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La justice administrative
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Livre électronique1 490 pages19 heures

La justice administrative

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À propos de ce livre électronique

La loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État souffle sa première bougie et ses douze premiers mois d’application s’apparentent à tout sauf à un long fleuve tranquille.

Le texte et ses arrêtés d’exécution apportent non seulement de profondes modifications à la procédure en suspension mais introduisent également d’importantes nouveautés comme la boucle administrative ou l’indemnité réparatrice.

Très controversée, critiquée car trop politique ou trop éloignée des réalités quotidiennes de la juridiction, attaquée devant la Cour constitutionnelle et le Conseil d’État lui-même, la réforme est secouée de toutes parts et il semble encore difficile de déterminer si les changements qu’elle apporte seront autant de tentatives manquées de moderniser la procédure ou, au contraire, d’utiles innovations améliorant l’accès au Conseil d’État et la réception de ses arrêts par les autorités administratives.

Dans ce contexte, le présent ouvrage qui reprend les exposés présentés lors des colloques des 21 et 28 mai 2015 organisés par la Conférence du jeune barreau de Bruxelles sous la présidence de Patrick Goffaux et de David Renders, se donne pour objectif de dresser un état des lieux pratique de la procédure contentieuse administrative un an après la réforme du Conseil d’État.

Une part importante des travaux sera consacrée au Conseil d’État lui-même, en offrant un aperçu général de la procédure telle qu’aujourd’hui en vigueur mais également en abordant, d’un point de vue sectoriel, les apports de la réforme dans le contentieux de la fonction publique, le contentieux des marchés publics et le contentieux de l’urbanisme et de l’environnement.

Différentes interventions donneront, par ailleurs, l’occasion de faire le point sur les « nouveaux lieux de justice administrative » – nouvelles juridictions ou tribunaux judiciaires – vers lesquels le législateur tend à transférer certaines compétences « classiques » du Conseil d’État et dont le rôle grandissant n’est pas sans poser question.
LangueFrançais
Date de sortie17 nov. 2015
ISBN9782804483890
La justice administrative

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    La justice administrative - François Belleflamme

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    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.

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    © Groupe Larcier s.a., 2015

    Éditions Larcier

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    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN : 9782804483890

    La collection de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles rassemble les actes des colloques organisés par ses soins et reconnus pour leur grande qualité scientifique. Ils couvrent différents domaines juridiques, notamment le droit des sociétés, le droit des obligations, le droit de la concurrence, le droit social, le droit judiciaire ou encore le droit pénal.

    La collection est dirigée par le Président de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles.

    Derniers ouvrages parus dans la collection :

    Le bail et le contrat de vente face aux réglementations régionales (urbanisme, salubrité, PEB), 2015

    Sous la direction de Nicolas Bernard

    Regards croisés sur la distribution : concession, agence et franchise, 2015

    Sous la direction de Didier Putzeys

    Droit de grève : actualités et questions choisies, 2015

    Sous la direction de Frédéric Krenc

    Les réseaux sociaux et le droit, 2014

    Sous la direction de Mireille Salmon

    Loi sur la continuité des entreprises en pratique : regards croisés, ajustements et bilan, 2014

    Sous la direction de Patrice Libiez et Lucille Bermond

    Le Tribunal de la famille et de la jeunesse, 2014

    Sous la direction d’Alain-Charles Van Gysel

    Le droit des marchés publics à l’aune de la réforme du 1er juillet 2013, 2014

    Sous la direction de Sarah Ben Messaoud et François Viseur

    Contentieux successoral. Les écueils juridiques du conflit successoral, 2013

    Sous la direction de Frédéric Lalière

    La vente. Développements récents et questions spéciales, 2013

    Sous la présidence de Patrick Wéry et la direction de de Jean-François Germain

    Droit des groupes de sociétés. Questions pratiques, 2013

    Sous la direction de Georges-Albert Dal

    La fraude à la T.V.A en matière pénale, 2013

    Sous la direction de Laurent Kennes et Emmanuel Rivera

    La réforme de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles. Première approche thématique, 2012

    Sous la direction de Frédéric Gosselin

    Le droit social en chantier(s), 2012

    Sous la direction d’Emmanuel Plasschaert et Olivier Rijckaert

    L’entreprise en difficulté, 2012

    Cédric Alter, Pia Sobrana Gennari Curlo, Frédéric Georges, Michèle Grégoire, Fabrice Mourlon Beernaert, Charlotte Musch

    Les obligations et les moyens d’action en droit de la construction, 2012

    Sous la direction de Marie Dupont

    Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme. Un référé à Strasbourg ?, 2011

    Sous la direction de Frédéric Kenc

    Les pratiques du marché. Une loi pour le consommateur, le concurrent et le juge, 2011

    Sous la direction de Laurent de Brouwer

    La cession d’entreprise : les aspects sociaux, 2011

    Sous la direction de Loïc Peltzer et Emmanuel Plasschaert

    Les avocats face au blanchiment, 2011

    Sous la direction d’André Risopoulos

    Détention préventive : 20 ans après ?, 2011

    Sous la direction de Benoît Dejemeppe et Damien Vandermeersch

    Préambule

    Quand j’étais étudiant à l’université au siècle dernier¹, le cours de droit administratif était donné le jeudi à 8h30.

    La soirée au Cercle de droit était le mercredi soir.

    Il fallait donc choisir, et tout choix est un renoncement.

    Quoiqu’il en soit, les décisions cardinales qui fondent la matière sont connues de tous : l’arrêt La Flandria, Dame Cachet, Fuss, Labonorm…

    La loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État a modifié les enseignements traditionnels et ancestraux.

    Cette réforme souffle sa première bougie et ses premiers mois d’application s’apparentent à tout sauf à un long fleuve tranquille.

    Dans ces circonstances, un colloque s’imposait pour faire le point sur cette réforme.

    Justine Philippart est revuiste à la CJBB et avocate.

    François Viseur est avocat et sera orateur de rentrée le 15 janvier 2016.

    À deux, ils ont mis sur pied ce colloque en fusionnant leur talent.

    Mes Philippart et Viseur sont donc les murs porteurs du présent colloque.

    Pour parachever l’édifice, une coupole s’imposait.

    Qui s’en étonnera, cette coupole s’appelle à nouveau Me Guillaume Sneessens.

    1 En réalité, au précédent millénaire (1988-1993).

    Précieux et efficace « doyen » de « l’université » de la CJBB pour l’année judiciaire 2014-2015, Me Sneessens a veillé à ce que l’ouvrage que vous avez entre les mains soit édité en temps utile.

    Pour cette tâche parfois ingrate mais ô combien indispensable, notre doyen a pu compter sur la valeur ajoutée de Me Sarah Ben Messaoud.

    Vous l’aurez compris, ces quelques mots expriment la gratitude de la Conférence du jeune barreau à tous les organisateurs et aux orateurs de ce colloque.

    Ces 21 et 28 mai 2015, le colloque se tient sur deux jeudis après-midi.

    Il est par conséquent compatible avec la soirée du mercredi.

    Ainsi, l’utile peut être joint à l’agréable.

    Bon colloque et bonne lecture du présent ouvrage.

    Benoît Lemal,

    Président

    Préface

    1. La justice administrative est essentielle. Elle est celle qui protège le citoyen face aux pouvoirs exorbitants dont est dotée l’administration, à qui revient de réaliser ce que l’intérêt général commande.

    Avec une réforme aussi singulière que celle que connaît la section du contentieux administratif du Conseil d’État, à l’hiver 2014, et qui, pas à pas, trouve à être mise en œuvre, la justice administrative est-elle, aujourd’hui, mieux adaptée aux nécessités de son temps qu’elle ne l’était hier ?

    2. A Wijnegem, un tram avait été mis sur les rails sans que le 33 rue de la Science ait eu, en référé, la moindre remontrance à faire valoir, rejetant chaque moyen pour absence de sérieux : « circulez, il n’y a rien à voir », s’était-on, en quelque sorte, écrié à la prononciation de l’arrêt !

    Jusqu’à ce jour où, arrivé au terminus, le tram était passé au crible de la même justice. Et celle-ci de s’exclamer : tout le monde déraille, à commencer par le tram !

    La vérité du référé n’étant pas celle du fond, une illégalité sapait dans ses bases le permis autorisant la construction de la ligne qui se trouvait ainsi censé n’avoir jamais existé.

    Consternation du côté de l’administration mais aussi dans les rangs politiques qui voyaient, dans cette censure à contretemps, le signe d’une institution sinon contradictoire, tout au moins dérangeante.

    3. Un temps, l’on a bien cru que la grande faucheuse put surgir de la rue de la Loi. Il s’agissait de voir si, à son tour, le Conseil d’État méritait encore le permis de juger qui lui avait été accordé, sans grande concorde, en 1946.

    Après tout, pourquoi ne pas en revenir à la situation d’antan, où les cours et tribunaux détenaient le monopole du contrôle juridictionnel de l’action administrative ?

    A l’heure de transformer l’essai d’une sixième réforme de l’État, l’occasion n’était-elle pas rêvée de prendre le tram en marche et d’ôter, à la Belgique unie, l’un de ses emblèmes ? Si la création de juridictions administratives fédérées était, depuis quelques temps, de nature à grignoter la galette du Conseil d’État, n’était-il pas plus direct de carrément lui couper les vivres ?

    4. C’est, à l’arrivée de ce qui n’est peut-être qu’une manche, au maintien en vie de la haute juridiction administrative que l’on assiste en 2014.

    Et l’on est, avec d’autres, de ceux qui se réjouissent de voir perdurer une juridiction dont l’apport, en termes de justice administrative, peut être qualifié d’essentiel, tout en présentant une heureuse complémentarité avec la fonction juridictionnelle confiée, sur le même terrain, par d’autres biais, aux cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, dont l’apport n’est pas en reste.

    5. L’on peut naturellement s’interroger sur le point de savoir si ce dont le législateur dote le Conseil d’État en 2014 est de nature à lui permettre de rendre une meilleure justice administrative.

    De ce point de vue, la plume à laquelle a été confiée la préface est encrée d’espoirs, de craintes et d’incertitudes.

    6. L’espoir jaillit d’abord à l’arrivée d’instruments qui disposent d’une triple vertu : celle d’accroître la protection juridictionnelle du citoyen face à l’arbitraire éventuel de l’administration ; celle d’assurer à l’action administrative présumée régulière sa pleine efficacité au nom de l’intérêt général ; celle d’allouer, aux acteurs de la justice, les moyens les plus efficients en vue de rendre le service dont ils ont la charge.

    Dans cette perspective, la règle selon laquelle l’avocat qui saisit le Conseil d’État est désormais paré de la double présomption simple selon laquelle il est, à la fois, dûment mandaté pour représenter la personne morale au nom de laquelle il comparaît et, à cette fin, détenteur de la décision d’agir prise par l’organe compétent, a de quoi réjouir : elle facilite l’accès à la justice administrative ; elle ne fait pas obstacle à l’efficacité de l’action administrative dont la présomption de régularité n’a pas — à tout le moins encore — été renversée ; elle libère aussi, au profit de la juridiction, l’énergie dépensée jusqu’alors à examiner si la décision d’agir avait bien — et régulièrement — été prise, chose qu’à l’image des juridictions judiciaires — et, désormais, de la Cour constitutionnelle —, elle n’est plus tenue de faire qu’en cas de contestation d’une autre partie, preuve dûment rapportée par cette dernière.

    7. Comment ne pas se réjouir également de ce que l’ombudsman et le Conseil d’État aient, enfin, été mariés ?

    2014 est, de ce point de vue, l’année d’une heureuse avancée : celle qui permet au citoyen qui dépose une réclamation dans les mains du médiateur d’obtenir une meilleure chance d’aboutir dans cette voie, sans pour autant devoir, dans les faits, renoncer au recours qui lui est, par ailleurs, ouvert devant le Conseil d’État et qui se présente, dans certains cas, comme le seul outil de protection approprié.

    Le « sursis » de quatre mois proposé au citoyen en échange d’une tentative de règlement extra-juridictionnel du litige, c’est évidemment mieux, et pour le citoyen, et pour l’administration, et pour le juge.

    Meilleur est aussi le dispositif qui permet au médiateur fédéral de poursuivre le traitement du dossier, même alors que le Conseil d’État a dû être saisi. Une intervention législative comparable mériterait certainement d’être opérée au profit des médiateurs régionaux et communautaires multiples, eux aussi en cheville avec l’institution juridictionnelle.

    8. Serait-on encore assez injuste pour ne pas voir, dans le système rénové du référé administratif, une mécanique au pragmatisme ni plus ni moins qu’impérial autant qu’impérieux ?

    Désormais, le requérant n’est plus encouragé à emprunter la voie du référé dès l’entame, lorsque — chacun en conviendra — il était parfois requis de jouer les « madame Soleil », quand il ne cherchait pas le « 93 » : pas le tram, la voie rapide menant au terminus, si possible le bon… .

    Le dispositif dernièrement institué permet d’accéder en tout temps au référé ordinaire, voire à celui d’extrême urgence, ou, si besoin, au vivier roboratif des mesures provisoires.

    Le cas échéant, il peut y être recouru à plusieurs reprises successives, voire au bénéfice d’une double accélération — l’urgence, puis, au besoin, l’extrême urgence ! —. N’est-ce pas ce que la justice administrative pouvait rêver de plus cohérent : pour le citoyen qui peut se référer à justice en des temps plus adaptés ; pour l’administration qui n’est plus requise d’avoir à se défendre en urgence dans des circonstances qui, par la force des choses, étaient parfois teintées d’artifice ; pour le juge encore, qui peut désormais exercer son office à départager ce que l’on peut espérer être des enjeux plus en phase avec la procédure enclenchée ?

    9. Si d’espoir il est assurément question, l’on ne saurait, pour autant, taire les craintes.

    Il en est qui peuvent être nourries au sujet de ce qui touche à la question des « dépens », envisagés au sens du Règlement général de procédure.

    Le droit de rôle — plus élevé qu’auparavant — est à acquitter sur un compte du SPF Finances, dans un temps pour le moins déraisonnable. S’agit-il, là, d’une histoire qui n’aura été qu’une parenthèse aussi furtive que la poignée de jours offerte au requérant pour acheminer, vers qui de droit, le prix du billet d’accès au prétoire ? A dire vrai, on ne peut que l’espérer.

    Mais l’indemnité de procédure est un souci de préoccupation plus sérieux. Dans tant de cas, le particulier ne saurait voir son portefeuilles être comparé à celui de la collectivité — fût-ce en temps de crise —. Dès lors, ce qu’il touche, s’il gagne, est bien faible au regard de ce qu’il aura eu à débourser. Et ce qu’il est appelé à payer, s’il perd, rend plus imbuvable encore le détour par le Square Frère ORBAN.

    Qu’on ne fasse pas — dans ce débat — le procès injuste de l’avocat, qui n’a ni demandé que le droit soit complexe, ni cherché à rendre son travail 21 % plus cher qu’il ne peut l’être.

    Il y va ici d’un sujet de préoccupation fondamental dont la réforme n’a fait qu’accroître le degré de gravité. Qu’on se le dise : le Conseil d’État n’est plus ouvert à tous, car entre le pro deo et la réalité, il est une mer de situations qu’il n’est pas excessif de qualifier d’iniques.

    10. Tout aussi inquiétant — mais dans un autre ordre d’idées — : la boucle administrative et le maintien des effets d’acte annulé.

    En d’autres lieux et en d’autres temps, l’on a pu écrire en quoi la boucle administrative posait des problèmes pratiques majeurs et une question de principe élémentaire. Comment assurer l’indépendance et l’impartialité d’un juge qui se mue en conseil de l’administration ? Comment ne pas imaginer qu’un tiers à la procédure initiale ne soit pas intéressé par la réfection ou le dédoublement d’un acte qui n’est plus ouvert à la critique que par les parties embarquées dans le procès initial dont la configuration vient subitement à changer ? Au-delà, comment ne pas percevoir que c’est la nature même de l’action administrative qui est modifiée, elle dont la légalité matérielle et procédurale est dangereusement transformée en formalisme de pacotille ? A travers la boucle, mesure-t-on que l’on brise ni plus ni moins que les digues empêchant l’arbitraire de se déchaîner ?

    Quant au maintien des effets des actes annulés, désormais étendus aux actes individuels — mesure susceptible de rendre le recours juridictionnel aussi beau qu’inutile —, il reste au Conseil d’État à ne pas en faire usage pour éviter de démontrer que l’accès à son prétoire n’aura servi à rien ! Sinon, l’on compte, sans réserve, sur les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire pour accueillir l’action en responsabilité civile extracontractuelle qui demeurera, pour le requérant, la seule planche de salut.

    11. Aux craintes ainsi exprimées, voici encore que s’ajoutent les incertitudes.

    L’une a trait à l’exigence — désormais coulée dans le bronze législatif — de l’intérêt au moyen.

    A dire vrai, l’exigence n’apparaît que normale. En quoi pourrait-on faire flèche de ce qui, atteignant la cible en plein cœur, tuerait, dans le même temps, celui qui la décoche ?

    Mais, en ce domaine, de quel bois se chauffera le Conseil d’État ?

    C’est avec une suffisante élasticité qu’il conviendra d’aborder ce qui, sans être une question d’accès au prétoire, n’en est pas moins presque aussi sensible : un accès au viseur !

    12. Autre incertitude : celle qui concerne l’aide à l’exécution des arrêts ou à l’injonction et à l’astreinte que l’on peut y lier.

    Une ligne à ne surtout pas franchir ? Celle qui conduirait la justice dans le champ de la fonction d’administrer. C’est l’administration qui dispose seule de l’exercice, plein et entier, du pouvoir discrétionnaire apparenté aux missions dont elle a la charge. Et ce pouvoir peut lui avoir été consenti dans bien des dimensions : d’objet, de lieu, mais aussi… de temps !

    Gare aussi, dans la perspective d’une aide ou d’une injonction, à la responsabilité du fait de juger qui n’épargne pas — parole de Cour constitutionnelle… — les juridictions suprêmes.

    Quant à l’astreinte, est-elle au goût du jour ? Sans doute offre-t-elle de meilleures saveurs au requérant qui, dorénavant, en partage le fruit avec le Fonds de gestion des astreintes, moins gâté qu’à ses débuts. Sans doute, aussi, la condamnation à une astreinte au carré pourra-t-elle faire bouger les lignes, si besoin. Pourquoi, en revanche, toujours et encore faire entrer le ministre de l’Intérieur dans la danse, lui qui pourrait être, lui-même, l’autorité condamnée au paiement de ce qu’il aurait, par ailleurs, le devoir d’aider à voir recouvrer ?

    En regardant par-delà les frontières, pourquoi ne pas rêver et instituer, à côté des sections de législation et du contentieux administratif, une section du rapport et des études comparable à celle du Conseil d’État de France ? Pour assurer l’efficacité de l’action administrative et le respect des droits des justiciables, n’en irait-il pas d’un adjuvant pour la qualité qui, de nos jours, a du retard sur la quantité ?

    13. Dernière incertitude, mais de quelle ampleur ? La fameuse indemnité réparatrice que le Conseil d’État est appelé à pouvoir allouer par suite d’une déclaration d’illégalité qu’il aura préalablement prononcée.

    La juridiction administrative n’a pas à être mise au courant de ce qui suit, tant elle l’est déjà.

    Il s’agira, pour elle, de se montrer suffisamment généreuse que pour donner envie au citoyen de s’attarder dans son prétoire, en vue de régler les additions. Il lui reviendra aussi d’être suffisamment originale que pour préserver la place de l’autre juridiction — judiciaire s’entend —, qui s’est vu reconnaître, dès 1831, une compétence sensiblement comparable, même si des réticences, aujourd’hui difficiles à comprendre, l’ont conduite à en différer l’exercice. Il lui incombera encore d’être assez efficace : les moyens de la justice — y compris administrative — sont, pour le moins, limités, et c’est là un constat qui ne fait que s’alourdir et qui est plus près qu’on ne croit de menacer la démocratie, notre trésor commun. Il s’agira enfin d’assurer une équitable répartition des deniers, publics oblige.

    En somme, le Conseil d’État parviendra-t-il à se muer en un juge complémentaire à celui qui, déjà, existe et qui, en matière indemnitaire, sait y faire ? Chacun doit pouvoir y trouver son compte : le citoyen, d’abord, pour qui le service est organisé, sans entraver l’administration dans la poursuite de ses missions, ni paralyser, d’une manière ou d’une autre, l’action d’un juge ou… de l’autre.

    14. Si l’on mesure que le Conseil d’État est paré de nouveaux atours qui inspirent à la fois espoirs, craintes et incertitudes, l’on saura savourer les pages qui suivent dont les auteurs — parmi les plus rompus au contentieux administratif — contribueront à guider le citoyen, l’administration et l’acteur de justice dans ce qui, en matière de justice administrative, va du prosaïque à l’idéal.

    A travers l’examen de la nouvelle boîte à juger déposée dans les mains du Conseil d’État dont l’ouvrage — piloté par deux figures dynamiques du Jeune barreau de Bruxelles : Justine PHILIPPART et François VISEUR — cherche aussi à mesurer l’intérêt dans les principales branches du droit administratif —, l’on n’oubliera pas que — plus que la réforme — c’est la juridiction elle-même qui doit cultiver l’espoir, pétrie qu’elle est de craintes et d’incertitudes…

    15. … L’incertitude est celle d’une Belgique dont la route, sans doute exaltante, est aussi sinueuse. Chacun de ses attributs et de ses symboles est réévalué tous les dix ans, à l’occasion de la réforme institutionnelle à laquelle le Pays ne parvient plus à échapper. Que sera la Belgique dans dix ans ? C’est évidemment à cette aune que l’avenir du Conseil d’État doit être jaugé.

    Dans un contexte plus rapproché, la crainte est aussi celle d’une justice administrative dont les routes se multiplient, incarnées qu’elles deviennent par tant de juridictions instituées aux échelons fédérés, à coup de pouvoirs implicites. Pour le Conseil d’État, une telle justice — partie pour être nettement asymétrique — ne présage guère mieux qu’un avenir teinté de contentieux fédéral de l’excès de pouvoir — pour ce que le niveau de pouvoir est appelé à demeurer — et de contentieux fédéral — peut-être aussi fédéré — de la cassation administrative. Sans déraison, l’on peut craindre avec la juridiction que le siphonage entamé depuis quelques années a des chances de conduire à une station de cette nature.

    Alors, en termes d’espoir, si l’on veut encore d’un Conseil d’État de Belgique, il faudra, outre à la Belgique, reconnaître à l’institution dont il est question tout ce qu’elle a apporté à la société et compter équitablement tout ce qu’avec ce qu’on lui donne aujourd’hui — et ce qu’on ne lui donne pas —, elle a pu — et peut encore — aider à façonner la démocratie que dix millions et demi de citoyens continuent, jusqu’à preuve du contraire, à vouloir partager.

    16. Au moins une chose est-elle certaine : la démocratie n’existe pas sans justice administrative.

    Même si, un moment, on a pu railler celle-ci, un tram déraillant ne saurait emporter celle-là.

    David Renders

    Professeur à l’Université catholique de Louvain,

    Avocat au barreau de Bruxelles

    Avant-propos

    Au moment où se tient le colloque organisé par la Conférence du jeune barreau de Bruxelles sur la Justice administrative, les 21 et 28 mai 2015, certaines des dispositions légales et règlementaires qui consacrent la réforme du Conseil d’Etat font encore l’objet de recours en annulation devant la Cour constitutionnelle et le Conseil d’État lui-même.

    Un premier recours introduit devant la Cour constitutionnelle contre l’article 11 de la loi du 20 janvier 2014 a été rejeté par un arrêt n° 48/2015 du 30 avril 2015.

    D’autres recours contre la loi du 20 janvier 2014 sont néanmoins toujours pendants devant la Cour constitutionnelle, notamment en ce qu’elle instaure la boucle administrative et l’indemnité de procédure¹. Au vu de l’arrêt n° 2014/74 du 8 mai 2014 par lequel la Cour constitutionnelle a annulé les dispositions introduisant un mécanisme de boucle administrative devant le Conseil pour le contentieux des autorisations en Région flamande, il n’est pas impossible que certaines des nouveautés introduites par la réforme de 2014 fassent l’objet d’une annulation.

    Le mécanisme de perception des dépens devant le Conseil d’État, mis en place par l’arrêté royal du 30 janvier 2014, a également fait l’objet de différents recours devant le Conseil d’État lui-même, qui portent les numéros de rôle 211.634, 212.124 et 212.125.

    Tant le Conseil d’État que la Cour constitutionnelle devraient se prononcer dans le courant de l’année 2015 sur ces questions. Nous invitons les lecteurs à y être attentifs.

    Nous renvoyons pour davantage de détails sur les questions qui sous-tendent les recours aux contributions de Benoît Cambier, Thomas Cambier et Alexandre Paternostre sur la question des accessoires de l’arrêt d’annulation et notamment sur la boucle administrative ainsi qu’à celle de Michèle Belmessieri sur l’indemnité de procédure.

    Justine Philippart et François Viseur

    1. Les recours ont été joints. Ils portent les numéros de rôle 5912, 5959, 5960, 5962, 5965, 5968, 6017, 6018 et 6020.

    Introduction
Avons-nous besoin d’un Conseil d’État ?

    Paul Martens

    Président émérite de la Cour constitutionnelle,

    Conseiller d’État honoraire

    Aucune institution n’échappe à l’air du temps.

    Les mutations qu’a connues et que va connaître le Conseil d’État sont un reflet de la société politique et juridique belge. On peut lire ses transformations à travers les travaux préparatoires de ces mutations, des commentaires doctrinaux qu’elles ont suscités et des arrêts rendus à leur sujet par la Cour constitutionnelle puisque, chaque fois qu’un requérant se plaint de ne pas être reçu devant le Conseil d’État, celui-ci est contraint d’interroger la Cour (article 26, paragraphe 2, 2°, de la loi spéciale sur le Cour constitutionnelle). C’est donc un dialogue permanent entre les deux juridictions qui a dessiné les contours de la procédure et de la compétence de la section du contentieux administratif du Conseil d’État.

    En ce qui concerne la procédure, la Cour a généralement avalisé les choix du législateur, les innovations les plus contestées étant la « guillotine » (présomption de désistement) inscrite à l’article 21, alinéa 2, des lois coordonnées, objet d’un véritable tir de barrage de ceux qui risquaient la décapitation (arrêts nos 32/95, 67/95, 27/97, 94/99, 121/99, 4/2000, 50/2000, 72/2000, 87/2001, 150/2001, 21/2002), ainsi que le « filtre » (test d’admissibilité des pourvois en cassation), organisé par l’article 20, paragraphe 3 (arrêt n° 1/2009).

    En ce qui concerne la compétence, c’est le même dialogue entre les deux juridictions qui, au nom de la non-discrimination, a contraint le législateur à gonfler l’article 14, 2°, des lois coordonnées, pour y faire entrer les victimes de décisions administratives qui échappaient au regard des juges.

    Quant aux modifications récentes, plusieurs d’entre elles ont fait, ou vont faire l’objet d’un arrêt de la Cour qui dira si elles sont compatibles avec la Constitution. Et comme la Cour a pris l’habitude de lire celle-ci en combinaison avec les traités et avec les principes généraux du droit, parmi lesquels des normes aussi élastiques que la séparation des pouvoirs, l’indépendance des juges, le procès équitable, l’insaisissable proportionnalité ou la casuistique balance des intérêts, c’est la science politique autant que la normativité juridique qui devra se réécrire quand la Cour aura statué.

    Car la Cour semble vouloir abandonner le contrôle marginal qu’elle avait jusqu’ici exercé sur les choix du législateur. Elle vient de mobiliser les grandes orgues des principes précités pour condamner la boucle administrative introduite par le législateur décrétal flamand dans la procédure devant le Conseil flamand pour les contestations des autorisations (arrêt n° 74/2014 du 8 mai 2004). Etendra-t-elle sa condamnation à la boucle fédérale ? Certains le redoutent, d’autres le souhaitent.

    Pour tenter de percevoir quelle est la conception de l’État qui se cache derrière l’inexistence, la création et l’évolution du Conseil d’État, on reviendra sur le passé, non pour refaire les études historiques très complètes qui lui ont été consacrées, mais afin d’en tirer des leçons pour le futur. On distinguera : (I.) L’ère du soupçon (1831 à 1920), (II.) l’ère du refus (1920 à 1946), (III.) l’ère de la consécration (1946 à 1990), (IV.) l’ère de l’émancipation (1990 à 2005), (V.) l’ère du retour à la suspicion (2005), (VI.) l’ère de la « rationalisation » et (VII.) celle qu’on se retiendra de qualifier puisqu’elle vient de s’ouvrir.

    I.

    L’ère du soupçon (de Richelieu à Appoline Meeus)

    Longtemps, le monde parlementaire belge est resté sous l’influence de la doctrine et de la tradition françaises qui n’aimaient pas que les juges s’occupent des affaires du Roi, puis de l’Empereur, puis de la République¹.

    On se souvient des exhortations de l’Edit de Saint-Germain (1641), dont la paternité est attribuée à Richelieu, dans lequel Louis XIII faisait aux cours « très expresses réserves inhibitions et défense » de prendre à l’avenir connaissance « d’aucunes affaires (…) qui peuvent concerner l’État, l’administration et gouvernement d’icelui que nous réservons à notre personne seule », ces affaires devant être jugées par « le Roi en son conseil ». Ce conseil, qui n’était que le docile instrument de la justice retenue² rappela, par un arrêt du 9 octobre 1651, que « Sa Majesté a établi le conseil pour empêcher que ses sujets ne soient contraints de traiter leurs affaires devant des juges suspects, et retenir la connaissance de celles qui, pour des raisons d’État, ne doivent pas être terminées ailleurs (…) à peine d’encourir son indignation ». La Révolution n’a rien changé : la loi des 16-24 août 1790 rappelle que « les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». L’indépendance des juges était, à l’époque, une notion hautement péjorative.

    En 1818, Henrion de Pansey avait lancé son célèbre « Juger l’administration, c’est encore administrer », ce qui ne lui infligeait aucune frustration puisqu’il appartenait au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Est-ce parce qu’il était encore imprégné de ces principes que le constituant belge ne semble même pas s’être interrogé sur la nécessité de créer un Conseil d’État ? Pour justifier cette absence, on fit appel au vocabulaire de l’obstétrique, répétant que, dans un système représentatif, un tel organe serait « une superfétation »³.

    On avait copié la doctrine française, mais non son organisation puisque la France avait un Conseil d’État, certes, soupçonné à l’époque d’être inféodé à l’exécutif, mais qui était néanmoins censé contrôler l’administration. Faute d’une juridiction équivalente, la Belgique immunisait l’administration de tout contrôle juridictionnel. Le 24 octobre 1866, la Cour de cassation⁴, en chambres réunies, désavouant les tribunaux correctionnels de Liège et de Huy, mettait fin à « la triste et édifiante histoire d’Appoline Meeus »⁵. La Cour s’opposait à ce que « les tribunaux connaissent des actes d’administration pour arrêter ou paralyser lesdits actes ». N’écoutant pas Mathieu LECLERCQ, alors avocat général, qui refusait de livrer la femme à l’arbitraire de l’administration, elle ne permit pas à Appoline Meeus de prouver qu’elle ne se prostituait pas et que c’est à tort que l’administration communale de Liège l’avait inscrite dans le « registre des filles publiques ».

    La société que l’on devine derrière cette obstination à immuniser l’administration est héritée de la monarchie absolue, du jacobinisme, d’une conception organique de l’État, d’une sacralisation de celui-ci et d’un refus des juges de porter sur lui une main sacrilège. Quant à oser dire qu’il existerait une responsabilité des pouvoirs publics à l’égard des individus, en 1902, on la repoussait encore fermement : « Proclamer que tout sacrifice individuel au profit de tous doit nécessairement et toujours être dédommagé par la généralité, c’est bien moins consacrer un prétendu droit naturel que méconnaître les conditions essentielles de l’ordre social et de l’existence des nations… »

    II.

    L’ère du refus : de Paul Leclercq à Henry Carton de Wiart (1920 à 1946)

    L’immunité des pouvoirs publics va pourtant se voir progressivement grignotée par les juges. Ils limitent tout d’abord leur contrôle aux hypothèses dans lesquelles l’État agit en tant que personne civile, s’interdisant de connaître les actes qu’il accomplit en tant qu’État souverain. On retrouve, traduit dans le vocabulaire juridique, la théorie des deux corps du Roi⁷ selon laquelle il faut distinguer son corps naturel, sujet à toutes les faiblesses humaines, et son corps mystique qui ne peut être ni vu ni touché⁸.

    En 1917, Paul Leclercq critique cette distinction, l’État souverain et l’État personne civile étant « des pseudonymes »⁹. Mais c’est dans le véritable pamphlet hébergé dans les conclusions précédant l’arrêt la Flandria¹⁰ qu’il se déchaîne, parlant d’une jurisprudence remontant à une époque « où la fièvre maligne qui s’était attaquée à la jurisprudence montait », appelant à « un retour à la santé ». Il reconnaît que « la contagion avait été immense », que « tous  étaient atteints », lui-même ayant été contaminé, avouant que dans une note de 1907, il s’était livré à « une gymnastique analogue ». Mais il annonce que « l’époque de la pleine convalescence est arrivée », qu’il est temps de tuer « les chimères juridiques ». Et il prononce cette phrase terrible : « en réalité, ce qu’on appelle le Gouvernement, ce sont des hommes qui gouvernent ». Elle est, pour le droit administratif, ce qu’avait été le « Gott is tot » de Nietzsche pour la philosophie.

    Le droit entre à son tour dans l’ère du désenchantement et accède à la modernité. Le pouvoir se dépouille de ce qu’il avait encore de résidus magiques et d’héritage céleste.

    L’arrêt donne lui aussi une retentissante leçon de science politique : en affirmant qu’il ne faut avoir égard « ni à la qualité des parties contendantes, ni à la nature des actes qui auraient causé une lésion de droit, mais uniquement à la nature du droit lésé », il rompt avec la pensée de Henrion de Pansey dont les conclusions de l’avocat général disaient qu’il s’agit d’un « auteur, avant la Révolution française, de livres célèbres sur le droit féodal », mais que « s’il est un juriste d’un vaste savoir et aux facultés puissantes, en même temps qu’un écrivain d’une rare lucidité, (il) est, d’autre part, pour les jurisconsultes belges la plus dangereuse des sirènes ». La Cour lui emboîte le pas en soulignant ce qui distingue la Belgique de la France : pour celle-ci, la séparation des pouvoirs est « née d’un sentiment de méfiance à l’égard des corps judiciaires », tandis que le régime organisé par notre Constitution « est inspiré d’un sentiment de méfiance à l’égard des pratiques administratives » et « vise à mettre les droits privés à l’abri des atteintes de l’administration et sous la sauvegarde du pouvoir judiciaire ».

    Voilà, enfin, reconnu comme sujet de droit, ce citoyen que la Révolution française avait élevé en majesté sans avoir aperçu qu’un citoyen libre est celui qui peut plaider, même contre le Roi ou contre ceux qui ont hérité de ses pouvoirs.

    Cet arrêt est aussi un acte de foi dans les vertus des juges, teinté de chauvinisme, et les mauvaises langues prétendent qu’il visait à repousser le spectre d’un Conseil d’État. Les propositions qui envisageaient de le créer avaient toutes été rejetées ou étaient devenues caduques¹¹. Mais celles qui furent déposées à partir de 1930 par Henri Carton de Wiart allaient aboutir à la création du Conseil d’État par la loi du 23 décembre 1946.

    III.

    L’ère de la consécration (1946 à 1990)

    Que s’est-il passé entre-temps ?

    On constate tout d’abord une mutation dans le vocabulaire. Le terme « administré », chargé de complaisance, voire de dédain, est progressivement remplacé par celui de « citoyen »¹². Concernant l’administration, le mot « arbitraire » apparaît pour évoquer le péril d’une administration sans contrôle. Enfin le prestige de l’autorité exécutive recule. La notion de « raison d’État », parfois utilisée à des fins scélérates, est en disgrâce depuis l’affaire Dreyfus. On y voit surtout « la raison des bureaux » (Anatole France). Elle disparaît au profit de concepts tels que « l’État de droit » ou « l’intérêt général », notions tout aussi évanescentes mais qui n’ont pas été compromises dans des utilisations abusives et qui révéleront plus tard leurs aptitudes polysémiques¹³.

    L’administration s’est vue progressivement encerclée par des organes sectoriels, tel que le Conseil des mines (loi du 1er juillet 1831) et par des organes généraux, tels que le « Comité de législation » (arrêté royal du 22 mars 1883) ou le « Conseil de législation » (arrêté royal du 3 décembre 1911). Leurs compétences sont consultatives mais leur existence révèle que l’exécutif n’est plus considéré comme infaillible. L’idée selon laquelle l’activité législative et réglementaire doit s’entourer d’avis émanant d’organes qui ne dépendent pas de l’administration a fait progresser l’idée selon laquelle un contrôle a posteriori pourrait exister.

    Sans doute les projets et propositions répugnaient-ils à suggérer la création, envisagée par Carton de Wiart, d’une « Cour du contentieux administratif » et on retrouvera une trace de cette peur des mots jusque dans le Conseil d’État créé en 1946 : sa section du contentieux administratif s’appellera « section d’administration » jusqu’en 2007. On explique cette timidité par le souci de marquer la distinction de l’institution nouvelle avec les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire et on use de contorsions sémantiques pour affirmer, d’une part, que « c’est le pouvoir administratif qui se démembre », d’autre part, que, « tout en étant rattaché au pouvoir exécutif, le Conseil d’État n’en dépend pas »¹⁴.

    Et il a fallu attendre jusqu’en 1993 pour que le Conseil d’État entre dans la Constitution, alors que ses chefs de corps n’avaient cessé de réclamer cette garantie d’indépendance et qu’on avait dénoncé dès 1953 le péril de voir le Conseil d’État à la merci « d’un caprice du pouvoir exécutif ou d’une majorité passagère »¹⁵.

    IV.

    L’ère de l’émancipation (1990 à 2005)

    Après quarante ans de fonctionnement, le Conseil d’État avait conquis sa place dans l’espace juridictionnel mais ses arrêts souffraient d’une ineffectivité d’autant plus visible que l’ordre judiciaire, de son côté, avait été doté – ou s’était doté lui-même – de moyens aptes à évoluer vers une justice effective. L’explosion de la notion d’urgence, une conception du provisoire qui n’empêche pas le juge des référés d’aborder des questions de fond et de statuer sur des droits apparents, la multiplication des procédures « comme en référé », le maniement de l’astreinte, tous ces progrès procéduraux avaient épousseté la justice des pesanteurs du passé. En comparaison, le Conseil d’État, qui ne disposait d’aucune de ces procédures, ressemblait à une juridiction compassée. Sa procédure compliquée, son vocabulaire ésotérique, ses retards à statuer et le caractère parfois compliqué de ses raisonnements lui avaient valu le surnom de « palais de la virgule ». La comparaison avec le pouvoir judiciaire était d’autant plus cruelle que la Cour de cassation allait reconnaître aux juges le pouvoir d’adresser des injonctions aux autorités administratives¹⁶, ce qui risquait de reléguer à nouveau le Conseil d’État dans la rubrique des « superfétations ».

    Celui qui entrait au Conseil d’État en 1985¹⁷, venant du judiciaire, pouvait s’étonner de ce que le premier arrêt au prononcé duquel il allait participer, le lundi, concernait l’annulation d’un marché public relatif à un bâtiment autour duquel il s’était promené le vendredi précédent. À sa crainte de devoir rallier la catégorie des travaux inutiles, on opposa que le Conseil d’État n’était pas là pour protéger des droits subjectifs, que sa mission était d’aider l’administration à se réformer et que le néophyte avait une réaction de civiliste, ce qui, dans la maison, était une injure confinant au racisme. Le Conseil d’État semblait se résigner à prononcer « des arrêts de portée purement doctrinale, dénués d’effet pratique parce qu’ils ne venaient frapper qu’une irrégularité consommée, irréparable »¹⁸.

    Les autorités du Conseil d’État allaient cependant prendre conscience de ce que celui-ci risquait de perdre son prestige, voire son utilité. Elles firent savoir au monde politique qu’elles souhaitaient que les recours puissent bénéficier, dans certains cas, d’un effet suspensif, ce qui sera consacré par la loi du 16 juin 1989.

    Le premier arrêt de suspension prononcé par le Conseil d’État révèle qu’il a accueilli sa nouvelle compétence avec gourmandise¹⁹. La chambre saisie, dans une composition inédite, est présidée par le premier président ; le rapport est établi par l’Auditeur général en personne. Toutes les objections que la partie adverse a mises en travers de la demande sont écartées (absence d’arrêté royal fixant la procédure, action pendante devant le juge des référés). La réunion des deux conditions exigées, qui sont le risque d’un préjudice grave et l’existence d’un moyen sérieux, est constatée dans l’allégresse : le déboisement imminent d’une hêtraie centenaire est irréparable ; la publication par l’administration de documents rédigés en anglais est discriminatoire à l’égard de ceux qui ne sont pas censés comprendre cette langue²⁰. En faisant un usage généreux de leurs compétences nouvelles, les juges ne font pas seulement triompher la légalité : ils se débarrassent du sentiment vexant d’être des juges « inustensiles ».

    Plusieurs chambres du Conseil d’État livrèrent, vaillamment mais en vain, des batailles de procédure pour pouvoir assortir leurs arrêts d’une astreinte : le monumental arrêt Zoete du 8 juillet 1982²¹, qui infligeait une astreinte aux membres d’un jury, fut annulé par un arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 1984. Une autre chambre demanda à la Cour de justice Benelux si la loi uniforme relative à l’astreinte (article 1385bis du Code judiciaire) devait être interprétée en ce sens qu’elle habilitait le Conseil d’État à condamner au paiement d’une astreinte. Le Conseil d’État fournissait, dans son arrêt, tous les arguments qui eussent permis de répondre affirmativement à sa question²². La réponse fut aussi sèche que négative²³. C’est la loi du 17 octobre 1990 qui donna ce pouvoir au Conseil d’État²⁴.

    Dès lors que les deux ordres juridictionnels avaient des fonctions de plus en plus ressemblantes, il fallait établir des frontières pour éviter tout empiètement de compétence. Le problème n’était pas nouveau : depuis sa création, le Conseil d’État avait dû imaginer des formules pour affermir sa compétence et résister au vœu, prêté au pouvoir judiciaire, de le voir disparaître ou à tout le moins anémié.

    Dès ses premiers arrêts, le Conseil d’État belge avait emprunté au Conseil d’État français sa théorie des « actes détachables » qui lui permettait de s’occuper de la partie administrative des contrats conclus par une administration, laissant aux juges sa partie conventionnelle²⁵. Il eut plus de difficultés pour user, dans le contentieux de l’indemnité, d’une compétence résiduaire que le pouvoir judiciaire allait rétrécir en agrandissant le champ d’application de l’article 1382 du Code civil à l’égard des pouvoirs publics²⁶. Pour tenter de trouver un armistice avec le pouvoir judiciaire, il a bâti la théorie de l’« objet véritable du litige » pour ne décliner sa compétence qu’à l’égard des demandes portant réellement, et non seulement formellement, sur des droits subjectifs²⁷ et il utilisera, aux mêmes fins, la notion de « compétence liée ».

    Mais revenons aux réformes qui ont élargi le champ d’action du Conseil d’État : le voici doté de moyens d’action modernes : suspension, extrême urgence, mesures provisoires, astreinte. Ces réformes traduisent en termes procéduraux le basculement du centre de gravité du contentieux administratif : c’est bien le citoyen qu’il faut protéger et il faut le faire efficacement. Quant à l’administration, elle voit s’étioler les attributs mêmes de sa majesté : les privilèges du préalable et de  l’exécution d’office²⁸.

    Ces progrès de l’individualisme procédural n’ont toutefois pas rassuré le monde politique. Si, au sein de celui-ci, les esprits éclairés se félicitaient de voir le procès équitable pénétrer même dans le contentieux de l’excès de pouvoir, d’autres prétendaient que le Conseil d’État était peuplé d’obstinés de la motivation, de fanatiques de la contradiction, d’ayatollahs de l’environnement, ennemis d’une gestion managériale des droits et libertés.

    Certains avaient le sentiment qu’il suffisait, par exemple dans le domaine des travaux publics, qu’une poignée de mécontents, revêtus du beau titre de « riverains », s’offusquassent qu’une bretelle d’autoroute risquait d’abîmer leurs plates-bandes pour que, une fois reçus au Conseil d’État, celui-ci trouve une directive sur la protection des oiseaux qui lui permettait d’interdire les travaux. Et il importait peu que ces riverains n’aient aucun souci de la sauvegarde des passereaux puisqu’on n’exigeait pas qu’ils démontrent leur intérêt au moyen. Le Conseil entra alors dans une nouvelle ère de suspicion.

    V.

    L‘ère de la suspicion revenue (2005)

    C’est le législateur décrétal wallon qui eut la témérité de mener une entreprise d’évitement du Conseil d’État afin de faire échapper à sa censure les travaux inspirés « par des motifs impérieux d’intérêt général ». Voilà un nouvel avatar de la notion de raison d’État, utilisée pour tenter de contrer un nouvel ennemi de la raison administrative : l’environnement.

    La Cour d’arbitrage avait fait preuve de réalisme politique à propos d’un recours contre un décret flamand confirmant des mesures relatives au port d’Anvers : tout en reconnaissant que des riverains pouvaient subir un préjudice grave et que leurs moyens d’annulation paraissaient sérieux, elle fit, pour la première fois dans une demande de suspension, la balance des intérêts en présence et, constatant que l’article 20, 1°, la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle dispose que celle-ci « peut » suspendre une norme législative, elle déduisit de ce terme qu’elle a le pouvoir d’apprécier si la suspension demandée s’impose, alors même que les conditions légales sont réunies²⁹.

    Forte de ce précédent, la Région wallonne, par son décret « DAR » du 17 juillet 2008, organisa de manière générale une procédure de délivrance de certains permis par l’autorité législative, justiciables de la Cour constitutionnelle. Ainsi était écartée la compétence du Conseil d’État, lequel interrogea simultanément la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de l’Union européenne sur la conventionalité et sur la constitutionnalité de cette amputation.

    Les deux cours donnèrent tort à la Région³⁰.

    Cette tentative manquée de restaurer la majesté administrative révèle un nouvel aspect du contentieux de l’excès de pouvoir. Il ne s’agit plus de l’affrontement classique entre l’individu et le Léviathan administratif. Face à la société politique se dresse la société civile et le terme d’intérêt général laisse apparaître sa polysémie. Il y a, d’un côté, l’intérêt général, héritier de la raison d’État, qui transcende les intérêts égoïstes, auquel on tente de donner une valeur superlative en parlant de « motifs impérieux d’intérêt général ». Il y a, en face, un intérêt général qui somme le pouvoir de prendre en considération les intérêts particuliers et, sous le contrôle du juge, de les arbitrer pour faire émerger leur harmonie présupposée³¹.

    Mais le requérant individuel lui aussi va s’attirer la méfiance du pouvoir. Car ce trublion a un nouvel adversaire : la logique gestionnaire qui prend progressivement le pas sur les grands principes et qui s’insinue dans un domaine dont on ne s’était pas suffisamment rendu compte qu’il est désigné par une expression qui confine à l’oxymore : l’administration de la justice.

    VI.

    L’ère de la « rationalisation »

    Parallèlement à l’image du citoyen qui a conquis le droit fondamental à un juge, on voit apparaître celle du plaideur abusif, qui utilise la procédure à des fins illégitimes. L’accès au Conseil d’État va alors se trouver freiné pour des motifs qui tiennent à l’engorgement du Conseil et à l’attitude des plaideurs.

    On n’est plus à l’époque où on augmentait les cadres du conseil d’État quand croissaient les contentieux qui lui étaient confiés. Il faut donc agir sur le traitement des contentieux, à défaut de pouvoir compter sur la générosité des budgets.

    Les motifs des arrêts de la Cour constitutionnelle validant la « guillotine » précitée reprennent ceux des travaux préparatoires : il s’agit de réduire la durée de la procédure, de résorber l’arriéré judiciaire (arrêt n° 32/95), de « mettre fin à l’incertitude sur la légalité d’un acte administratif », afin que le Conseil d’État puisse « se consacrer à l’examen des recours qui présentent encore un intérêt certain et actuel pour le requérant » (arrêt n° 21/2002). De même, le « filtre » précité sera justifié par l’objectif de « maîtriser et éliminer un arriéré juridique considérable ». Ce citoyen qu’on s’est attaché à protéger tout au long de l’évolution du Conseil d’État apparaît trop souvent, aux yeux du législateur, comme un plaideur qui multiplie « les recours abusifs, dilatoires ou déficients » (arrêt n° 1/2009). On suspecte même certains avocats d’abuser de la procédure. Quand, par la loi du 17 février 2002, le législateur introduira, à l’article 37 des lois coordonnées, une disposition permettant de sanctionner d’une amende les recours abusifs, un arrêt refusera de l’appliquer à une requérante ignorante du droit et des règles de procédure, mais en regrettant de ne pouvoir l’infliger à l’avocat qui est le « véritable responsable de l’acte que la sanction tend à réprimer »³².

    Nous voilà donc entrés dans une autre ère : celle des restrictions budgétaires, du management, de la « rationalisation », ce dernier terme s’étant progressivement vidé de son contenu philosophique pour désigner une réorganisation des méthodes de production destinée à accroître l’efficacité économique.

    VII. L’ère de l’équilibre ?

    À la question « avons-nous besoin d’un Conseil d’État ? », la réponse est évidemment affirmative, la juridiction ayant démontré son rôle irremplaçable dans une démocratie. La vraie question serait plutôt : « de quel Conseil d’État avons-nous besoin ? ». Et elle est au cœur de la réforme actuelle. Derrière celle-ci apparaît le souci de l’économie du procès lorsqu’elle introduit l’exigence de l’intérêt au moyen. La règle « electa una via », qui, pour les demandes d’indemnisation, permettra désormais d’éviter les problèmes quasi-métaphysiques des compétences concurrentes, leur substitue une logique du profit puisque la compétence est laissée à la discrétion du plaideur, lequel ne tardera pas à rechercher quelle juridiction est la plus généreuse avant de choisir celle qu’il va saisir. Quant à la boucle administrative, ses détracteurs et ses partisans s’appuient tantôt sur les grands principes de naguère, tantôt sur les préoccupations d’aujourd’hui : on invoque le droit du citoyen à un procès équitable, au respect des droits de la défense, à la motivation formelle des actes administratifs, à l’indépendance du juge et à son impartialité, l’État de droit ayant « un prix qui ne saurait être perçu comme le rendant inefficace »³³. Mais il y a aussi l’efficacité et la rapidité de la justice administrative, le souci d’éviter les manœuvres dilatoires et les carrousels procéduraux et, enfin, la volonté de « combattre cet individualisme forcené, petit cancer qui affecte l’idée même d’intérêt général »³⁴.

    C’est, à nouveau, l’état de la société que nous allons lire en filigrane des réformes avec, plus que jamais, le difficile équilibre à trouver entre les normativités antagonistes qui se heurtent dans une démocratie qui est de plus en plus juridictionnelle, qui a encore quelques restes de l’État-providence, mais qui est sommée de placer les préoccupations économiques au fronton de ses institutions. Nous venons d’un État « administratif »³⁵, c’est-à-dire qui prend ses décisions a priori, sans permettre à ses assujettis d’y participer ou de les contredire et où, si l’action du pouvoir exécutif transgresse la règle de droit, c’est la règle qui recule³⁶. Nous avons évolué vers un État « jurisprudentiel », où la démocratie convoque ses assujettis, ou leur permet de la convoquer, et qui accepte de revoir ses décisions a posteriori après un débat contradictoire. On évolue aujourd’hui vers une « démocratie budgétaire » où l’exercice des droits et libertés n’est permis que dans la limite des moyens disponibles.

    Les analyses qui vont suivre nous permettront de savoir si l’une de ces normativités a triomphé ou si le législateur est parvenu à les concilier.

    1. Voy. notamment P. Goffeaux, « De l’échec du modèle moniste à la création du conseil d’État », in B. Blero, Le Conseil d’État de Belgique, cinquante ans après sa création (1946-1996), Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 31-63.

    2. D. Cohen, La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire, Paris, Economica, 1987, p. 31.

    3. La « superfétation » désigne la conception d’un fœtus lorsqu’il y en a déjà un dans la matrice. 

    4. Cass., 24 octobre 1866, Pas., 1867, I, p. 11.

    5. M. Leroy, Contentieux administratif, Bruxelles-Limal, ULB-Anthemis, 2011, p. 17.

    6. Concl. av. gén. Janssens précédant Cass., 13 février 1902, Pas., I, p. 143.

    7. E. Kantorowicz, Les deux corps du Roi, coll. Bibliothèque des histoires, Paris, Gallimard, 1989.

    8. Pour un rapprochement entre les théories de Kantorowicz et la jurisprudence d’avant 1920, voy. P. Martens, Le droit peut-il se passer de Dieu ?, Namur, Presses universitaires de Namur, 2007, pp. 42-50.

    9. Conclusions précédant Cass., 5 mars 1917, Pas., I, p. 118.

    10. Cass., 5 novembre 1920, Pas., I, p. 192.

    11. Novelles (Les), Droit administratif, t. VI, Le Conseil d’État, Bruxelles, Larcier, 1975, pp. 141 et s.

    12. F.-M. Remion et Ch. Lambotte, in Novelles (Les), Droit administratif, op. cit., pp. 6 et 7.

    13. Voy. infra, chapitre 5.

    14. Novelles (Les), Droit administratif, op. cit., p. 142.

    15. Ibid., p. 18. Termes utilisés dans une proposition du sénateur Buisseret en 1953 et 1954.

    16. Cass., 21 mars 1985, J.T., 1985, p. 697, concl. av. gén. Velu.

    17. Le soussigné a appartenu au Conseil d’État de 1985 à 1990.

    18. P. Lewalle et L. Donnay, Contentieux administratif, coll. de la Faculté de droit de l’Université de Liège, Bruxelles, Larcier, 2008, n° 375, p. 534.

    19. Arrêt n° 32.953 du 11 août 1989.

    20. L’arrêt précise « que si quelques-unes de ces mentions ne supposent aucune connaissance particulière de cette langue (parking, club house), il n’en va pas de même de la plupart ; que les habitants d’un endroit où l’on installe un terrain de golf ne sont pas censés comprendre tous les termes anglais consacrés par ce sport, bien que les personnes qui en sont férues les pratiquent sans être anglophones » ; la motivation est rappelée par M. Leroy, Contentieux administratif, op. cit., p. 744.

    21. Arrêt n° 22.446 du 8 juillet 1982.

    22. C.E., 28 janvier 1987, n° 27.479, J.L.M.B., 1987, p. 327.

    23. C.J. Benelux, 1er juillet 1988, J.L.M.B., 1998, p. 1201, note Ch. Panier et B. Haubert.

    24. P. Lewalle et L. Donnay, Contentieux administratif, op. cit., n° 401, p. 616.

    25. Ibid., n° 427, p. 680.

    26. M. Leroy, Contentieux administratif, op. cit., p. 856.

    27. Voy. les articles écrits sur le sujet par Charles Huberlant.

    28. M. Nihoul, Les privilèges du préalable et de l’exécution d’office, Bruxelles, La Charte, 2001.

    29. Arrêts nos 116/2002, 174/2002, 94/2003 et 152/2003, Deurgangdock.

    30. Arrêt n° 144/2012. Sur les nombreuses péripéties procédurales de cette affaire, voy. le rapport annuel 2012 de la Cour, pp. 149-157.

    31. J. Garzaniti, « L’intérêt général comme idéal régulateur du processus de production normative », R.B.D.C., 2010, pp. 321-369.

    32. Arrêt n° 126.770 ; M. Leroy, Contentieux administratif, op. cit., p. 600.

    33. D. Renders, « La boucle administrative ne serait-elle pas bouclée », note sous C. const., n° 74/2014, J.L.M.B., 2014, p. 1201.

    34. M. Uyttendaele, « Sauver la boucle administrative fédérale », A.P.T., 2014, pp. 398-406.

    35. Selon la terminologie de B. Kriegel, Philosophie de la République, Paris, Plon, 1988, pp. 86-89.

    36. D. Cohen, La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire, op. cit., p. 5.

    1

    La qualité du requérant et son intérêt au recours et au moyen

    Michel Kaiser

    Avocat au barreau de Bruxelles,

    Collaborateur scientifique à l’Université catholique de Louvain

    et

    Emmanuel Gourdin

    Avocat au barreau de Bruxelles

    1. L’on sait que l’obtention d’un arrêt d’annulation par la section du contentieux administratif du Conseil d’État reste un résultat statistiquement marginal¹. Est-ce à dire que le requérant se trompe fréquemment lorsqu’il estime que l’autorité administrative a adopté un acte ou un règlement illégal ? La réponse à cette question n’est que partiellement affirmative. En effet, avant même que le juge administratif ne soit appelé à se prononcer sur le cœur de l’illégalité ou des illégalités alléguée(s) à l’appui d’un recours en annulation, nombre d’autres motifs sont susceptibles de conduire à un arrêt de rejet ou de pousser le requérant à se désister. En ce sens, le recours en annulation peut s’apparenter à un parcours d’obstacles, dont une bonne partie se situent en amont de l’examen par le Conseil d’État du contenu des moyens avancés à l’encontre de l’acte attaqué.

    Les éléments susceptibles de justifier le rejet d’un recours en annulation, indépendamment du caractère non fondé d’un moyen, peuvent notamment tenir à l’incompétence du juge administratif, à la nature de l’acte attaqué, au statut de son auteur, au non-respect des délais de recours, aux formes que doit revêtir la requête ou son envoi au Conseil d’État, à l’absence de paiement des droits de rôle, à l’oubli d’une formalité procédurale… Au sein de ce catalogue de chausse-trappes, trois éléments spécifiques, et non dépourvus de liens entre eux, seront examinés dans les pages qui suivent, et ce dans l’ordre chronologique dans lequel le Conseil d’État est appelé lui-même à les appréhender.

    L’on se penchera d’abord sur deux des caractéristiques de la recevabilité d’un recours en lien avec la situation du requérant. Traditionnellement, l’on estime que pour pouvoir attaquer valablement un acte administratif devant le Conseil d’État, le requérant doit disposer de la capacité pour agir, de la qualité pour saisir le juge administratif et justifier d’un intérêt suffisant à l’annulation. Il s’agit de « trois conditions qu’il n’est pas toujours facile de dissocier »². La réforme de janvier 2014 modifie un élément substantiel de la qualité pour agir devant le Conseil d’État, s’agissant des personnes morales et de leur représentation (section I). La même réforme n’a d’impact qu’assez marginalement, par contre, sur la question de l’intérêt au recours, même si elle ouvre de nouvelles perspectives notamment quant à l’évolution de la notion d’intérêt au regard de la compétence d’octroyer une indemnité réparatrice dont se voit doter le juge administratif (section II).

    Enfin, une fois « validé » le lien suffisant entre le requérant et son recours en annulation, il conviendra, avant de se pencher sur son contenu, d’examiner si les moyens qu’il développe à l’appui de son recours sont admissibles au regard de la question de l’intérêt au moyen. La réforme de 2014 offre aux importants développements prétoriens relatifs à cette question désormais une assise législative (section III).

    I.

    La qualité du requérant

    2. Une personne morale agit par l’intermédiaire de ses représentants. La qualité de représentant est donc déterminante pour savoir si celui qui s’en prévaut est habilité à agir en justice pour le compte de sa mandante. La réglementation et la jurisprudence antérieures à la réforme de 2014 contenaient des exigences très strictes en vue de vérifier la réalité de cette qualité. Elles avaient conduit à de nombreuses controverses. Après les avoir évoquées, Jérôme Sohier dans la troisième édition de son Manuel des procédures devant le Conseil d’État³, postérieur à l’importante réforme de 2014, écrit qu’à la suite de celle-ci, elles n’ont plus cours.

    Aurait-on trouvé la panacée ? Sans doute pas complètement. Si la réforme constitue, à l’évidence, un progrès bienvenu en termes de sécurité juridique et de simplification administrative pour les personnes morales, actives devant le juge administratif, elle ne manque pas de soulever de nouvelles questions (I.2.). Par ailleurs, elle n’offre aucun secours aux personnes morales qui n’ont pas d’avocat et laisse subsister, sans doute avec moins d’acuité, certains débats anciens (I.3.). Avant d’aller à la rencontre de ces difficultés, anciennes et neuves, il convient de tracer les contours de la réforme (I.1.).

    I.1. Les contours de la réforme

    3. Il ne faut pas le nier, le législateur de 2014 opère un virage important sur la question de la représentation des personnes morales devant le Conseil d’État.

    Pour mieux en saisir la courbe, il s’agit d’examiner d’abord les modifications concrètes apportées par le législateur aux lois coordonnées le 12 janvier 1973 sur le Conseil d’État⁴ ainsi qu’à leur arrêté d’exécution. L’on décrira ensuite l’objectif de ces nouvelles dispositions et, enfin, la portée à leur donner.

    4. Le nouvel alinéa 6 de l’article 19, des lois coordonnées, inséré par l’article 7, 5°, de la loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État⁵ est applicable à la fois aux recours en annulation et en cassation administrative. Entré en vigueur le jour de sa publication, le 3 février 2014, ce texte est ainsi formulé : « Sauf preuve contraire, l’avocat est présumé avoir été mandaté par la personne capable qu’il prétend représenter ».

    Il doit être lu en parallèle avec le nouvel⁶ article 3,4° de l’arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État⁷, qui prévoit que la partie requérante joint à sa requête « dans les cas où la partie requérante est une personne morale, une copie de ses statuts publiés et de ses statuts coordonnés en vigueur et, si cette personne morale n’est pas représentée par un avocat, de l’acte de désignation de ses organes ainsi que la preuve que l’organe habilité a décidé d’agir en justice ». Cette disposition, entrée en vigueur le 1er mars 2014, est rendue applicable par renvoi à la requête en intervention⁸ et à la demande de suspension⁹. Ces principes sont repris pour la procédure de cassation par l’article 4, 4°, de l’arrêté royal du 30 novembre 2006 déterminant la procédure en cassation devant le Conseil d’État¹⁰.

    5. L’objectif du nouvel article 19, alinéa 6, des lois coordonnées, est d’« instaurer une présomption réfragable de la régularité de la décision d’agir des personnes morales, lorsqu’elles sont représentées par un avocat, à l’instar de ce qui prévaut devant les cours et les tribunaux »¹¹. C’est ainsi que la ministre de l’Intérieur observe que « l’interprétation donnée par le Conseil d’État à l’article 440 du Code judiciaire conduit à alourdir considérablement la charge de la preuve des personnes morales désireuses d’introduire un recours devant cette haute juridiction » et qu’ « elle impose à la haute juridiction administrative un examen aussi difficile que fastidieux qui la détourne de sa mission de juger »¹².

    Dans les travaux préparatoires, le commentaire de l’article résume en ces termes le contexte juridique dans lequel la nécessité d’une réforme s’est fait sentir :

    « L’article 440 du Code judiciaire dispose que : ‘L’avocat comparaît comme fondé de pouvoirs sans avoir à justifier d’aucune procuration, sauf lorsque la loi exige un mandat spécial‘. Cette disposition est interprétée par la Cour de cassation comme établissant une présomption réfragable selon laquelle l’avocat dispose d’un mandat de son client et selon laquelle la décision d’agir en justice a été prise par une personne physique capable ou par les organes légalement compétents d’une personne morale (Cass., 7 décembre 1993, Pas., 1993, I, 1029). Par contre, le Conseil d’État interprète cette disposition comme établissant une présomption en faveur du mandat de l’avocat, mais non de la régularité de la décision d’agir. La Cour constitutionnelle, alors la Cour d’arbitrage, a admis la constitutionnalité de cette différence d’interprétation en raison de la différence de nature entre les procédures qui se développent devant le Conseil d’État et les Cours et tribunaux (C. const., 22 avril 1998, n° 42/98). L’interprétation donnée à l’article 440 du Code judiciaire par le Conseil d’État n’en est pas moins apparue au fil du temps comme génératrice de vaines complications. Elle a été critiquée, à juste titre, en ce que ni le caractère d’ordre public des règles relatives à l’introduction des recours devant le Conseil d’État, ni le caractère inquisitoire de la procédure suivie devant celui-ci ne sont incompatibles avec la présomption énoncée par l’article 440, alinéa 2, du Code judiciaire (R. Jafferali, « L’auberge, espagnole ou la représentation des sociétés devant le Conseil d’État », C.D.P.K., 2006, pp. 623 et s.). […] La vérification s’avère particulièrement incompatible avec les procédures d’extrême urgence qui se sont multipliées au cours des dernières années [...] »¹³.

    6. On relèvera que prenant acte de la modification du nouvel article 19, alinéa 6, des lois coordonnées, la Cour constitutionnelle a considéré qu’à la lumière de l’uniformité poursuivie par le législateur en ce qui concerne la portée du mandat ad litem de l’avocat, il n’y avait plus de raison d’appliquer des conditions de recevabilité moins souples devant la Cour constitutionnelle. Elle interprète dès lors l’article 7, alinéa 3, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle comme lui permettant de renoncer,

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