nous trouvions est vide. Même quand je m'y tiens debout appuyée contre le mur. Fantôme moi aussi t'ai-je dit. Je n'allume plus la lampe du plafond. Je ne veux plus. Pour éclairer quoi ? D'ailleurs, je n'allume plus nulle part. J'ai débranché toutes les lampes. Elles gisent comme des tombes inachevées sur le linoléum. Vestiges immobiles et silencieux de la vie passée. Je les ai alignées dans le salon. Elles tracent un chemin irrégulier vers la porte de la cave. C'est tout. Je n'en sais pas plus. Je vis dans le noir et tu n'es plus là. Le jour s’évanouit régulièrement et gît sur ma peau, me couvrant d'effroi et d'attente. La nuit scintille dans le creux de mes mains. Comme un lac.
Combien de fois ai-je porté ces ténèbres à mes lèvres en espérant qu'elles calment ma soif. Il n'en est rien. Jamais. J'ai beau répéter les mêmes gestes, tout le temps, rien ne peut calmer la douleur. Je suis une rivière asséchée qui palpite. Le corps d'un mourant dans la solitude d'un paysage de montagne. Je ne connais plus les jours. C'en est fini. Je repense à ton rêve de ne vivre que la nuit et voici que je le fais, à ta place. Je vole tes rêves. Après tout, là où tu es, tu n'en as plus besoin.
Qui sait.
Les jours tombent en nuit comme une pluie régulière et noire. Je viens me poster dans le couloir. Je reste là, vigie exténuée, vêtue simplement d'une nuisette. Les cheveux noirs détachés s'assoupissent sur mes épaules. Je guette la porte. Au bout de quelques minutes elle se mêle aux larmes et se retrouve dans mes yeux. Close. La poignée figée, floue. La peinture blanche éclaire mon visage. Mon visage devenu porte. Je ne sais plus combien de temps je suis restée ainsi. De toute façon je dors, tu le sais bien. Je dors et ne rêve pas. Le monde réel a disparu. Les rêves l'ont suivi, fidèles. Sans surprise.
Parfois on frappe. Des coups secs. Du moins de ce que je peux en percevoir là où je me trouve. Généralement l'affolement me gagne. Dans un fouillis de gestes suffoqués je me mets à pleurer, incapable d’ouvrir. Je ne bouge pas. Aujourd'hui je peux dire que j'ai peur. De quoi ? Les tremblements sur ma peau me laissent, quand ils partent, vide. Aussi vide qu'un corps mort. Un cadavre de chien. Je ne bouge pas. Je pleure. Sur place. Dans la pénombre du couloir. Je n'entends que cela. De brefs coups secs contre la porte. Rien que des coups. Puis, presque toujours, je m'affaisse. Lorsque je me réveille – mais ai-je seulement dormi ? – je reste allongée. La tête sur le parquet. Seulement ma tête. Mon corps a disparu. Lui aussi. Je sais qu'il va revenir. À peine j'ouvre les yeux que je l'aperçois. Assis devant moi. Mince, ferme, d'une beauté qui n'est plus mienne. Il se tient assis, là, sur une chaise. C'est dans ces moments d'hébétude que tu reviens. Je n'en suis pas encore sûre. Puis ma tête roule jusqu'à ce corps qui s'en saisit et la repose sur ses épaules. Je me redresse. Les douleurs font que vous continuez à vous relever sans même y réfléchir. Fantôme parmi les fantômes. Reprendre les gestes du quotidien enfouis sous les tapis de la honte et de l'oubli. Des gestes perdus. Des enfants dans la solitude des supermarchés ou des fêtes foraines. Les retrouver quelques instants, c'est me rapprocher de toi. Retrouver les gestes que je faisais quand tu étais là. Mais ce n'est plus pareil. Ils ne sont inscrits nulle part. Il ne sert plus à rien de les faire. Ils n'ont plus aucun sens sans toi. Je les laisse tomber comme du linge sale dans le panier et m'en invente d'autres. Reliés à moi. Des gestes que moi seule comprends. Dans l'obscurité ou les fumées du volcan qui recouvrent la maison vide. J'en crée de nouveaux. Moins précis. Moins bien dessinés. Inscrits cette fois dans ma solitude qui se découpe sur les murs de la maison. Et quand ils me quittent, abrutis de sommeil, quand les bouteilles vides retrouvent les lampes alignées alors, seulement alors, tu murmures.
Enfin.
Mon fils.
Qu'il est beau le murmure de tes mots.
Et ton silence, entre.
Comment veux-tu que je t'aide si tu t'obstines à rester caché ? Allons, viens. Dans mes bras. Parle-moi. Après tout, je suis ta mère. Tes chuchotements s'enfuient. Une fois de plus. Ils se dispersent. Se terrent. Petites divinités qu'il me plaît de convoquer quand je ne sais plus faire face. Le sommeil se pose. Une corneille me happe. Dans le silence infernal. Me gobe. D'un coup. Les gestes épuisés et faibles. Les dernières lueurs flottent. Ce sont des lucioles dans l'appétit de la nuit. Le vrombissement du réfrigérateur me donne l'impression d'être à bord d'un bateau. Sur un long fleuve sans rives. Mes larmes sèchent comme du linge au vent.
J’ignore ce qu’il se passe sans moi. En moi, plutôt. Pardon. Mon corps entier semble devenir une ville. Une ville dévastée qu'il faudrait reconstruire. Une ville en ruines qui flotte, accrochée à rien, ses amarres échouées dans la boue. Une cité qui frôle des milliards d'étoiles perdues. Elle longe la lune et part plus loin que tous les regards restés au sol. C'est ça.
Je suis une ville détruite.
Reprenons, veux-tu ?
Où es-tu parti mon fils ?
Dans quel sommeil t'es-tu enfui ?
Il m'a semblé t'apercevoir mais je n'en suis pas sûre. Et toi, as-tu vu mon corps défait ? Un puzzle d'enfant sur le parquet. Hors de sa boîte. Ne servant à rien si ce n'est rappeler à ma nuit que je suis là quand même. Malgré tout. Je ne me souviens même pas m'être endormie. Le crois-tu ? Tu es parti hier et il me semble que les crépuscules durent depuis plus longtemps que nous. Avant toi. Avant toi j'étais déjà morte. Voilà que je dors et que rien ne peut me réveiller. Est-ce toi qui me tiens la main, le visage troué de lumière, échappé de la brume ? Mon fils, si tu savais ma pâleur et mes yeux noirs.
Te souviens-tu de moi ?
Suis-je restée allongée tout ce temps ? Ai-je dormi sous le silence de ma peau ou ai-je parcouru à genoux la douloureuse empreinte de ton absence ? Odeur moite du renoncement. Car c'est de cela dont il s'agit n'est ce pas ? Renoncer afin de calmer la tempête qui se propage en moi, désormais ville parmi les villes perdues, retenue quelque temps encore – qui sait – par quelques squares d'enfants. Ai-je laissé l'ombre de mon corps recouvrir le petit toboggan sur lequel tu aimais glisser, tête la première, les yeux à la surface des nuages pour, dans un éclat brut, enfouir tes cheveux dans le sable ? Ai-je assez de faiblesse pour ne plus jamais me lever et refermer la grille du square ? Je ne suis pas allé voir le toboggan ni la place. La vie est trop forte. Trop. Tu le sais, puisque tu es parti. Je renonce. Mon amour. Toutes les fins sont dans mes larmes. Comment une ville dévastée peut-elle tenir dans notre petite maison ? Tu aimais te souviens-tu les bateaux prisonniers des bouteilles et tu ne savais pas comment l'on pouvait faire cela. Avait-on construit la bouteille autour du navire ? Depuis quel port était-il parti ? Tant d'énergie et d'hommes pour finir dans une bouteille. Je te parlais des marins qui, en se réveillant, découvraient le ciel de verre tout autour d'eux et leur respiration rendue difficile. Nous aurions pu écrire là-dessus. Cela aurait été merveilleux d'écrire avec toi. Maintenant j'écris pour toi. Et tu n'es pas là. Je sais que tu ne liras jamais ces carnets.
Qui, alors ?
Dis-moi. Non, tu ne diras rien puisque tu as disparu depuis. Depuis.
Je.
Ah oui.
Ne m'en veux pas si je renonce. Je suis épuisée. Je t'aperçois quelquefois mais je n'ai pas la force de te courir après ni de te gronder comme devrait le faire une mère. Tu as disparu. Je me suis apparue. En guenilles. Je pleurais sur le seul banc du square. J'avais enfoui mon visage entre mes jambes. Je pleurais. La vie continuait à marcher sur les graviers faisant un bruit si fort qu'il fallait que je me lamente pour en couvrir le son. Je savais à ce moment que j'étais morte moi aussi. Que tu m'avais emportée avec toi. Que tu m'avais prise dans tes bras et enfouis ma gueule dans la poussière. Une vieille dame est venue poser sa main sur mon épaule. Elle m'a