L'impossible pardon
Par Rachid Hitouche
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À propos de ce livre électronique
Roman inspiré de faits réels.
Rachid Hitouche
Rachid Hitouche, né le 09 mai 1962 à Bgayet. Auteur, chroniqueur de presse, refugié politique.
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Aperçu du livre
L'impossible pardon - Rachid Hitouche
Avertissement
L’histoire que vous avez sous les yeux est tirée de faits réels. Des faits qui ont endeuillé l’Algérie et continuent de l’endeuiller de nos jours. Racontée sous forme d’une fiction, nous avertissons d’emblée les lecteurs que toute ressemblance ne serait que pur fruit du hasard.
Qui d’entre nous peut ou pourrait effacer ou encore négliger la douleur d’un peuple entier engendrée par ces faits amers et regrettables, atroces et monstrueux ? Ils hanteront nos âmes éternelles, et nous serons comme tous ceux qui les ont commandités et commis, responsables de notre lâcheté et indignes de la liberté et de la démocratie à laquelle nous aspirons.
Pour que nul n’oublie, pour que les générations futures sachent, nous sommes tenus d’écrire.
Comme l’avait dit de son vivant le poète-écrivain et journaliste algérien Tahar Djaout : « Le silence, c’est la mort. Et toi, si tu dis tu meurs, si tu te tais tu meurs. Alors, dis et meurs. »
Nous sommes comptables de nos faits et gestes. Comme nous sommes aussi tenus par le devoir de vérité, nous ne devons rien cacher à l’avenir.
Tôt ou tard la vérité jaillira, alors, autant que faire se peut. Disons et mourons dignement.
Sommaire
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
« La lumière jaillit mais en vain, ne pouvant ni illuminer ni purifier les âmes sombres, maîtres de leurs culpabilités et de leur tentation vers le diable. Le jour reviendra, comme celui qui vient de mourir, il renaîtra au petit matin, effacera les séquelles et les drames de la nuit où le noir fut roi. Il repartira comme le précédent, incapable d’absoudre l’impossible. À répétition, il reviendra tant que le monde est monde, inutile pour ceux qui l’ont marqué par le crime et la haine. Pour ceux qui ont fait d’un jour lumineux un jour sombre et noir.
Impuissants devant leurs propres agissements, contre lesquels ils ne pourront plus rien, les auteurs des crimes crapuleux s’éterniseront dans le noir du jour, qui leur restera éternel sur les prunelles de leurs yeux.
Ils chercheront leurs guides, qu’ils trouveront parmi leurs propres victimes. Ceux-ci les aideront en leur répondant simplement :
« Nous sommes tous comme vous, nous ne voyons pas ce que vous cherchez à voir. »
Les limites du temps auront cerné leur vie, il leur restera un jour à vivre, aussi long que ce qu’a été toute l’étendue de leur vie antérieure. Le noir du jour. Le jour le plus long. »
Comme dit un proverbe populaire kabyle :
« Quand la mort les répugne, la terre, quant à elle, ne pourra les accueillir. »
I
On ne peut rien distinguer cette nuit-là. Un temps noir et ténébreux à couper le souffle au plus courageux. Les orages font rage. La pluie bat à torrent et ne laisse rien apparaître, à l’exception de quelques silhouettes d’arbres encore debout, épargnées par les incessantes et puissantes rafales de vent, visibles qu’au moment où les éclairs viennent déchirer l’étendue du sombre profond et illuminent les arbres arrachés ou déjà foudroyés auparavant par les fortes décharges de la foudre. Rien ne peut se voir à plus de quatre mètres.
La lumière des éclairs est le seul moyen de voir de façon instantanée le paysage spectral de cette bourgade engloutie dans un grand noir accentué par les ombres gigantesques des montagnes qui l’entourent.
Situé à la lisière d’un oued et au-dessous de deux grands massifs forestiers, Haoucha, un petit village peu habité, conserve également son lot de peur et de frissons, même en plein jour.
Au plus tard vingt heures du soir à Haoucha, village oublié par Dieu et ses saints, les habitants rentrent et se terrent chez eux pour ne ressortir qu’au lever du jour le lendemain. Exceptionnellement, quelques personnes ayant la nostalgie du noir obscur, des frissons et du risque s’aventurent dans ses alentours.
La décennie noire entame sa quatrième année en Algérie, depuis l’attaque meurtrière contre la caserne de Guemmar, petite ville située à l’est du pays, où des dizaines de jeunes appelés militaires, ont eu la tête tranchée par les hordes intégristes islamistes, auteurs de l’attaque au commencement de leur guerre contre tout ce qui représente les institutions étatiques algériennes, puis carrément contre le peuple dans sa globalité.
Une voix sort des bois, qui, sans discontinuer, répète les mêmes mots :
« Je veux mourir, je cours derrière ma mort, je la cherche, je m’en veux terriblement…, oui, je m’en veux…, j’en veux extrêmement à mon sort. Je veux mourir, moi le criminel, le monstre. »
La pluie verse toujours et fait entendre son intense bruit sur le feuillage des buissons. Quelques aboiements de chiens par-ci par-là se mêlent aux coups de tonnerre entrecoupant cette voix, mais sans la faire taire. La voix faiblit sensiblement. Le ton n’est plus le même, il continue à baisser jusqu’à devenir presque inaudible, mais la voix est toujours là, persistante.
Un homme, sous un préau adossé au mur d’une baraque, profitant de cet abri de fortune pour éviter d’être mouillé par les torrents d’eau qui tombent sans cesse du ciel, est là debout, seul, écoutant attentivement cette voix faible, alors que celle-ci, se rapproche de plus en plus de lui. Puis, brusquement d’un buisson, situé en amont et à quelques mètres de la baraque où il se trouve, surgit un homme. Un homme complètement méconnaissable, frisant un état de folie. La silhouette de l’homme debout sous le préau va aggraver le cas en déliquescence mentale avancée de cet inconnu, qui, tel un fauve, s’est éjecté du buisson pour se retrouver, presque nez à nez, avec cette silhouette bizarre à ses yeux.
Sans perdre son sang-froid et de façon très sage et courtoise, l’homme sous le préau s’adresse calmement à l’inconnu sorti du buisson. Certes, il fait très noir, mais l’état tremblant de l’inconnu renseigne largement sur ses capacités très peu normales. L’homme du préau ne voit rien de son visage, ni même de sa tenue. Il est juste sûr qu’il a devant lui une silhouette d’un homme très agité.
— Monsieur, lui dit-il, n’aie pas peur, je suis là… à l’abri de ce préau par crainte d’être trempé par la pluie, viens à côté de moi ! N’aie aucune crainte…, approche-toi ! Tu es déjà trop mouillé et tu risques de tomber malade.
L’inconnu, debout sous la pluie, comme sur un trampoline, ne cesse de faire de petits sauts sur place. Il se tient à quatre mètres de la baraque sans faire le moindre petit pas en avant pour se mettre à l’abri. Il est tétanisé. Il ne sait plus quoi faire ni dire, cependant, il continue sa petite danse, manifestement, pour remonter sa température corporelle trop basse. Dans le grand noir qui entoure les deux hommes, la pluie bat encore en augmentant un peu plus la cadence. Il est même difficile de se faire entendre. L’homme sous le préau essaye d’engager une discussion. L’homme du buisson paraît plus que réticent et ne veut rien savoir. Dans sa folie avancée, il ne veut toujours pas accorder de confiance à l’homme qui ne voulait pourtant que son bien. Il allait faire demi-tour et reprendre sa course, quand l’homme sous préau lui saute dessus et l’immobilise sur le sol boueux et glissant, tout en continuant à le rassurer. L’inconnu se débat comme un forcené, mais c’était compter sans la dextérité du villageois solitaire. Le froid et la faim avaient déjà fait leur travail, il ne lui reste pratiquement plus de force. Il se résigne enfin et se tient tranquille. Il est remis debout, complètement mouillé, grelottant de froid. L’homme du buisson frôle l’hypothermie. Ne pouvant plus tenir sur place, il entame une nouvelle fois une danse rythmée, probablement pour éviter de sombrer totalement.
Doucement et sous l’insistance de l’homme du préau, l’inconnu reprend petit à petit ses esprits et se voit invité aimablement par le villageois à l’accompagner chez lui. Le bienfaiteur veut vraiment aider l’inconnu. Il reconnaît l’état second dans lequel se trouve l’inconnu, mais aussi, conscient de la mort qui le guette à tout instant. Il faut donc faire de son mieux. Sauver une vie est un devoir et un geste indiscutablement humain.
Il n’y a pas beaucoup de maisons dans cette bourgade. Une vingtaine tout au plus, parsemées çà et là, comme de grands rochers immobiles et impassibles face aux rafales de vent et aux torrents d’eau qui leur tombent dessus. Il ne subsiste plus de lumière non plus. Tout est éteint, rajoutant un peu plus le cafard à ce sombre ténébreux, trop ennuyeux et angoissant. La peur accompagne la vie quotidienne des habitants de cette bourgade, vivant de jour comme de nuit sous la menace des escadrons islamistes criminels.
Dans ces villages isolés, la mort peut à tout moment et sans prévenir, s’inviter pour répandre le sang, la terreur et le malheur puis repartir sans être vue. Les tueurs islamistes sont tout bonnement maîtres de ces régions, plutôt volontairement oubliées par les pouvoirs publics et immergées dans la plus grande insécurité. Tout comme ceux qui les habitent encore par nécessité, n’ayant plus où aller. Pour ses occupants, leur survie est comme dans un jeu du quitte ou double. Dormir, conscient qu’on est vivant et se réveiller peut-être au nouveau jour ou, dormir pour ne plus jamais se réveiller.
Entre les deux hommes, aucune présentation n’est faite jusque-là. Sous la pluie et sans se parler, ils marchent traversant un champ accidenté où était tracé un sentier, peu visible, menant en direction de la maison parentale, qui se trouve à une centaine de mètres du lieu de leur rencontre peu ordinaire où uniquement le hasard peut nous y conduire à en faire de pareilles. Seuls les aboiements de chiens se font entendre au passage des deux hommes, rasant les murs des quelques maisons sur leur chemin. Les chiens, ces sympathiques animaux et fidèles amis de l’homme, demeurent le seul moyen d’alerte au cas où les tueurs arrivent. Malgré leurs alarmes, cette nuit-là, les lumières demeurent invisibles.
Après un long combat verbal qui a nécessité tant d’efforts, un aspect de quiétude s’installe finalement entre les deux hommes. Assurément, ni l’un ni l’autre ne doit penser à autre chose que le bien. Une rencontre fortuite n’est forcément pas synonyme de danger, songent les deux hommes. Bien des rencontres de ce genre aboutissent souvent à de très grandes amitiés. Et pourquoi pas la leur, doivent-ils se dire, chemin faisant. Il leur suffit juste de croire à leur destin qui vient de se croiser en pleine nuit où, pluie, vent et tonnerre se sont eux aussi donné rendez-vous, et de façon inhabituelle, pour s’imposer à leur manière sur cette petite bourgade, bien triste et trop oubliée.
Devant la porte d’entrée de la petite maison parentale, l’homme du préau glisse sa main dans la poche de son veston et prend une clé. Il introduit dans la serrure sans faire de bruit, avant de s’adresser presque en ami cette fois, à l’inconnu, lui demandant de ne pas en faire lui aussi, car à cette heure-ci, et comme à ses habitudes, sa mère dort sûrement, paisiblement.
L’inconnu, par un hochement de la tête, fait un signe affirmatif.
La maison, très ancienne, totalise deux chambres, une minuscule cuisine, des sanitaires sans douche, ainsi qu’une petite cour incluse. La lumière était déjà éteinte, la maman dort profondément, malgré la peur de partir dans son sommeil qui ne quitte jamais les âmes qui emplissent cette bourgade.
— Je préfère que nous allions directement dans la cuisine, avec un peu de chance nous trouverons sûrement quelque chose à manger, dit à voix basse le maître de la maison à son invité de la nuit. Et par la même occasion, poursuit-il, nous allons sécher nos habits totalement mouillés. Je commence vraiment à ressentir un léger froid, ajoute encore l’homme du préau.
— Comme tu veux Monsieur ! Lui rétorque doucement et pour la première fois, celui qui reste encore « un inconnu » « un simple homme des buissons ».
Sans bruit, ils regagnèrent directement la cuisine qui se trouve proche de la porte d’entrée. Celle-ci est construite légèrement décrochée des deux autres pièces qui, elles, servent de chambres à coucher pour le fils et la mère.
— Je crois qu’il est bien temps de faire connaissance et cesser de parler sans savoir à qui on