Négocier sa peine: Enquête au cœur des négociations des plaidoyers de culpabilité
Par Chloé Leclerc et Elsa Euvrard
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À propos de ce livre électronique
Ce livre présente d’abord les perceptions que les justiciables ont de leur expérience avec le système de justice et réfléchit à la façon dont les négociations peuvent nuire au sentiment de justice des personnes accusées. Il met également en lumière trois enjeux liés à ces pratiques : le manque de transparence, le contexte coercitif du processus et la disparité engendrée par les négociations.
Négocier sa peine : enquête au cœur des négociations des plaidoyers de culpabilité s’adresse aux personnes qui souhaitent comprendre les rouages de notre système de justice, mais aussi à celles qui y travaillent et qui souhaitent améliorer le fonctionnement et l’accès à la justice.
Chloé Leclerc
Chloé Leclerc est professeure titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et directrice du Centre international de criminologie comparée (CICC). Elle travaille sur les pratiques et l’évolution des tribunaux criminels, sur l’accès et les coûts financiers et humains de la justice et sur la prise en charge des femmes judiciarisées.
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Aperçu du livre
Négocier sa peine - Chloé Leclerc
Négocier sa peine
Négocier sa peine
Enquête au cœur des négociations des plaidoyers de culpabilité
Préface de Denis Barrette et Emilie Charette
Chloé Leclerc Elsa Euvrard
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: Négocier sa peine: enquête au cœur des négociations des plaidoyers de culpabilité / Chloé Leclerc et Elsa Euvrard.
Noms: Leclerc, Chloé, auteur. | Euvrard, Elsa, auteur.
Description: Comprend des références bibliographiques.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20230055206 | Canadiana (livre numérique) 20230055214 | ISBN 9782760558809 | ISBN 9782760558816 (PDF) |
ISBN 9782760558823 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Aveux de culpabilité—Canada—Enquêtes. | RVM: Pauvres—Droit— Canada—Enquêtes. | RVM: Accès à la justice—Canada—Enquêtes. | RVM: Discrimination dans l’administration de la justice pénale—Canada—Enquêtes.
Classification: LCC KE9297.L43 2023 | CDD 345.71/072—dc23
Révision
Philippe-Aubert Côté
Correction d’épreuves
Anne-Marie Bilodeau
Conception graphique
Julie Rivard
Mise en page
Alejandro Natan
Image de couverture
iStock
Dépôt légal: 3e trimestre 2023
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
© 2023 – Presses de l’Université du Québec
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
Préface
Denis Barrette et Emilie Charette
Ce livre examine la négociation des plaidoyers de culpabilité (plea bargaining). Puisque nous avons été pendant plusieurs années avocat et avocate de la défense, la lecture du présent ouvrage nous a inspiré plusieurs réflexions, alimentées par le quotidien de la pratique du droit pénal¹. Nos cheminements respectifs, autant juridique que psychosocial, nous ont appris que la négociation de plaidoyers de culpabilité est devenue un mode incontournable, pour ne pas dire usuel et banal, de gestion des affaires pénales.
Avouer devant un tribunal et la collectivité que l’on est coupable d’avoir violé les règles, qu’on les estime injustes et contestables ou non, est un acte d’une gravité certaine dont les conséquences ne tarderont pas à se manifester. En effet, même si une personne déclarée coupable minimise ou renie son plaidoyer plus tard, sa condamnation risque fort de semer le doute sur son comportement passé ainsi que sur sa franchise, de même qu’assurément semer des embûches sur la voie de son parcours professionnel, ou encore de sa capacité à voyager ou à louer un logement convenable. Parmi les personnes accusées, il y a évidemment celles qui reconnaissent pleinement le geste à l’origine de l’accusation et qui veulent sincèrement s’amender. Toutefois, cela est loin d’être toujours le cas, surtout lorsqu’il s’agit de délits liés à la condition socioéconomique des individus. Souvent, les personnes concernées ne reconnaissent tout au plus que leur détresse et leur incompréhension face à un système de justice qui ne parle pas le même langage qu’elles, une science occulte qui s’occupe à évaluer, au moyen de chiffres et de mots souvent étranges, leur intention et leur passé sans grand futur, tout en s’affairant à un calcul cabalistique des peines.
Le droit dit qu’un plaidoyer de culpabilité se doit d’être libre et volontaire, c’est-à-dire non équivoque et éclairé. Ceci étant, jusqu’à quel point un tribunal peut-il – et doit-il – vérifier que la personne accusée connaît toutes les conséquences futures d’un tel plaidoyer? Pour ce qui est des personnes accusées présentant des fragilités de santé mentale et/ou une déficience intellectuelle, cette question est d’autant plus épineuse. On constate malheureusement que la jurisprudence met l’accent sur le fonctionnement cognitif minimal de la personne accusée², et ce, au détriment d’autres éléments qui pourraient, dans un tel cas, être affectés par son jugement, sa motivation, son insight³ ou encore son état émotif⁴. Cela est d’autant plus préoccupant considérant que, lorsque la personne accusée est représentée, le tribunal présume qu’elle a compris la nature des accusations et les conséquences de son plaidoyer. On tient alors pour acquis que ces éléments lui ont été expliqués adéquatement par son avocate ou son avocat⁵.
Sur une autre note, il est a priori surprenant de constater que des personnes se considérant comme non coupable des gestes rapportés devant le tribunal plaident… coupable. Cela représente pourtant la réalité de la pratique du droit pénal au quotidien. En plus des motifs recensés par les autrices du présent ouvrage à l’appui de ce qu’elles appellent, à juste titre, de « faux plaidoyers », nous nous permettons d’en soulever d’autres: le choc d’une première arrestation et accusation, le stigmate inféré par le processus judiciaire, le caractère traumatique de la détention au poste de police, l’interrogatoire policier ainsi que son influence sur les décisions de la personne accusée et, souvent, le fatalisme de celle qui ne sera jamais plus forte que « le système ». À toutes les étapes du processus, l’effet du stress n’est évidemment pas à négliger. À cet égard, il nous semble révélateur que, même après un acquittement, beaucoup de personnes accusées s’effondrent: la voie toute tracée n’était-elle pas celle d’une déclaration de culpabilité⁶? D’autres plaident coupable pour simplement passer à autre chose et, surtout, dépasser l’incertitude et l’inconnu. Combien de fois avons-nous représenté des personnes détenues qui ne voulaient que régler ce énième dossier immédiatement par crainte que leur état insoutenable de sevrage d’alcool ou d’opioïdes ne se poursuive⁷? Ou encore, sachant qu’elles seraient éventuellement visées par un mandat d’arrestation pour ne pas s’être présentées au tribunal parce qu’elles n’avaient pas de domicile fixe⁸?
Bien sûr, certains et certaines diront que notre système de justice pénale est probablement l’un des moins mauvais du monde. Toutefois, pour beaucoup de personnes accusées, il demeure une espèce d’usine à la chaîne qui traite sommairement des questions sociales tellement plus complexes: pauvreté, itinérance, crise du logement, manque de soutien pour les personnes présentant des fragilités de santé mentale et/ou une consommation problématique de substances psychoactives…
Lorsqu’on pratique en défense, on se sent souvent pris dans un engrenage où certaines personnes accusées sont a priori considérées plus coupables que d’autres parce que leur marginalité dérange. C’est une impression pour le moins paradoxale, puisque l’on évolue dans un système pénal s’appuyant sur le principe fondamental de la présomption d’innocence. La pratique quasi systématique de la négociation de plaidoyers de culpabilité s’inscrit pourtant dans ce contexte. Certes, beaucoup d’éléments contextuels influencent ces négociations; parmi ceux-ci, le temps alloué à chaque dossier, la durée totale des procédures ainsi que la condition socioéconomique des personnes accusées nous semblent incontournables.
Le temps, qui est souvent une denrée rare pour la défense, est pourtant essentiel, pour réussir à établir une communication satisfaisante entre l’avocate ou l’avocat et sa cliente ou son client, d’autant plus lorsque cette personne est vulnérable ou marginalisée. En 2016, dans l’arrêt Jordan⁹, la Cour suprême réaffirmait la portée de la protection constitutionnelle dont jouit la personne accusée d’être jugée dans un délai raisonnable¹⁰. Ce faisant, elle sanctionne les délais déraisonnables du processus judiciaire en imposant des délais maximums pour la conclusion des dossiers, sous peine d’arrêt des procédures. C’est dans cette atmosphère de course et, souvent, de mauvaise compréhension des enjeux propres à la personne accusée que se négocie et se décide un plaidoyer de culpabilité, qui aura pourtant des conséquences vitales à long terme. À cause notamment de l’insuffisance de ressources et de moyens, la ruée vers le raccourcissement des délais alloués à chacun des dossiers risque fort de fragiliser d’autant plus le droit à une défense pleine et entière¹¹: « A bad or unfair result does not become better if it is achieved faster¹². »
Puis, lorsqu’une personne accusée est détenue – trop souvent dans des conditions médiocres –, cela a nécessairement des répercussions sur sa volonté de régler prestement son dossier, le plus souvent en plaidant coupable et en négociant une sentence qui prendra en considération le temps passé en détention préventive. À ce moment, l’avocate ou l’avocat de la défense doit rencontrer la personne accusée détenue dans un parloir du palais de justice ou par visioconférence, à défaut de pouvoir se rendre à la prison, et lui expliquer la dernière offre de la poursuite ainsi que les tenants et aboutissants de son dossier en termes clairs et vulgarisés. Dans ce contexte, le manque de temps devient d’autant plus inévitable, et cela accentue l’incompréhension de la personne accusée, qui doit pourtant prendre une décision capitale. Et ceci dans un langage nébuleux: procès pro forma, autrefois acquit, autrefois convict, preuves de faits similaires ou de réputation, actus reus, mens rea, intention générale ou spécifique, présomption de possession, règles régissant la complicité, etc.
En outre, la capacité financière des personnes accusées a une incidence non négligeable sur l’issue d’un dossier criminel. Le présent ouvrage indique que 70% des personnes rencontrées n’avaient pas la capacité financière de payer une avocate ou un avocat et devaient avoir recours aux services de l’aide juridique¹³. Malgré la compétence et le dévouement des avocates et avocats de l’aide juridique et de pratique privée qui acceptent des mandats d’aide juridique, qu’en est-il de l’accès à la justice? Du droit effectif à une défense pleine et entière? Il est connu que les conditions de travail et les ressources financières dont dispose l’avocate ou l’avocat d’une personne accusée admissible à l’aide juridique sont incomparables avec celles dont bénéficie une avocate ou un avocat représentant une personne plus fortunée. D’une part, les avocates et les avocats des bureaux d’aide juridique sont souvent surchargés de dossiers; d’autre part, les ressources financières allouées aux avocates et aux avocats de pratique privée qui acceptent des mandats d’aide juridique sont insuffisantes. En effet, les tarifs accordent un montant forfaitaire de 400 $, 415 $ ou 600 $ selon le type d’accusation¹⁴. Le paiement à forfait signifie que l’avocate ou l’avocat recevra le même montant fixe, que la personne accusée plaide coupable à la première occasion ou qu’il y ait un procès. La tenue d’un procès implique d’assumer la comparution, plusieurs dates pro forma, des rencontres avec les témoins, la préparation de contre-interrogatoires, une journée d’instruction ainsi qu’une journée d’audience sur la peine, éventuellement. L’on ne peut s’empêcher d’y voir une incitation financière à négocier la culpabilité promptement. Beaucoup d’avocates et d’avocats de la défense estiment que, dans ces conditions, c’est elles et eux qui assument à leurs propres frais la mise en œuvre du droit à une défense pleine et entière. Pourtant, négocier utilement, c’est être en mesure d’établir un certain rapport de forces, car la poursuite qui comprend que la défense n’est pas prête à faire un procès a une marge de manœuvre répressive beaucoup plus grande, ce qui est trop souvent le cas.
Somme toute, peu de recherches ont été menées sur le sujet en contexte canadien, encore moins qui s’attardent au point de vue des personnes accusées comme c’est le cas du présent ouvrage. Malgré certains avantages incontestables de la négociation de plaidoyers, par exemple la possibilité de négocier des peines avantageuses pour les personnes accusées, la question soulève sans contredit des enjeux importants concernant l’administration du système de justice pénale. En réponse, les autrices proposent des solutions intéressantes, dont certaines pourraient soulever des débats¹⁵.
Plus largement, nous espérons que la présente recherche suscitera