Citoyens paysans en Creuse
Par MARYSE BOUZET
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À propos de ce livre électronique
À partir de 1789, le paysan passe de l’état de sujet à citoyen. Découvrant la démocratie, il apprend à gérer la commune en suivant les directives des dirigeants nationaux et départementaux. Les institutions sont en constante mutation dans une période où les aléas climatiques, gelées, canicules, grêles destructrices, provoquent d’importantes famines. Quelques décennies plus tard, les géomètres, chargés de l’établissement du cadastre, proposent des groupements de communes. La partie de la population qui espère le plus de ses unions, en attendant parfois des prodiges, est la plus rapidement déçue.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Après une vie professionnelle au service des collectivités territoriales et de l’intercommunalité, Maryse Bouzet se consacre entièrement à sa passion, l’écriture, maniant divers genres : théâtre, poésie, romans et documentaires en fonction de son inspiration. Le Baron potier est son dixième roman. Elle vit à Mortroux (23).
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Aperçu du livre
Citoyens paysans en Creuse - MARYSE BOUZET
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Éditions Les 2 Encres
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« Ne vous demandez pas ce que votre pays
peut faire pour vous,
demandez-vous ce que vous pouvez faire
pour votre pays. »
John Fitzgerald Kennedy
Avant-propos
Les généalogistes amateurs sont de plusieurs sortes. Il y a celui qui demande à consulter un registre et refuse de s’asseoir « Non. Je n’en ai pas pour longtemps ! » et ceux qui savent qu’ils n’en auront jamais terminé, car un acte d’état civil, comme celui des registres paroissiaux, en dit beaucoup plus que le scribe n’en a noté. Madame Campretti était de la seconde sorte.
Lorsque je l’ai rencontrée, elle était déjà remontée jusqu’à son aïeul Simon Labernardière, né deux siècles avant elle. Elle en connaissait plus sur lui que s’il lui avait raconté sa vie au cours de longues veillées. Elle avait patiemment parcouru les archives creusoises, indriennes et même Loirétaines. Elle avait usé de patience et de perspicacité, car la date précise de la naissance de Simon est indiquée uniquement lors de son dernier mariage. La date et le lieu de son décès ne sont révélés qu’après une enquête minutieuse puisqu’il a déménagé quelques années avant de mourir.
Cette passionnée d’histoire m’avait conseillé la lecture d’un livre écrit par Geneviève Millot À la conquête des cœurs et des boisselées, imprimé en mille neuf cent quatre-vingt-un dont le nom de l’éditeur ne figure nulle part, sous-titré « Un maçon de la Marche sur la terre Berrichonne (1734-1810) ». Quand, trois décennies plus tard, je me suis enfin décidée à l’acquérir, je l’ai trouvé sur un site de vente de produits d’occasion. J’ai choisi celui dont le prix était médian. Sur la première page figurait la dédicace suivante, datée du huit décembre mille neuf cent quatre-vingt-huit : « à madame Campretti qui a la Marche plein la tête… et plein le cœur. Je la comprends et partage. C’est pourquoi je lui dis ma fidèle amitié. »
C’est en pensant à cette femme dont l’esprit, où qu’il soit, communique avec le mien que j’ai décidé d’entreprendre la narration de la vie de Simon et de sa famille par alliance. Les faits historiques sont ceux figurant aux archives départementales. Les pensées, les conversations, la vie privée relèvent du roman, tout comme ses relations avec les cousins Renty.
Henri Renty et son fils, Jean-Baptiste, sont connus pour leurs poteries, dont les épis de faîtage qui ornent encore au xxie siècle les toits des maisons du nord du département de la Creuse et beaucoup d’autres pièces exposées au musée de Guéret. François et Silvain, dont la profession de potier est attestée dans les registres d’état civil, ont surtout laissé leur nom pour leurs fonctions électives.
Des hommes de ces deux lignées, plusieurs fois alliées par des mariages, ont été maires de la commune de Mortroux pendant près d’un siècle. Ce roman, spécialement dédicacé à la mémoire de madame Campretti dont je n’ai jamais su le prénom, traite de leur vie publique.
Dans cette partie du territoire français, située entre la langue d’oc et la langue d’oïl, les habitants s’exprimaient en patois et n’utilisaient pas le ne dans les négations. Pour faciliter la lecture et la compréhension, dans ce volume, les dialogues sont écrits en français et la forme négative est conservée dans son entier.
La généalogie des familles les plus importantes et la liste des personnes citées dans cet ouvrage sont reproduites en annexe, à la fin du livre.
1re partie
1 – Un remariage
Debout dans le cœur de l’église, Simon n’écoutait plus les psaumes du curé. Cette cérémonie lui en rappelait une autre célébrée dix ans auparavant, presque jour pour jour, dans cette église de Mortroux. Le premier février mille sept cent soixante-dix-neuf, il épousait Jeanne Coindat, fille d’un laboureur du village de la Marche.
Lui, Simon Labernardière, âgé de vingt-cinq ans, était déjà maître-charpentier. Il demeurait à la Brodière, paroisse de Lourdoueix-Saint-Pierre, avec ses parents et ses grands-parents maternels. Jean, son père, charpentier comme la plupart des garçons de sa lignée depuis plusieurs générations, avait quitté le hameau de la Bernardière, berceau de la famille à laquelle il avait donné son nom, pour aller vivre chez Marie Mercier, son épouse. Deux de ses frères avaient continué de travailler sur le domaine familial avec leur père.
L’hiver, quand Jean n’était pas sur les chantiers dans le Berry, il parcourait fréquemment la demi-lieue qui séparait les deux villages pour prendre des nouvelles des siens, les assister dans une tâche ou simplement échanger quelques informations. Simon l’y avait souvent accompagné, juché sur ses épaules ou son dos lorsqu’il était petit, puis marchant à ses côtés dès que ses jambes le lui avaient permis. Jean tenait à transmettre les connaissances et traditions familiales et surtout à faire connaître le nid d’origine de la famille afin que Simon n’oublie jamais ses racines. Le père y tenait d’autant plus que Simon était l’aîné des garçons. Deux filles étaient nées avant lui, la cadette ayant vécu seulement une année. Les filles ne comptaient pas. C’étaient les garçons qui donnaient leur patronyme à la descendance, qui travaillaient les champs ou partaient limousiner, qui commerçaient ou exerçaient une activité artisanale. C’étaient les garçons qui étaient importants.
Dès ses douze ans, Simon avait suivi Jean sur les chantiers et avait appris son métier. Chaque fois que le père était fier du travail du fils, aucune parole ne sortait de sa bouche, son regard suffisait à exprimer son contentement. C’était au retour de l’un de ces chantiers que Jean Labernardière et Gabriel Coindat, un compagnon maçon, étaient convenus de marier la nièce du second au fils du premier.
Les Coindat étaient reconnus depuis plusieurs générations pour leur activité de potier. Marc, le père de Gabriel, avait épousé Françoise Aléonard, fille de Georges, dont la réputation dans toute la Marche, le Berry et d’autres provinces encore plus éloignées, lui avait valu le surnom de « Baron potier¹ ». Neuf enfants étaient nés de cette union. Pierre, l’aîné des garçons avait, comme le voulait la coutume, continué le métier de son père, Gabriel était maçon et Jean, le benjamin, était laboureur.
Simon se souvenait de son bonheur lorsque Jean lui avait accordé la main de Jeanne, sa fille unique, et du contentement encore plus grand lorsque devant le père Étienne Fayolle de Peyzat, la jeune fille avait prononcé timidement le « oui » qu’il espérait. Il avait alors tendrement serré la main de sa femme pour lui témoigner sa reconnaissance. Il était tellement heureux, en sortant de l’église au bras de son épouse, qu’il avait dû se retenir de crier sa joie.
Pierre, né en novembre de l’année suivante, n’avait vécu que quelques semaines. Jean, arrivé en octobre mille huit cent quatre-vingt-deux, se portait à merveille. Simon tourna la tête pour envoyer un signe complice à son fils qui se tenait droit entre ses deux grands-mères. Hélas, le bonheur ne s’attardait jamais durablement dans une famille, sur cette terre. Jeanne s’était envolée vers les étoiles en juillet mille sept cent quatre-vingt-quatre. Simon, limousinant les deux tiers de l’année, avait partagé seulement vingt mois de sa vie avec sa femme qui avait été inhumée sans qu’il puisse la revoir. Il n’avait pas songé, en la quittant au printemps, que leur au revoir était un adieu. Il avait tenté de l’oublier en s’appliquant à être le meilleur charpentier, tandis que ses beaux-parents élevaient l’enfant. L’effacement n’était pas venu. Si les souvenirs étaient plus lointains, le petit tiroir qui les contenait ne demandait qu’à s’ouvrir à la première occasion et à les déverser, laissant toujours un sentiment de mal être.
Les pensées de Marie Nicolas, la mère de Jeanne Coindat suivaient le même trajet que celles de son gendre. Elle se remémorait cette autre cérémonie, dix ans plus tôt. Pourquoi, eux, Jean et Marie n’avaient-ils eu qu’un seul enfant ? Pourquoi Dieu qui n’avait daigné leur envoyer pour progéniture qu’une fille la leur avait-il reprise si tôt ? Aussi loin que son regard se porte, Marie ne voyait que des familles nombreuses composées de garçons. Qu’avait-elle fait pour mériter cette punition ? Il ne lui restait que son petit Jean. Il faudrait en prendre soin de ce garçon. Elle lui serra fortement la main pour signifier à tous qu’il lui appartenait et qu’elle y tenait. Ah ! On lui prenait son gendre ! On ne lui prendrait pas son petit-fils !
Son gendre. On ne le lui prenait peut-être pas tout à fait puisqu’il venait de tourner la tête pour envoyer un clin d’œil à son fils.
Le sacristain agita la clochette ramenant Simon au temps présent, surpris de voir officier Pierre Baraudon, ce nouveau curé installé dans la paroisse depuis un peu plus de deux années. Son esprit s’évada à nouveau. L’ancien curé, qui desservait la paroisse jusqu’en mille sept cent quatre-vingt-six, pensait que ses paroissiens, surtout ceux du bourg, ne vivaient qu’en envisageant leurs intérêts, la plupart rusant avec finesse, flattant pour attraper l’autre, se moquant de lui ensuite et le ruinant s’ils le pouvaient. Les honnêtes gens sincèrement croyants et la grâce de Dieu le consolaient. Il avait connu des pères mauvais et leurs enfants bons. Il pensait que le temps et la patience provoquaient des changements heureux.
Simon n’avait pas remarqué de tels comportements. Son métier le tenait éloigné de la paroisse toutes les plus longues journées de l’année et ses compétences ajoutées à sa qualité de petit-gendre de Marc Coindat lui valaient un profond respect. Lorsqu’il était au pays, il n’hésitait jamais à prêter la main à ceux qui en avaient besoin, à la Marche, ce petit village de la paroisse de Mortroux qui se nommait comme la province, pour les mêmes raisons². Il s’était lié d’amitié avec Étienne Renty, un voisin maçon, limousinant lui aussi, qu’il appréciait et avec lequel il partageait beaucoup de points communs. Au cours des veillées, ils échangeaient sur leurs réalisations professionnelles en tressant des paniers, réparant du mobilier, ou construisant des sièges, concourant amicalement à la plus extraordinaire et la plus rapide exécution. Simon estimait aussi beaucoup Gabriel Renty, le père d’Étienne.
Gabriel était décédé au cours de l’été mille huit cent quatre-vingt-cinq. Aujourd’hui, Simon épousait Marie, sa fille, née de son second mariage avec Marie Clérambeau. Il ne se mariait pas pour qu’une femme puisse élever son fils qui, à presque sept ans, aidait à nourrir les animaux et aux travaux des champs. Il n’était plus vraiment une charge pour sa grand-mère, veuve depuis deux ans. Simon se mariait parce que Marie lui plaisait beaucoup. Son petit visage rieur, ses bouclettes qui s’évadaient souvent de la coiffe qui s’obstinait à les couvrir, sa vivacité l’avaient séduit depuis plusieurs mois. Il avait préparé sa belle-mère à l’idée de partager un gendre avec la famille Renty. Ces familles de potiers, liées corporativement, qui mariaient souvent leurs enfants entre eux, ne se refilaient pas aussi facilement un gendre. Simon avait dû évoquer l’éventualité puis la possibilité de l’union, pendant plusieurs mois. Il sentait la Marie opposée à ce mariage, surtout parce qu’il se faisait dans le hameau. Il était d’usage qu’un veuf se remariât. Souvent dans le village. Mais là, d’un coup, la jeune voisine était devenue la voleuse du bonheur que sa fille aurait dû avoir. Elle en ressentait une injustice d’autant plus grande qu’elle n’avait aucun autre enfant sur lequel fonder l’avenir familial. Heureusement que le petit Jean était là. Le charpentier avait promis de continuer de lui remettre chaque année une compensation financière en contrepartie de la nourriture et du logement de son fils, et de participer aux corvées.
La famille et les voisins se réunirent dans la grange des Renty pour y partager le repas de noces. La présence des animaux dans l’étable de l’autre côté de la mangeoire et le nombre de personnes présentes donnaient une agréable tiédeur. Les convives mangeaient avec appétit et les hommes, encouragés par l’alc∞l, plaisantaient bruyamment. Simon s’en voulait : il ne réussissait pas à être totalement présent à l’évènement. Sa mémoire lui renvoyait constamment des images de son premier mariage qui l’entraînaient vers son veuvage et le regret d’avoir été absent au moment du décès de Jeanne. Il était allé dans le cimetière dès son retour, sa curiosité avait été frustrée. Il n’allait pas déterrer son épouse. Même s’il l’avait fait, qu’aurait-il vu ? Un cadavre qui avait commencé de nourrir les animaux peuplant le sous-sol ! Il se répétait que s’il avait vu une dernière fois sa femme, s’il avait pu lui faire ses adieux, il aurait mieux supporté son départ. Il