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Mosaïque
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Livre électronique202 pages3 heures

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À propos de ce livre électronique

Qu’est-ce qui fait de nous une femme ? Une quantité d’hormones ? Une aptitude biologique ? Un rôle social, une place prédéfinie ? Ou encore une mosaïque de tout cela ? N’étant ni essayiste ni sociologue, Anne Garrait témoigne modestement de ce qu’implique le vieillissement pour une femme et confronte ses propres crises à celles d’un monde en déclin.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Professeur des universités, Anne Garrait s’intéresse à la question des femmes et des minorités aux États-Unis ainsi qu’aux évolutions culturelles dans le champ nord-américain. Elle a écrit plusieurs ouvrages sur ces sujets, dont N. Scott Momaday, l’homme-ours : voix et regard paru en 2005 aux Éditions PUBP.
LangueFrançais
Date de sortie7 juil. 2023
ISBN9791037792495
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    Aperçu du livre

    Mosaïque - Anne Garrait

    Note de l’auteure

    Mosaïque, comme ce que je suis, un ensemble de bouts, de scènes, de lieux, de visages. Un agrégat d’instants qui forme un temps long. Mosaïque comme Mozac… petit bourg auvergnat où j’ai construit mon nid pendant vingt-cinq ans et eu mes enfants. Il y a eu un avant et un après-Mozac ; un avant et un après « ménopause » ; un avant et un après Covid. Il y a toujours un avant et un après. Mais la conjonction des faits qui ont mené dans ma vie à ce passage de l’un à l’autre ces dernières années fut telle, que le besoin d’en témoigner s’est imposé. Beaucoup de livres intimes sont nés après le Covid. Le traumatisme de cette stase imposée a été profond et partagé par la planète entière. C’était en soi totalement inédit dans notre civilisation et le signe d’un bouleversement du monde, comme un retournement du globe amenant chacun à faire un tour sur lui-même.

    J’avais quant à moi éprouvé les premiers soubresauts de ce retournement quelques mois à peine avant la stase commune. Et quelques années en amont, j’avais même commencé à ressentir dans mon corps quelques changements liés à l’âge et que l’on nomme communément et médicalement la « ménopause » ou encore, plus inélégamment, le « retour d’âge ». Ce retour d’âge dans l’esprit des individus qualifie une crise liée à l’âge. Ce peut être la crise de la quarantaine, crise de la séduction dont on parle souvent pour les hommes, ou bien crise de la cinquantaine –, crise du milieu de vie pour les Anglo-saxons – qui est, elle, à la fois une crise de la séduction et une crise ontologique liée à la perte et à la peur de la mort. Elle est très souvent féminine et associée à la baisse des hormones reproductrices et à la fin donc de la capacité gestationnelle de la femme. Ainsi est-elle avant tout une crise de l’identité, car qu’est-ce qu’une femme si elle ne sert plus à ce qui l’essentialise le plus, l’enfantement ?

    C’est de cette crise identitaire que j’ai eu envie de parler ici. Qu’est-ce qui fait de nous ce que nous sommes ? Qu’est-ce qui fait de nous une femme ? Une quantité d’hormones ? Une aptitude biologique ? Ou bien un rôle social, une place, définis par ceux-là même qui édictent les codes et les règles sociales et qui allouent les places. Ou bien encore est-ce une mosaïque de tout cela ? N’étant ni essayiste ni sociologue, j’ai modestement souhaité témoigner de mon parcours au cœur de cette « révolution » que je viens de vivre avec le monde, ce tour complet sur soi qu’est le « retour » d’âge. Et la formule populaire n’est pas si mauvaise après tout, car ce qui revient et s’en retourne, c’est le passé, cette vieille peau dont on ne sait alors que faire. Je me suis parfois plutôt vue comme une archéologue excavant du passé des éclats expliquant les édifices présents. Mon ami archéologue a coutume de dire que dans son métier ce sont les fouilles qui sont fascinantes et ce qu’elles révèlent, mais que tout le travail d’analyse et de rendu qui en découle et qu’il faut en faire est un pensum. Je suis donc une archéologue d’un autre type, pour qui la fouille est plus laborieuse que l’analyse de ses effets.

    Ces fouilles et le retour à trois cent soixante degrés effectué sur ma vie ont tant impacté mon identité propre, mon présent, et éclairé mon vécu d’une autre lumière qu’ils sont devenus comme un moteur, un mouvement vers l’arrière nécessaire pour autoriser tout nouveau mouvement vers l’avant. Le « retour d’âge » a imaginé de nouvelles pièces à un puzzle que je pensais sur le point de s’achever, de nouveaux morceaux à ma mosaïque. Et étonnamment, ce ne sont pas les plus tristes ni les plus ternes.

    Je devais bien un livre… une réflexion approfondie à cette vaste pirouette.

    Origines

    Origines

    Tu viens d’où ?

    C’est une question que l’on nous pose souvent : « Tu viens d’où ? » comme si cela nous définissait dans le présent. Mais la notion des origines est bien plus complexe que celle du lieu d’où l’on vient. Et d’ailleurs est-ce du lieu de notre naissance dont on parle ou bien du lieu de celle de nos parents et sont-ils substituables ? « Venir de », c’est bien en effet au sens premier de la formule arriver d’un endroit et aller vers un autre, bouger en somme, mais en termes d’identité il s’agit plutôt de « naître de » que de naître à. Et l’on ne sait jamais très bien quoi répondre à cette question. Une amie à moi, antillaise, répondait toujours à cette question, qu’on lui posait systématiquement les yeux dans les yeux : « Vous êtes d’où, vous ? » par « Je suis Bretonne ». Elle était née à Rennes en effet, mais la couleur de sa peau amenait systématiquement à ce questionnement implicite sur des origines qui ne pouvaient qu’être lointaines, autres, différentes en tout cas de celles de la personne qui posait la question. Lassée d’avoir passé trente ou quarante ans à répondre « Je suis française » comme si elle devait s’en justifier, elle avait opté pour l’ironie. Elle savait que l’imaginaire des gens se mettait alors en branle et se la représentait avec une coiffe bretonne sur la tête. Elle aimait voir leur tête ahurie.

    Je ne suis pas noire et j’ai donc eu moins souvent à répondre à ces questions idiotes liées à l’origine. Questions intimes s’il en est qui se posent régulièrement au cours d’une vie. J’ai eu pour y répondre trois grandes phases, chacune liée à la représentation que je me faisais alors de mes origines.

    Durant mon enfance et mon adolescence, j’ai répondu cash : « Je suis corse ». Cela était exotique et suscitait chez les copines et surtout chez les copains un petit frisson d’admiration qui me rendait plutôt fière. S’il existe dans nos origines un élément qui aiguise la curiosité, mais une curiosité positive entendons-nous, pas le regard malsain et jugeant que posaient les gens sur mon amie antillaise, alors je crois que l’on aime à y revenir. La « petite » différence, cet élément différenciant positif et invisible qui se cache parfois dans nos origines, fait de nous une personne unique, un peu plus désirable. Il est alors vécu comme un plus. Il fait de nous un être légèrement « augmenté » par rapport aux autres.

    Plus tard, bien sûr, les questions se firent plus précises et l’embarras s’installa… « T’es corse par ton père ou par ta mère ? » C’est là que les choses se corsèrent, littéralement. Le léger bobard des années passées ne peut pas résister bien longtemps à l’épreuve des chiffres. Ben heu… ni l’un ni l’autre, ma bonne dame. Ma mère est cent pour cent auvergnate et mon père… heu… alors voyons… sortons la calculette… du côté de son père, il est cinquante pour cent corse et cinquante pour cent auvergnat aussi (ils sont forts ces Auvergnats, ils sont partout)… et par sa mère… ben pied-noir sur plusieurs générations à tel point que je ne sais même pas de quelle région de France venaient les Morins… ah si Bordeaux je crois. Bon, c’est un peu flou cet arbre ascendant. Disons que mon père est soixante-quinze pour cent français et vingt-cinq pour cent corse (on peut rire un peu). Cela fait donc de moi, ben, une Corse à douze et demi pour cent et tout le reste est auvergnat (entre le papy et la mère, le compte y est). Purée. C’est fou le fantasme que nous nous construisons sur nos origines… Auvergnate en Auvergne, ce n’est pas très exotique. Et auvergnate en Corse, c’est carrément de la provocation. Ce satané principe de réalité qui vient s’engouffrer jusqu’aux tréfonds de nos origines. Fini la sérénade une main sur l’oreille, la confiture de figues et le maquis en fleurs. Soudain, la boîte à images se remet en branle et nous voilà associées à du saucisson sec, à de la truffade, ou à du Saint-Nectaire. On se sent moins sexy.

    À vingt ans, j’ai décidé que je ne rentrerais pas dans cette sordide logique de chiffres et que je dirais ce qui me plaisait : « Je suis d’origine corse ». Scott Momaday, l’écrivain amérindien kiowa sur lequel j’écris, a coutume de dire « On est un Indien si l’on se sent indien ». Cela m’arrangeait diablement. Tant que je me suis sentie corse, j’ai donc été corse et j’ai maintenu mon fantasme originel d’exotisme. J’ai entretenu aussi longtemps que je l’ai pu et désiré cette part de culture méditerranéenne qui qualifie en fait notre père plutôt que nous. J’ai affiché sa corsitude en même temps que je revendiquais la mienne. « Venir de », ce fut donc longtemps pour moi synonyme de « naître de » plutôt que de naître à.

    Un jour en Corse, en traversant la rue à Ajaccio avec mes enfants j’ai entendu une voix masculine crier avec cet accent reconnaissable entre mille : « Français de merde ! » Cela a été comme un électrochoc. J’ai d’un coup baissé mon pourcentage à six. Un jour encore, j’ai appris que les cousins à qui nous avions coutume de confier les clés de notre maison au village pendant l’année l’avaient utilisée pour un mariage et que des inconnus y avaient dormi sans que l’on demande à mon père son autorisation. Ce qui est en Corse appartient aux Corses. Ils n’ont même pas rangé derrière eux et quand mon père est arrivé l’été suivant, éreinté par le voyage et la route, il a trouvé sa maison sale et dévastée. J’ai rendu mes six pour cent restants à la postérité. On a vendu la maison.

    Depuis ces événements, je me suis mise à répondre de manière plus évasive. Je suis sans origines. Un peu de là, un peu d’ailleurs. Du côté de mon père, on est corses et pieds-noirs, ça édulcore. Je disais souvent aussi « Je suis née à Bordeaux ». Ça ne mange pas de pain et tout le monde s’en fout de savoir si j’y suis restée six mois ou trente ans. En l’occurrence, ce fut six mois. On est de là où l’on décide d’être et l’origine est, pour partie, affaire de choix et de lien intime. Affaire de rejet aussi.

    Mes enfants, eux, se sont toujours sentis intégralement et résolument Auvergnats. Corréziens par leur père, ils sont nés et ont vécu en Auvergne. Ils sont Auvergnats et le revendiquent. Ils n’ont pas besoin d’exotisme, mais de racines. Et c’est au fond une démarche assez analogue qui a régi mes choix plus qu’une simple quête d’exotisme : je cherchais dans le sol corse et dans le maquis de ma jeunesse des racines que je n’avais pas vues pousser ailleurs. Mais elles poussaient bien ailleurs, comme le rhizome d’une plante résiliente et tenace. Comme le muguet qui chaque année fleurissait dans notre maison. Depuis ma cinquantaine et son « retournement », je me sens moi aussi enfin rattachée à un endroit. Une région. Un espace qui englobe nos maisons. Le parcours de l’origine peut être… original parfois. Après m’être sentie plus de trente ans sans origines, c’est en m’éloignant un peu de « ma » maison, en opérant ce tour sur moi-même, que j’ai pu avoir la distance nécessaire pour comprendre que j’étais de là. Et avoir le bon point de vue.

    Je ne suis pas née ici, mais j’y ai vécu depuis l’âge de six ans. J’ai tout vécu ici, tout construit ici, et j’y finirai probablement ma vie. J’y ai planté mes graines et c’est là qu’y poussent mes fleurs.

    « Tu viens d’où ? » Je ne sais pas exactement d’où je viens, mais je sais où je suis et je pense désormais que je sais où je vais. Je sais aussi où je veux être inhumée (merci, Nathalie, pour cette belle idée… oui, on sait d’où l’on est lorsque l’on sait enfin où l’on veut finir).

    Nathalie toujours, ma sœur relectrice, me remet en mémoire la formule anglaise pour dire « être de » qui est « to belong ». Verbe qui signifie aussi « appartenir ». « Être de » c’est appartenir à un lieu. Et il est vrai que l’anglais est ici très audacieux et profond. En français « être de », ne signifie pas exactement « appartenir à ». C’est plus flou et moins intime. Moins physique. Il y a dans la formule d’appartenance anglaise une dimension de prise en main, de possession d’un lieu et d’une identité qui me plaît et qui répond bien aux errances de la vie et à leur fin, lorsqu’après tant de questionnements, on s’appartient enfin.

    J’ai l’Auvergne en moi, et l’Auvergne me possède. Je suis Auvergnate.

    Sororité

    Du plus loin que je m’en souvienne, elle a toujours été là.

    Plus petite et un peu plus boulotte que moi, elle était dans mes pas, dans mon ombre presque. Et comme l’ombre n’était pas bien large, elle avait peu d’espace.

    Elle voulait toujours jouer quand je travaillais, voulait vivre quand je me soumettais à l’autorité, voulut un chien quand je partis faire mes études tant je lui manquais. Elle a toujours été là… si différente de moi. Si dépendante de l’affection des autres. La deuxième. Éternellement.

    J’étais aussi pragmatique qu’elle était fantasque ; aussi regroupée qu’elle était éparse. Nous étions sans le savoir ni le comprendre, parfaitement complémentaires. Comme si nos parents, qui s’étaient pourtant équitablement partagés entre nous deux pour « les façades » – mon père lui donnant sa bouille et ma mère me donnant son visage plus sévère –, avaient décidé de brouiller les cartes génétiques au moment de concevoir « les intérieurs ». J’ai été raisonnable ma vie durant et elle a fait les choix les plus originaux qui soient. J’ai suivi la voie de la fonction publique et ai été excellente élève. Elle a choisi la banque et a bien rigolé en classe. Je me suis ennuyée toute ma jeunesse et elle s’est bien marrée, je crois. J’espère.

    J’ai « fait famille » pour reprendre une formule qui lui appartient et eut deux enfants et elle s’est arrêtée à une, bien à regret. Tel n’était pourtant pas son désir. Elle a toujours parlé d’une grande famille. C’est la vie qui a décidé pour elle. Sa fille est son bonheur, sa fierté et sa joie. Elle est belle et aussi brune que mes petits sont « clairs », elle est intelligente et courageuse aussi. J’ai une tendresse infinie pour cette nièce unique qui doit d’ailleurs son unicité à bien autre chose qu’à la mathématique. Elle est unique, car elle ne ressemble au fond à personne dans cette famille : elle est extrêmement différente de sa mère et si elle a le sourire de son père elle ne lui ressemble pas plus. Elle est profondément autonome et suit son chemin en regardant devant. Elle est promise à une belle carrière dans la culture. Elle a dépassé seule – et sans psy – sa timidité et son manque de confiance en elle, les petites névroses familiales, en décidant un jour que tout cela ne serait plus une entrave. Elle a en résumé accompli en une année ou deux ce qu’il aura fallu trente ans à sa mère et à sa tante pour comprendre.

    Avec sa cousine, elles forment une projection de la sororité de leurs mères… sauf qu’elles en présentent une version plus aboutie. On dit qu’on veut le meilleur pour ses enfants et qu’une vie réussie se juge à l’aune du succès de ses enfants. Avec ces deux-là, nous pouvons dire que ma sœur et moi avons brillamment réussi nos existences : nos filles sont largement plus intelligentes et plus libres que nous et elles n’auront pas attendu leur ménopause pour s’affranchir des codes sociaux. À vingt ans, elles sont elles-mêmes et elles s’assument : sans négociations possibles, sans petits arrangements.

    Ma sœur me dit souvent que sa vie amoureuse est un désastre ; que

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