L’évolution sociale et économique de l’actuel département du Doubs de 1771 à 1789
Par Lorenzo di Gaio
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À propos de ce livre électronique
Le facteur humain est une donnée importante à prendre en compte pour toute étude économique. On doit noter que l'économie du XVIIIe siècle en Franche-Comté est peu connu.
En France, on aurait dénombré 22 millions d'habitants en 1715, 24 millions en 1760 et 28 millions en 1790. La France connait une modification des tendances de la démographie, la mortalité baisse et la natalité reste à un taux élevé. On se marie plus tard, et ce fait, une baisse de la fécondité apparait.
En 1780, d'après les travaux de l'abbé d'Expilly, l'âge moyen des Français est de vingt-cinq ans, cet âge est l'âge médian, cela signifie que la moitié de la population à moins de 25 ans. La force de la jeunesse est prête à soutenir un essor économique. Qu'en est-il en Franche-Comté ?
Existait-il un recensement de la population franc-comtoise ?
Habituellement, les historiens se servent des sources fiscales et des registres paroissiaux afin d'étudier la démographie de l'ancien régime.
Les recensements effectués par les services de l'intendance
Cette étude est basée sur les recensements que les services de l'intendance ont effectués. Ceux-ci ont demandé par les services centraux, sous l'impulsion de Terray depuis 1770. Aux archives départementales du Doubs, on déniche des états de la population d'autres généralités dont celle de Montauban. Le recensement de la population à cette époque peut surprendre, évidement, l'INSEE n'existait pas. Les services de l'intendance avaient recours au service des greffiers de chaque bailliage, ceux-ci relevaient les données contenues dans les registres paroissiaux. Ce travail a un cout, il est de 1890 livres, 10 sols et six deniers en 1770-1772.
Le rôle du curé
L'intendant imputait les erreurs au curé qui ne faisait pas faisaient le dépôt des registres paroissiaux aux greffes des bailliages. L'état civil des personnes n'existait pas encore, on ne connait la population que par les actes paroissiaux. La paroisse joue un rôle important à cette époque. Elle est une cellule de base de vie administrative au même titre que la communauté d'habitants.
Évolution de la population franc-comtoise
La population comtoise comptait 410 000 habitants en 1614, 210 000 en 1657, 320400 en 1688, 430 000 en 1755 et 775000 en 1790.
Objet de cette étude
Nous nous sommes attachés en premier lieu à l'étude de la démographie. Une étude démographique d'une province impose qu'on s'attache au taux de natalité, de mortalité et celui de fécondité, le premier travail en démographie historique consiste à les calculer.
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Aperçu du livre
L’évolution sociale et économique de l’actuel département du Doubs de 1771 à 1789 - Lorenzo di Gaio
L’évolution sociale et économique de l’actuel département du Doubs de 1771 à 1789
Ce sont les recherches entreprises pour notre thèse de doctorat[1] qui nous ont révélés à la fois l’acuité des problèmes sociaux et économiques de ce qui sera plus tard le département du Doubs et la grande richesse des documents sur le sujet, dont beaucoup ne sont répertoriés que depuis une quinzaine d’années. Nos recherches concernent l’économie franc-comtoise dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Ces recherches ont été entreprises dans la série 1 C des archives départementales du Doubs. La série 1 C a été répertoriée en 1986, de ce fait de nombreux documents n’ont pas été dépouillés. Nous avons aussi l’intention de dépouiller les archives du Parlement de Besançon, pour connaître son action au niveau de l’économie franc-comtoise et essayer, autant qu’il sera possible, de connaître les interactions entre Parlement, intendance, Contrôle général et Conseil du Roi.
Nous premières recherches ont porté sur la démographie comtoise au XVIIIe siècle. Contrairement à la démographie du XVIIe siècle, celle du XVIIIe siècle est mal connue[2]. Notre choix de dépouiller ces documents résulte du fait que pour nous, la démographie est l’élément humain à prendre en compte dans une étude de l’économie. La pression démographique implique un choix pour les agents économiques. Une forte progression démographique dans une zone géographique va faire augmenter la demande de biens sur le marché et si l’économie ne peut répondre à cette demande, il en résultera une tension sur les prix ou même un mouvement d’émigration de la population. De même une population nombreuse, ce sont aussi des bras pour le travail, c’est un facteur à prendre en compte pour le développement économique : peut-il y avoir un développement économique dans une population sans vitalité et qui vieillit ?
Est-il possible d’isoler la démographie des situations pouvant avoir une influence sur elle ? Nous estimons que la réponse est négative. Nous avons pris en compte la production agricole, les prix agricoles et les épidémies. Il paraît évident que la nourriture disponible va influer sur le comportement démographique. De même pour les prix agricoles, des céréales à bon marché vont inciter les habitants à telle attitude démographique ou telle autre. Les épidémies peuvent venir imposer une halte, un coup de frein à la démographie. L’évolution de ces trois points formant en quelque sorte l’ossature de l’économie franc-comtoise, c’est dans ce cadre-là que l’économie franc-comtoise va se développer, l’évolution de la démographie, de la production, des prix agricoles et des épidémies formant l’évolution sociale et économique de la province.
Les documents utilisés pour la démographie sont les mouvements de la population et les démembrements. Les mouvements de population se trouvent cotés à ADD 1 C 415 à ADD 1 C 425. Le démembrement de la population en 1771 à ADD 1 C 425, celui de 1772 à ADD 1 C 1163, ceux de 1773 et 1774 à ADD 1164. Mais les démembrements de 1772, 1773 et 1774 ne seront pas utilisés, du fait qu’ils sont en général une copie de celui de 1771 et ne correspondent pas à l’évolution de la démographie décrite dans les mouvements de population. Nous avons effectué divers sondages pour contrôler la fiabilité des résultats du démembrement de 1771 et des mouvements de population, il semble que ces résultats sont fiables[3]. Les documents relatifs à la production agricole sont cotés ADD 1 C 1162 ADD 1 C 1175. Cette série correspond aux estimations de récoltes de l’année 1771 à 1789. Avant cette date, les résultats sont partiels pour 1770 (ADD 1 C 1161) ou ne sont que des fractions de récolte par rapport à une année de récolte commune avant 1770. Ceux relatifs aux prix agricoles sont tirés de tableaux récapitulatifs. Ces tableaux sont cotés à ADD 1 C 1453, 1458, 1459, 1464, 1465, 1470, 1471, 1472, 1475, 1476, 1481, 1486, 1491, 1494. Nous avons dépouillé d’autres documents, mais ils seront indiqués individuellement.
La progression démographique en Franche-Comté fléchit, elle n’est plus à l’image des années précédentes. La production agricole connaît des a-coups, les prix suivent une évolution qui souvent ne correspond pas à la production agricole. Les épidémies sont encore nombreuses dans la province. Pour présenter ces résultats, il nous était impossible de choisir le cadre géographique de la Franche-Comté, alors nous avons opté de choisir le cadre de l’actuel département du Doubs. Certes, c’est un anachronisme de parler de département pour la France d’Ancien Régime, mais l’historien moderne tente toujours de rattacher ses informations au cadre dans lequel il vit. Il sera question des subdélégations de Besançon, Baume-les-Dames, Ornans, Pontarlier et Quingey. D'ailleurs, ces subdélégations sont souvent oubliées de la recherche historique concernant la province, car on connaît mieux le Jura et la Haute-Saône.
La Franche-Comté, de 1771 à 1789, est une province intégrée au royaume. Les institutions font partie du visage familier et ne sont pas rejetées. La province paraît pauvre, si du moins on se réfère aux contributions que verse la province. Selon Necker, la province paye neuf millions trois cent mille livres de contributions ce qui revient à treize livres, quatorze sols par habitant[4], le taux pour le royaume est de vingt-trois livres, treize sols et huit deniers par habitant[5]. Au regard des résultats de nos recherches, c’est une époque difficile, nous constatons un fléchissement de la population des subdélégations de l’actuel département du Doubs (I), des crises alimentaires (II) et des épidémies, qui sont encore nombreuses (III).
I. Le fléchissement de la croissance de la population
Avant d’étudier la croissance de la population, il faut s’arrêter sur la population de l’actuel département du Doubs en 1771. Tout d’abord, on dénombre six cent quatre-vingt-dix-huit mille huit cent vingt-trois habitants dans la province. La population de l’actuel département du Doubs s’élève à deux cent huit mille trois cent quatre-vingt-neuf habitants[6].
De 1771 à 1789, la population évolue, dans le sens d’une croissance. Cette croissance est réelle, mais elle est moindre que pour l’époque antérieure (B). Avant toute chose, il nous faut examiner la structure de la population telle qu’elle est décrite dans le démembrement de 1771 (A).
A. La structure de la population
La population est jeune (1) et plutôt féminine (2). Les habitants se regroupent pour former un élément de base de la vie sociale : le feu
(3). En effet, le feu forme une unité économique et sociale, la plus petite des organisations sociales de la société, mais peut-être la plus importante.
La jeunesse de la population
En étudiant le démembrement de la population, on est frappé tout d’abord par le nombre de garçons
et de filles
par rapport au reste de la population. Évidemment, on ne connaît pas la limite d’âge qui a permis de différencier garçons et filles par rapport aux hommes et femmes. Ceci forme une incertitude : peut-on estimer que cela forme la catégorie enfants ? On pourrait soutenir que cette différence pourrait résulter du classement entre personnes mariées et celles qui sont célibataires, mais à un âge avancé appelle-t-on encore un homme célibataire un garçon ? Les termes garçons et filles sont utilisés soit pour identifier des personnes relativement jeunes, soit celles qui sont restées célibataires. Des études concernant la province donnent dans leur majorité un pourcentage élevé d’enfants[7] : il faudra vérifier si ces données correspondent à nos résultats. Comme, nous le voyons une incertitude existe sur les garçons et filles, il serait peut-être juste d’affirmer que cela correspond à des personnes relativement jeunes. Pour la commodité, nous les appelons enfants, pour mieux les différencier des adultes.
Le nombre d’enfants dans le département est important comme le prouve le tableau[8] suivant.
Des variations existent entre subdélégations, mais nous nous apercevons que le pourcentage se situe dans une fourchette comprise entre 57,54 et 64,61 %. Néanmoins, il faut relever le cas de la subdélégation de Pontarlier, dont le taux est beaucoup plus élevé : faut-il l’imputer à une surmortalité des adultes ou à une mortalité infantile plus importante dans les autres subdélégations, sans faire abstraction d’une meilleure alimentation ou hygiène de vie ? De plus, la subdélégation de Pontarlier est un pays de montagne, et nous pouvons nous demander si cela a une influence sur cette situation.
Ce taux d’enfants dans ces subdélégations est fort surprenant, si l’on prend en compte le taux de mortalité infantile. Évidemment, nos documents ne nous renseignent pas sur la mortalité infantile, nous utiliserons donc les données fournies par des auteurs[9]. Nous voyons que la mortalité infantile est importante, pourtant le nombre d’enfants est considérable.
La mortalité infantile se concentrant dans la première année, elle peut s’expliquer par la naissance prématurée. Les enfants nés avant terme présentent des handicaps comme l’hypothermie, il n'est pas évident que la science médicale de la fin de l’Ancien Régime aurait pu trouver des réponses pour apporter les soins nécessaires. La naissance prématurée peut s’expliquer par la pénibilité des travaux domestiques. On peut alors se demander si en fait cela ne correspond pas à l’utilisation d’une main-d'œuvre féminine saisonnière pour les travaux agricoles en Franche-Comté[10].
La naissance nous amène à nous interroger sur le rôle des sages-femmes. En 1772, il fut institué un cours d’accouchement à Besançon à la suite de la venue de Madame du Coudray[11]. Au début de la période, des cours d’accouchement furent organisés dans chaque subdélégation de la province, sauf celle d’Orgelet. Lacoré, l’intendant de la généralité de Besançon, fit fournir aux villes — aux frais de celles-ci — une machine dont se sert du Coudray. Il avait obtenu l’accord de Terray le 25 septembre 1772[12]. À partir de l’année 1778, les cours furent établis seulement à Besançon. C’est l’intendant qui répartit le nombre d’élèves entre les subdélégations, les subdélégués désignant les paroisses qui pourront envoyer une élève. Le subdélégué désignera alors celles qui pourront suivre les cours[13]. Les communautés d’habitants devront choisir la future élève de concert avec le curé de la paroisse[14]. Cette participation du curé dans la délibération de la communauté d’habitants peut prendre plusieurs formes : une présence du curé lors de la délibération[15], une sélection de l’élève par le curé et ensuite la communauté délibère sur le choix du curé[16], ou bien un visa du curé après la délibération. La délibération de la communauté peut être prise par les femmes[17]. Les cours d’accouchement ont eu comme mérite d’instituer des sages-femmes ayant un niveau d’instruction plus élevé, mais il faut noter que celles-ci sont maintenant issues d’un groupe